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Ivanhoe. 3. Le retour du croisé

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«Adieu, noble Cedric, répondit Athelstane, souvenez-vous que le vrai rôle d'un moine est d'accepter à boire partout où il est invité, ne refusez donc rien de ce qui vous sera offert.» – «Adieu, notre oncle, ajouta Wamba, n'oubliez pas: pax vobiscum!»

Cedric ainsi endoctriné se mit en route, et il n'attendit pas long-temps sans rencontrer l'occasion d'éprouver la vertu du charme que son bouffon lui avait recommandé comme tout-puissant. Dans un passage sombre et voûté par lequel il espérait arriver à la grande salle du château, il rencontra une femme. «Pax vobiscum!» dit le faux frère, et il pressait le pas pour s'éloigner, lorsqu'une voix douce lui répondit: Et vobis quæso, domine reverendissime, pro misericordia vestra.» – «Je suis un peu sourd, répliqua Cedric en bon saxon, puis s'arrêtant subitement: malédiction sur le fou et son pax vobiscum! j'ai brisé ma lance du premier coup.»

Il était assez commun à cette époque de trouver un prêtre qui eût l'oreille dure pour le latin, et la personne qui s'adressait à Cedric le savait fort bien. «Oh! par charité, révérend père, reprit-elle en saxon, daignez consentir à visiter un prisonnier blessé qui est dans ce château; veuillez lui apporter les consolations de votre saint ministère, et prendre pitié de lui et de nous ainsi que vous l'ordonne votre caractère sacré; jamais bonne oeuvre n'aura été plus glorieuse pour votre couvent.» – «Ma fille, répondit Cedric fort embarrassé, le peu de temps que j'ai à passer dans ce château ne me permet pas d'exercer les saints devoirs de ma profession; il faut que je m'éloigne sur-le-champ, il y va de la vie ou de la mort.» – «Ô mon père! laissez-moi vous supplier par les voeux que vous avez faits, de ne pas laisser sans secours spirituels un homme opprimé, et en danger de mort!»

«Que le diable m'enlève et me laisse dans Ifrin9 avec les âmes d'Odin et de Thor! s'écria Cedric hors de lui; et probablement il allait continuer sur ce ton peu analogue à son saint caractère, quand tout à coup il fut interrompu par la voix aigre d'Urfried, la vieille habitante de la tourelle. «Comment, mignonne, dit-elle à la jeune femme, est-ce ainsi que vous êtes reconnaissante de la bonté avec laquelle je vous ai permis de quitter votre prison? Devez-vous forcer cet homme respectable à se mettre en colère pour se débarrasser des importunités d'une juive?»

«Une juive! s'écria Cedric profitant de la circonstance pour s'éloigner; femme! laisse-moi passer, ne m'arrête pas davantage, si tu ne veux t'exposer, et ne souille pas ma mission divine.» – «Venez par ici, mon père, reprit la vieille sorcière; vous êtes étranger dans ce château, et vous ne pourriez en sortir sans un guide. Venez, suivez-moi, aussi bien je voudrais vous parler. Et vous, fille d'une race maudite, retournez dans la chambre du malade, veillez sur lui jusqu'à mon retour, et malheur à vous si vous vous éloignez encore sans ma permission!»

Rébecca obéit: à force d'importunités, elle était parvenue à obtenir d'Urfried un moment de répit, pendant lequel elle était descendue de la tour; et la vieille l'avait également chargée de la garde du blessé, emploi qu'elle remplissait avec joie près du triste Ivanhoe. Tout occupée de leur danger mutuel, et prompte à saisir la moindre chance de salut qui pouvait s'offrir, Rébecca avait fondé quelque espoir sur la présence de l'homme pieux dont Urfried lui avait annoncé l'arrivée dans ce château impie. Elle avait donc épié attentivement l'instant de son retour, dans le dessein de s'adresser à lui, et de l'intéresser en faveur des prisonniers; mais ses tentatives, comme on le voit, n'avaient été couronnées d'aucun succès.

