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Kitabı oku: «Coriolan», sayfa 6

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SCÈNE II

Appartement de la maison de Coriolan
CORIOLAN entre accompagné de PATRICIENS

CORIOLAN. – Quand ils renverseraient tout autour de moi, quand ils me présenteraient la mort sur la roue, ou à la queue de chevaux indomptés; quand ils entasseraient dix collines encore sur la roche Tarpéienne, afin que l'oeil ne pût atteindre de la cime la profondeur du précipice, non, je ne changerais pas de conduite avec eux.

(Volumnie paraît.)

UN PATRICIEN. – Vous prenez le parti le plus noble.

CORIOLAN. – Je vois avec étonnement que ma mère commence à ne me plus approuver; elle, qui avait coutume de les appeler des bêtes à laine, des êtres créés pour être vendus et achetés à vil prix, pour venir montrer leurs têtes nues dans les assemblées, et rester, la bouche béante, dans le silence de l'admiration, lorsqu'un homme de mon rang se levait pour discuter la paix ou la guerre! – Je parle de vous, ma mère: pourquoi me souhaiteriez-vous plus de douceur? Voudriez-vous donc que je mentisse à ma nature. Mieux vaut que je me montre tel que je suis.

VOLUMNIE. – O Coriolan, Coriolan, j'aurais voulu vous voir consolider votre pouvoir avant de le perdre à jamais.

CORIOLAN. – Qu'il devienne ce qu'il pourra.

VOLUMNIE. – Vous auriez pu être assez vous-même, tout en faisant moins d'efforts pour paraître tel. Votre caractère aurait trouvé bien moins d'obstacles, si vous aviez dissimulé jusqu'à ce qu'ils fussent hors d'état de vous contrarier.

CORIOLAN. – Qu'ils aillent se faire pendre.

VOLUMNIE. – Et que le feu les dévore.

(Ménénius arrive, accompagné d'une troupe de sénateurs.)

MÉNÉNIUS. – Allons, allons, vous avez été trop brusque, un peu trop brusque. Il faut revenir devant le peuple, et réparer cela.

LES SÉNATEURS. – Il n'y a point d'autre remède, si vous ne voulez pas voir notre belle Rome se fendre par le milieu et s'écrouler.

VOLUMNIE. – Je vous prie, mon fils, acceptez ce conseil: je porte un coeur qui n'est pas plus souple que le vôtre; mais j'ai une tête qui sait faire meilleur usage de la colère.

MÉNÉNIUS. – Bien parlé, noble dame. Moi, plutôt que de le voir s'abaisser à ce point devant la multitude, si la crise violente de ces temps ne l'exigeait pas, comme le seul remède qui puisse sauver l'Etat, on me verrait encore endosser mon armure, qu'à peine à présent je puis porter.

CORIOLAN. – Que faut-il faire?

MÉNÉNIUS. – Retourner vers les tribuns.

CORIOLAN. – Et ensuite?

MÉNÉNIUS. – Rétracter ce que vous avez dit.

CORIOLAN. – Pour eux? Je ne pourrais pas le faire pour les dieux mêmes; et il faut que je le fasse pour les tribuns?

VOLUMNIE. – Vous êtes trop absolu, quoique vous ne puissiez jamais avoir trop de cette noble fierté, sauf quand la nécessité parle…Je vous ai ouï dire que l'honneur et la politique, comme deux amis inséparables, marchaient de compagnie à la guerre. Eh bien! dites-moi quel tort l'un fait à l'autre dans la paix, pour qu'ils ne s'y trouvent pas également unis?

CORIOLAN. – Assez, assez.

MÉNÉNIUS. – La question est raisonnable.

VOLUMNIE. – Si l'honneur vous permet, à la guerre, de paraître ce que vous n'êtes pas (principe utile que vous adoptez pour règle de votre conduite), pourquoi serait-il moins raisonnable ou moins honnête que la politique fût, dans la paix, la compagne de l'honneur, puisque, à la guerre, ils sont également indispensables?

CORIOLAN. – Pourquoi me pressez-vous par vos raisonnements?

