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Kitabı oku: «Napoléon Le Petit», sayfa 8

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X

«Ce but fut-il atteint?

«Oui.

«Immédiatement, dès le soir du 4 décembre, le bouillonnement public tomba. La stupeur glaça Paris. L'indignation qui élevait la voix devant le coup d'état se tut subitement devant le carnage. Ceci ne ressemblait plus à rien de l'histoire. On sentit qu'on avait affaire à quelqu'un d'inconnu.

«Crassus a écrasé les gladiateurs; Hérode a égorgé les enfants; Charles IX a exterminé les huguenots, Pierre de Russie les strélitz, Méhémet-Ali les mameluks, Mahmoud les janissaires; Danton a massacré les prisonniers. Louis Bonaparte venait d'inventer un massacre nouveau, le massacre des passants.

«Ce massacre termina la lutte. Il y a des heures où ce qui devrait exaspérer les peuples, les consterne. La population de Paris sentit qu'elle avait le pied d'un bandit sur la gorge. Elle ne se débattit plus. Ce même soir, Mathieu (de la Drôme) entra dans le lieu où siégeait le comité de résistance et nous dit: «Nous ne sommes plus à Paris, nous ne sommes plus sous la République; nous sommes à Naples et chez le roi Bomba.»

«À partir de ce moment, quels que fussent les efforts du comité, des représentants et de leurs courageux auxiliaires, il n'y eut plus, sur quelques points seulement, par exemple à cette barricade du Petit-Carreau où tomba si héroïquement Denis Dussoubs, le frère du représentant, qu'une résistance qui ressemblait moins à un combat qu'aux dernières convulsions du désespoir. Tout était fini.

«Le lendemain 5, les troupes victorieuses paradaient sur les boulevards. On vit un général montrer son sabre nu au peuple et crier: La république, la voilà!

«Ainsi un égorgement infâme, le massacre des passants, voilà ce que contenait, comme nécessité suprême, la «mesure» du 2 décembre. Pour l'entreprendre, il fallait être un traître; pour la faire réussir, il fallait être un meurtrier.

«C'est par ce procédé que le coup d'état conquit la France et vainquit Paris. Oui, Paris! On a besoin de se le répéter à soi-même, c'est à Paris que cela s'est passé!

«Grand Dieu! les baskirs sont entrés dans Paris la lance haute en chantant leur chant sauvage, Moscou avait été brûlé; les prussiens sont entrés dans Paris, on avait pris Berlin; les autrichiens sont entrés dans Paris, on avait bombardé Vienne; les anglais sont entrés dans Paris, le camp de Boulogne avait menacé Londres; ils sont arrivés à nos barrières, ces hommes de tous les peuples, tambours battants, clairons en tête, drapeaux déployés, sabres nus, canons roulants, mèches allumées, ivres, ennemis, vainqueurs, vengeurs, criant avec rage devant les dômes de Paris les noms de leurs capitales, Londres, Berlin, Vienne, Moscou! Eh bien! dès qu'ils ont mis le pied sur le seuil de cette ville, dès que le sabot de leurs chevaux a sonné sur le pavé de nos rues, autrichiens, anglais, prussiens, russes, tous, en pénétrant dans Paris, ont entrevu dans ces murs, dans ces édifices, dans ce peuple, quelque chose de prédestiné, de vénérable et d'auguste; tous ont senti la sainte horreur de la ville sacrée; tous ont compris qu'ils avaient là, devant eux, non la ville d'un peuple, mais la ville du genre humain; tous ont baissé l'épée levée! Oui, massacrer les parisiens, traiter Paris en place prise d'assaut, mettre à sac un quartier de Paris, violer la seconde Ville Éternelle, assassiner la civilisation dans son sanctuaire, mitrailler les vieillards, les enfants et les femmes dans cette grande enceinte, foyer du monde, ce que Wellington avait défendu à ses montagnards demi-nus, ce que Schwartzenberg avait interdit à ses croates, ce que Blücher n'avait pas permis à sa landwehr, ce que Platow n'avait pas osé faire faire par ses cosaques, toi, tu l'as fait faire par des soldats français, misérable!»

LIVRE QUATRIÈME
LES AUTRES CRIMES

I

QUESTIONS SINISTRES

Quel est le total des morts?

