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Kitabı oku: «Ivanhoe. 3. Le retour du croisé», sayfa 4

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«De par tous les saints du paradis! s'écria de Bracy, il faut qu'il se soit échappé sous les habits du moine!» – «Esprits d'enfer! répéta Front-de-Boeuf, c'était donc le verrat de Rotherwood que j'ai conduit à la poterne et que j'ai mis dehors de ma propre main. Et toi, dit-il à Wamba, toi dont la folie a surpassé la folie d'idiots plus idiots que toi, je te donnerai les saints ordres, et je te ferai tonsurer; holà! qu'on lui arrache la peau du crâne, et qu'on le précipite la tête la première du haut des murailles. Ton métier est de plaisanter, plaisante donc maintenant.»

«Vous me traitez bien mieux que vous ne me l'aviez promis, noble chevalier, repartit le pauvre Wamba, dont le goût pour la bouffonnerie ne pouvait être surmonté, même dans la perspective d'une mort prochaine: en me donnant la calotte rouge dont vous parlez, vous ferez de moi un cardinal, de simple moine que j'étais.» – «Le pauvre diable, dit de Bracy, veut mourir fidèle à sa vocation. Front-de-Boeuf, de grâce, épargnez sa vie, donnez-le moi, je vous le demande pour divertir mes compagnies franches. Qu'en dis-tu, fripon? veux-tu m'appartenir et venir à la guerre avec moi?» – Oui, vraiment, avec la permission de mon maître, car voyez-vous, dit Wamba en montrant le collier qu'il portait, je ne puis quitter ceci sans son consentement.» – «Oh! une lime normande aura bientôt scié le collier d'un Saxon, répondit de Bracy.»

«Vraiment, noble sire? reprit le bouffon: de là vient donc le proverbe: scie normande sur le chêne saxon, joug normand sur le cou saxon, cuiller normande sur le plat saxon; et l'Angleterre gouvernée selon la volonté des normands; et toute la joie de l'Angleterre ne reparaîtra que lorsqu'elle sera délivrée de ces quatre maux.»

«Tu as réellement beau jeu, de Bracy, dit Front-de-Boeuf, de t'amuser à écouter les sornettes de ce fou, quand notre ruine se prépare. Ne vois-tu pas que nous sommes dupés, et que notre projet de communication avec nos amis du dehors vient d'échouer par les ruses de ce bouffon bariolé dont tu es si jaloux de le montrer le protecteur? Qu'avons-nous à attendre désormais, si ce n'est un assaut prochain?» – «Aux murailles! aux murailles! s'écria de Bracy, m'as-tu jamais vu plus grave au moment du combat? Qu'on appelle le templier, et qu'il défende sa vie avec la moitié du courage qu'il a montré à défendre son ordre: viens toi-même faire voir ta taille de géant sur les murailles; sois tranquille, de mon coté, je n'épargnerai rien; tu peux compter qu'il sera aussi facile aux Saxons d'escalader ces murs que les tours de Torquilstone. Mais au surplus, si vous voulez entrer en arrangement avec ces vauriens, pourquoi n'emploiriez-vous pas la médiation de ce digne franklin, qui paraît depuis quelques instans contempler avec envie ce flacon de vin? Tiens, Saxon, continua-t-il en s'adressant à Athelstane, et en lui présentant une coupe pleine; rince ton gosier avec cette noble liqueur, et réveille ton âme engourdie, afin de nous dire quelle rançon tu nous offres pour ta liberté.» – «Ce qu'un homme d'honneur peut donner, répondit Athelstane, mille marcs d'argent, pour moi et mes compagnons.» – «Et nous garantis-tu la retraite de ce rebut de l'humanité qui cerne le château, contre tout respect pour les lois de Dieu et du roi?» demanda encore Front-de-Boeuf. «Je ferai tout ce qui sera en mon pouvoir pour cela, répondit Athelstane; je les déterminerai à se retirer, et je ne doute pas que le noble Cedric ne veuille bien me seconder.»

