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Kitabı oku: «Notre Dame de Paris», sayfa 4

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Un écolier, Robin Poussepain, je crois, vint lui rire sous le nez, et trop près. Quasimodo se contenta de le prendre par la ceinture, et de le jeter à dix pas à travers la foule. Le tout sans dire un mot.

Maître Coppenole, émerveillé, s’approcha de lui.

«Croix-Dieu! Saint-Père! tu as bien la plus belle laideur que j’aie vue de ma vie. Tu mériterais la papauté à Rome comme à Paris.»

En parlant ainsi, il lui mettait la main gaiement sur l’épaule. Quasimodo ne bougea pas. Coppenole poursuivit.

«Tu es un drôle avec qui j’ai démangeaison de ripailler, dût-il m’en coûter un douzain neuf de douze tournois. Que t’en semble?»

Quasimodo ne répondit pas.

«Croix-Dieu! dit le chaussetier, est-ce que tu es sourd?»

Il était sourd en effet.

Cependant il commençait à s’impatienter des façons de Coppenole, et se tourna tout à coup vers lui avec un grincement de dents si formidable que le géant flamand recula, comme un bouledogue devant un chat.

Alors il se fit autour de l’étrange personnage un cercle de terreur et de respect qui avait au moins quinze pas géométriques de rayon. Une vieille femme expliqua à maître Coppenole que Quasimodo était sourd.

«Sourd! dit le chaussetier avec son gros rire flamand. Croix-Dieu! c’est un pape accompli.

– Hé! je le reconnais, s’écria Jehan, qui était enfin descendu de son chapiteau pour voir Quasimodo de plus près, c’est le sonneur de cloches de mon frère l’archidiacre. – Bonjour, Quasimodo!

– Diable d’homme! dit Robin Poussepain, encore tout contus de sa chute. Il paraît: c’est un bossu. Il marche: c’est un bancal. Il vous regarde: c’est un borgne. Vous lui parlez: c’est un sourd. – Ah çà, que fait-il de sa langue, ce Polyphème?

– Il parle quand il veut, dit la vieille. Il est devenu sourd à sonner les cloches. Il n’est pas muet.

– Cela lui manque, observa Jehan.

– Et il a un œil de trop, ajouta Robin Poussepain.

– Non pas, dit judicieusement Jehan. Un borgne est bien plus incomplet qu’un aveugle. Il sait ce qui lui manque.»

Cependant tous les mendiants, tous les laquais, tous les coupe-bourses, réunis aux écoliers, avaient été chercher processionnellement, dans l’armoire de la basoche, la tiare de carton et la simarre dérisoire du pape des fous. Quasimodo s’en laissa revêtir sans sourciller et avec une sorte de docilité orgueilleuse. Puis on le fit asseoir sur un brancard bariolé. Douze officiers de la confrérie des fous l’enlevèrent sur leurs épaules; et une espèce de joie amère et dédaigneuse vint s’épanouir sur la face morose du cyclope, quand il vit sous ses pieds difformes toutes ces têtes d’hommes beaux, droits et bien faits. Puis la procession hurlante et déguenillée se mit en marche pour faire, selon l’usage, la tournée intérieure des galeries du Palais, avant la promenade des rues et des carrefours.

VI. LA ESMERALDA

Nous sommes ravi d’avoir à apprendre à nos lecteurs que pendant toute cette scène Gringoire et sa pièce avaient tenu bon. Ses acteurs, talonnés par lui, n’avaient pas discontinué de débiter sa comédie, et lui n’avait pas discontinué de l’écouter. Il avait pris son parti du vacarme, et était déterminé à aller jusqu’au bout, ne désespérant pas d’un retour d’attention de la part du public. Cette lueur d’espérance se ranima quand il vit Quasimodo, Coppenole et le cortège assourdissant du pape des fous sortir à grand bruit de la salle. La foule se précipita avidement à leur suite. Bon, se dit-il, voilà tous les brouillons qui s’en vont. – Malheureusement, tous les brouillons c’était le public. En un clin d’œil la grand-salle fut vide.

À vrai dire, il restait encore quelques spectateurs, les uns épars, les autres groupés autour des piliers, femmes, vieillards ou enfants, en ayant assez du brouhaha et du tumulte. Quelques écoliers étaient demeurés à cheval sur l’entablement des fenêtres et regardaient dans la place.