Louis Bonaparte, sentant venir l'histoire et s'imaginant que les Charles IX peuvent atténuer les Saint-Barthélémy, a publié, comme pièce justificative, un état dit «officiel des personnes décédées». On remarque dans cette liste alphabétique36 des mentions comme celle-ci: – Adde, libraire, boulevard Poissonnière, 17, tué chez lui. – Boursier, enfant de sept ans et demi, tué rue Tiquetonne. – Belval, ébéniste, rue de la Lune, 10, tué chez lui. – Coquard, propriétaire à Vire (Calvados), tué boulevard Montmartre. – Debaecque, négociant, rue du Sentier, 45, tué chez lui. – De Couvercelle, fleuriste, rue Saint-Denis, 257, tué chez lui. – Labilte, bijoutier, boulevard Saint-Martin, 63, tué chez lui. – Monpelas, parfumeur, rue Saint-Martin, 181, tué chez lui. – Demoiselle Grellier, femme de ménage, faubourg Saint-Martin, 209, tuée boulevard Montmartre. – Femme Guillard, dame de comptoir, faubourg Saint-Denis, 77, tuée boulevard Saint-Denis. – Femme Garnier, dame de confiance, boulevard Bonne-Nouvelle, 6, tuée boulevard Saint-Denis. – Femme Ledaust, femme de ménage, passage du Caire, 76, à la Morgue. – Françoise Noël, giletière, rue des Fossés-Montmartre, 20, morte à la Charité. – Le comte Poninski, rentier, rue de la Paix, 32, tué boulevard Montmartre. – Femme Raboisson, couturière, morte à la maison nationale de santé. – Femme Vidal, rue du Temple, 97, morte à l'Hôtel-Dieu. – Femme Seguin, brodeuse, rue Saint-Martin, 240, morte à l'hospice Beaujon. – Demoiselle Seniac, demoiselle de boutique, rue du Temple, 196, morte à l'hospice Beaujon. – Thirion de Montauban, propriétaire, rue de Lancry, tué sur sa porte, etc., etc.

Abrégeons. Louis Bonaparte, dans ce document, avoue cent quatrevingt-onze assassinats.

Cette pièce enregistrée pour ce qu'elle vaut, quel est le vrai total? Quel est le chiffre réel des victimes? De combien de cadavres le coup d'état de décembre est-il jonché? Qui peut le dire? Qui le sait? Qui le saura jamais? Comme on l'a vu plus haut, un témoin dépose: «Je comptai là trente-trois cadavres»; un autre, sur un autre point du boulevard, dit: «Nous comptâmes dix-huit cadavres dans une longueur de vingt ou vingt-cinq pas»; un autre, placé ailleurs, dit: «Il y avait là, dans soixante pas, plus de soixante cadavres.» L'écrivain si longtemps menacé de mort nous a dit à nous-même: «J'ai vu de mes yeux plus de huit cents morts dans toute la longueur du boulevard.» Maintenant cherchez, calculez ce qu'il faut de crânes brisés et de poitrines défoncées par la mitraille pour couvrir de sang «à la lettre» un demi-quart de lieue de boulevards. Faites comme les femmes, comme les soeurs, comme les filles, comme les mères désespérées, prenez un flambeau, allez-vous-en dans cette nuit, tâtez à terre, tâtez le pavé, tâtez le mur, ramassez les cadavres, questionnez les spectres, et comptez si vous pouvez.

Le nombre des victimes! On en est réduit aux conjectures. C'est là une question que l'histoire réserve. Cette question, nous prenons, quant à nous, l'engagement de l'examiner et de l'approfondir plus tard.

Le premier jour, Louis Bonaparte étala sa tuerie. Nous avons dit pourquoi. Cela lui était utile. Après quoi, ayant tiré de la chose tout le parti qu'il en voulait, il la cacha. On donna l'ordre aux gazettes élyséennes de se taire, à Magnan d'omettre, aux historiographes d'ignorer. On enterra les morts après minuit, sans flambeaux, sans convois, sans chants, sans prêtres, furtivement. Défense aux familles de pleurer trop haut.

Et il n'y a pas eu seulement le massacre du boulevard, il y a eu le reste, il y a eu les fusillades sommaires, les exécutions inédites.

Un des témoins que nous avons interrogés demanda à un chef de bataillon de la gendarmerie mobile, laquelle s'est distinguée dans ces égorgements: Eh bien, voyons! le chiffre? Est-ce quatre cents? – L'homme a haussé les épaules. – Est-ce six cents? – L'homme a hoché la tête. – Est-ce huit cents? – Mettez douze cents, a dit l'officier, et vous n'y serez pas encore.