«Nous consentons donc à t'accorder la liberté, dit Front de-Boeuf; toi et les tiens seront libres, et la paix régnera de part et d'autre, au moyen de mille marcs d'argent que tu paieras. C'est une rançon bien misérable, Saxon, et tu me dois de la reconnaissance des conditions modérées auxquelles je consens à l'échange de vos personnes. Mais fais attention que ce traité ne concerne nullement le juif Isaac.» – «Ni la fille du juif,» dit le templier qui venait d'entrer. «Ni la suite du Saxon Cedric,» ajouta Front-de-Boeuf. «Je serais indigne du nom de chrétien, si je désirais comprendre dans ce traité les incrédules que vous venez de nommer,» reprit Athelstane. «Ajoutez encore qu'il ne concerne pas non plus lady Rowena, ajouta de Bracy; il ne sera jamais dit que je me serai laissé dépouiller d'une aussi belle conquête sans avoir rompu une lance pour elle.»

«Et de plus, reprit Front-de-Boeuf, notre traité ne regarde point encore ce misérable bouffon que je garde pour qu'il serve d'exemple à tous les coquins comme lui qui voudraient appliquer leurs bouffonneries aux choses importantes.» – «Lady Rowena, répondit Athelstane d'un ton ferme et assuré, est ma fiancée; je me ferais écarteler par des chevaux indomptés, plutôt que de consentir à me séparer d'elle. Quant au serf Wamba, il a sauvé aujourd'hui la vie de son maître, et je perdrais la mienne plutôt que de souffrir qu'on fît tomber un cheveu de sa tête.» – «Ta fiancée? s'écria de Bracy; lady Rowena, la fiancée d'un vassal tel que toi! Saxon, tu rêves sans doute que tes sept royaumes subsistent encore; mais je te le dis: les princes de la maison d'Anjou ne donnent pas leurs pupilles à des hommes d'un lignage semblable au tien.»

«Mon lignage, orgueilleux Normand, descend d'une source plus ancienne et plus pure que celle d'un mendiant français qui ne vit qu'au prix du sang d'une troupe de brigands rassemblés sous son misérable étendard. Mes ancêtres furent des rois braves à la guerre, sages au conseil, qui chaque jour nourrissaient dans les vastes salles de leurs palais plus de centaines de vassaux que tu ne peux compter d'individus à ta suite. Leurs noms, leur renommée, ont été célébrés par les ménestrels; leurs institutions conservées dans le Wittenagemots, leurs dépouilles mortelles ont été accompagnées à leur dernière demeure par les prières des saints, et des monastères ont été fondés sur leurs tombeaux.»

«Tu as ce que tu cherchais, de Bracy, dit Front-de-Boeuf satisfait de l'humiliation que son compagnon venait de recevoir; le Saxon a frappé…» – «Aussi juste qu'un Saxon peut frapper, répondit de Bracy avec un air d'insouciance, lorsqu'après lui avoir enchaîné les mains on veut bien lui laisser le libre usage de sa langue. Mais la volubilité de ta rodomontade, ajouta-t-il en s'adressant à Athelstane, n'obtiendra pas la liberté de lady Rowena.»

Athelstane, qui avait déjà parlé beaucoup plus longuement qu'il n'avait coutume de le faire sur quelque sujet que ce fût, et quelque intérêt qu'il y prît, ne fit aucune réponse. La conversation fut interrompue par l'arrivée d'un valet qui annonça qu'un moine se présentait à la poterne en demandant à être admis. «Au nom de saint Bonnet, prince de tous ces mendians désoeuvrés, dit Front-de-Boeuf, est-ce un véritable moine pour cette fois, ou un autre imposteur? Esclaves, qu'on le fouille; et si vous vous laissez duper une seconde fois, je vous ferai arracher les yeux et mettre en place des charbons ardens.»

«Que j'endure tout l'excès de votre colère, monseigneur, dit Gilles, si celui-ci n'est pas un vrai moine. Votre écuyer Jocelyn le connaît bien; il vous certifiera que c'est le frère Ambroise, moine de la suite du prieur de Jorvaulx.» – «Alors, qu'il soit introduit, reprit Front-de-Boeuf; probablement il nous apporte des nouvelles de son joyeux maître. Le diable et les prêtres sont sans doute en vacances, puisqu'ils courent ainsi le pays. Qu'on éloigne ces prisonniers; et toi, Saxon, songe à ce que tu as entendu.»