CHAPITRE XXVII

«Infortunée! et que peux-tu m'apprendre qui n'atteste à la fois ta douleur, ta honte et ton crime? Ton destin est connu de toi-même; cependant, viens, commence ton récit… Mais j'ai bien des chagrins d'une autre espèce et encore plus profonds. Pour soulager mon âme à la torture, prête l'oreille à mes plaintes; et si je ne puis trouver un être sensible pour me secourir, du moins que j'en trouve un pour m'entendre.»

CRABBE. Le Palais de justice.

Lorsque Urfried, à force de grommeler et de menacer, eut renvoyé Rébecca dans l'appartement qu'elle avait quitté, elle conduisit Cedric, qui ne la suivait qu'avec répugnance, dans une petite chambre dont elle ferma soigneusement la porte. Plaçant alors sur une table un flacon de vin et deux verres, elle lui dit, d'un ton moins interrogatif qu'affirmatif: «Tu es Saxon, mon père, ne le nie pas.» Puis, observant que Cedric semblait hésiter à répondre, elle continua: «Les sons de ma langue naturelle sont doux à mon oreille, quoique rarement je les entende, si ce n'est lorsqu'ils sortent des lèvres de misérables serfs, êtres dégradés, que les orgueilleux Normands condamnent aux travaux les plus vils de cette demeure; tu es Saxon, te dis-je, et Saxon libre, aussi vrai que tu es serviteur de Dieu; je te le répète, tes accens sont doux à mon oreille.»

«Aucun prêtre saxon ne vient-il donc jamais visiter ce château, reprit Cedric? il me semble qu'il serait de leur devoir de venir consoler les enfans opprimés de cette terre malheureuse.» – «Ils n'y viennent pas, ou s'ils y viennent, répondit Urfried, ils aiment mieux s'asseoir au banquet des conquérans, des tyrans de leur patrie, que d'écouter les gémissemens de leurs compatriotes; au moins, est-ce là ce qu'on dit d'eux; quant à moi, je sais fort peu de chose. Depuis dix ans il n'est entré dans ce château d'autre prêtre que le chapelain, Normand débauché qui partageait fidèlement toutes les orgies nocturnes de Front-de-Boeuf, et qui, depuis long-temps, est allé rendre compte là-haut de ses actions ici-bas. Mais tu es un Saxon, mon père, un prêtre saxon, et j'ai une question à te faire.»

«Je suis Saxon, je l'avoue, mais Saxon indigne sans doute du nom de prêtre. Laissez-moi poursuivre mon chemin; je vous jure de revenir, ou d'envoyer un de nos frères, plus digne que moi d'entendre votre confession.» – «Attends encore quelques instans, reprit Urfried; la voix qui te parle en ce moment sera bientôt étouffée sous la terre glacée, et je ne voudrais pas descendre dans la tombe comme la brute, ainsi que j'ai vécu! Mais buvons, le vin me donnera la force de te révéler les horreurs dont ma vie est tissue.» À ces mots elle remplit une coupe et la but avec une effrayante avidité, comme si elle eût craint d'en perdre une seule goutte. «Cette liqueur engourdit le coeur, dit-elle, mais elle ne le réjouit pas.» Puis, remplissant une autre coupe: «Tiens, père, bois aussi, si tu veux entendre le récit de ma coupable vie sans tomber de ta hauteur!» Cedric aurait bien voulu se dispenser de lui faire raison; mais elle fit un signe qui exprima tant d'impatience et de désespoir, qu'il consentit à lui céder, et répondit à son appel en vidant la coupe. Cette preuve de complaisance parut la calmer, et elle commença ainsi son histoire:

«Je ne suis pas née, mon père, dans la misérable condition où tu me vois aujourd'hui. J'étais libre, heureuse, honorée, aimée; maintenant je suis esclave, méprisable, avilie: j'ai été le jouet honteux des passions de mes maîtres, tant que j'ai eu de la beauté; et l'objet de leurs mépris et de leurs insultes lorsqu'elle fut flétrie. Peux-tu t'étonner, mon père, que je haïsse l'espèce humaine, et par dessus tout la race qui a opéré en moi un changement aussi déplorable. La malheureuse sillonnée aujourd'hui de rides, et courbée de décrépitude, dont la rage s'exhale devant toi en malédictions impuissantes, peut-elle oublier qu'elle est la fille du noble thane de Torquilstone, dont un seul regard faisait trembler mille vassaux!»