VOLUMNIE. – Parce qu'il s'agit de parler au peuple, non pas d'après votre opinion personnelle, ni en obéissant à la voix de votre coeur, mais avec des mots que votre langue seule assemblera, syllabes bâtardes que votre âme véridique désavouera. Non, il n'y a pas à cela plus de déshonneur pour vous qu'à prendre une ville avec de douces paroles, lorsque tout autre moyen mettrait votre fortune en péril et coûterait beaucoup de sang. Moi, je dissimulerais avec mon caractère naturel, lorsque mes intérêts et mes amis en danger exigeraient de mon honneur que je le fisse: et en cela, je pense comme pensent votre épouse, votre fils, ces sénateurs et toute cette noblesse. – Mais vous, vous aimerez mieux montrer à notre populace un front menaçant que de lui accorder une seule caresse pour gagner son amour, et prévenir des événements qui peuvent tout perdre.

MÉNÉNIUS. – Noble dame, joignez-vous à nous; continuez de parler avec cette sagesse; vous pourrez réussir non-seulement à prévenir les dangers présents, mais même à réparer les malheurs du passé.

VOLUMNIE. – Je t'en conjure, ô mon fils, va reparaître devant eux, ton bonnet à la main; et de loin salue ainsi la foule (suppose qu'elle est là devant toi); puis, mettant un genou sur les pierres (car en pareille circonstance l'action est pleine d'éloquence et les yeux des ignorants sont plus savants que leurs oreilles), fais à plusieurs reprises un geste repentant, qui corrige et démente ton coeur inflexible, devenu tout à coup humble et docile comme le fruit mûr qui cède à la main qui le touche; ou bien, dis-leur que tu es leur guerrier, et qu'ayant été élevé au milieu des combats, tu n'as pas l'usage de ces douces manières que tu devrais avoir et qu'ils pourraient exiger, lorsque tu viens demander leurs bonnes grâces; mais qu'à l'avenir tu seras leur ami autant qu'il dépendra de toi.

MÉNÉNIUS. – Faites ce qu'elle dit, et tous les coeurs sont à vous; car ils sont aussi prompts à pardonner, dès qu'on les implore, qu'ils le sont à proférer des injures sur le plus léger prétexte.

VOLUMNIE. – Je t'en conjure, va, et sois docile; quoique je sache bien que tu aimerais mieux descendre avec ton ennemi dans un gouffre enflammé que de le flatter dans un riant bosquet… (Cominius entre.) Voilà Cominius.

(Cominius entre.)

COMINIUS. – Je viens de la place publique; et il faut vous appuyer d'un parti puissant, ou chercher vous-même votre sûreté dans la plus grande modération ou dans l'absence. Tout le peuple est en fureur.

MÉNÉNIUS. – Seulement quelques paroles de conciliation…

COMINIUS. – Je crois qu'elles les apaiseraient, si Coriolan peut y plier sa fierté.

VOLUMNIE. – II le faut, et il le voudra. Je te prie, mon fils, dis que tu y consens, et va l'exécuter.

CORIOLAN. – Faut-il donc que j'aille leur montrer mes cheveux en désordre? Faut-il que ma langue donne bassement à mon noble coeur un démenti qu'il lui faudra endurer? Eh bien! soit; je le ferai. Cependant, s'il n'y avait rien de plus à sacrifier que ce corps de Marcius, j'aimerais mieux qu'ils le missent en poussière, et qu'ils la jetassent aux vents. – Au forum! Vous m'avez chargé là d'un rôle que je ne remplirai jamais au naturel.

COMINIUS. – Allons, allons; nous vous aiderons.

VOLUMNIE. – Je t'en conjure, mon cher fils. Tu as dit que mes louanges t'avaient fait guerrier: eh bien! pour obtenir encore de moi d'autres louanges, joue un rôle que tu n'as pas encore rempli.

CORIOLAN. – Eh bien, soit! – Sors de mon sein, mon inclination naturelle, et cède la place à l'esprit d'une courtisane. Que ma voix mâle et guerrière, qui faisait choeur avec les clairons, devienne grêle comme le fausset de l'eunuque, ou comme la voix d'une jeune fille qui endort un enfant au berceau; que le sourire des fourbes sillonne mes joues, et que les pleurs d'un jeune écolier obscurcissent mes yeux; que la langue suppliante d'un mendiant se meuve entre mes lèvres, et que mes genoux, couverts de fer, qui n'ont jamais fléchi que sur mon étrier, se prosternent aussi bas que ceux du misérable qui a reçu l'aumône. – Je ne le ferai point, ou bien j'abjurerais ma fidélité à l'honneur, et, par les mouvements Et les attitudes de mon corps, j'enseignerais à mon âme la plus infâme lâcheté.