«Je réclame, dit Athelstane, une captivité honorable, et je demande à être logé et traité selon mon rang et comme il convient à un homme qui offre une pareille rançon. De plus, je somme celui qui se croit le plus brave parmi nous, de me rendre raison corps à corps de l'attentat commis contre ma liberté. Ce défi t'a déjà été porté de ma part par ton écuyer tranchant; tu n'en as tenu aucun compte, tu dois donc y répondre: voici mon gant.» – «Je n'accepte point le défi de mon prisonnier, répondit Front-de-Boeuf; et Maurice de Bracy ne l'acceptera pas non plus. Gilles, continua-t-il, suspends le gant de ce franklin sur une des cornes de ce bois de cerf qui est là-bas; il y restera jusqu'à ce que son maître soit remis en liberté. S'il a l'audace de le demander et d'affirmer qu'il a été fait mon prisonnier illégalement, je jure par le baudrier de saint Christophe qu'il trouvera un homme qui n'a jamais refusé de se trouver face à face d'un ennemi à pied ou à cheval, seul ou à la tête de ses vassaux.»

On éloigna les prisonniers saxons, et au même moment on introduisit le moine Ambroise, qui portait sur ses traits toutes les marques d'un trouble extrême. «Voilà, ma foi, le véritable pax vobiscum, dit Wamba en passant près des frères; les autres n'étant que de la fausse monnaie,» – «Sainte mère de Dieu! s'écria le moine en s'adressant aux chevaliers, je suis enfin en sûreté et sous la garde de chrétiens respectables.» – «Oui, tu es en sûreté, répondit de Bracy; et quant aux chrétiens, tu vois devant toi le vaillant baron Réginald Front-de-Boeuf, qui a les juifs en horreur, et le brave templier Brian de Bois-Guilbert, dont le métier est de tuer des Sarrasins. Si à de tels signes tu ne reconnais pas là de bons chrétiens, je n'en connais aucun qui en porte de plus authentiques.»

«Vous êtes amis et alliés de notre révérend père en Dieu Aymer, prieur de Jorvaulx, reprit le moine sans faire attention au ton dont la réplique de de Bracy avait été faite; vous lui devez secours et protection, comme chevaliers et frères en Dieu; car, comme dit le bienheureux saint Augustin dans son traité De civitate Dei…» – «Que le diable dise ce qu'il voudra, interrompit Front-de-Boeuf, que dis-tu, toi, messire prêtre? nous n'avons pas le temps d'écouter les citations des saints pères.»

«Sancta Maria! dit le saint père en poussant un soupir, comme ces profanes laïques sont prompts à se mettre en courroux! Mais enfin, braves chevaliers, sachez que certains brigands, qui ne respirent que le crime, abjurant toute crainte de Dieu et tout respect pour son église, et sans égard pour la bulle du saint siége, qui commence par: Si quis, suadente diabolo…» – «Frère prêtre, dit le templier, nous savons, ou nous devinons tout cela; mais dis-nous tout simplement si ton maître le prieur est prisonnier, et de qui?»

«Oui, sans doute, répondit Ambroise; il est entre les mains des brigands qui infestent ces forets, enfans de Bélial et contempteurs du texte sacré qui dit: «Ne touchez pas à mes oints, et ne faites point de mal à mes prophètes.» – «Voici une nouvelle occasion de faire usage de nos épées, chevaliers, dit Front-de-Boeuf en s'adressant à ses compagnons, et qui tournera à notre avantage. Ainsi donc, le prieur de Jorvaulx, au lieu de nous envoyer du secours, nous en fait demander pour lui-même. Reposez-vous donc sur ces saints fainéans, au moment où le danger est le plus pressant! Allons, voyons, prêtre; parle, et dis-nous vite, ce que ton maître attend de nous.»