À l'heure qu'il est, personne ne sait au juste ce que c'est que le 2 décembre, ce qu'il a fait, ce qu'il a osé, qui il a tué, qui il a enseveli, qui il a enterré. Dès le matin du crime, les imprimeries ont été mises sous le scellé, la parole a été supprimée par Louis Bonaparte, homme de silence et de nuit. Le 2, le 3, le 4, le 5 et depuis, la vérité a été prise à la gorge et étranglée au moment où elle allait parler. Elle n'a pu même jeter un cri. Il a épaissi l'obscurité sur son guet-apens, et il a en partie réussi. Quels que soient les efforts de l'histoire, le 2 décembre plongera peut-être longtemps encore dans une sorte d'affreux crépuscule. Ce crime est composé d'audace et d'ombre; d'un côté il s'étale cyniquement au grand jour, de l'autre il se dérobe et s'en va dans la brume. Effronterie oblique et hideuse qui cache on ne sait quelles monstruosités sous son manteau.

Ce qu'on entrevoit suffit. D'un certain côté du 2 décembre tout est ténèbres, mais on voit des tombes dans ces ténèbres.

Sous ce grand attentat on distingue confusément une foule d'attentats. La providence le veut ainsi; elle attache aux trahisons des nécessités. Ah! tu te parjures! ah! tu violes ton serment! ah! tu enfreins le droit et la justice! Eh bien! prends une corde, car tu seras forcé d'étrangler; prends un poignard, car tu seras forcé de poignarder; prends une massue, car tu seras forcé d'écraser; prends de l'ombre et de la nuit, car tu seras forcé de te cacher. Un crime appelle l'autre; l'horreur est pleine de logique. On ne s'arrête pas, et on ne fait pas un noeud au milieu. Allez! ceci d'abord; bien. Puis cela, puis cela encore; allez toujours! La loi est comme le voile du temple; quand elle se déchire, c'est du haut en bas.

Oui, répétons-le, dans ce qu'on a appelé «l'acte du 2 décembre» on trouve du crime à toute profondeur. Le parjure à la surface, l'assassinat au fond. Meurtres partiels, tueries en masse, mitraillades en plein jour, fusillades nocturnes, une vapeur de sang sort de toutes parts du coup d'état.

Cherchez dans la fosse commune des cimetières, cherchez sous les pavés des rues, sous les talus du Champ de Mars, sous les arbres des jardins publics, cherchez dans le lit de la Seine.

Peu de révélations. C'est tout simple. Bonaparte a eu cet art monstrueux de lier à lui une foule de malheureux hommes dans la nation officielle par je ne sais quelle effroyable complicité universelle. Les papiers timbrés des magistrats, les écritoires des greffiers, les gibernes des soldats, les prières des prêtres sont ses complices. Il a jeté son crime autour de lui comme un réseau, et les préfets, les maires, les juges, les officiers et les soldats y sont pris. La complicité descend du général au caporal, et remonte du caporal au président. Le sergent de ville se sent compromis comme le ministre. Le gendarme dont le pistolet s'est appuyé sur l'oreille d'un malheureux et dont l'uniforme est éclaboussé de cervelle humaine, se sent coupable comme le colonel. En haut, des hommes atroces ont donné des ordres qui ont été exécutés en bas par des hommes féroces. La férocité garde le secret à l'atrocité. De là ce silence hideux.

Entre cette férocité et cette atrocité, il y a même eu émulation et lutte; ce qui échappait à l'une était ressaisi par l'autre. L'avenir ne voudra pas croire à ces prodiges d'acharnement. Un ouvrier passait sur le Pont-au-Change, des gendarmes mobiles l'arrêtent; on lui flaire les mains. – Il sent la poudre, dit un gendarme. On fusilla l'ouvrier; quatre balles lui traversèrent le corps. – Jetez-le à l'eau! crie un sergent. Les gendarmes le prennent par la tête et par les pieds et le jettent par-dessus le pont. – L'homme fusillé et noyé s'en va à vau-l'eau. Cependant il n'était pas mort; la fraîcheur glaciale de la rivière le ranime; il était hors d'état de faire un mouvement, son sang coulait dans l'eau par quatre trous, mais sa blouse le soutint, il vint échouer sous l'arche d'un pont. Là des gens du port le trouvent, on le ramasse, on le porte à l'hôpital, il guérit; guéri, il sort. Le lendemain on l'arrête et on le traduit devant un conseil de guerre. La mort l'ayant refusé, Louis Bonaparte l'a repris. L'homme est aujourd'hui à Lambessa.