VOLUMNIE. – Eh bien! à ton choix. Il est plus déshonorant pour ta mère de te supplier qu'il ne l'est pour toi de supplier le peuple. Que tout tombe en ruine: ta mère aime mieux essuyer un refus de ton orgueil que de redouter sans cesse ta dangereuse inflexibilité; car je brave la mort d'un coeur aussi fier que le tien. Fais ce qu'il te plaira. Ta valeur vient de moi, tu l'as sucée avec mon lait: mais tu ne dois ton orgueil qu'à toi-même.

CORIOLAN. – Je vous prie, calmez-vous, ma mère: je vais aller à la place publique; ne me grondez plus. Oui, j'irai, monté sur des tréteaux, marchander leur amitié, séduire leurs coeurs par des flatteries, et je reviendrai chez vous, chéri de tous les ateliers de Rome. Vous me voyez partir: parlez de moi à ma femme. Ou je reviendrai consul, ou ne vous fiez plus désormais à mon talent dans l'art de la flatterie.

VOLUMNIE. – Fais à ta guise.

(Elle sort.)

COMINIUS. – Venez, les tribuns vous attendent. Armez-vous de modération pour répondre avec douceur; car, d'après ce que j'ai ouï dire, ils préparent contre vous des accusations plus graves que celles dont ils vous ont déjà chargé.

CORIOLAN. – Avec douceur, avez-vous dit? Marchons, je vous prie: qu'ils m'accusent avec l'art de la fraude; moi, je répondrai dans toute la franchise de l'honneur.

COMINIUS. – Oui, mais avec douceur.

CORIOLAN. – A la bonne heure; avec douceur donc: allons, oui, avec douceur.

(Ils sortent.)

SCÈNE III

La place publique
SICINIUS ET BRUTUS

BRUTUS. – Accusez-le surtout d'aspirer à la tyrannie. S'il nous échappe de ce côté, reprochez-lui sa haine contre le peuple; ajoutez que les dépouilles conquises sur les Antiates n'ont jamais été distribuées. (Un édile paraît.) Eh bien! viendra-t-il?

L'ÉDILE. – Il vient.

BRUTUS. – Qui l'accompagne?

L'ÉDILE. – Le vieux Ménénius et les sénateurs qui l'ont toujours appuyé de leur crédit.

SICINIUS. – Avez-vous une liste de tous les suffrages dont nous nous sommes assurés, rangés par ordre?

L'ÉDILE. – Oui, elle est prête; la voici.

SICINIUS. – Les avez-vous classés par tribus?

L'ÉDILE. – Je l'ai fait.

SICINIUS. – A présent, assemblez le peuple sur cette place; et lorsqu'ils m'entendront dire: Il est ainsi ordonné par les droits et l'autorité du peuple; soit qu'il s'agisse de la mort, de l'amende ou de l'exil: si je dis, l'amende, qu'ils s'écrient: l'amende; si je dis la mort, qu'ils répètent: la mort, en insistant sur leurs anciens privilèges et sur le pouvoir qu'ils ont de décider la cause.

L'ÉDILE. – Je le leur ferai savoir.

BRUTUS. – Et dès qu'ils auront commencé leurs clameurs, qu'ils ne cessent plus, jusqu'à ce que le bruit confus de leurs voix presse l'exécution de la sentence que les circonstances nous auront fait décréter.

L'ÉDILE. – Fort bien!

SICINIUS. – Disposez-les à être bien déterminés, et prêts à nous soutenir dès que nous aurons lâché le mot.

BRUTUS. – Allez et veillez à tout cela. (L'édile sort. —A Sicinius.) Commencez par irriter sa colère: il est accoutumé à l'emporter partout, et à faire triompher son opinion sans contradiction. Une fois qu'il est courroucé, rien ne peut le ramener à la modération: alors il exhale tout ce qui est dans son coeur; et ce qui est dans son coeur est de concert avec nous pour opérer sa ruine.