«Sous votre bon plaisir, dit Ambroise, des mains sacriléges ont été portées sur mon révérendissime supérieur, au mépris des saintes ordonnances que je viens de citer, et les enfans de Bélial, après avoir pillé ses malles et ses valises, et en avoir enlevé deux cents marcs d'or pur, lui demandèrent en outre une somme considérable dont le paiement peut seul lui procurer la liberté. C'est pourquoi le révérend père en Dieu vous prie, comme ses amis les plus chers, de le délivrer de sa captivité, soit en payant la rançon exigée, soit en employant la force des armes, ainsi que vous aviserez.»

«Que le prieur s'adresse au diable pour en être secouru, dit Front-de-Boeuf. Il faut qu'il ait fait une forte libation ce matin. Où ton maître a-t-il trouvé qu'un baron normand ait jamais dénoué les cordons de sa bourse pour venir au secours d'un homme d'église, dont les sacs sont dix fois plus remplis et plus pesans? Et comment pouvons-nous lui prêter nos bras et notre valeur, nous qui sommes enfermés ici et arrêtés par des troupes dix fois plus nombreuses que les nôtres, et qui devons nous attendre à être attaqués d'un moment à l'autre?» – «C'est ce que j'allais vous dire, répliqua le moine; mais vous ne m'en avez pas donné le temps; et d'ailleurs, je suis vieux, et la vue de ces scélérats de proscrits trouble la tête d'un homme de mon âge. Quoi qu'il en soit, il est certain qu'ils sont occupés à établir un camp et à construire des ouvrages destinés à l'attaque de ce château.» – «Vite sur les remparts, dit de Bracy; voyons ce que font ces misérables;» et en parlant ainsi il ouvrit une fenêtre garnie de treillage, qui conduisait à une espèce de terrasse et de balcon en saillie, puis se mit aussitôt à crier aux personnes qui étaient dans l'appartement: «Par saint Denis, le vieux moine a dit vrai; les voilà qui apportent des mantelets et des pavois11 et l'on voit sur la lisière du bois les archers se formant en troupe semblable à un nuage noir précurseur de la grêle.»

Réginald Front-de-Boeuf jeta aussi un regard sur la campagne, et aussitôt, saisissant son cor, il en tira un son éclatant et prolongé, et donna l'ordre à ses gens de se rendre à leurs postes sur les remparts.

«De Bracy, s'écria-t-il, veille sur la partie de l'est, où les murs sont le moins élevés. Noble Bois-Guilbert, le métier des armes, que tu exerces depuis long-temps, a dû te rendre parfait dans l'art de l'attaque et de la défense des places; charge-toi de la partie de l'ouest; moi, je vais me porter à la barbacane. Au reste, mes nobles amis, vous ne devez pas vous borner à défendre un seul point; nous devons aujourd'hui nous trouver partout, nous multiplier pour ainsi dire, de manière à porter par notre présence du secours et du renfort partout où l'attaque sera la plus chaude. Nous sommes peu nombreux, il est vrai; mais l'activité et la valeur peuvent y suppléer, car enfin nous n'avons affaire qu'à de misérables paysans.»

«Mais, nobles chevaliers, s'écria le père Ambroise au milieu du tumulte et de la confusion occasionnés par les préparatifs de défense, aucun de vous ne voudra-t-il écouter la pétition du révérend père en Dieu Aymer, prieur de Jorvaulx? Noble sire Réginald, écoute-moi, je t'en supplie.»

«Va marmotter tes pétitions au ciel, répondit le féroce Normand, car pour nous, qui sommes sur la terre, nous n'avons pas le temps de les entendre. Holà! Anselme! veille à ce que nous ayons de la poix et de l'huile bouillantes, pour en arroser les têtes de ces traîtres audacieux. Il faut aussi que les arbalétriers soient bien pourvus de carreaux12. Que l'on arbore ma bannière à tête de taureau; ces misérables verront bientôt à qui ils auront affaire aujourd'hui.

«Mais, noble seigneur, reprit le moine s'efforçant d'attirer l'attention, considère mon voeu d'obéissance, et permets-moi de m'acquitter entièrement du message de mon supérieur.»