«Eh bien, pensa Gringoire, en voilà encore autant qu’il en faut pour entendre la fin de mon mystère. Ils sont peu, mais c’est un public d’élite, un public lettré.»

Au bout d’un instant, une symphonie qui devait produire le plus grand effet à l’arrivée de la sainte Vierge, manqua. Gringoire s’aperçut que sa musique avait été emmenée par la procession du pape des fous. «Passez outre», dit-il stoïquement.

Il s’approcha d’un groupe de bourgeois qui lui fit l’effet de s’entretenir de sa pièce. Voici le lambeau de conversation qu’il saisit:

«Vous savez, maître Cheneteau, l’hôtel de Navarre, qui était à M. de Nemours?

– Oui, vis-à-vis la chapelle de Braque.

– Eh bien, le fisc vient de le louer à Guillaume Alixandre, historieur, pour six livres huit sols parisis par an.

– Comme les loyers renchérissent!

– Allons! se dit Gringoire en soupirant, les autres écoutent.

– Camarades, cria tout à coup un de ces jeunes drôles des croisées, la Esmeralda! la Esmeralda dans la place!»

Ce mot produisit un effet magique. Tout ce qui restait dans la salle se précipita aux fenêtres, grimpant aux murailles pour voir, et répétant: la Esmeralda! la Esmeralda!

En même temps on entendait au dehors un grand bruit d’applaudissements.

«Qu’est-ce que cela veut dire, la Esmeralda? dit Gringoire en joignant les mains avec désolation. Ah! mon Dieu! il paraît que c’est le tour des fenêtres maintenant.»

Il se retourna vers la table de marbre, et vit que la représentation était interrompue. C’était précisément l’instant où Jupiter devait paraître avec sa foudre. Or Jupiter se tenait immobile au bas du théâtre.

«Michel Giborne! cria le poète irrité, que fais-tu là? est-ce ton rôle? monte donc!

– Hélas, dit Jupiter, un écolier vient de prendre l’échelle.»

Gringoire regarda. La chose n’était que trop vraie. Toute communication était interceptée entre son nœud et son dénouement.

«Le drôle! murmura-t-il. Et pourquoi a-t-il pris cette échelle?

– Pour aller voir la Esmeralda, répondit piteusement Jupiter. Il a dit: Tiens, voilà une échelle qui ne sert pas! et il l’a prise.»

C’était le dernier coup. Gringoire le reçut avec résignation.

«Que le diable vous emporte! dit-il aux comédiens, et si je suis payé vous le serez.»

Alors il fit retraite, la tête basse, mais le dernier, comme un général qui s’est bien battu.

Et tout en descendant les tortueux escaliers du Palais: «Belle cohue d’ânes et de butors que ces Parisiens! grommelait-il entre ses dents; ils viennent pour entendre un mystère, et n’en écoutent rien! Ils se sont occupés de tout le monde, de Clopin Trouillefou, du cardinal, de Coppenole, de Quasimodo, du diable! mais de madame la Vierge Marie, point. Si j’avais su, je vous en aurais donné, des Vierges Marie, badauds! Et moi! venir pour voir des visages, et ne voir que des dos! être poète, et avoir le succès d’un apothicaire! Il est vrai qu’Homerus a mendié par les bourgades grecques, et que Nason mourut en exil chez les Moscovites. Mais je veux que le diable m’écorche si je comprends ce qu’ils veulent dire avec leur Esmeralda! Qu’est-ce que c’est que ce mot-là d’abord? c’est de l’égyptiaque!»