(Coriolan arrive, accompagné de Ménénius, de Cominius et d'autres sénateurs.)

SICINIUS. – Bon! le voici qui vient.

MÉNÉNIUS, à Coriolan, – De la modération, je vous en conjure.

CORIOLAN. – Oui, comme un hôtellier, qui, pour la plus vile pièce d'argent, se laissera traiter de fripon tant qu'on voudra. – Que les respectables dieux conservent Rome en sûreté; qu'ils placent sur les sièges de la justice des hommes de bien; qu'ils entretiennent l'amour parmi nous; qu'il remplissent nos vastes temples des spectacles pompeux de la paix, et non pas nos rues des horreurs de la guerre.

PREMIER SÉNATEUR. – Ainsi soit-il!

MÉNÉNIUS. – Noble souhait!

(L'édile parait, suivi des plébéiens.)

SICINIUS. – Peuple, avancez, approchez.

L'ÉDILE. – Prêtez l'oreille à la voix de vos tribuns: écoutez-les; silence! vous dis-je.

CORIOLAN. – Laissez-moi parler le premier.

LES DEUX TRIBUNS. – Eh bien! soit, parlez: holà! silence!

CORIOLAN. – Est-il bien sûr qu'après ceci, je ne serai plus accusé? Tout se terminera-t-il ici?

SICINIUS. – Je vous demande, moi, si vous vous soumettez aux suffrages du peuple, si vous reconnaissez ses officiers, et si vous consentez à subir une légitime censure, pour toutes les fautes dont vous serez reconnu coupable.

CORIOLAN. – J'y consens.

MÉNÉNIUS. – Voyez, citoyens; il dit qu'il consent. Considérez quels services militaires il a rendus; souvenez-vous des blessures dont son corps est couvert, comme un cimetière hérissé de tombeaux.

CORIOLAN. – Quelques égratignures de buissons, quelques cicatrices pour rire.

MÉNÉNIUS. – Souvenez-vous encore, que s'il ne parle pas comme un habitant des cités, il se montre à vous comme un soldat. Ne prenez pas pour de la méchanceté la rudesse de son langage: elle convient à un soldat, mais il ne vous veut aucun mal.

COMINIUS. – Fort bien! fort bien! en voilà assez.

CORIOLAN. – Quelle est la raison pour laquelle, quand je suis nommé consul par tous les suffrages, on me fait l'affront de m'ôter le consulat l'heure d'après?

SICINIUS. – Répondez-nous.

CORIOLAN. – Parlez donc: oui, vous avez raison, je dois vous répondre.

SICINIUS. – Nous vous accusons d'avoir travaillé sourdement à dépouiller Rome de toutes ses magistratures établies, et d'avoir marché par des voies détournées à la tyrannie; en quoi vous êtes un traître au peuple.

CORIOLAN. – Comment! moi, traître?

MÉNÉNIUS. – Allons! de la modération; votre promesse…

CORIOLAN. – Que les flammes des gouffres les plus profonds de l'enfer enveloppent le peuple! M'appeler traître au peuple! Toi, insolent tribun, quand tes yeux, tes mains et ta langue pourraient lancer à la fois contre moi chacun dix mille traits, dix mille morts, je te dirais que tu mens, oui, en face, et d'une voix aussi libre, aussi sincère que lorsque je prie les dieux.

SICINIUS. – Peuple, l'entendez-vous?

TOUT LE PEUPLE. – À la roche Tarpéienne! À la roche Tarpéienne!

SICINIUS – Silence. – Nous n'avons pas besoin d'intenter contre lui d'autres accusations: ce que vous lui avez vu faire et entendu dire, son insolence à frapper vos magistrats, à vous charger d'imprécations, à résister à vos lois par la violence, et à braver ici même l'assemblée, dont la respectable autorité doit juger son procès; tous ces attentats sont d'un genre si criminel, si capital, qu'ils méritent le dernier supplice.

BRUTUS. – Mais en considération des services utiles qu'il a rendus à Rome…

CORIOLAN. – Que parlez-vous de services?..