Ce que le Champ de Mars a vu particulièrement, les effroyables scènes nocturnes qui l'ont épouvanté et déshonoré, l'histoire ne peut les dire encore. Grâce à Louis Bonaparte, ce champ auguste de la Fédération peut s'appeler désormais Haceldama. Un des malheureux soldats que l'homme du 2 décembre a transformés en bourreaux raconte avec horreur et à voix basse que dans une seule nuit le nombre des fusillés n'a pas été de moins de huit cents.

Louis Bonaparte a creusé en hâte une fosse et y a jeté son crime. Quelques pelletées de terre, le goupillon d'un prêtre, et tout a été dit. Maintenant, le carnaval impérial danse dessus.

Est-ce là tout? est-ce que cela est fini? est-ce que Dieu permet et accepte de tels ensevelissements? Ne le croyez pas. Quelque jour, sous les pieds de Bonaparte, entre les pavés de marbre de l'Élysée ou des Tuileries, cette fosse se rouvrira brusquement, et l'on en verra sortir l'un après l'autre chaque cadavre avec sa plaie, le jeune homme frappé au coeur, le vieillard branlant sa vieille tête trouée d'une balle, la mère sabrée avec son enfant tué dans ses bras, tous debout, livides, terribles, et fixant sur leur assassin des yeux sanglants.

En attendant ce jour, et dès à présent, l'histoire commence votre procès, Louis Bonaparte. L'histoire rejette votre liste officielle des morts et vos pièces justificatives.

L'histoire dit qu'elles mentent et que vous mentez.

Vous avez mis à la France un bandeau sur les yeux et un bâillon dans la bouche. Pourquoi?

Est-ce pour faire des actions loyales? Non, des crimes. Qui a peur de la clarté fait le mal.

Vous avez fusillé la nuit, au Champ de Mars, à la Préfecture, au Palais de justice, sur les places, sur les quais, partout.

Vous dites que non.

Je dis que si.

Avec vous on a le droit de supposer, le droit de soupçonner, le droit d'accuser.

Et quand vous niez, on a le droit de croire; votre négation est acquise à l'affirmation.

Votre 2 décembre est montré au doigt par la conscience publique. Personne n'y songe sans un secret frisson. Qu'avez-vous fait dans cette ombre-là?

Vos jours sont hideux, vos nuits sont suspectes.

Ah! homme de ténèbres que vous êtes!

* * * * *

Revenons à la boucherie du boulevard, au mot: «qu'on exécute mes ordres!» et à la journée du 4.

Louis Bonaparte, le soir de ce jour-là, dut se comparer à Charles X qui n'avait pas voulu brûler Paris, et à Louis-Philippe qui n'avait pas voulu verser le sang du peuple, et il dut se rendre à lui-même cette justice qu'il était un grand politique. Quelques jours après, M. le général Th… anciennement attaché à l'un des fils du roi Louis-Philippe, vint à l'Élysée. Du plus loin que Louis Bonaparte le vit, faisant dans sa pensée la comparaison que nous venons d'indiquer, il cria d'un air de triomphe au général: Eh bien?

M. Louis Bonaparte est bien véritablement l'homme qui disait à l'un de ses ministres d'autrefois, de qui nous le tenons: Si j'avais été Charles X et si, dans les journées de Juillet, j'avais pris Laffitte, Benjamin Constant et Lafayette, je les aurais fait fusiller comme des chiens.

Le 4 décembre, Louis Bonaparte eût été arraché le soir même de l'Élysée, et la loi triomphait, s'il eût été un de ces hommes qui hésitent devant un massacre. Par bonheur pour lui, il n'avait pas de ces délicatesses. Quelques cadavres de plus ou de moins, qu'est-ce que cela fait? Allons, tuez! tuez au hasard! sabrez! fusillez, canonnez, écrasez, broyez! terrifiez-moi cette odieuse ville de Paris! Le coup d'état penchait, ce grand meurtre le releva. Louis Bonaparte avait failli se perdre par sa félonie, il se sauva par sa férocité. S'il n'avait été que Faliero, c'était fait de lui; heureusement il était César Borgia. Il se jeta à la nage avec son crime dans un fleuve de sang; un moins coupable s'y fût noyé, il le traversa. C'est là ce qu'on appelle son succès. Aujourd'hui il est sur l'autre rive, essayant de se sécher et de s'essuyer, tout ruisselant de ce sang qu'il prend pour de la pourpre, et demandant l'empire.

II

SUITE DES CRIMES

Et voilà ce malfaiteur!