LIVRE DEUXIÈME

I. DE CHARYBDE EN SCYLLA

La nuit arrive de bonne heure en janvier. Les rues étaient déjà sombres quand Gringoire sortit du Palais. Cette nuit tombée lui plut; il lui tardait d’aborder quelque ruelle obscure et déserte pour y méditer à son aise et pour que le philosophe posât le premier appareil sur la blessure du poète. La philosophie était du reste son seul refuge, car il ne savait où loger. Après l’éclatant avortement de son coup d’essai théâtral, il n’osait rentrer dans le logis qu’il occupait, rue Grenier-sur-l’Eau, vis-à-vis le Port-au-Foin, ayant compté sur ce que M. le prévôt devait lui donner de son épithalame pour payer à maître Guillaume Doulx-Sire, fermier de la coutume du pied-fourché de Paris, les six mois de loyer qu’il lui devait, c’est-à-dire douze sols parisis; douze fois la valeur de ce qu’il possédait au monde, y compris son haut-de-chausses, sa chemise et son bicoquet. Après avoir un moment réfléchi, provisoirement abrité sous le petit guichet de la prison du trésorier de la Sainte-Chapelle, au gîte qu’il élirait pour la nuit, ayant tous les pavés de Paris à son choix, il se souvint d’avoir avisé, la semaine précédente, rue de la Savaterie, à la porte d’un conseiller au parlement, un marche-pied à monter sur mule, et de s’être dit que cette pierre serait, dans l’occasion, un fort excellent oreiller pour un mendiant ou pour un poète. Il remercia la providence de lui avoir envoyé cette bonne idée; mais, comme il se préparait à traverser la place du Palais pour gagner le tortueux labyrinthe de la Cité, où serpentent toutes ces vieilles sœurs, les rues de la Barillerie, de la Vieille-Draperie, de la Savaterie, de la Juiverie, etc., encore debout aujourd’hui avec leurs maisons à neuf étages, il vit la procession du pape des fous qui sortait aussi du Palais et se ruait au travers de la cour, avec grands cris, grande clarté de torches et sa musique, à lui Gringoire. Cette vue raviva les écorchures de son amour-propre; il s’enfuit. Dans l’amertume de sa mésaventure dramatique, tout ce qui lui rappelait la fête du jour l’aigrissait et faisait saigner sa plaie.

Il voulut prendre le pont Saint-Michel, des enfants y couraient çà et là avec des lances à feu et des fusées.

«Peste soit des chandelles d’artifice!» dit Gringoire, et il se rabattit sur le Pont-au-Change. On avait attaché aux maisons de la tête du pont trois drapels représentant le roi, le dauphin et Marguerite de Flandre, et six petits drapelets où étaient pourtraicts le duc d’Autriche, le cardinal de Bourbon, et M. de Beaujeu, et madame Jeanne de France, et M. le bâtard de Bourbon, et je ne sais qui encore; le tout éclairé de torches. La cohue admirait.

«Heureux peintre Jehan Fourbault!» dit Gringoire avec un gros soupir, et il tourna le dos aux drapels et drapelets. Une rue était devant lui; il la trouva si noire et si abandonnée qu’il espéra y échapper à tous les retentissements comme à tous les rayonnements de la fête. Il s’y enfonça. Au bout de quelques instants, son pied heurta un obstacle; il trébucha et tomba. C’était la botte de mai, que les clercs de la basoche avaient déposée le matin à la porte d’un président au parlement, en l’honneur de la solennité du jour. Gringoire supporta héroïquement cette nouvelle rencontre. Il se releva et gagna le bord de l’eau. Après avoir laissé derrière lui la tournelle civile et la tour criminelle, et longé le grand mur des jardins du roi, sur cette grève non pavée où la boue lui venait à la cheville, il arriva à la pointe occidentale de la Cité, et considéra quelque temps l’îlot du Passeur-aux-Vaches, qui a disparu depuis sous le cheval de bronze et le Pont-Neuf. L’îlot lui apparaissait dans l’ombre comme une masse noire au delà de l’étroit cours d’eau blanchâtre qui l’en séparait. On y devinait, au rayonnement d’une petite lumière, l’espèce de hutte en forme de ruche où le passeur aux vaches s’abritait la nuit.

«Heureux passeur aux vaches! pensa Gringoire; tu ne songes pas à la gloire et tu ne fais pas d’épithalames! Que t’importent les rois qui se marient et les duchesses de Bourgogne! Tu ne connais d’autres marguerites que celles que ta pelouse d’avril donne à brouter à tes vaches! Et moi, poète, je suis hué, et je grelotte, et je dois douze sous, et ma semelle est si transparente qu’elle pourrait servir de vitre à ta lanterne. Merci! passeur aux vaches! ta cabane repose ma vue, et me fait oublier Paris!»

Il fut réveillé de son extase presque lyrique par un gros double pétard de la Saint-Jean, qui partit brusquement de la bienheureuse cabane. C’était le passeur aux vaches qui prenait sa part des réjouissances du jour et se tirait un feu d’artifice.

Ce pétard fit hérisser l’épiderme de Gringoire.

