Kitabı oku: «Le nain noir», sayfa 7
CHAPITRE XI
«Trois scélérats hier nous attaquèrent:
«J'eus beau prier, pleurer, ils m'enlevèrent;
«Et m'attachant sur un blanc palefroi.
«Il me fallut les suivre malgré moi.
«Mais qui sont-ils? Je ne puis vous le dire.»
Chrislabelle.
Il faut maintenant que notre histoire rétrograde un peu, afin de pouvoir rendre compte des circonstances qui avaient placé miss Isabelle Vere dans la situation fâcheuse dont elle fut délivrée si inopinément par l'arrivée d'Earnscliff, d'Hobby et de leurs compagnons, devant la tour de Westburnflat.
La veille de la nuit pendant laquelle la ferme d'Hobbv avait été pillée et incendiée, le père d'Isabelle l'engagea dans la matinée à venir faire une promenade dans les bois qui entouraient son château d'Ellieslaw. «Entendre c'était obéir,» dans le sens le plus rigoureux de cette formule du despotisme oriental; mais Isabelle trembla en se rendant aux ordres de son père. Ils sortirent suivis d'un seul domestique, que sa stupidité avait peut-être fait choisir pour les accompagner. Ils côtoyèrent d'abord un ruisseau, et gravirent diverses collines au bas desquelles il serpentait. Le silence que gardait son père faisait penser à miss Vere qu'il avait fait choix de cette promenade écartée pour amener un sujet de conversation qu'elle craignait par-dessus toutes choses, celui de son mariage avec sir Frédéric, et qu'il réfléchissait aux moyens de l'y déterminer. Ses craintes furent quelque temps sans se vérifier. Le peu de paroles que son père lui adressait n'avaient de rapport qu'à la beauté du paysage qu'ils avaient sous les yeux, et qui variait à chaque instant. Le ton dont il faisait ces observations prouvait pourtant que, tandis que sa bouche les prononçait, son esprit était occupé de réflexions plus, importantes, et qui semblaient l'absorber. Isabelle tâchait de lui répondre avec autant d'aisance et de gaîté qu'il lui était possible d'en affecter au milieu des craintes dont son imagination était assaillie.
Soutenant, non sans peine, une conversation interrompue à chaque instant, et qui passait brusquement d'un sujet à un autre, ils arrivèrent enfin au centre d'un petit bois composé de chênes, de houx et de frênes, dont l'existence semblait compter plusieurs siècles, et dont les cimes élevées, se joignant ensemble, formaient un abri impénétrable aux rayons du soleil.
– C'est dans un lieu comme celui-ci, Isabelle, dit Ellieslaw, que je voudrais consacrer un autel à l'amitié.
– A l'amitié, mon père! et pourquoi dans un endroit si sombre et si retiré?
– Oh! il est aisé dé prouver que le local lui conviendrait parfaitement, répondit son père en souriant amèrement. Vous qui êtes une jeune fille savante, vous devez savoir que les Romains ne se contentaient pas d'adorer leurs divinités sous un seul nom; mais qu'ils leur élevaient autant de temples qu'ils leur supposaient d'attributs différents. Hé bien! l'amitié à laquelle, j'élèverais un temple en cet endroit ne serait pas l'amitié des hommes; qui repousse la duplicité, l'artifice, toute espèce de déguisement; ce serait l'amitié des femmes, qui ne consiste que dans la secrète intelligence de deux amies; comme elles s'appellent, pour s'aider mutuellement dans leurs petits complots, dans leurs intrigues.
– Vous êtes bien sévère, mon père.
– Je ne suis que juste: je me borne à peindre la nature, et j'ai l'avantage d'avoir sous les yeux d'excellents modèles en Lucy Ilderton et vous.
– Si j'ai été assez malheureuse pour vous offenser, mon père, vous ne devez pas en accuser ma cousine, car bien certainement jamais elle ne fut ni ma conseillère ni ma confidente.
– En vérité? Et qui a donc pu vous inspirer, il y a deux jours, la force et la hardiesse de parler à sir Frédéric avec un ton d'aigreur qui l'a blessé, et qui ne m'a pas moins offensé?
– Si ce que je lui ai dit vous a déplu, mon père, j'en ai un sincère regret; mais je ne puis me repentir d'avoir parlé à sir Frédéric comme je l'ai fait. S'il oubliait que j'étais votre fille, il devait au moins se souvenir que j'étais une femme.