Et l'on ne t'applaudirait pas, ô vérité, quand aux yeux de l'Europe, aux yeux du monde, en présence du peuple, à la face de Dieu, en attestant l'honneur, le serment, la foi, la religion, la sainteté de la vie humaine, le droit, la générosité de toutes les âmes, les femmes, les soeurs, les mères, la civilisation, la liberté, la république, la France, devant ses valets, son sénat et son conseil d'état, devant ses généraux, ses prêtres et ses agents de police, toi qui représentes le peuple, car le peuple, c'est la réalité; toi qui représentes l'intelligence, car l'intelligence, c'est la lumière; toi qui représentes l'humanité, car l'humanité, c'est la raison; au nom du peuple enchaîné, au nom de l'intelligence proscrite, au nom de l'humanité violée, devant ce tas d'esclaves qui ne peut ou qui n'ose dire un mot, tu soufflettes ce brigand de l'ordre!

Ah! qu'un autre cherche des mots modérés. Oui, je suis net et dur, je suis sans pitié pour cet impitoyable et je m'en fais gloire.

Poursuivons.

À ce que nous venons de raconter ajoutez tous les autres crimes sur lesquels nous aurons plus d'une occasion de revenir, et dont, si Dieu nous prête la vie, nous raconterons l'histoire en détail. Ajoutez les incarcérations en masse avec des circonstances féroces, les prisons regorgeant37, le séquestre38 des biens des proscrits dans dix départements, notamment dans la Nièvre, dans l'Allier et dans les Basses-Alpes; ajoutez la confiscation des biens d'Orléans avec le morceau donné au clergé, Schinderhannes faisait toujours la part du curé. Ajoutez les commissions mixtes et la commission dite de clémence39; les conseils de guerre combinés avec les juges d'instruction et multipliant les abominations, les exils par fournées, l'expulsion d'une partie de la France hors de France; rien que pour un seul département, l'Hérault, trois mille deux cents bannis ou déportés; ajoutez cette épouvantable proscription, comparable aux plus tragiques désolations de l'histoire, qui, pour tendance, pour opinion, pour dissidence honnête avec ce gouvernement, pour une parole d'homme libre dite même avant le 2 décembre, prend, saisit, appréhende, arrache le laboureur à son champ, l'ouvrier à son métier, le propriétaire à sa maison, le médecin à ses malades, le notaire à son étude, le conseiller général à ses administrés, le juge à son tribunal, le mari à sa femme, le frère à son frère, le père à ses enfants, l'enfant à ses parents, et marque d'une croix sinistre toutes les têtes depuis les plus hautes jusqu'aux plus obscures. Personne n'échappe. Un homme en haillons, la barbe longue, entre un matin dans ma chambre à Bruxelles. J'arrive, dit-il; j'ai fait la route à pied; voilà deux jours que je n'ai mangé. On lui donne du pain. Il mange. Je lui dis: – D'où venez-vous? – De Limoges. – Pourquoi êtes-vous ici? – Je ne sais pas; on m'a chassé de chez nous. – Qu'est-ce que vous êtes? – Je suis sabotier.

Ajoutez l'Afrique, ajoutez la Guyane, ajoutez les atrocités de Bertrand, les atrocités de Canrobert, les atrocités d'Espinasse, les atrocités de Martimprey; les cargaisons de femmes expédiées par le général Guyon; le représentant Miot traîné de casemate en casemate; les baraques où l'on est cent cinquante, sous le soleil des tropiques, avec la promiscuité, avec l'ordure, avec la vermine, et où tous ces innocents, tous ces patriotes, tous ces honnêtes gens expirent, loin des leurs, dans la fièvre, dans la misère, dans l'horreur, dans le désespoir, se tordant les mains. Ajoutez tous ces malheureux livrés aux gendarmes, liés deux à deux, emmagasinés dans les faux ponts du Magellan, du Canada ou du Duguesclin; jetés à Lambessa, jetés à Cayenne avec les forçats, sans savoir ce qu'on leur veut, sans pouvoir deviner ce qu'ils ont fait. Celui-ci, Alphonse Lambert, de l'Indre, arraché de son lit mourant; cet autre, Patureau Francoeur, vigneron, déporté parce que, dans son village, on avait voulu en faire un président de la république; cet autre, Valette, charpentier à Châteauroux, déporté pour avoir, six mois avant le 2 décembre, un jour d'exécution capitale, refusé de dresser la guillotine.