«Maudite fête! s’écria-t-il, me poursuivras-tu partout? Oh! mon Dieu! jusque chez le passeur aux vaches!»

Puis il regarda la Seine à ses pieds, et une horrible tentation le prit:

«Oh! dit-il, que volontiers je me noierais, si l’eau n’était pas si froide!»

Alors il lui vint une résolution désespérée. C’était, puisqu’il ne pouvait échapper au pape des fous, aux drapelets de Jehan Fourbault, aux bottes de mai, aux lances à feu et aux pétards, de s’enfoncer hardiment au cœur même de la fête, et d’aller à la place de Grève.

«Au moins, pensa-t-il, j’y aurai peut-être un tison du feu de joie pour me réchauffer, et j’y pourrai souper avec quelque miette des trois grandes armoiries de sucre royal qu’on a dû y dresser sur le buffet public de la ville.»

II. LA PLACE DE GRÈVE

Il ne reste aujourd’hui qu’un bien imperceptible vestige de la place de Grève telle qu’elle existait alors. C’est la charmante tourelle qui occupe l’angle nord de la place, et qui, déjà ensevelie sous l’ignoble badigeonnage qui empâte les vives arêtes de ses sculptures, aura bientôt disparu peut-être, submergée par cette crue de maisons neuves qui dévore si rapidement toutes les vieilles façades de Paris.

Les personnes qui, comme nous, ne passent jamais sur la place de Grève sans donner un regard de pitié et de sympathie à cette pauvre tourelle étranglée entre deux masures du temps de Louis XV, peuvent reconstruire aisément dans leur pensée l’ensemble d’édifices auquel elle appartenait, et y retrouver entière la vieille place gothique du quinzième siècle.

C’était, comme aujourd’hui, un trapèze irrégulier bordé d’un côté par le quai, et des trois autres par une série de maisons hautes, étroites et sombres. Le jour, on pouvait admirer la variété de ses édifices, tous sculptés en pierre ou en bois, et présentant déjà de complets échantillons des diverses architectures domestiques du moyen âge, en remontant du quinzième au onzième siècle, depuis la croisée qui commençait à détrôner l’ogive, jusqu’au plein cintre roman qui avait été supplanté par l’ogive, et qui occupait encore, au-dessous d’elle, le premier étage de cette ancienne maison de la Tour-Roland, angle de la place sur la Seine, du côté de la rue de la Tannerie. La nuit, on ne distinguait de cette masse d’édifices que la dentelure noire des toits déroulant autour de la place leur chaîne d’angles aigus. Car c’est une des différences radicales des villes d’alors et des villes d’à présent, qu’aujourd’hui ce sont les façades qui regardent les places et les rues, et qu’alors c’étaient les pignons. Depuis deux siècles, les maisons se sont retournées.

Au centre, du côté oriental de la place, s’élevait une lourde et hybride construction formée de trois logis juxtaposés. On l’appelait de trois noms qui expliquent son histoire, sa destination et son architecture: la Maison-au-Dauphin, parce que Charles V, dauphin, l’avait habitée; la Marchandise, parce qu’elle servait d’Hôtel de Ville; la Maison-aux-Piliers (domus ad piloria), à cause d’une suite de gros piliers qui soutenaient ses trois étages. La ville trouvait là tout ce qu’il faut à une bonne ville comme Paris: une chapelle, pour prier Dieu; un plaidoyer, pour tenir audience et rembarrer au besoin les gens du roi; et, dans les combles, un arsenac plein d’artillerie. Car les bourgeois de Paris savent qu’il ne suffit pas en toute conjoncture de prier et de plaider pour les franchises de la Cité, et ils ont toujours en réserve dans un grenier de l’Hôtel de Ville quelque bonne arquebuse rouillée.

La Grève avait dès lors cet aspect sinistre que lui conservent encore aujourd’hui l’idée exécrable qu’elle réveille et le sombre Hôtel de Ville de Dominique Boccador, qui a remplacé la Maison-aux-Piliers. Il faut dire qu’un gibet et un pilori permanents, une justice et une échelle, comme on disait alors, dressés côte à côte au milieu du pavé, ne contribuaient pas peu à faire détourner les yeux de cette place fatale, où tant d’êtres pleins de santé et de vie ont agonisé; où devait naître cinquante ans plus tard cette fièvre de Saint-Vallier, cette maladie de la terreur de l’échafaud, la plus monstrueuse de toutes les maladies, parce qu’elle ne vient pas de Dieu, mais de l’homme.