– Réservez vos remarques pour une autre occasion, répliqua froidement son père: je suis si las de ce sujet, que voici la dernière fois que je vous en parlerai.
– Que de grâces j'ai à vous rendre, mon père! dit Isabelle en lui prenant la main. Délivrez-moi de la persécution de cet homme, et il n'est rien que vous ne puissiez m'ordonner.
– Vous êtes fort soumise quand cela vous convient, miss Vere, lui dit son père en fronçant le sourcil et en retirant sa main; mais je m'épargnerai à l'avenir la peine de vous donner des avis qui vous déplaisent. Vous vous conduirez d'après vos propres idées.
Quatre brigands les attaquèrent en ce moment: Ellieslaw tira son épée, et se défendit contre l'un d'eux. Un second se jeta sur le domestique, qui était sans armes, et lui appuyant un sabre sur la poitrine, le menaça de le tuer s'il faisait résistance. Les deux autres s'emparèrent d'Isabelle, et l'entraînèrent dans le fond du bois. Ils y avaient préparé trois chevaux sur l'un desquels ils la placèrent, et ils la conduisirent ainsi à la tour de Westburnflat. Elle fut confiée à la garde de la mère du bandit, qui l'enferma dans une chambre au plus haut étage de ce donjon, sans vouloir lui dire pourquoi on l'avait enlevée, ni pourquoi on la retenait ainsi.
L'arrivée d'Earnscliff avec une troupe nombreuse devant sa porte alarma le brigand. Comme il avait donné ordre de remettre Grâce en liberté, et qu'il croyait qu'elle devait déjà être rendue à ses parents, il ne crut pas qu'elle fût l'objet de cette visite désagréable. Ayant reconnu Earnscliff, et instruit des sentiments qu'il nourrissait pour Isabelle, il ne douta pas un instant qu'il ne vînt pour la délivrer, et la crainte des suites que pourrait avoir pour lui sa résistance lui fit prendre le parti de capituler, comme nous l'avons déjà appris à nos lecteurs.
Lorsque le bruit des chevaux qui emmenaient Isabelle se fit entendre, son père tomba subitement. Le bandit qui l'attaquait prit aussitôt la fuite, et celui qui tenait le domestique en respect en fit autant. Celui-ci courut au secours de son maître, qu'il croyait tué ou mortellement blessé; mais, à son grand étonnement, il ne lui trouva pas même une égratignure. – Je ne suis pas blessé, Dixon, lui dit-il en se relevant; le pied m'a malheureusement glissé en pressant ce scélérat avec trop d'ardeur.
L'enlèvement de sa fille lui causa un désespoir qui, suivant l'expression de l'honnête Dixon, aurait attendri le coeur d'une pierre. Il se mit à la poursuite des ravisseurs, parcourut tous les détours du bois, et fit tant de recherches inutiles, qu'il se passa un temps assez considérable avant qu'il vînt donner l'alarme au château.
Sa conduite et ses discours annonçaient le désespoir et l'égarement. – Ne me parlez pas, sir Frédéric, dit-il au baronnet qui demandait des détails sur cet événement, vous n'êtes pas père, vous ne pouvez sentir ce que j'éprouve. C'est ma fille, fille peu soumise, à la vérité, mais enfin c'est ma fille, ma fille unique! Où est miss Ilderton? Elle ne doit pas être étrangère à cette aventure; c'est un de leurs complots. Dixon, appelle M. Ratcliffe, qu'il vienne sans perdre une seule minute.
Ce M. Ratcliffe entrait à l'instant même dans l'appartement.
– Courez donc, Dixon, continua Ellieslaw; dites-lui que j'ai besoin de le voir pour une affaire très urgente. – Ah! vous voilà, mon cher monsieur, lui dit-il comme s'il l'apercevait à l'instant; c'est de vous seul que j'attends de sages conseils dans cette malheureuse circonstance.
– Qu'est-il donc arrivé, monsieur, qui puisse vous agiter ainsi? dit M. Ratcliffe d'un air grave.
Tandis qu'Ellieslaw lui conte, avec détail et avec le ton et les gestes d'un homme désespéré, la rencontre qu'il venait de faire, nous allons faire connaître à nos lecteurs les relations qui existaient entre ces deux personnages.