«Toi, la fille de Torquil-Wolfganger! s'écria Cedric en reculant de surprise; toi, la fille de ce noble Saxon, de l'ami des compagnons d'armes de mon père!» – «L'ami de ton père! répéta Urfried; c'est donc Cedric surnommé le Saxon qui est devant mes yeux, car le noble Hereward de Rotherwood n'avait qu'un fils dont le nom est bien connu parmi ses compatriotes. Mais, si tu es Cedric de Rotherwood, pourquoi ce vêtement religieux? Est-ce le désespoir de ne pouvoir sauver ton pays qui t'a porté à fuir l'oppression dans l'ombre d'un cloître?»

«Peu t'importe ce que je suis, dit Cedric; poursuis, malheureuse femme, ton récit d'horreurs et de crimes! oui, de crimes, et c'en est un déjà que d'avoir vécu pour les révéler.» – «Eh bien donc, continua la malheureuse vieille: j'ai un crime odieux qui pèse sur ma conscience, un crime tel que tous les châtimens de l'enfer ne peuvent l'expier. Dans ces mêmes murs teints du sang de mon père et de mes frères, dans ces murs ensanglantés j'ai vécu pour être l'esclave de leur meurtrier, et partager ses plaisirs et son odieux amour. N'était-ce pas assez pour que chacun des soupirs qui s'exhalait de mon sein fût un crime?»

«Misérable! s'écria Cedric, quoi! tandis que les amis de ton père, tous les vrais Saxons déploraient sa mort et priaient pour le repos de son âme et de celle de son vaillant fils, tandis que l'on n'oubliait pas dans ces prières Ulrique, que l'on croyait assassinée, tandis que tous prenaient le deuil et rendaient hommage à ceux qui n'étaient plus, tu vivais pour mériter notre haine et notre exécration, tu vivais pour t'unir au vil tyran, au meurtrier de tes parens les plus proches et les plus chers, à celui qui avait répandu le sang innocent d'un enfant au berceau, afin qu'il ne restât pas un seul rejeton mâle de la noble maison de Torquil-Wolfganger. Ainsi tu t'es unie à lui par les liens d'un amour illégitime?»

 

«Oui, par des liens illégitimes, mais non par ceux de l'amour, répondit la vieille. On rencontrerait plutôt l'amour dans les régions infernales de la Géhenne éternelle que sous ces voûtes impies. Non, je n'ai pas au moins ce reproche à me faire; abhorrer Front-de-Boeuf et toute sa race n'a cessé d'être le seul sentiment de mon âme, alors même qu'il cherchait à m'enivrer et à me plaire.»

«Vous l'abhorrez, dites-vous, et cependant vous pouviez vivre près de lui; malheureuse! ne se trouvait-il donc là ni poignard, ni couteau, ni poinçon qui pût mettre fin à votre existence? y attachiez-vous assez de prix encore pour vouloir la conserver? Heureusement pour toi que le château d'un normand garde ses secrets aussi inviolablement qu'un tombeau; car si jamais j'eusse imaginé que la fille d'un Torquil vécût en communauté avec le meurtrier de son père, l'épée d'un Saxon aurait trouvé le chemin de son coeur jusque dans les bras de son séducteur.»

«Aurais-tu réellement été capable de faire justice de cette manière au nom et à l'honneur des Torquil? demanda celle que désormais nous nommerons Ulrique; alors tu es véritablement le Saxon que vante la renommée; et jusque dans l'enceinte de ces lieux maudits où, comme tu le dis avec raison, le crime s'enveloppe d'un mystère impénétrable, j'ai entendu le nom de Cedric; et quelque criminelle, quelque dégradée que je fusse, je me réjouissais en pensant qu'il restait encore un vengeur à notre malheureuse patrie. J'ai eu aussi quelques heures de vengeance; j'ai soufflé la discorde entre mes ennemis, j'ai suscité les querelles et le meurtre au milieu des vapeurs de l'ivresse; j'ai vu leur sang couler, et j'ai entendu avec délices les gémissemens de leur agonie! Regarde-moi, Cedric, ne trouves-tu pas encore sur ce visage souillé et flétri quelque trait qui te rappelle les Torquil?»

