Kitabı oku: «Henri IV (2e partie)», sayfa 2
SCÈNE II
Une rue de Londres
Entre SIR JEAN FALSTAFF, suivi de son page qui porte son épée et son bouclier
FALSTAFF. – Eh bien, page, grand colosse, que dit le docteur, que dit-il de mon urine?
LE PAGE. – Monsieur, il a dit que l'urine en elle-même était bonne et bien saine; mais que la personne dont elle sortait avait l'air d'être attaquée de plus de maladies qu'elle ne s'imaginait.
FALSTAFF. – Enfin les gens de toute espèce se font une gloire de tirer sur moi. La cervelle de cette argile si ridiculement pétrie, qu'on appelle homme, n'est pas capable de rien inventer de plus plaisant et de plus risible, que ce que j'invente moi-même, ou ce qui s'invente sur mon compte. Non-seulement je suis facétieux, moi, mais c'est encore moi qui suis la cause de tout l'esprit que peuvent avoir les autres. Je ressemble, en marchant devant toi, à une laie qui a étouffé toute sa portée hors un seul petit. Si le prince, en te mettant à mon service, a eu quelque autre intention que celle de me faire ressortir, je veux bien n'avoir pas le sens commun. Petit-maître de mandragore 2 que tu es, tu serais plus propre à figurer sur mon chapeau qu'à courir sur mes talons. Ma foi, je n'avais pas encore fait usage d'une agate 3; je ne te ferai monter pourtant ni en or, ni en argent, mais je t'empaqueterai dans de mauvais haillons pour te renvoyer à ton maître, en manière de bijou; oui, à ce jouvenceau, le prince ton maître, dont le menton n'est pas encore emplumé: j'aurai de la barbe dans la paume de ma main avant qu'il en ait sur les joues. Cependant il ne fera pas difficulté de vous dire que sa face est une face royale. Je ne sais quand il plaira au bon Dieu d'y donner le dernier coup. Elle n'a pas encore perdu un poil 4, et il est bien sûr de la garder toujours face royale, car jamais un barbier n'en tirera six pence 5; et cependant il veut faire le coq, comme s'il avait brevet d'homme dès le temps où son père était garçon. Ma foi, qu'il conserve tant qu'il voudra sa grâce, je puis bien l'assurer qu'il n'est plus dans la mienne. – Eh bien! que dit Dumbleton au sujet du satin que je lui ai demandé pour me faire un manteau court et des chausses à la matelote?
LE PAGE. – Il dit, monsieur, qu'il faut que vous lui donniez une meilleure caution que Bardolph: il ne veut point de votre billet ni du sien, il ne s'est point soucié de pareilles sûretés.
FALSTAFF. – Qu'il soit damné comme le riche glouton 6, et la langue encore plus chaude! Le matin d'Achitophel! Un misérable, un vrai maraud, qui vous tient un gentilhomme le bec dans l'eau, et va chicaner sur des sûretés! Ces canailles à têtes chauves ne portent plus que des souliers à talons hauts et de gros paquets de clefs à leur ceinture; et, si l'on veut entrer avec eux dans quelque honnête marché à crédit, ils vous arrêtent sur les sûretés. J'aimerais autant qu'ils me missent de la mort aux rats dans la bouche, que de venir me la fermer avec leurs sûretés. Je m'attendais qu'il allait m'envoyer vingt-deux aunes de satin: sur mon Dieu, comme je suis loyal chevalier, j'y comptais; et ce misérable-là m'envoie des sûretés! Eh bien, il n'a qu'à dormir en sûreté; car il porte la corne d'abondance, et l'on voit les légèretés 7 de sa femme briller au travers, et lui n'en voit rien, malgré la lanterne qu'il porte pour s'éclairer. – Où est Bardolph?
LE PAGE. – Il est allé à Smithfield pour acheter un cheval à votre seigneurie.
FALSTAFF. – Je l'ai acheté à Saint-Paul 8, lui, et il va m'acheter un cheval à Smithfield! Si je pouvais seulement raccrocher une femme dans la rue, il ne me faudrait plus que cela pour être servi, monté et marié de la même manière.
(Entre le lord grand juge, et un huissier.)
LE PAGE. – Monsieur, voilà le lord juge qui a envoyé le prince en prison, pour l'avoir frappé à l'occasion de Bardolph 9.
FALSTAFF. – Suis-moi promptement; je ne veux pas le voir.
LE JUGE. – Quel est cet homme qui s'en va là-bas?
L'HUISSIER. – C'est Falstaff, sous le bon plaisir de votre seigneurie.
LE JUGE. – Celui qui était impliqué dans l'affaire du vol?
L'HUISSIER. – Oui, milord, c'est lui-même: mais depuis ce temps-là il a bien servi à Shrewsbury; et, à ce que j'entends dire, il va partir chargé de quelque commission pour Son Altesse Royale de Lancastre.
LE JUGE. – Quoi! il part pour York? Rappelez-le.
L'HUISSIER. – Sir Jean Falstaff?