Dès sa première jeunesse, M. Vere d'Ellicslaw avait mené une vie très dissipée. Une ambition démesurée et qui s'inquiétait peu des moyens à employer pour parvenir à son but avait marqué le milieu de sa carrière. Quoique d'un caractère naturellement avare et sordide, aucune dépense ne lui coûtait quand il s'agissait de satisfaire ses passions. Ses affaires se trouvaient déjà fort embarrassées, quand il fit un voyage en Angleterre. Il s'y maria, et le bruit se répandit que son épouse lui avait apporté une fortune considérable. Il passa plusieurs années dans ce pays, et, quand il revint en Écosse, il était veuf et accompagné de sa fille, alors âgée de dix ans. Depuis ce moment il s'était livré à des dépenses plus excessives que jamais, et l'on supposait généralement qu'il devait avoir contracté des dettes considérables.
Il n'y avait que quelques mois que M. Ratcliffe était venu résider au château d'Ellieslaw, du consentement tacite du maître du logis, mais évidemment à son grand déplaisir. Dès le moment de son arrivée, il exerça sur lui et sur la conduite de ses affaires une influence incompréhensible, mais indubitable. C'était un homme âgé d'environ soixante ans, d'un caractère grave, sérieux et réservé. Tous ceux à qui il avait occasion de parler d'affaires rendaient justice à l'étendue de ses connaissances. En toute autre occasion il parlait peu; mais quand il le faisait, il montrait un esprit actif et cultivé.
Avant de fixer sa résidence au château, il y avait fait des visites assez fréquentes. Ellieslaw, qui recevait toujours avec hauteur et dédain ceux qu'il regardait comme ses inférieurs, lui témoignait toujours les plus grands égards, et même de la déférence. Cependant son arrivée lui semblait toujours à charge, et il paraissait respirer plus librement après son départ. Il fut donc impossible Je ne pas remarquer le mécontentement avec lequel il le vit se fixer chez lui, et il montrait autant de contrainte en sa présence que de confiance en ses lumières. Ses affaires les plus importantes étaient réglées par M. Ratcliffe. Ellieslaw ne ressemblait pourtant pas à ces hommes riches, qui, trop indolents pour s'occuper de leurs affaires, se déchargent volontiers de ce soin sur un autre; mais on voyait en beaucoup d'occasions qu'il renonçait à son opinion pour adopter celle de M. Ratcliffe, que celui-ci exprimait toujours franchement et sans réserve.
Rien ne mortifiait plus M. Ellieslaw que de voir que des étrangers s'apercevaient de l'espèce d'empire que cet homme exerçait sur lui. Lorsque sir Frédéric ou quelque autre de ses amis lui en faisait l'observation, tantôt il leur répondait avec un ton de hauteur et d'indignation, tantôt il s'efforçait de tourner la chose en plaisanterie. – Ce Ratcliffe sait combien il m'est nécessaire, disait-il: sans lui, il me serait impossible de gérer mes affaires d'Angleterre; mais, au fond, c'est l'homme le plus instruit et le plus honnête qu'on puisse trouver.
Tel était le personnage à qui il racontait en ce moment les détails de l'enlèvement de miss Vere, et qui l'écoutait d'un air de surprise et d'incrédulité.
– Maintenant, mes amis, dit M. Ellieslaw, comme pour conclure, à sir Frédéric et aux autres personnes qui étaient présentes, donnez vos avis au plus malheureux des pères: que dois-je faire? quel parti prendre?
– Monter à cheval, prendre les armes, et poursuivre les ravisseurs jusqu'au fond des enfers, s'écria sir Frédéric. Partons sans perdre un instant.
– N'existe-t-il, dit froidement Ratcliffe, personne que vous puissiez soupçonner de ce crime inconcevable? Nous ne sommes plus dans le siècle où l'on enlevait les dames uniquement pour leur beauté.
– Je crains, répondit Ellieslaw, de ne savoir que trop qui je dois accuser de cet attentat. Lisez cette lettre, que miss Ilderton avait jugé convenable d'écrire chez moi à un jeune homme des environs nommé Earnscliff, celui de tous les hommes que j'ai le plus de droit d'appeler mon ennemi héréditaire; le hasard l'a fait tomber entre mes mains. Vous voyez qu'elle lui écrit comme confidente de la passion qu'il a osé concevoir pour ma fille, et qu'elle lui dit qu'elle plaide sa cause avec chaleur auprès de son amie. Faites attention aux passages soulignés, monsieur Ratcliffe, vous verrez que cette fille intrigante l'engage à recourir à des mesures hardies, et l'assure que ses sentiments seraient payés de retour partout ailleurs que dans les limites de la baronnie d'Ellieslaw.