«Ne me parle pas d'eux, Ulrique, répondit Cedric avec une expression de douleur et d'épouvante; cette ressemblance que tu veux que je retrouve est celle qui sort du tombeau, lorsque l'esprit du mal ranime pour quelques instans un corps sans vie.»

«Soit; mais cette figure infernale portait cependant le masque d'un esprit de lumière, lorsqu'elle parvint à exciter la haine entre Front-de-Boeuf et son fils Réginald; les ténèbres de l'enfer devraient cacher ce qui s'ensuivit; mais l'amour de la vengeance doit arracher le voile, et publier impitoyablement ce qui devrait forcer les morts à parler haut. Depuis long-temps les flammes dévorantes de la discorde éclataient entre le tyran farouche et son sauvage fils; depuis long-temps je nourrissais en secret une haine outrée. Elle éclata au milieu d'une orgie, et mon oppresseur succomba à sa propre table et de la main de son propre fils. Tels sont les secrets que renfermaient ces voûtes criminelles! Murs maudits, écroulez-vous! ajouta la furie en dirigeant ses regards vers le plafond de la salle; écrasez sous vos décombres et ensevelissez à jamais tous ceux qui furent initiés à ces affreux mystères!»

«Et toi, créature pétrie de crimes et de misères, dit Cedric, quel fut ton sort après la mort de ton ravisseur?» – «Devine-le, mais ne le demande pas!.. Je continuai d'habiter cette infâme demeure jusqu'à ce que la vieillesse hideuse et prématurée eût imprimé ses rides sur mon front. Je me vis méprisée, insultée dans ces mêmes lieux où naguère tout obéissait à ma voix; forcée de borner la vengeance à laquelle j'avais donné un si vaste élan, à des efforts infructueux, à des intrigues secondaires, ou aux malédictions sans effet d'une rage impuissante; et condamnée à entendre, de la tour solitaire où je suis confinée, le bruit des orgies et des festins auxquels jadis je prenais part, ainsi que les cris et les gémissemens de nouvelles victimes de l'oppression.»

«Ulrique, reprit Cedric avec sévérité, comment oses-tu, avec un coeur qui, je le crains bien, regrette encore la perte du prix honteux de tes crimes, comment oses-tu, dis-je, adresser la parole à un homme revêtu de la robe que je porte? Malheureuse! songe à ce que pourrait faire pour toi le saint roi Édouard, s'il était présent. Le royal confesseur était doué par le ciel du pouvoir de guérir les ulcères du corps, mais Dieu seul peut guérir la lèpre de l'âme.»

«Ne te détourne pas de moi, prophète sévère, prophète de colère, s'écria-t-elle, mais dis-moi plutôt, si tu le peux, comment se termineront ces sentimens nouveaux qui sont nés dans ma solitude, et qui en sont le poison? Pourquoi des forfaits commis depuis long-temps viennent-ils se retracer à mon imagination avec une horreur nouvelle et insurmontable? Quel sort est préparé au delà du tombeau à celle dont le partage sur la terre a été une vie tellement misérable, que nulle expression ne pourrait la peindre? J'aimerais mieux appartenir à Woden, Hertha, à Zernebock, à Mesta et à Skogula, les dieux de nos ancêtres païens, que de souffrir par anticipation, et d'éprouver le supplice des terreurs qui troublent sans cesse mes jours et mes nuits.»

«Je ne suis pas prêtre, reprit Cedric en se détournant avec dégoût de cette image déplorable de crime, de malheur et de désespoir; je ne suis pas prêtre, quoique j'en porte la robe sacrée.» – «Prêtre ou laïque, répondit Ulrique, tu es le premier que depuis vingt ans j'aie vu craignant Dieu et respectant les hommes; m'ordonnes-tu donc de m'abandonner au désespoir?» – «Je t'ordonne le repentir, dit Cedric; je t'exhorte à recourir à la prière et à la pénitence; peut-être alors obtiendras-tu miséricorde! Mais je ne puis ni ne veux rester plus long-temps avec toi.» – «Attends un moment encore, reprit Ulrique, fils de l'ami de mon père, ne me quitte pas ainsi, je t'en conjure, de peur que l'esprit du mal, qui a dirigé toute ma vie, ne me pousse à me venger de ton mépris et de ton insensibilité! Crois-tu que si Front-de-Boeuf trouvait Cedric le Saxon dans son château, sous ce déguisement, sa vie serait de longue durée? Déjà ses yeux se sont fixés sur toi, comme ceux du faucon sur sa proie.»