«Qu'on me débarrasse de cet ennuyeux radoteur, dit Front-de-Boeuf; qu'on l'enferme dans la chapelle, pour y débiter son chapelet jusqu'à la fin de cette échauffourée. Ce sera une nouveauté pour les saints de Torquilstone que d'entendre des pater et des ave; ce sera, je crois, la première fois qu'ils auront été ainsi honorés depuis leur sortie de l'atelier du sculpteur.»

«Ne blasphème point les saints, sire Réginald, dit de Bracy, nous aurons besoin de leur assistance aujourd'hui, avant que nous ayons forcé cette troupe de brigands à se débander.»

«Je n'en attends pas grand secours, répondit Front-de-Boeuf, à moins que nous ne les précipitions du haut des murailles sur les têtes de ces coquins. Il y a là-bas un énorme saint Christophe, qui ne sert à rien, et qui suffirait lui seul à renverser toute une compagnie.»

Pendant ce temps-là, le templier avait observé les travaux des assiégeans avec un peu plus d'attention que le brutal Front-de-Boeuf, ou son étourdi compagnon.

«Par l'ordre dont je fais partie, dit-il, ces gens-ci s'approchent de la place avec une plus grand connaissance de la tactique militaire, de quelque part qu'elle leur vienne, que je ne m'y serais attendu. Voyez avec quelle adresse ils profitent du moindre abri que leur offre un arbre ou un buisson, et évitent de s'exposer aux traits de nos arbalétriers? Je n'aperçois chez eux ni bannière, ni étendard, et néanmoins je gagerais ma chaîne d'or qu'ils sont commandés par quelque noble chevalier, ou quelque personnage exercé au métier de la guerre.»

«Je l'aperçois, dit de Bracy, je vois flotter le panache, et briller l'armure d'un chevalier. Voyez là-bas cet homme d'une taille élevée, qui porte une cotte de mailles de couleur noire, et qui est occupé à former les derniers rangs de sa troupe de bandits. Par saint Denis! je crois que c'est justement celui que nous appelions le Noir-Fainéant, le même qui te fit vider les arçons au tournoi d'Ashby.»

«Tant mieux, dit Front-de-Boeuf; il vient sans doute ici pour me donner ma revanche. C'est probablement quelque rustaud, un homme de rien, puisqu'il n'osa s'arrêter pour faire valoir ses droits au prix du tournoi, dont il n'était redevable qu'au hasard. Je l'aurais vainement cherché dans les lieux où les chevaliers et les nobles cherchent leurs ennemis, et je suis vraiment charmé qu'il se montre ici au milieu de cette canaille.»

L'approche de l'ennemi qui paraissait devoir être très prochaine mit fin à la conversation. Chacun des chevaliers se rendit à son poste, à la tête de la petite troupe qu'il avait pu rassembler; et bien que le nombre des assiégés fût insuffisant pour la défense générale des murailles, néanmoins on attendit avec calme et courage l'assaut dont on était menacé.

CHAPITRE XXVIII

«Et cependant cette race errante, qui n'a plus de patrie, qui se trouve séparée du reste des nations, se vante de posséder et possède en effet la connaissance des sciences humaines. Les mers, les forêts, les déserts qu'ils parcourent, leur ouvrent leurs trésors secrets; et des herbes, des fleurs, des plantes qui paraissent indignes à la vue, cueillies par eux, développent des vertus auxquelles on n'avait jamais songé.»

Le Juif de Malte.

Notre histoire doit rétrograder de quelques pages, afin que nous informions le lecteur de quelques événemens qu'il lui importe de connaître pour bien entendre le reste de cette narration. Sa propre intelligence lui aura sans doute fait soupçonner d'avance que, lorsque Ivanhoe fut tombé et qu'il semblait abandonné de l'univers entier, ce fut Rébecca qui, à force de prières et d'importunités, obtint de son père de faire transporter le jeune et brave guerrier du lieu du tournoi à la maison que pour le moment le juif habitait dans un des faubourgs d'Ashby. En toute autre circonstance, il n'aurait pas été difficile de décider Isaac à cette démarche, car il était d'un caractère bon et reconnaissant; mais il avait aussi les préjugés et les timides scrupules de sa nation persécutée, et il s'agissait de les vaincre.