Ajoutez la chasse aux hommes dans les villages, la battue de Viroy dans les montagnes de Lure, la battue de Pellion dans les bois de Clamecy avec quinze cents hommes; l'ordre rétabli à Crest, deux mille insurgés, trois cents tués; les colonnes mobiles partout; quiconque se lève pour la loi, sabré et arquebusé; celui-ci, Charles Sauvan, à Marseille, crie: vive la république! un grenadier du 54e fait feu sur lui, la balle entre par les reins et sort par le ventre; cet autre, Vincent, de Bourges, est adjoint de sa commune; il proteste, comme magistrat, contre le coup d'état; on le traque dans son village, il s'enfuit, on le poursuit, un cavalier lui abat deux doigts d'un coup de sabre, un autre lui fend la tête, il tombe; on le transporte au fort d'Ivry avant de le panser; c'est un vieillard de soixante-seize ans.

Ajoutez des faits comme ceux-ci: dans le Cher, le représentant Viguier est arrêté. Arrêté, pourquoi? Parce qu'il est représentant, parce qu'il est inviolable, parce que le suffrage du peuple l'a fait sacré. On jette Viguier dans les prisons. Un jour, on lui permet de sortir une heure pour régler des affaires qui réclamaient impérieusement sa présence. Avant de sortir, deux gendarmes, le nommé Pierre Guéret et le nommé Dubernelle, brigadier, s'emparent de Viguier; le brigadier lui joint les deux mains l'une contre l'autre, de façon que les paumes se touchent, et lui lie étroitement les poignets avec une chaîne; le bout de la chaîne pendait, le brigadier fait passer de force et à tours redoublés le bout de chaîne entre les deux mains de Viguier, au risque de lui briser les poignets par la pression. Les mains du prisonnier bleuissent et se gonflent. – C'est la question que vous me donnez là, dit tranquillement Viguier. – Cachez vos mains, répond le gendarme en ricanant, si vous avez honte. – Misérable, reprend Viguier, celui de nous deux que cette chaîne déshonore, c'est toi. Viguier traverse ainsi les rues de Bourges, qu'il habite depuis trente ans, entre deux gendarmes, levant les mains, montrant ses chaînes. Le représentant Viguier a soixante-dix ans.

Ajoutez les fusillades sommaires dans vingt départements: «Tout ce qui résiste», écrit le sieur Saint-Arnaud, ministre de la guerre, «doit être fusillé au nom de la société en légitime défense40». «Six jours ont suffi pour écraser l'insurrection», mande le général Levaillant, commandant l'état de siége du Var. «J'ai fait de bonnes prises», mande de Saint-Étienne le commandant Viroy; «j'ai fusillé sans désemparer huit individus; je traque les chefs dans les bois». À Bordeaux, le général Bourjoly enjoint aux chefs de colonnes mobiles de «faire fusiller sur-le-champ tous les individus pris les armes à la main». À Forcalquier, c'est mieux encore; la proclamation d'état de siége porte: «La ville de Forcalquier est en état de siége. Les citoyens n'ayant pas pris part aux événements de la journée et détenteurs d'armes sont sommés de les rendre sous peine d'être fusillés.» La colonne mobile de Pézenas arrive à Servian; un homme cherche à s'échapper d'une maison cernée, on le tue d'un coup de fusil. À Entrains, on fait quatrevingts prisonniers; un se sauve à la nage, on fait feu sur lui, une balle l'atteint, il disparaît sous l'eau; on fusille les autres. À ces choses exécrables ajoutez ces choses infâmes: à Brioude, dans la Haute-Loire, un homme et une femme jetés en prison pour avoir labouré le champ d'un proscrit; à Loriol, dans la Drôme, Astier, garde champêtre, condamné à vingt ans de travaux forcés pour avoir donné asile à des fugitifs; ajoutez, et la plume tremble à écrire ceci, la peine de mort rétablie, la guillotine politique relevée, des sentences horribles; les citoyens condamnés à la mort sur l'échafaud par les juges janissaires des conseils de guerre; à Clamecy, Milletot, Jouannin, Guillemot, Sabatier et Four; à Lyon, Courty, Romegal, Bressieux, Fauritz, Julien, Roustain et Garan, adjoint du maire de Cliouscat; à Montpellier, dix-sept pour l'affaire de Bédarrieux, Mercadier, Delpech, Denis, André, Barthez, Triadou, Pierre Carrière, Galzy, Calas dit le Vacher, Gardy, Jacques Pagès, Michel Hercule, Mar, Vène, Frié, Malaterre, Beaumont, Pradal, les six derniers par bonheur contumaces, et à Montpellier, encore quatre autres, Choumac, Vidal, Cadelard et Pagès. Quel est le crime de ces hommes? Leur crime c'est le vôtre, si vous êtes un bon citoyen, c'est le mien à moi qui écris ces lignes, c'est l'obéissance à l'article 110 de la constitution, c'est la résistance armée à l'attentat de Louis Bonaparte; et le conseil «ordonne que l'exécution aura lieu dans la forme ordinaire, sur une des places publiques de Béziers» pour les quatre derniers, et pour les dix-sept autres «sur une des places publiques de Bédarrieux»; le Moniteur l'annonce; il est vrai que le Moniteur annonce en même temps que le service du dernier bal des Tuileries était fait par trois cents maîtres d'hôtel dans la tenue rigoureuse prescrite par le cérémonial de l'ancienne maison impériale.