«Quand bien même il me déchirerait les entrailles, jamais ma langue ne proférera une seule parole que mon coeur ne puisse avouer. Je mourrai en Saxon, fidèle à ma parole et au culte de la vérité; je t'ordonne de te retirer: ne me touche pas! La vue de Front-de-Boeuf lui-même me serait moins odieuse que celle d'une créature aussi avilie et aussi dégénérée que toi.»

«Ce n'est que trop vrai, répondit Ulrique cessant de le retenir; poursuis ton chemin, et oublie, dans l'orgueil et l'arrogance de la vertu, que la misérable qui est devant toi est la fille de l'ami de ton père. Pars; si mes souffrances me séparent de l'espèce humaine, si je suis séparée de ceux dont j'avais droit d'attendre quelque protection, la vengeance ne me séparera pas d'eux! et je l'espère bien long-temps encore! Personne ne m'aidera, mais le bruit des actions que j'oserai entreprendre ira retentir aux oreilles de chacun. Adieu, ton mépris a rompu le dernier lien qui m'attachait encore à mes semblables, et ce lien était la pensée consolante que mes malheurs exciteraient la pitié de mes compatriotes.»

«Ulrique, dit Cedric ému par cet appel, n'as-tu donc supporté la vie au milieu de tant de crimes et d'infortunes que pour céder au désespoir au moment que tes yeux dessillés s'ouvrent sur l'énormité de tes fautes, et lorsque le repentir et la pénitence devraient être ton unique occupation?»

«Cedric, tu connais peu le coeur humain! tu ne sais pas que pour penser et agir comme je l'ai fait il faut porter jusqu'à la frénésie l'amour du plaisir, la soif de la vengeance et le désir orgueilleux du pouvoir; ces passions sont trop impétueuses, trop enivrantes, pour que l'âme, en s'y abandonnant, puisse conserver la faculté du repentir. Leur fureur est calmée depuis long-temps: la vieillesse n'a plus de plaisir; ses rides repoussantes n'ont aucune influence, et la vengeance elle-même expire au milieu des malédictions impuissantes! C'est alors que les remords et ses serpens font sentir au coeur coupable leurs piqûres empoisonnées! c'est alors que naissent les regrets du passé et le désespoir de l'avenir! c'est alors que, semblables aux démons de l'enfer, nous n'éprouvons que des remords, et jamais de repentir. Mais tes paroles ont réveillé en moi une nouvelle âme; comme tu l'as dit, tout est possible à ceux qui savent mourir! Tu m'as montré des moyens de vengeance: sois certain que je les saisirai. Cette passion terrible ne m'avait dominé jusqu'à présent que de concert avec d'autres passions rivales; désormais elle me possédera tout entière; et toi-même tu avoueras que, quelque criminelle qu'ait été la vie d'Ulrique, sa mort fut digne de la fille du noble Torquil. Des forces sont réunies autour de ce château impie, afin de l'assiéger; hâte-toi de te mettre à leur tête et de les disposer pour l'assaut; et lorsque tu verras un étendard rouge flotter au dessus de la tour et se tourner vers l'angle oriental du donjon, presse vivement les Normands: alors ils auront assez d'ouvrage dans l'intérieur; tu pourras escalader les murs en dépit de leurs flèches et de leurs arquebuses. Pars, je t'en supplie, suis ton destin, et laisse-moi suivre le mien.»