– Et c'est, dit Ratcliffe, d'après une lettre écrite par une jeune fille romanesque, et qui n'a pas même été remise à sa destination, que vous concluez que M. Earnscliff a enlevé votre fille, et s'est porté à un acte de violence si inconsidéré, si criminel?
– Qui voulez-vous que j'en accuse? dit Ellieslaw.
– Qui pouvez-vous en soupçonner? s'écria sir Frédéric. Qui peut avoir eu un motif pour commettre un tel crime, si ce n'est lui?
– Si c'était là le meilleur moyen de trouver le coupable, dit M. Ratcliffe avec sang-froid, on pourrait indiquer des personnes à qui leur caractère permettrait plus facilement d'imputer une pareille action, et qui ont aussi des motifs suffisants pour l'avoir commise. – Ne pourrait-on pas, par exemple, supposer que quelqu'un ait jugé convenable de placer miss Vere dans un endroit où l'on puisse exercer sur ses inclinations un degré de contrainte auquel on n'oserait avoir recours dans le château de son père? – Que dit sir Frédéric Langley de cette supposition?
– Je dis, répliqua sir Frédéric furieux, que, s'il plaît à M. Ellieslaw de permettre à M. Ratcliffe des libertés qui ne conviennent pas au rang qu'il occupe dans la société, je ne souffrirai pas impunément qu'une telle licence s'étende jusqu'à moi.
– Et moi, s'écria le jeune Mareschal de Mareschal Wells, qui était aussi un des hôtes du château, je dis que vous êtes tous des fous et des enragés, de rester ici à vous disputer, tandis que nous devrions déjà être à la poursuite de ces scélérats.
– J'ai donné ordre de préparer des chevaux et des armes, dit Ellieslaw, et si vous le voulez nous allons partir.
On se mit en marche; mais toutes les recherches furent inutiles, probablement parce qu'Ellieslaw dirigea la poursuite du côté de la tour d'Earnscliff, dans la supposition qu'il était l'auteur de l'enlèvement, de manière qu'il se trouvait dans une direction diamétralement opposée à celle que les brigands avaient suivie. On rentra au château vers le soir après s'être inutilement fatigué. De nouveaux hôtes y étaient survenus, et, après avoir parlé de l'événement arrivé dans la matinée, on l'oublia pour se livrer à la discussion des affaires politiques qui étaient sur le point d'amener un moment de crise et d'explosion.
Plusieurs de ceux qui composaient ce divan étaient catholiques et tous des jacobites déclarés. Leurs espérances étaient en ce moment plus vives que jamais. On s'attendait tous les jours à une descente que la France devait faire en faveur du prétendant, et un grand nombre d'Écossais étaient disposés à accueillir les Français plutôt qu'à leur résister. Ratcliffe, qui ne se souciait guère de prendre part à ce genre de discussion, et qui n'y était jamais invité, s'était retiré dans son appartement, et miss Ilderton avait été confinée dans le sien par ordre de M. Ellieslaw, jusqu'à ce qu'il pût la faire reconduire chez son père, qui arriva le lendemain matin.
Les domestiques ne pouvaient s'empêcher d'être surpris de voir qu'on oubliât si facilement le malheur de leur jeune maîtresse. Ils ignoraient que ceux qui étaient le plus intéressés à sa destinée connaissaient fort bien et la cause de son enlèvement et le lieu de sa retraite; et que les autres, au moment où une conspiration était sur le point d'éclater, n'avaient l'imagination occupée que des moyens de la faire réussir.
CHAPITRE XII
«On la cherche partout. Ne pourriez-vous nous dire,
«Ami, par quel chemin on a pu la conduire?»
Le lendemain, peut-être pour sauver les apparences, on se mit de nouveau à la recherche des ravisseurs de miss Isabelle, mais sans plus de succès que la veille; et l'on reprit, sur le soir, le chemin du château d'Ellieslaw.
– Il est bien singulier, dit Mareschal à Ratcliffe, que quatre hommes à cheval, emmenant une femme, aient pu traverser le pays sans laisser aucune trace de leur passage, sans que personne les ait vus ni rencontrés. On croirait qu'ils ont voyagé par air, ou sous quelque voûte souterraine.