C’est une idée consolante, disons-le en passant, de songer que la peine de mort, qui, il y a trois cents ans, encombrait encore de ses roues de fer, de ses gibets de pierre, de tout son attirail de supplices permanent et scellé dans le pavé, la Grève, les Halles, la place Dauphine, la Croix-du-Trahoir, le Marché-aux-Pourceaux, ce hideux Montfaucon, la barrière des Sergents, la Place-aux-Chats, la porte Saint-Denis, Champeaux, la porte Baudets, la porte Saint-Jacques, sans compter les innombrables échelles des prévôts, de l’évêque, des chapitres, des abbés, des prieurs ayant justice; sans compter les noyades juridiques en rivière de Seine; il est consolant qu’aujourd’hui, après avoir perdu successivement toutes les pièces de son armure, son luxe de supplices, sa pénalité d’imagination et de fantaisie, sa torture à laquelle elle refaisait tous les cinq ans un lit de cuir au Grand-Châtelet, cette vieille suzeraine de la société féodale, presque mise hors de nos lois et de nos villes, traquée de code en code, chassée de place en place, n’ait plus dans notre immense Paris qu’un coin déshonoré de la Grève, qu’une misérable guillotine, furtive, inquiète, honteuse, qui semble toujours craindre d’être prise en flagrant délit, tant elle disparaît vite après avoir fait son coup!

III. «BESOS PARA GOLPES[18]»

Lorsque Pierre Gringoire arriva sur la place de Grève, il était transi. Il avait pris par le Pont-aux-Meuniers pour éviter la cohue du Pont-au-Change et les drapelets de Jehan Fourbault; mais les roues de tous les moulins de l’évêque l’avaient éclaboussé au passage, et sa souquenille était trempée. Il lui semblait en outre que la chute de sa pièce le rendait plus frileux encore. Aussi se hâta-t-il de s’approcher du feu de joie qui brûlait magnifiquement au milieu de la place. Mais une foule considérable faisait cercle à l’entour.

«Damnés Parisiens! se dit-il à lui-même, car Gringoire en vrai poète dramatique était sujet aux monologues, les voilà qui m’obstruent le feu! Pourtant j’ai bon besoin d’un coin de cheminée. Mes souliers boivent, et tous ces maudits moulins qui ont pleuré sur moi! Diable d’évêque de Paris avec ses moulins! Je voudrais bien savoir ce qu’un évêque peut faire d’un moulin! est-ce qu’il s’attend à devenir d’évêque meunier? S’il ne lui faut que ma malédiction pour cela, je la lui donne, et à sa cathédrale, et à ses moulins! Voyez un peu s’ils se dérangeront, ces badauds! Je vous demande ce qu’ils font là! Ils se chauffent; beau plaisir! Ils regardent brûler un cent de bourrées; beau spectacle!»

En examinant de plus près, il s’aperçut que le cercle était beaucoup plus grand qu’il ne fallait pour se chauffer au feu du roi, et que cette affluence de spectateurs n’était pas uniquement attirée par la beauté du cent de bourrées qui brûlait.

Dans un vaste espace laissé libre entre la foule et le feu, une jeune fille dansait.

Si cette jeune fille était un être humain, ou une fée, ou un ange, c’est ce que Gringoire, tout philosophe sceptique, tout poète ironique qu’il était, ne put décider dans le premier moment, tant il fut fasciné par cette éblouissante vision.

Elle n’était pas grande, mais elle le semblait, tant sa fine taille s’élançait hardiment. Elle était brune, mais on devinait que le jour sa peau devait avoir ce beau reflet doré des Andalouses et des Romaines. Son petit pied aussi était andalou, car il était tout ensemble à l’étroit et à l’aise dans sa gracieuse chaussure. Elle dansait, elle tournait, elle tourbillonnait sur un vieux tapis de Perse, jeté négligemment sous ses pieds; et chaque fois qu’en tournoyant sa rayonnante figure passait devant vous, ses grands yeux noirs vous jetaient un éclair.