Cedric aurait désiré quelques renseignemens plus positifs sur le dessein qu'elle annonçait d'une manière si obscure, mais la voix farouche de Front-de-Boeuf se fit entendre tout à coup: «À quoi s'amuse ce fainéant de prêtre? s'écria-t-il; par les coquilles de saint Jacques de Compostelle, j'en ferai un martyr s'il reste ici semant la trahison parmi mes gens!» – «Qu'une conscience bourrelée est un sinistre prophète! s'écria Ulrique; mais ne t'effraie pas, va rejoindre les tiens, pousse le cri de guerre des Saxons, qu'ils y répondent s'ils veulent par le chant belliqueux de Rollon, la vengeance répétera le refrain.» À ces mots elle disparut par une porte dérobée; et au même instant Réginald Front-de-Boeuf se présenta. Ce ne fut pas sans se faire violence que Cedric s'inclina devant l'orgueilleux baron qui lui rendit son salut par une légère inclination de tête.

«Les pénitens, mon père, ont fait une longue confession, mais tant mieux pour eux, car c'est la dernière qu'ils feront. Les as-tu préparés à la mort?» – «Je les ai trouvés, répondit Cedric en mauvais français, dans les meilleures dispositions; ils s'attendent à tout depuis qu'ils ont appris en quel pouvoir ils sont tombés.» – «Si je ne me trompe, frère, reprit Front-de-Boeuf, il me semble que ton jargon sent diablement le saxon?» – «J'ai été élevé dans le couvent de saint Withold de Burton,» répondit Cedric. – «Tant pis, reprit le baron; il vaudrait mieux pour toi que tu fusses né Normand, ce qui conviendrait beaucoup mieux aussi à mes desseins; mais dans la conjoncture actuelle il n'y a pas de choix à faire. Ce couvent de saint Withold de Burton est un nid de hiboux digne d'être renversé. Le jour ne tardera pas à venir où le froc ne protégera pas plus le Saxon que la cotte de mailles.»

«Que la volonté de Dieu soit faite!» dit Cedric d'une voix tremblante de colère, ce que Front-de-Boeuf attribua à la crainte. – «Tu rêves déjà, je le vois, que nos hommes d'armes sont dans ton réfectoire et dans ta cave. Mais j'ai un service à réclamer de ton saint ministère, consens à me le rendre; et, quel que soit le sort des autres, tu pourras dormir dans ta cellule aussi tranquillement qu'un limaçon dans sa coquille.» – «Donnez-moi vos ordres,» dit Cedric cherchant à déguiser son émotion. – «Eh bien, suis-moi par ce passage; je te ferai sortir par la poterne.» Et tout en marchant devant le moine supposé, Front-de-Boeuf l'instruisit du rôle dont il voulait qu'il se chargeât. «Tu vois d'ici ce troupeau de pourceaux saxons qui ont osé environner le château de Torquilstone. Dis-leur donc ce que tu voudras sur la faiblesse de cette forteresse, parle-leur de manière à les retenir ici pendant vingt-quatre heures, et porte en même temps ce message… Mais, attends, sais-tu lire, frère.»

«Non, excepté le bréviaire, répondit Cedric; encore ne connais-je ses caractères sacrés que parce que je sais par coeur le service divin, grâce à Notre-Dame et à saint Withold.» – «Tu es justement le messager qu'il me faut; porte donc cette lettre au château de Philippe de Malvoisin; tu diras qu'elle est envoyée par moi, qu'elle est écrite par le templier Brian de Bois-Guilbert, et que je le prie de la faire passer à York avec toute la diligence qu'y peut mettre un cavalier bien monté. Dis-lui encore qu'il n'ait aucune inquiétude, qu'il nous trouvera frais et dispos derrière nos retranchemens. Ce serait une honte à nous de nous tenir cachés aux yeux d'une troupe de vagabonds qui sont disposés à fuir à l'aspect de nos étendards et au bruit de nos chevaux. Je te le répète, frère: imagine quelque tour de ta façon pour engager ces vauriens à conserver leur position jusqu'à l'arrivée de nos amis et de leurs lances. Ma vengeance est éveillée; elle ressemble à un faucon qui ne peut dormir qu'il ne se soit rassasié de sa proie.»

 

«Par mon saint patron, s'écria Cedric avec plus de chaleur que n'en exigeait le caractère dont il était revêtu; par tous les saints qui ont vécu et qui sont morts en Angleterre, je vous obéirai! Pas un Saxon ne s'éloignera de ces murailles, si j'ai assez d'adresse et assez d'influence sur eux pour les retenir.» – «Vraiment, dit Front-de-Boeuf, tu changes de ton, sire moine, et tu parles avec autant de hardiesse et d'énergie que si ton coeur était disposé à tressaillir de joie à la vue du massacre du troupeau saxon, et pourtant tu es de la race de ces pourceaux.»