À moins qu'un universel cri d'horreur n'arrête à temps cet homme, toutes ces têtes tomberont.

À l'heure où nous écrivons ceci, voici ce qui vient de se passer à Belley:

Un homme de Bugez près Belley, un ouvrier nommé Charlet, avait ardemment soutenu, au 10 décembre 1848, la candidature de Louis Bonaparte. Il avait distribué des bulletins, appuyé, propagé, colporté; l'élection fut pour lui un triomphe; il espérait en Louis-Napoléon, il prenait au sérieux les écrits socialistes de l'homme de Ham et ses programmes «humanitaires» et républicains; au 10 décembre il y a eu beaucoup de ces dupes honnêtes; ce sont aujourd'hui les plus indignés. Quand Louis Bonaparte fut au pouvoir, quand on vit l'homme à l'oeuvre, les illusions s'évanouirent. Charlet, homme d'intelligence, fut un de ceux dont la probité républicaine se révolta, et peu à peu, à mesure que Louis Bonaparte s'enfonçait plus avant dans la réaction, Charlet se détachait de lui; il passa ainsi de l'adhésion la plus confiante à l'opposition la plus loyale et la plus vive. C'est l'histoire de beaucoup d'autres nobles coeurs.

Au 2 décembre, Charlet n'hésita pas. En présence de tous les attentats réunis dans l'acte infâme de Louis Bonaparte, Charlet sentit la loi remuer en lui; il se dit qu'il devait être d'autant plus sévère qu'il était un de ceux dont la confiance avait été le plus trahie. Il comprit clairement qu'il n'y avait plus qu'un devoir pour le citoyen, un devoir étroit et qui se confondait avec le droit, défendre la république, défendre la constitution, et résister par tous les moyens à l'homme que la gauche, et son crime plus encore que la gauche, venait de mettre hors la loi. Les réfugiés de Suisse passèrent la frontière en armes, traversèrent le Rhône près d'Anglefort et entrèrent dans le département de l'Ain. Charlet se joignit à eux.

À Seyssel, la petite troupe rencontra les douaniers. Les douaniers, complices volontaires ou égarés du coup d'état, voulurent s'opposer à leur passage. Un engagement eut lieu, un douanier fut tué, Charlet fut pris.

Le coup d'état traduisit Charlet devant un conseil de guerre. On l'accusait de la mort du douanier qui, après tout, n'était qu'un fait de combat. Dans tous les cas, Charlet était étranger à cette mort; le douanier était tombé percé d'une balle, et Charlet n'avait d'autre arme qu'une lime aiguisée. Charlet ne reconnut pas pour un tribunal le groupe d'hommes qui prétendait le juger. Il leur dit: Vous n'êtes pas des juges; où est la loi? la loi est de mon côté. – Il refusa de répondre.

Interrogé sur le fait du douanier tué, il eût pu tout éclaircir d'un mot; mais descendre à une explication, c'eût été accepter dans une certaine mesure ce tribunal. Il ne voulut pas; il garda le silence.

Ces hommes le condamnèrent à mort «selon la forme ordinaire des exécutions criminelles».

La condamnation prononcée, on sembla l'oublier; les jours, les semaines, les mois s'écoulaient. De toute part, dans la prison, on disait à Charlet: Vous êtes sauvé.

Le 29 juin, au point du jour, la ville de Belley vit une chose lugubre. L'échafaud était sorti de terre pendant la nuit et se dressait au milieu de la place publique.

Les habitants s'abordaient tout pâles et s'interrogeaient: Avez-vous vu ce qui est dans la place? – Oui. – Pour qui?

C'était pour Charlet.

La sentence de mort avait été déférée à M. Bonaparte; elle avait longtemps dormi à l'Élysée; on avait d'autres affaires; mais un beau matin, après sept mois, personne ne songeant plus ni à l'engagement de Seyssel, ni au douanier tué, ni à Charlet, M. Bonaparte, ayant besoin probablement de mettre quelque chose entre la fête du 10 mai et la fête du 15 août, avait signé l'ordre d'exécution.