Autour d’elle tous les regards étaient fixes, toutes les bouches ouvertes; et en effet, tandis qu’elle dansait ainsi, au bourdonnement du tambour de basque que ses deux bras ronds et purs élevaient au-dessus de sa tête, mince, frêle et vive comme une guêpe, avec son corsage d’or sans pli, sa robe bariolée qui se gonflait, avec ses épaules nues, ses jambes fines que sa jupe découvrait par moments, ses cheveux noirs, ses yeux de flamme, c’était une surnaturelle créature.

«En vérité, pensa Gringoire, c’est une salamandre, c’est une nymphe, c’est une déesse, c’est une bacchante du mont Ménaléen!»

En ce moment une des nattes de la chevelure de la «salamandre» se détacha, et une pièce de cuivre jaune qui y était attachée roula à terre.

«Hé non! dit-il, c’est une bohémienne.»

Toute illusion avait disparu.

Elle se remit à danser. Elle prit à terre deux épées dont elle appuya la pointe sur son front et qu’elle fit tourner dans un sens tandis qu’elle tournait dans l’autre. C’était en effet tout bonnement une bohémienne. Mais quelque désenchanté que fût Gringoire, l’ensemble de ce tableau n’était pas sans prestige et sans magie; le feu de joie l’éclairait d’une lumière crue et rouge qui tremblait toute vive sur le cercle des visages de la foule, sur le front brun de la jeune fille, et au fond de la place jetait un blême reflet mêlé aux vacillations de leurs ombres, d’un côté sur la vieille façade noire et ridée de la Maison-aux-Piliers, de l’autre sur les bras de pierre du gibet.

Parmi les mille visages que cette lueur teignait d’écarlate, il y en avait un qui semblait plus encore que tous les autres absorbé dans la contemplation de la danseuse. C’était une figure d’homme, austère, calme et sombre. Cet homme, dont le costume était caché par la foule qui l’entourait, ne paraissait pas avoir plus de trente-cinq ans; cependant il était chauve; à peine avait-il aux tempes quelques touffes de cheveux rares et déjà gris; son front large et haut commençait à se creuser de rides; mais dans ses yeux enfoncés éclatait une jeunesse extraordinaire, une vie ardente, une passion profonde. Il les tenait sans cesse attachés sur la bohémienne, et tandis que la folle jeune fille de seize ans dansait et voltigeait au plaisir de tous, sa rêverie, à lui, semblait devenir de plus en plus sombre. De temps en temps un sourire et un soupir se rencontraient sur ses lèvres, mais le sourire était plus douloureux que le soupir.

La jeune fille, essoufflée, s’arrêta enfin, et le peuple l’applaudit avec amour.

«Djali», dit la bohémienne.

Alors Gringoire vit arriver une jolie petite chèvre blanche, alerte, éveillée, lustrée, avec des cornes dorées, avec des pieds dorés, avec un collier doré, qu’il n’avait pas encore aperçue, et qui était restée jusque-là accroupie sur un coin du tapis et regardant danser sa maîtresse.

«Djali, dit la danseuse, à votre tour.»

Et s’asseyant, elle présenta gracieusement à la chèvre son tambour de basque.

«Djali, continua-t-elle, à quel mois sommes-nous de l’année?»

La chèvre leva son pied de devant et frappa un coup sur le tambour. On était en effet au premier mois. La foule applaudit.

«Djali, reprit la jeune fille en tournant son tambour de basque d’un autre côté, à quel jour du mois sommes-nous?»

Djali leva son petit pied d’or et frappa six coups sur le tambour.

«Djali, poursuivit l’égyptienne toujours avec un nouveau manège du tambour, à quelle heure du jour sommes-nous?»

Djali frappa sept coups. Au même moment l’horloge de la Maison-aux-Piliers sonna sept heures.

Le peuple était émerveillé.

«Il y a de la sorcellerie là-dessous», dit une voix sinistre dans la foule. C’était celle de l’homme chauve qui ne quittait pas la bohémienne des yeux.

Elle tressaillit, se détourna; mais les applaudissements éclatèrent et couvrirent la morose exclamation.

Ils l’effacèrent même si complètement dans son esprit qu’elle continua d’interpeller sa chèvre.

«Djali, comment fait maître Guichard Grand-Remy, capitaine des pistoliers de la ville, à la procession de la Chandeleur?»

Djali se dressa sur ses pattes de derrière et se mit à bêler, en marchant avec une si gentille gravité que le cercle entier des spectateurs éclata de rire à cette parodie de la dévotion intéressée du capitaine des pistoliers.