– On arrive quelquefois à la connaissance de ce qui est, dit M. Ratcliffe, en découvrant ce qui n'est pas. Nous avons battu la campagne, parcouru toutes les routes, tous les sentiers qui avoisinent le château. Il n'y a qu'un seul point que, nous n'ayons pas visité, c'est un mauvais chemin à travers les marais, et qui conduit à Westburnflat.
– Et pourquoi n'y pas aller?
– M. Vere répondrait mieux que moi à cette question, dit sèchement M. Ratcliffe.
Mareschal se tournant aussitôt vers Ellieslaw: – Monsieur, lui dit-il, on m'assure qu'il y a encore un passage que nous n'avons pas examiné, celui qui conduit à Westburnflat.
– Oh! dit sir Frédéric en riant, je connais parfaitement le propriétaire de la tour de Westburnflat. C'est un homme qui ne fait pas une grande différence entre ce qui est à lui et ce qui appartient à ses voisins; mais très fidèle à ses principes d'ailleurs, il se garderait bien de toucher à rien de ce qui appartient à Ellieslaw.
– D'ailleurs, dit Ellieslaw en souriant mystérieusement, il a eu bien d'autre fil à retordre la nuit dernière. N'avez-vous pas entendu dire qu'on a brûlé la ferme d'Hobby Elliot d'Heugh-Foot, parce qu'il a refusé de livrer ses armes à quelques braves gens qui veulent faire un mouvement en faveur du roi?
Toute la compagnie sourit en entendant parler d'un exploit qui cadrait si bien avec ses vues.
– Je crois que nous aurions à nous reprocher une négligence coupable, dit Mareschal, si nous ne faisions pas quelques recherches de ce côté.
On ne pouvait faire aucune objection raisonnable à cette proposition, et l'on marcha vers Westburnflat.
A peine avaient-ils pris cette direction, qu'ils aperçurent quelques cavaliers qui s'avançaient vers eux.
– Voici Earncliff, dit Mareschal, je reconnais son beau cheval bai, qui a une étoile sur le front.
– Ma fille est avec lui, s'écria Ellieslaw avec fureur. – Hé bien! messieurs, mes soupçons étaient-ils justes! Messieurs, mes amis, aidez-moi à l'arracher des mains de ce ravisseur.
Il tira son épée; sir Frédéric en fit autant, et quelques-uns de leurs amis les imitèrent; mais le plus grand nombre hésitait.
– Un instant! s'écria Mareschal Wells en se jetant devant eux. Vous voyez qu'ils avancent paisiblement, qu'ils ne cherchent pas à nous éviter, attendons qu'ils nous donnent quelques détails sur cette affaire mystérieuse. Si miss Vere a souffert la moindre insulte, si Earnscliff l'a véritablement enlevée, croyez que je serai le premier à la venger.
– Vos doutes me blessent, Mareschal, dit Ellieslaw, vous êtes le dernier de qui j'aurais attendu un tel discours.
– Vous vous faites tort à vous-même par votre violence, Ellieslaw, quoique la cause puisse vous rendre excusable.
A ces mots Mareschal s'avança à la tête de la troupe, et d'un son de voix éclatant il s'écria: – Monsieur Earnscliff, on vous accuse d'avoir enlevé la dame que vous accompagnez, et nous sommes ici pour la venger et pour punir ceux qui ont osé l'injurier.
– Et qui le ferait plus volontiers que moi, monsieur Mareschal, répondit Earnscliff avec hauteur; moi qui ai eu le bonheur de la délivrer ce matin de la prison où on la retenait, et qui la reconduisais en ce moment chez son père?
– La chose est-elle ainsi, miss Vere? dit Mareschal.
– Oui, vraiment, répondit aussitôt Isabelle; j'ai été enlevée par des misérables dont je ne connais ni la personne ni les intentions, et, j'ai été remise en liberté, grâce à l'intervention de monsieur Earnscliff et de ces braves gens.
– Mais par qui et pourquoi cet enlèvement a-t-il été fait? s'écria Mareschal: ne connaissez-vous pas l'endroit où l'on vous a conduite? Earnscliff, où avez-vous trouvé miss Vere?
Avant qu'on eût pu répondre à aucune de ces questions, Ellieslaw survint, et rompit la conférence.
– Quand je connaîtrai parfaitement, dit-il, toute l'étendue de mes obligations envers monsieur Earnscliff, il peut compter sur une reconnaissance proportionnée. En attendant, je le remercie d'avoir remis ma fille entre les mains de son protecteur naturel.