Cedric n'était pas très versé dans l'art de la dissimulation, et il aurait eu besoin en ce moment de l'une des idées dont le cerveau fertile de Wamba était rempli. Mais la nécessité est mère de l'invention, dit un vieux proverbe, et il murmura quelques mots sous son capuchon, comme pour faire accroire à Front-de-Boeuf qu'il regardait les gens qui cernaient le château tels que des rebelles et des excommuniés.

«De par Dieu! s'écria ce dernier, tu dis vrai: j'oubliais que les fripons peuvent détrousser un abbé aussi lestement que s'ils étaient nés de l'autre côté du détroit salé. N'est-ce pas le prieur de Saint-Yves qu'ils lièrent à un chêne et qu'ils forcèrent à chanter la messe, tandis qu'ils vidaient ses malles et ses valises? Mais non, de par Notre-Dame, ce tour fut joué par Gauthier-de-Middleton, un de nos compagnons d'armes; mais ce furent des Saxons qui pillèrent la chapelle de Saint-Bees, et qui lui volèrent ses vases, ses chandeliers et ses ciboires, n'est-ce pas vrai?»

«Ce n'étaient pas des hommes craignant Dieu,» répondit Cedric. – «Ils burent, en outre, tout le vin et la bière qui étaient en réserve pour plus d'une orgie secrète, bien que vous prétendissiez, vous autres moines, n'être occupés que de vigiles, de jeûnes et de matines; prêtre, tu dois avoir fait voeu de tirer vengeance d'un tel sacrilége?» – «Oui, j'ai fait voeu de vengeance, murmura Cedric, j'en atteste Saint-Withold.»

Front-de-Boeuf arriva en ce moment à la poterne, où, après avoir traversé le fossé sur une simple planche, ils atteignirent une petite redoute ou défense extérieure qui donnait sur la campagne par une porte de sortie bien défendue. «Pars donc, lui dit Front-de-Boeuf, et, si tu remplis exactement mes intentions et que tu reviennes ensuite ici, tu y trouveras de la chair de Saxon à meilleur marché que ne le fut jamais la chair de chien dans les boucheries de Sheffield. Écoute encore, tu me parais un joyeux confesseur, un bon vivant, reviens après l'assaut, et tu auras autant de Malvoisin qu'il en faudrait pour désaltérer tout un couvent.»

«Assurément, nous nous reverrons,» répondit Cedric. – «En attendant, prends ceci,» continua le Normand; et au moment où Cedric franchissait le seuil de la poterne, il lui mit dans la main un besant d'or, et il ajouta: «Souviens-toi que je t'arracherai ton froc et ta peau si tu échoues dans ton entreprise.» – «Tu seras libre de faire l'un et l'autre, répondit Cedric en s'éloignant de la poterne et s'élançant avec joie dans la campagne, si, lorsque nous nous reverrons, je ne mérite pas quelque chose de mieux encore de ta main.» Se retournant alors vers le château dont il s'éloignait, il jeta au donneur le besant d'or: «Astucieux Normand, s'écria-t-il, puisse ton argent périr avec toi!»

Front-de-Boeuf n'entendit qu'imparfaitement ces paroles, mais l'action lui parut très suspecte: «Archers, s'écria-t-il aux sentinelles qui gardaient les murailles, envoyez une flèche dans le froc de ce moine; mais, attendez, reprit-il quand il les vit bander leurs arcs, ce serait peut-être agir inconsidérément; il faut nous fier à lui à défaut de meilleur moyen: au pis aller, ne puis-je pas traiter avec ces chiens de Saxons que je tiens ici au chenil? Holà! geôlier Gilles, qu'on m'amène Cedric de Rotherwood et cet autre butor qui est avec lui, ce malotru de Coningsburgh, qu'ils nomment Athelstane, je crois. Ces noms sont si durs pour la langue d'un chevalier normand, qu'ils laissent un goût de lard dans la bouche. Préparez-moi un flacon de vin, afin que, comme dit joyeusement le prince Jean, je puisse me la laver et me la rincer; portez-le dans la salle d'armes, et conduisez-y ces prisonniers.»