BRUTUS. – Je parle de ce que je sais.

CORIOLAN. – Vous?

MÉNÉNIUS. – Est-ce-là la promesse que vous avez faite à votre mère?

COMINIUS. – Je vous en prie souvenez-vous…

CORIOLAN, en fureur. – Je ne me souviens plus de rien. Qu'ils me condamnent à mourir précipité du mont Tarpéien, ou à errer dans l'exil, ou à languir enfermé avec un grain de nourriture par jour, je n'achèterais pas leur merci au prix d'un seul mot de complaisance; je n'abaisserais pas ma fierté pour tout ce qu'ils pourraient me donner, non, quand, pour l'obtenir, il ne faudrait que leur dire bonjour.

SICINIUS. – Pour avoir en différentes occasions, et autant qu'il a été en lui, fait éclater sa haine contre le peuple, cherchant les moyens de le dépouiller de son autorité; pour avoir tout récemment outragé le tribunal auguste de la justice; et cela en frappant, en sa présence, les ministres qui la distribuent: au nom du peuple, et en vertu du pouvoir que nous avons en qualité de tribuns, nous le bannissons à l'instant même, et le condamnons à ne jamais rentrer dans les portes de Rome, sous peine d'être précipité de la roche Tarpéienne; au nom du peuple, je déclare que ce jugement sera exécuté.

TOUT LE PEUPLE. – Il le sera, il le sera. Qu'il sorte de Rome; il est banni; c'est décidé.

COMINIUS. – Daignez m'entendre, mes dignes citoyens, mes amis.

SICINIUS. – Il est jugé: il n'y a plus rien à entendre.

COMINIUS. – Laissez-moi parler. J'ai été consul, et je puis montrer sur moi les marques des blessures que j'ai reçues pour Rome de la main de ses ennemis. J'aime le bien de mon pays d'un amour plus tendre, plus respectueux et plus sacré que celui dont j'aime ma vie, l'honneur de ma femme, sa fécondité et les fruits précieux de ses entrailles et de mon sang. – Eh bien! si je vous disais que…

SICINIUS. – Nous vous voyons venir. – Que direz-vous?

BRUTUS. – Il n'y a plus rien à dire: il est banni comme ennemi du peuple et de sa patrie; cela sera.

TOUS. – Cela sera, cela sera.

CORIOLAN. – Vile meute de chiens, dont j'abhorre le souffle comme la vapeur empestée d'un marécage, et dont j'estime les faveurs comme ces cadavres privés de sépulture qui infectent l'air, je vous bannis et vous condamne à rester dans cette enceinte en proie à votre inquiète inconstance. Qu'à chaque instant de vaines rumeurs troublent vos coeurs! que vos ennemis, par le seul mouvement de leurs panaches, vous plongent dans le désespoir! Conservez toujours le pouvoir de bannir vos défenseurs, jusqu'à ce qu'à la fin votre aveugle stupidité, qui ne voit les maux que lorsqu'elle les sent, vous livre, comme les captifs les plus avilis, à quelque nation qui s'empare de vous sans coup férir. – Ainsi, dédaignant, à cause de vous, ma patrie, je lui tourne le dos. Il y a un monde ailleurs.

(Coriolan sort avec Cominius et les patriciens.)

L'ÉDILE. – L'ennemi du peuple est parti, il est parti.

TOUT LE PEUPLE. – Notre ennemi est banni; il est parti. Hoé! hoé!..

(Les gens du peuple poursuivent Coriolan de leurs huées, en jetant leurs bonnets en l'air.)

SICINIUS. – Allez, poursuivez-le jusqu'à ce qu'il soit hors des portes; suivez-le comme il vous a suivis: outragez-le, accablez-le des humiliations qu'il mérite. – Donnez-nous une escorte, qui nous accompagne dans les rues de Rome.

TOUT LE PEUPLE. – Allons, allons le voir sortir des portes de Rome. Que les dieux conservent nos dignes tribuns! Allons.