Et en même temps il saisit la bride du cheval d'Isabelle, fit une légère inclination de tête à Earnscliff, et reprit avec sa fille le chemin de son château. Il s'écarta du reste de la compagnie, parut engagé dans une conversation très vive avec Isabelle; et ses amis, voyant qu'il semblait désirer être seul avec elle, ne les interrompirent pas jusqu'à leur arrivée.
A l'instant où les amis de M. Ellieslaw saluaient Earnscliff pour se retirer, celui-ci, peu satisfait de la conduite du père d'Isabelle, s'écria: – Messieurs, quoique ma conscience me rende le témoignage que rien dans ma conduite ne peut donner lieu à un tel soupçon, je m'aperçois que M. Ellieslaw paraît croire que j'ai eu quelque part à l'enlèvement de sa fille; faites attention, je vous prie, que je le nie formellement; et quoique je puisse pardonner à l'égarement d'un père dans un pareil moment, si quelqu'un de vous, ajouta-t-il en fixant les yeux sur sir Frédéric Langley, pense que mon désaveu, l'assertion de miss Vere et le témoignage de mes amis ne suffisent pas pour ma justification, je serai heureux, très heureux de pouvoir me disculper par tous les moyens qui conviennent à un homme qui tient à son honneur plus qu'à sa vie.
– Et je lui servirai de second, s'écria Simon d'Hackburn: ainsi qu'il s'en présente deux de vous, gentilshommes ou non, je m'en moque.
– Quel est, dit sir Frédéric, ce manant qui prétend se mêler des querelles de ses supérieurs?
– C'est un manant qui ne doit rien à personne, répliqua Simon, et qui ne reconnaît pour supérieurs que son roi et le laird sur les terres duquel il vit.
– Allons, messieurs, allons, dit Mareschal, point de querelles, de grâce! Monsieur Earnscliff, nous n'avons pas la même façon de penser sur tous les points; nous pouvons nous trouver opposés, même ennemis: mais si la fortune le veut ainsi, je suis persuadé que nous n'en conserverons pas moins les égards et l'estime que nous nous devons mutuellement. Je suis convaincu que vous êtes aussi innocent de l'enlèvement de ma cousine que je le suis moi-même, et dès qu'Ellieslaw sera remis de l'agitation bien naturelle que cet événement lui a occasionnée, il s'empressera de reconnaître le service important que vous lui avez rendu.
– J'ai trouvé ma récompense dans le plaisir d'être utile à votre cousine, dit Earnscliff; mais je vois que votre compagnie est déjà dans l'allée du château d'Ellieslaw. – Saluant alors Mareschal avec politesse, et ses compagnons d'un air d'indifférence, il prit la route qui conduisait à Heugh-Foot, voulant se concerter avec hobby sur les moyens à employer pour découvrir Grâce Armstrong, ne sachant pas qu'elle lui eût déjà été rendue.
– C'est, sur mon âme, un brave et aimable jeune homme, dit Mareschal à ses compagnons; j'étais presque de sa force à la balle quand nous étions au collège, et nous aurons peut-être bientôt l'occasion de nous mesurer à un jeu plus sérieux.
– Je crois, dit sir Frédéric, que nous avons eu grand tort de ne pas le désarmer ainsi que ses compagnons. Vous verrez qu'il sera un des chefs du parti Whig.
– Pouvez-vous parler ainsi, sir Frédéric? s'écria Mareschal; croyez-vous qu'Ellieslaw pût consentir à ce qu'on fît un pareil outrage, sur, ses terres, à un homme qui s'y présente pour lui ramener sa fille? Et, quand il y consentirait, pensez-vous que moi, que ces messieurs, nous voudrions nous déshonorer, en restant spectateurs tranquilles d'une telle indignité? Non, non. La vieille Écosse et la loyauté! voilà mon cri de ralliement. Quand l'épée sera tirée, je sais comment il faut s'en servir; mais, tant qu'elle reste dans le fourreau, nous devons nous conduire en gentilshommes et en bons voisins.
Ils arrivèrent enfin au château. Ellieslaw y était depuis quelques instants, et les attendait dans la cour.
– Comment se trouve miss Vere? s'écria vivement M. Mareschal; vous a-t-elle donné des détails sur son enlèvement.