«Djali, reprit la jeune fille enhardie par le succès croissant, comment prêche maître Jacques Charmolue, procureur du roi en cour d’église?»

La chèvre prit séance sur son derrière, et se mit à bêler, en agitant ses pattes de devant d’une si étrange façon que, hormis le mauvais français et le mauvais latin, geste, accent, attitude, tout Jacques Charmolue y était.

Et la foule d’applaudir de plus belle.

«Sacrilège! profanation!» reprit la voix de l’homme chauve.

La bohémienne se retourna encore une fois.

«Ah! dit-elle, c’est ce vilain homme!» puis, allongeant sa lèvre inférieure au delà de la lèvre supérieure, elle fit une petite moue qui paraissait lui être familière, pirouetta sur le talon, et se mit à recueillir dans un tambour de basque les dons de la multitude.

Les grands-blancs, les petits-blancs, les targes, les liards-à-l’aigle pleuvaient. Tout à coup elle passa devant Gringoire. Gringoire mit si étourdiment la main à sa poche qu’elle s’arrêta. «Diable!» dit le poète en trouvant au fond de sa poche la réalité, c’est-à-dire le vide. Cependant la jolie fille était là, le regardant avec ses grands yeux, lui tendant son tambour, et attendant. Gringoire suait à grosses gouttes. S’il avait eu le Pérou dans sa poche, certainement il l’eût donné à la danseuse; mais Gringoire n’avait pas le Pérou, et d’ailleurs l’Amérique n’était pas encore découverte.

Heureusement un incident inattendu vint à son secours.

«T’en iras-tu, sauterelle d’Égypte?» cria une voix aigre qui partait du coin le plus sombre de la place.

La jeune fille se retourna effrayée. Ce n’était plus la voix de l’homme chauve; c’était une voix de femme, une voix dévote et méchante.

Du reste, ce cri, qui fit peur à la bohémienne, mit en joie une troupe d’enfants qui rôdait par là.

«C’est la recluse de la Tour-Roland, s’écrièrent-ils avec des rires désordonnés, c’est la sachette qui gronde! Est-ce qu’elle n’a pas soupé? portons-lui quelque reste du buffet de ville!»

Tous se précipitèrent vers la Maison-aux-Piliers.

Cependant Gringoire avait profité du trouble de la danseuse pour s’éclipser. La clameur des enfants lui rappela que lui aussi n’avait pas soupé. Il courut donc au buffet. Mais les petits drôles avaient de meilleures jambes que lui; quand il arriva, ils avaient fait table rase. Il ne restait même pas un misérable camichon à cinq sols la livre. Il n’y avait plus sur le mur que les sveltes fleurs de lys, entremêlées de rosiers, peintes en 1434 par Mathieu Biterne. C’était un maigre souper.

C’est une chose importune de se coucher sans souper; c’est une chose moins riante encore de ne pas souper et de ne savoir où coucher. Gringoire en était là. Pas de pain, pas de gîte; il se voyait pressé de toutes parts par la nécessité, et il trouvait la nécessité fort bourrue. Il avait depuis longtemps découvert cette vérité, que Jupiter a créé les hommes dans un accès de misanthropie, et que, pendant toute la vie du sage, sa destinée tient en état de siège sa philosophie. Quant à lui, il n’avait jamais vu le blocus si complet; il entendait son estomac battre la chamade, et il trouvait très déplacé que le mauvais destin prît sa philosophie par la famine.

Cette mélancolique rêverie l’absorbait de plus en plus, lorsqu’un chant bizarre, quoique plein de douceur, vint brusquement l’en arracher. C’était la jeune égyptienne qui chantait.

Il en était de sa voix comme de sa danse, comme de sa beauté. C’était indéfinissable et charmant; quelque chose de pur, de sonore, d’aérien, d’ailé, pour ainsi dire. C’étaient de continuels épanouissements, des mélodies, des cadences inattendues, puis des phrases simples semées de notes acérées et sifflantes, puis des sauts de gammes qui eussent dérouté un rossignol, mais où l’harmonie se retrouvait toujours, puis de molles ondulations d’octaves qui s’élevaient et s’abaissaient comme le sein de la jeune chanteuse. Son beau visage suivait avec une mobilité singulière tous les caprices de sa chanson, depuis l’inspiration la plus échevelée jusqu’à la plus chaste dignité. On eût dit tantôt une folle, tantôt une reine.