Le 29 juin donc, il y a quelques jours à peine, Charlet fut extrait de sa prison. On lui dit qu'il allait mourir. Il resta calme. Un homme qui est avec la justice ne craint pas la mort, car il sent qu'il y a deux choses en lui, l'une, son corps, qu'on peut tuer, l'autre, la justice, à laquelle on ne lie pas les bras et dont la tête ne tombe pas sous le couteau.

On voulut faire monter Charlet en charrette. – Non, dit-il aux gendarmes, j'irai à pied, je puis marcher, je n'ai pas peur.

La foule était grande sur son passage. Tout le monde le connaissait dans la ville et l'aimait; ses amis cherchaient son regard. Charlet, les bras attachés derrière le dos, saluait de la tête à droite et à gauche. – Adieu, Jacques! adieu, Pierre! disait-il, et il souriait. – Adieu, Charlet, répondaient-ils, et tous pleuraient. La gendarmerie et la troupe de ligne entouraient l'échafaud. Il y monta d'un pas lent et ferme. Quand on le vit debout sur l'échafaud, la foule eut un long frémissement; les femmes jetaient des cris, les hommes crispaient le poing.

Pendant qu'on le bouclait sur la bascule, il regarda le couperet et dit: – Quand je pense que j'ai été bonapartiste! Puis, levant les yeux au ciel, il cria: Vive la république!

36.L'employé qui a dressé cette liste, est, nous le savons, un statisticien savant et exact, il a dressé cet état de bonne foi, nous n'en doutons pas. Il a constaté ce qu'on lui a montré et ce qu'on lui a laissé voir, mais il n'a rien pu sur ce qu'on lui a caché. Le champ reste aux conjectures.
37.Le Bulletin des lois publie le décret suivant, en date du 27 mars:
  «Vu la loi du 10 mai 1838, qui classe les dépenses ordinaires des prisons départementales parmi celles qui doivent être inscrites aux budgets départementaux;
  «Considérant que tel n'est pas le caractère des dépenses occasionnées par les arrestations qui ont eu lieu à la suite des événements de décembre;
  «Considérant que les faits en raison desquels ces arrestations se sont multipliées se rattachaient à un complot contre la sûreté de l'état, dont la répression importait à la société tout entière, et que dès lors il est juste de faire acquitter par le trésor public l'excédant de dépenses qui est résulté de l'accroissement extraordinaire de la population des prisons;
  «Décrète:
  «Il est ouvert au ministère de l'intérieur, sur les fonds de l'exercice 1851, un crédit extraordinaire de 250,000 francs, applicable au payement des dépenses résultant des arrestations opérées à la suite des événements de décembre.»
38.«Digne, le 5 janvier 1852:
  «Le colonel commandant l'état de siége dans le département des Basses-Alpes, «Arrête:
  «Dans le délai de dix jours, les biens des inculpés en fuite seront séquestrés et administrés par le directeur des domaines du département des Basses-Alpes, conformément aux lois civiles et militaires, etc.
  «FRIRION.»
  On pourrait citer dix arrêtés semblables des commandants d'état de siége. Le premier de ces malfaiteurs qui a commis ce crime de confiscation des biens et qui a donné l'exemple de ce genre d'arrêtés s'appelle Eynard. Il est général. Dès le 18 décembre il mettait sous le séquestre les biens d'un certain nombre de citoyens de Moulins; «parce que, dit-il avec cynisme, l'instruction commencée ne laisse aucun doute sur la part qu'ils ont prise à l'insurrection et aux pillages du département de l'Allier».
39.Le chiffre des condamnations intégralement maintenues (il s'agit en majeure partie de transportations) se trouvait, à la date des rapports, arrêté de la manière suivante:
  Par M. Canrobert 3,876
  Par M. Espinasse 3,625
  Par M. Quentin-Bauchard 1,634
  –
  Total 9,135
40.Voici, telle qu'elle est au Moniteur, cette dépêche odieuse:
  «Toute insurrection armée a cessé à Paris par une répression vigoureuse.
  La même énergie aura les mêmes effets partout.
  «Des bandes qui apportent le pillage, le viol et l'incendie se mettent hors des lois. Avec elles on ne parlemente pas, on ne fait pas de sommation, on les attaque, on les disperse.
  «Tout ce qui résiste doit être FUSILLÉ au nom de la société en légitime défense.»
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
30 kasım 2017
Hacim:
270 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
Ses
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