(Ils sortent.)
FIN DU TROISIÈME ACTE

ACTE QUATRIÈME

SCÈNE I

La scène est près d'une porte de Rome
CORIOLAN paraît avec VOLUMNIE, VIRGILIE, MÉNÉNIUS, COMINIUS, et plusieurs jeunes patriciens

CORIOLAN. – Allons, arrêtez vos larmes: abrégeons nos adieux: le monstre aux mille têtes me pousse hors de Rome. Quoi, ma mère! où est votre ancien courage? Vous aviez coutume de me dire que l'adversité est l'épreuve des âmes; que les hommes vulgaires peuvent supporter de vulgaires infortunes; que par une mer calme, tous les pilotes paraissent maîtres dans l'art de manoeuvrer; mais que les coups de la fortune, quand elle frappe au coeur, pour être supportés avec calme, demandent une noble adresse. Vous ne vous lassiez point de nourrir mon âme de principes faits pour la rendre invincible.

VIRGILIE. – Ciel, ô Ciel!

CORIOLAN. – Femme, je te conjure…

VOLUMNIE. – Que la peste se répande dans tous les ateliers de Rome, et que tous les artisans périssent!

CORIOLAN. – Quoi! ils vont m'aimer dès qu'ils m'auront perdu. Allons, ma mère; rappelez le courage qui vous inspirait lorsque vous me disiez que, si vous eussiez été l'épouse d'Hercule, vous vous seriez chargée de six de ses travaux, pour épargner à votre époux la moitié de ses fatigues. – Cominius, ne vous laissez pas abattre; adieu. – Adieu, ma femme, adieu. Ma mère, adieu; consolez-vous: je me tirerai d'affaire. – Toi, bon vieillard, fidèle Ménénius, tes larmes sont plus amères que celles d'un jeune homme; elles blessent tes yeux. – Toi, jadis mon général, je t'ai connu dans la guerre un visage impassible; et tu as tant vu de ces spectacles qui endurcissent le coeur! Dis à ces femmes éplorées qu'il y a autant de folie à gémir qu'à rire d'un revers inévitable. – Ma mère, vous savez bien que les hasards de ma vie ont toujours fait votre joie; croyez-moi (bien que je m'en aille seul, comme un dragon solitaire qui rend son repaire redoutable, et dont chacun parle, quoique peu d'hommes l'aient vu), votre fils ou surpassera les renommées vulgaires, ou tombera dans les pièges de la ruse et de la perfidie.

VOLUMNIE. – Mon noble fils, où veux-tu aller? Permets que le digne Cominius t'accompagne quelque temps; arrête avec lui un plan et une marche certaine, plutôt que d'aller errant t'exposer à tous les hasards qui surgiront sous tes pas.

CORIOLAN. – O dieux!

COMINIUS. – Je t'accompagnerai pendant un mois; nous raisonnerons ensemble sur le lieu où tu dois fixer ton séjour, afin que tu puisses recevoir de nos nouvelles, et nous des tiennes. Alors, si le temps amène un événement qui prépare ton rappel, nous n'aurons pas l'univers entier à parcourir pour trouver un seul homme, au risque encore de perdre l'avantage d'un moment de chaleur, que refroidit toujours l'absence de celui qui pourrait en profiter.

CORIOLAN. – Adieu. Tu es chargé d'années, et trop rassasié des travaux de la guerre, pour venir encore courir les hasards avec un homme dont toutes les forces sont entières. Accompagne-moi seulement jusqu'aux portes. – Venez, ma femme chérie; et vous, ma bonne mère, et vous, mes nobles et vrais amis: et lorsque je serai hors des murs, faites-moi vos adieux, et quittez-moi le sourire sur les lèvres. Je vous prie, venez. Tant que je serai debout sur la surface de la terre, vous entendrez toujours parler de moi, et vous n'apprendrez jamais rien qui démente ce que j'ai été jusqu'à ce jour.

MÉNÉNIUS. – Quelle oreille a jamais rien entendu de plus noble! Allons, séchons nos pleurs. – Ah! si je pouvais secouer de ces bras et de ces jambes, affaiblis par l'âge, seulement sept années, j'atteste les dieux que je te suivrais pas à pas.

CORIOLAN. – Donne-moi ta main. Partons.

(Ils sortent.)
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
27 eylül 2017
Hacim:
140 s. 1 illüstrasyon
Tercüman:
Telif hakkı:
Public Domain