«Saint Abraham! s'écria-t-il, c'est un brave jeune homme, et mon coeur se fend à la vue du sang qui coule sur son hoqueton richement brodé et sur son corselet d'un ouvrage précieux; mais le transporter dans notre maison, jeune fille, as-tu bien réfléchi? C'est un chrétien, et notre loi nous défend d'avoir aucun rapport avec l'étranger et le gentil, excepté pour l'intérêt de notre commerce.»

«Ce n'est pas ainsi qu'il faut parler, mon cher papa, répondit Rébecca; sans doute nous ne devons pas nous mêler avec eux dans les banquets et dans les plaisirs; mais lorsqu'il est blessé, lorsqu'il est malheureux, le gentil devient le frère du juif.» – «Je voudrais bien, répliqua Isaac, connaître l'opinion du rabbin Jacob-Ben-Tadela sur ce point… Mais enfin il ne faut pas laisser périr ce jeune homme par la perte de tout son sang. Que Seth et Reuben le portent à Ashby.» – «Il vaut bien mieux, dit Rébecca, le placer dans ma litière; je monterai sur l'un des palefrois.» – «Ce serait t'exposer aux regards indiscrets de ces maudits enfans13 d'Ismaël et d'Edom, reprit Isaac à voix basse, en jetant un coup d'oeil de méfiance sur la foule de chevaliers et d'écuyers voisins. Mais déjà Rébecca s'occupait de l'exécution de son oeuvre de charité, sans écouter ce que lui disait son père, jusqu'à ce qu'enfin celui-ci, la tirant par sa mante, s'écria de nouveau d'une voix émue: «Mais, par la barbe d'Aaron! si le jeune homme vient à mourir, s'il meurt dans notre maison, ne dira-t-on pas que nous sommes coupables de sa mort, et ne serons-nous pas mis en pièces par la multitude?»

«Il ne mourra pas, mon cher père, répondit Rébecca en se dégageant doucement de la main d'Isaac; il ne mourra pas, à moins que nous ne l'abandonnions, et ce serait alors que nous serions véritablement responsables de sa mort, non seulement devant les hommes, mais devant Dieu.» – «Il est certain, dit Isaac en laissant aller sa fille, que je suis aussi peiné à la vue des gouttes de sang sortant de sa blessure, que je le serais à la vue d'autant de besans d'or s'échappant de ma bourse. Je sais d'ailleurs que les leçons de Miriam, fille du rabbin Manassé, de Byzance, dont l'âme repose en paradis, l'ont rendue habile dans l'art de guérir, et que tu connais la vertu des plantes et des élixirs. Fais donc ce que ton coeur te dictera; tu es une bonne fille, une bénédiction, une couronne et un cantique d'allégresse pour moi et pour ma maison, et pour le peuple de mes pères.»

Toutefois, les craintes d'Isaac n'étaient pas mal fondées, et la bienveillante reconnaissance de sa fille l'exposa, à son retour à Ashby, aux regards criminels de Brian de Bois-Guilbert. Le templier passa et repassa deux fois devant eux sur la route, fixant des yeux ardens et licencieux sur la belle juive; et nous avons déjà vu quelles furent les conséquences de l'admiration que ses charmes excitèrent lorsque le hasard la fit tomber en la puissance de ce voluptueux dépourvu de tout principe de moralité. Rébecca ne perdit pas de temps à faire transporter le malade dans son habitation temporaire, et aussitôt se mit à examiner ses blessures et à les panser de ses propres mains. Le plus jeune lecteur de romans et de ballades se rappellera sans doute que, dans les siècles d'ignorance, comme on les appelle, il arrivait souvent que les femmes étaient initiées dans les mystères de la chirurgie, et que souvent aussi le preux chevalier confiait la guérison de ses blessures aux mains de celle dont les yeux en avaient fait une plus profonde à son coeur.