FALSTAFF, au page. – Mon garçon, dis-lui que je suis sourd.
LE PAGE. – Parlez plus haut: mon maître est sourd.
LE JUGE. – Je suis bien sûr qu'il est sourd à tout ce qu'on peut lui dire de bon. Allez, tirez-le par le coude. Il faut absolument que je lui parle.
L'HUISSIER. – Sir Jean?
FALSTAFF. – Qu'est-ce qu'il y a? Comment, maraud, jeune comme tu l'es, mendier! N'y a-t-il pas une guerre? N'y a-t-il pas de l'emploi? Le roi n'a-t-il pas besoin de sujets? Les rebelles, de soldats? Quoiqu'il n'y ait qu'un seul parti qu'on puisse suivre avec honneur, il est encore plus honteux de mendier que de suivre le plus mauvais, fût-il même encore cent fois plus odieux que le nom de rébellion ne peut le faire.
L'HUISSIER. – Monsieur, vous me prenez pour un autre.
FALSTAFF. – Eh quoi! monsieur? Est-ce que je vous ai dit que vous étiez un honnête homme? Sauf le respect que je dois à ma qualité de chevalier et à mon état militaire, j'en aurais menti par la gorge, si je l'avais dit.
L'HUISSIER. – Eh bien, je vous en prie, monsieur, mettez donc votre qualité de chevalier et votre état militaire de côté, et permettez-moi de vous dire que vous en avez menti par la gorge, si vous osez dire que je suis autre chose qu'un honnête homme.
FALSTAFF. – Moi, que je te permette de me parler ainsi? Que je mette de côté ce qui tient à mon existence? Si tu obtiens jamais cette permission-là de moi, je veux bien que tu me pendes; et si tu la prends, il vaudrait mieux pour toi que tu fusses pendu, infâme happe-chair; veux-tu courir, gredin?
L'HUISSIER. – Monsieur, milord voudrait vous parler.
LE JUGE. – Sir Jean Falstaff, je voudrais vous dire un mot.
FALSTAFF. – Ah! mon cher lord, je souhaite bien le bonjour à votre seigneurie: je suis enchanté de voir votre seigneurie sortie; on m'avait dit que votre seigneurie était malade; j'espère sans doute que c'est par avis de médecin que votre seigneurie prend l'air. Quoique votre seigneurie ne soit pas encore tout à fait hors de la jeunesse, cependant elle ne laisse pas d'avoir déjà un avant-goût de maturité et de se ressentir un peu des amertumes de l'âge: permettez donc que je supplie en grâce votre seigneurie d'avoir le soin le plus attentif de sa santé.
LE JUGE. – Sir Jean, je vous avais fait demander avant votre expédition de Shrewsbury.
FALSTAFF. – Avec votre permission, on dit que Sa Majesté est revenue du pays de Galles avec quelques chagrins.
LE JUGE. – Je ne parle pas de Sa Majesté. Vous ne vous êtes pas soucié de venir, lorsque je vous ai envoyé chercher.
FALSTAFF. – Et on dit même que Sa Majesté a eu une nouvelle attaque de cette coquine d'apoplexie.
LE JUGE. – Eh bien, que Dieu veuille la guérir! mais écoutez ce que j'ai à vous dire.
FALSTAFF. – Cette apoplexie est, à ce que je m'imagine, une espèce de léthargie; n'est-ce pas, milord? comme qui dirait un assoupissement du sang, un coquin de tintement dans les oreilles.
LE JUGE. – Qu'est-ce que vous me contez là? Qu'elle soit ce qu'elle voudra.
FALSTAFF. – Cela vient de beaucoup de chagrin, de l'étude et des tourments d'esprit. J'ai lu la cause de ses effets dans Galien; c'est une espèce de surdité.
LE JUGE. – Je crois, ma foi, que vous tenez aussi un peu de cette surdité-là; car vous n'entendez rien de ce que je vous dis.
FALSTAFF. – Fort bien dit, milord, fort bien: ou plutôt, avec votre permission, c'est la maladie de ne pas écouter, l'infirmité de ne pas faire attention, dont je suis attaqué.
LE JUGE. – Une correction par les talons pourrait guérir le défaut d'attention de vos oreilles. C'est ce qui ne m'embarrassera guère si je deviens votre médecin.
FALSTAFF. – Je suis bien aussi pauvre que Job, milord, mais pas tout à fait si patient que lui. Dans le premier cas, votre seigneurie peut bien, si cela lui plaît, m'administrer la recette de l'emprisonnement à cause de ma pauvreté: mais jusqu'à quel point votre patient consentirait-il à suivre vos ordonnances, c'est en quoi les savants pourraient bien admettre quelques parties de scrupule, et peut-être même un scrupule tout entier.
LE JUGE. – Je vous ai envoyé chercher, pour me parler sur des choses où il n'allait pas moins que de votre vie.
FALSTAFF. – Et comme j'ai été conseillé par mon avocat, qui est très-versé dans les lois de ce pays, je ne me suis pas rendu chez vous.