Ses ordres furent exécutés à l'instant, et lorsqu'il entra dans cette salle gothique ornée des dépouilles obtenues par sa valeur et celle de son père, il trouva sur une table massive de chêne un flacon de vin; puis il aperçut deux prisonniers saxons gardés par quatre de ses gens. Front-de-Boeuf, après avoir bu une longue rasade, examina ses deux captifs. Il était très peu familiarisé avec les traits de Cedric, qu'il n'avait vu que rarement, et qui évitait soigneusement toute communication avec ses voisins normands; or, il n'est pas étonnant que le soin avec lequel Wamba s'efforça de se cacher le visage avec son bonnet, le changement de costume, et l'obscurité de la salle, furent cause que Front-de-Boeuf ne s'aperçut pas que celui des prisonniers auquel il attachait le plus d'importance s'était évadé.

«Braves Anglais, leur dit-il, comment trouvez-vous que vous êtes traités à Torquilstone? Savez-vous le châtiment que méritent les railleries insolentes et présomptueuses10 que vous vous êtes permises à la fête d'un prince de la maison d'Anjou? Avez-vous oublié comment vous avez répondu à l'hospitalité si peu méritée que vous avez reçue du prince royal Jean? De par Dieu et saint Denis, si vous ne payez pas une énorme rançon, je vous ferai pendre par les pieds aux barreaux de fer de ces fenêtres, jusqu'à ce que les corbeaux et les vautours aient fait de vous deux squelettes. Parlez donc, chiens de Saxons, que m'offrez-vous pour racheter vos misérables vies? Vous, sire de Rotherwood, que me donnerez-vous?»

«Pas une obole, répondit Wamba; quant à me pendre par les pieds, on prétend que mon cerveau est bouleversé depuis le premier moment où on m'attacha le béguin autour de la tête, et il est possible qu'en me tournant sens dessus dessous il se rétablisse dans l'ordre naturel.»

«Sainte Geneviève! s'écria Front-de-Boeuf, que veut dire un pareil langage?» Et du revers de sa main il fit tomber le bonnet de Cedric de la tête du bouffon, et ouvrant le col de son manteau, il reconnut le collier de cuivre, marque évidente de sa servitude. «Gilles, Clément, chiens de vassaux! s'écria le Normand furieux, qui m'avez-vous amené ici?» – «Je crois que je pourrai vous l'apprendre, dit de Bracy qui entrait en ce moment, c'est le fou de Cedric; celui qui, dans une escarmouche avec Isaac de York, montra tant de valeur, au sujet d'une dispute sur la préséance.»

«Eh bien, je me charge d'arranger ce différent, reprit Front-de-Boeuf; ils seront pendus au même gibet, à moins que son maître et ce verrat de Coningsburgh ne rachètent leur vie à un bien haut prix. Leur fortune entière est le moins qu'ils puissent donner, il faut en outre qu'ils fassent retirer ce guêpier de Saxons qui entourent le château, qu'ils renoncent à leurs prétendus priviléges, et qu'ils se reconnaissent comme nos serfs et vassaux; trop heureux si dans le nouveau monde qui va commencer, nous leur laissons le droit de respirer. Allez, dit-il à deux de ses gens, allez me chercher le véritable Cedric; pour cette fois je vous pardonne votre erreur d'autant plus volontiers que vous n'avez fait que prendre un fou pour un Saxon franklin.» – «Oui, dit Wamba, votre excellence chevaleresque pourra bien trouver ici plus de fous que de franklins.» – «Que veut dire ce fripon?» demanda Front-de-Boeuf à ceux qui le gardaient, et qui répondirent avec une sorte de répugnance et d'hésitation, que si celui-ci n'était pas Cedric, ils ignoraient ce qu'il était devenu.

9L'enfer des Scandinaves. Thor était leur dieu de la guerre. A. M.
10Le texte emploie les deux mots surquedy et outre-cuidance, qui ont pour synonymes insolence et présomption.A. M.