Mais les juifs de l'un et de l'autre sexe possédaient et exerçaient la science de la médecine dans toutes ses branches: aussi arrivait-il souvent que les monarques et les barons qui, à cette époque, étaient tout-puissans, lorsqu'ils étaient blessés, ou simplement malades, se confiaient aux soins de quelques personnes expérimentées parmi cette nation méprisée. C'était, il est vrai, une opinion généralement répandue chez les chrétiens, que les rabbins juifs étaient profondément versés dans les sciences occultes, et particulièrement dans l'art cabalistique, lequel tirait son nom et son origine des études des sages d'Israël; mais toutes ces idées n'empêchaient pas les malades de recourir à eux avec le plus grand empressement. De leur côté, les rabbins ne disconvenaient point qu'ils ne fussent en possession de connaissances surnaturelles; et cette sorte d'aveu ou de désaveu, de leur part, n'ajoutait rien à la haine, déjà portée au plus haut point, que l'on avait pour leur nation; tandis que, d'un autre côté, elle diminuait le mépris qui se mêlait à cette malveillance. Il est d'ailleurs probable, si l'on considère les cures merveilleuses qu'on leur attribue, que les juifs étaient en possession de certains secrets qui leur étaient particuliers, et que, poussés par cet esprit d'exclusion, par le sentiment de cette barrière de séparation que la non-conformité de croyances mettait entre eux et les chrétiens, ils prenaient le plus grand soin de cacher à ces derniers.

La belle Rébecca avait été élevée avec le plus grand soin dans toute la science particulière à sa nation, et son esprit actif, studieux, plein de sagacité, avait retenu, combiné et perfectionné ses premières notions au delà de ce qu'on aurait pu attendre de son âge, de son sexe et même du siècle dans lequel elle vivait. Ces premières notions lui avaient été données par une juive très avancée en âge, fille d'un des plus célèbres docteurs de la nation, qui avait pour Rébecca toute l'affection d'une mère, et qu'on croyait lui avoir communiqué les secrets qu'elle avait reçus de son père dans les mêmes temps et dans les mêmes circonstances. Miriam avait éprouvé le sort de tant d'autres victimes du fanatisme, mais ses secrets n'avaient point péri avec elle; ils se retrouvaient en la possession de son intelligente élève.

Également distinguée par ses connaissances et par sa beauté, Rébecca était universellement révérée et admirée par sa propre nation, qui la regardait presque comme une de ces femmes privilégiées dont il est fait mention dans les livres saints. Son père lui-même, par vénération pour ses talens, mais plus encore par l'extrême affection qu'il avait pour elle, accordait à sa fille plus de liberté que n'en donnaient aux personnes de son sexe les habitudes de sa nation; et, comme nous venons de le voir, se laissait souvent guider par son opinion, même lorsqu'elle contrariait la sienne.

Lorsque Ivanhoe arriva à la demeure d'Isaac, il était encore dans un état d'insensibilité occasionné par la grande perte de sang qu'il avait faite en son combat au tournoi. Rébecca examina la blessure; et après y avoir appliqué les vulnéraires que son art lui prescrivait, elle dit à son père que, si l'on pouvait empêcher la fièvre de se déclarer, ce dont elle ne doutait nullement, vu la perte considérable de sang, et si le baume de Miriam n'avait rien perdu de sa vertu, il n'y avait rien à craindre pour la vie du malade, qui pourrait très bien se mettre en route avec eux, le lendemain, pour aller à York. Isaac ne parut pas fort satisfait de cette déclaration; sa charité se serait volontiers arrêtée tout court à Ashby; tout au plus il aurait laissé son hôte blessé pour être soigné dans la maison qu'il habitait alors, en se rendant responsable envers le propriétaire Israélite du paiement de tous les frais; mais Rébecca s'opposa à ce dessein, et allégua plusieurs raisons, dont nous ne rapporterons que les deux suivantes, qu'Isaac regarda comme particulièrement importantes. La première fut qu'elle ne voulait, sous aucun prétexte, remettre la fiole qui contenait son baume précieux aux mains d'aucun médecin, fût-il même de sa propre nation, de crainte que le secret mystérieux de sa composition ne vînt à être découvert; la seconde, que ce chevalier blessé, Wilfrid d'Ivanhoe, était l'intime favori de Richard Coeur-de-Lion, et que si ce monarque revenait, Isaac, qui avait fourni à son frère Jean de fortes sommes d'argent pour l'aider à accomplir ses projets de révolte, aurait besoin d'un protecteur puissant qui jouirait de la plus haute faveur auprès de Richard.