Les paroles qu’elle chantait étaient d’une langue inconnue à Gringoire, et qui paraissait lui être inconnue à elle-même, tant l’expression qu’elle donnait au chant se rapportait peu au sens des paroles. Ainsi ces quatre vers dans sa bouche étaient d’une gaieté folle:

 
Un cofre de gran riqueza
Hallaron dentro un pilar,
Dentro del, nuevas banderas
Con figuras de espantar.
 

Et un instant après, à l’accent qu’elle donnait à cette stance:

 
Alarabes de cavallo
Sin poderse menear,
Con espadas, y los cuellos,
Ballestas de buen echar.
 

Gringoire se sentait venir les larmes aux yeux. Cependant son chant respirait surtout la joie, et elle semblait chanter, comme l’oiseau, par sérénité et par insouciance.

La chanson de la bohémienne avait troublé la rêverie de Gringoire, mais comme le cygne trouble l’eau. Il l’écoutait avec une sorte de ravissement et d’oubli de toute chose. C’était depuis plusieurs heures le premier moment où il ne se sentît pas souffrir.

Ce moment fut court.

La même voix de femme qui avait interrompu la danse de la bohémienne vint interrompre son chant.

«Te tairas-tu, cigale d’enfer?» cria-t-elle, toujours du même coin obscur de la place.

La pauvre cigale s’arrêta court. Gringoire se boucha les oreilles.

«Oh! s’écria-t-il, maudite scie ébréchée, qui vient briser la lyre!»

Cependant les autres spectateurs murmuraient comme lui: «Au diable la sachette!» disait plus d’un. Et la vieille trouble-fête invisible eût pu avoir à se repentir de ses agressions contre la bohémienne, s’ils n’eussent été distraits en ce moment même par la procession du pape des fous, qui, après avoir parcouru force rues et carrefours, débouchait dans la place de Grève, avec toutes ses torches et toute sa rumeur.

Cette procession, que nos lecteurs ont vue partir du Palais, s’était organisée chemin faisant, et recrutée de tout ce qu’il y avait à Paris de marauds, de voleurs oisifs, et de vagabonds disponibles; aussi présentait-elle un aspect respectable lorsqu’elle arriva en Grève.

D’abord marchait l’Égypte. Le duc d’Égypte, en tête, à cheval, avec ses comtes à pied, lui tenant la bride et l’étrier; derrière eux, les égyptiens et les égyptiennes pêle-mêle avec leurs petits enfants criant sur leurs épaules; tous, duc, comtes, menu peuple, en haillons et en oripeaux. Puis c’était le royaume d’argot: c’est-à-dire tous les voleurs de France, échelonnés par ordre de dignité; les moindres passant les premiers. Ainsi défilaient quatre par quatre, avec les divers insignes de leurs grades dans cette étrange faculté, la plupart éclopés, ceux-ci boiteux, ceux-là manchots, les courtauds de boutanche, les coquillarts, les hubins, les sabouleux, les calots, les francs-mitoux, les polissons, les piètres, les capons, les malingreux, les rifodés, les marcandiers, les narquois, les orphelins, les archisuppôts, les cagoux; dénombrement à fatiguer Homère. Au centre du conclave des cagoux et des archisuppôts, on avait peine à distinguer le roi de l’argot, le grand coësre, accroupi dans une petite charrette traînée par deux grands chiens. Après le royaume des argotiers, venait l’empire de Galilée. Guillaume Rousseau, empereur de l’empire de Galilée, marchait majestueusement dans sa robe de pourpre tachée de vin, précédé de baladins s’entre-battant et dansant des pyrrhiques, entouré de ses massiers, de ses suppôts, et des clercs de la chambre des comptes. Enfin venait la basoche, avec ses mais couronnés de fleurs, ses robes noires, sa musique digne du sabbat, et ses grosses chandelles de cire jaune. Au centre de cette foule, les grands officiers de la confrérie des fous portaient sur leurs épaules un brancard plus surchargé de cierges que la châsse de Sainte-Geneviève en temps de peste. Et sur ce brancard resplendissait, crossé, chapé et mitré, le nouveau pape des fous, le sonneur de cloches de Notre-Dame, Quasimodo le Bossu.