– Elle s'est retirée dans son appartement très fatiguée. Je ne puis attendre d'elle beaucoup de lumière sur cette aventure, avant que le repos ait rétabli le calme dans son esprit. Je ne vous en suis pas moins obligé, mon cher Mareschal, ainsi qu'à Mes autres amis, de l'intérêt que vous voulez bien y prendre. Mais, dans ce moment, je dois oublier que je suis père, pour me souvenir que je suis citoyen. Vous savez que c'est aujourd'hui que nous devons prendre un parti décisif. Le temps s'écoule, nos amis arrivent; j'attends, non seulement les principaux chefs, mais même ceux que nous sommes obligés d'employer en sous-ordre. Nous n'avons plus que quelques instants pour achever nos préparatifs. Voyez ces lettres, Marchie (c'était l'abréviation familière du nom de Mareschal, et par laquelle ses amis le désignaient). Dans le Lothian, dans tout l'ouest, on n'attend que le signal. Les blés sont mûrs, il ne s'agit plus que de réunir les moissonneurs.
– De tout mon coeur! dit Mareschal, mettons-nous vite à l'ouvrage.
Sir Frédéric restait sérieux et déconcerté.
– Voulez-vous me suivre à l'écart un instant? dit Ellieslaw au sombre baronnet. J'ai à vous apprendre une nouvelle qui vous fera plaisir.
Il l'emmena dans son cabinet; chacun se dispersa, et Mareschal se trouva seul avec Ratcliffe.
– Ainsi donc, lui dit celui-ci, les gens qui partagent vos opinions politiques croient la chute du gouvernement si certaine, qu'ils ne daignent plus couvrir leurs manoeuvres du voile du mystère?
– Ma foi, monsieur ratcliffe, il se peut que les sentiments et les actions de vos amis aient besoin de se couvrir d'un voile. Quant à moi, j'aime que ma conduite soit au grand jour.
– Et se peut-il que vous qui, malgré votre caractère ardent et irréfléchi (pardon, monsieur Mareschal, mais je suis un homme franc), vous qui, malgré ces défauts naturels, possédez du bon sens et de l'instruction, vous soyez assez insensé pour vous engager dans une telle entreprise? Comment se trouve votre tête, quand vous assistez à ces conférences dangereuses?
– Pas aussi assurée sur mes épaules que s'il s'agissait d'une partie de chasse. Je n'ai pas tout-à-fait le sang-froid de mon cousin Ellieslaw, qui parle d'une conspiration comme d'un bal, et qui perd et retrouve une fille charmante avec plus d'indifférence que moi si je perdais et retrouvais un chien de chasse. Je ne suis pas assez aveugle, et je n'ai pas contre le gouvernement une haine assez invétérée pour ne pas voir tout le danger de notre entreprise.
– Pourquoi donc vouloir vous y exposer?
– Pourquoi? c'est que j'aime ce pauvre roi détrôné de tout mon coeur, c'est que mon père a combattu à Killicankie (Sous le vicomte de Dundee, en faveur des Stuarts); c'est que je meurs d'envie de voir punir les coquins de courtisans qui ont vendu la liberté de l'Écosse, dont la couronne a été si long-temps indépendante.
– Et pour courir après de telles chimères, vous allez allumer une guerre civile, et vous plonger vous-même dans de cruels embarras?
– Oh! je ne réfléchis pas trop sur tout cela; et, quoi qu'il puisse arriver, mieux vaut aujourd'hui que demain, demain que dans un mois. – Oh! je sais bien qu'il en faudra finir par là; – plus tôt que plus tard! L'événement ne me trouvera jamais plus jeune, comme disent nos Ecossais; et, quant à la potence, comme dit aussi Falstaff, j'y figurerai tout aussi bien qu'un autre. Vous savez la finale de la vieille ballade:
Notre homme s'en fut gaîment
Subir sa sentence,
Qu'on le vit danser, en chantant,
Sous la potence.
– J'en suis fâché pour vous, monsieur Mareschal, lui dit son grave conseiller.
– Je vous en suis bien obligé, monsieur Ratcliffe; mais ne jugez pas de l'entreprise par mes folies. Il y a des têtes plus sages que la mienne qui s'en mêlent.
– Ces têtes-là peuvent fort bien n'être pas plus solides sur leurs épaules, reprit M. Ratcliffe avec le ton d'un ami qui conseille la prudence.
– Peut-être: mais vive la joie! et, de peur de me laisser aller à la mélancolie avec vous, adieu jusqu'au dîner, monsieur Ratcliffe; vous verrez que la peur ne m'ôte pas l'appétit.