«Il n'y a rien, ma fille, dans tout cela qui ne soit vrai, dit Isaac cédant à la force de ses raisonnemens; ce serait offenser le ciel que de trahir les secrets de la bienheureuse Miriam; le bien que le ciel nous accorde ne doit pas être indiscrètement prodigué à ceux qui nous entourent, que ce soit des talens d'or, des cicles d'argent, ou bien les mystères secrets d'un sage médecin. Tu as raison, ils doivent être soigneusement laissés en la possession de ceux à qui la Providence a daigné les révéler; et quant à celui que les Nazaréens d'Angleterre appellent Coeur-de-Lion, assurément il vaudrait mieux pour moi tomber sous les griffes d'un énorme lion d'Idumée, que sous les siennes, s'il vient à acquérir des preuves de mes rapports avec son frère. Ainsi donc je prête l'oreille à tes conseils, et ce jeune homme voyagera avec nous jusqu'à ce que ses blessures soient guéries; et si l'homme au coeur de lion revient sur cette terre, ainsi qu'on l'annonce en ce moment, alors ce Wilfrid d'Ivanhoe sera pour moi un mur de défense, lorsque le coeur du roi sera enflammé de courroux contre ton père; et s'il ne revient pas, ce Wilfrid pourra encore nous rembourser nos frais lorsqu'il aura gagné des trésors par la force de sa lance ou à la pointe de son épée, comme il a fait hier et aujourd'hui; car ce chevalier est un bon et brave jeune homme, qui est exact au jour qu'il a fixé, qui rend ce qu'il a emprunté, et qui secourt l'Israélite; oui, le fils de la maison de mon père, lorsqu'il le voit entouré de voleurs puissans et des enfans de Bélial.»

Ce ne fut que vers la fin de la soirée qu'Ivanhoe reprit assez de connaissance pour juger de sa position. Il sortit d'un assoupissement souvent interrompu, l'âme encore en proie aux impressions confuses qui sont naturellement la suite d'un état d'insensibilité. Pendant quelque temps, il lui fut impossible de retracer à son esprit les circonstances qui avaient précédé sa chute dans la lice, ni d'établir aucune liaison suivie des événements auxquels il avait pris part la veille. Des impressions confuses de ses blessures et de quelques chagrins, outre son état de faiblesse et d'épuisement, se mêlaient au souvenir de coups portés et reçus, de coursiers se précipitant les uns sur les autres, renversant et renversés; de cris de guerre et de cliquetis d'armes, et de tout le tumulte assourdissant et confus des combats. Il fit un effort pour écarter le rideau qui entourait sa couche, et il réussit en partie, malgré la douleur qu'il ressentait de ses plaies.

À sa grande surprise il se vit dans un appartement décoré avec magnificence, mais ayant pour siéges des coussins au lieu de chaises, et offrant d'ailleurs plusieurs autres rapports avec le costume oriental; il douta un instant si durant le sommeil on ne l'avait pas transporté en Palestine. Ce doute sembla devenir pour lui une sorte de certitude lorsque la tapisserie venant à s'écarter, il aperçut sortant par une porte dérobée une femme richement vêtue, et dont la parure rappelait plutôt le goût oriental que celui de l'Europe, et s'avancer vers lui, suivie d'un domestique à figure basanée.

11.Le mantelet était une machine composée de madriers recouverts de planches, que l'on faisait avancer devant soi, dans l'attaque des places, pour se mettre à couvert des traits des assiégés. Le pavois était une espèce de grand bouclier qui couvrait toute la personne.A. M.
12.Le carreau était le trait particulier à l'arbalète, comme la flèche était celui que l'on décochait avec l'arc.A. M.
13.Le texte dit dogs, chiens; un équivalent nous a semblé préférable.A. M.