LE JUGE. – Fort bien; mais le fait est, sir Jean, que vous vivez dans une grande infamie.
FALSTAFF. – Je défie quiconque pourra se serrer dans mon ceinturon de vivre à moins.
LE JUGE. – Vos moyens sont très-minimes, et vous faites grosse dépense.
FALSTAFF. – Je voudrais qu'il en fût autrement. J'aimerais bien mieux avoir des moyens plus grands, et dépenser moins gros 10.
LE JUGE. – Vous avez perverti le jeune prince.
FALSTAFF. – C'est le jeune prince qui m'a perverti. Je suis l'homme au gros ventre, et lui mon chien 11.
LE JUGE. – Enfin, je ne veux pas rouvrir une plaie récemment guérie: votre service à la journée de Shrewsbury a un peu replâtré vos exploits de nuit à Gadshill. Vous avez à remercier les troubles d'aujourd'hui, de ce que vous avez vu se passer sans trouble une pareille affaire.
FALSTAFF. – Milord?
LE JUGE. – Mais puisque tout est raccommodé, ayez soin que les choses restent comme elles sont, et n'éveillez pas le loup qui dort.
FALSTAFF. – Réveiller un loup est aussi fâcheux que de sentir un renard.
LE JUGE. – Songez que vous êtes comme une chandelle, le meilleur en est usé.
FALSTAFF. – Comme un gros cierge, milord, et tout de suif, et quand j'aurais dit de cire, cela ne conviendrait pas mal à la gravité de ma personne 12.
LE JUGE. – Il n'y a pas un poil blanc sur toute votre figure qui ne dût produire en vous sa portion de gravité.
FALSTAFF. – Qui ne dût produire sa part de jus, jus, jus 13.
LE JUGE. – Vous suivez le jeune prince partout comme son mauvais ange.
FALSTAFF. – Vous vous trompez, milord, un mauvais ange n'est pas de poids 14; au lieu que quiconque me regardera seulement me prendra bien, j'espère, sans me peser: et cependant, je l'avoue, à quelques égards, je ne serais pas de cours. La vertu a si peu de prix dans ces vils siècles de négoce, que le véritable courage se fait meneur d'ours, la vivacité d'esprit servante de cabaret, et elle est obligée d'employer toute la promptitude de ses reparties à présenter des comptes et dépenses: et tous les autres dons qui appartiennent à l'homme, à la manière dont la méchanceté du siècle les accommode, ne valent pas un grain de groseille. Vous qui êtes vieux, vous ne nous tenez pas compte de nos facultés à nous autres qui sommes jeunes; vous jugez de la chaleur de notre foie suivant l'amertume de votre bile; et nous qui sommes dans la fougue de la jeunesse, j'avoue que nous sommes aussi un peu crânes parfois.
LE JUGE. – Osez-vous encore placer votre nom dans la liste des jeunes gens, vous sur qui la main du temps a écrit en toutes lettres que vous êtes vieux? N'avez-vous pas l'oeil larmoyant, la main sèche, le visage jaune, la barbe blanche, une jambe qui diminue et un ventre qui grossit? N'avez-vous pas la voix cassée, l'haleine courte, le menton épais et l'esprit mince? Enfin tout n'est-il pas chez vous ravagé par la vieillesse? Et vous vous traitez encore de jeune homme? Fi, fi, fi, sir Jean!
FALSTAFF. – Milord, je suis né à trois heures de l'après-dînée, ayant la tête blanche et le ventre déjà un peu rond. Quant à ma voix, je l'ai perdue à force de crier après mes soldats et de chanter des antiennes. Vous donner d'autres preuves encore de ma jeunesse, c'est ce que je ne ferai point. La vérité est que je ne suis vieux que d'esprit et de conception; et quiconque voudra gagner mille guinées avec moi à qui fera le meilleur entrechat n'a qu'à m'avancer l'enjeu, et je suis son homme. Pour le soufflet que le prince vous a donné, il vous l'a donné en homme brutal, et vous, vous l'avez reçu en seigneur sensé. Je l'ai réprimandé dans le temps pour cela; et le jeune lion en fait pénitence aujourd'hui, non pas à la vérité dans la cendre et le cilice, mais avec des habits de soie neufs et de vieux vin d'Espagne.
LE JUGE. – Allons; Dieu veuille donner au prince un meilleur compagnon!
FALSTAFF. – Dieu veuille donner au compagnon un meilleur prince! car je ne saurais me dépêtrer de lui.
LE JUGE. – Eh bien! le roi vous a séparé du prince Henri, car on m'a dit que vous partiez avec le prince de Lancastre qui marche contre l'archevêque et le comte de Northumberland.
FALSTAFF. – Oui, et j'en rends grâces à votre aimable et charmante imagination; mais songez donc à prier, vous autres qui restez à la maison à caresser milady la Paix, que nos deux armées ne se joignent pas dans une journée chaude: car, ma foi, je n'emporte que deux chemises avec moi, et je ne prétends pas suer extraordinairement. Si la journée est chaude, je veux ne jamais cracher blanc de ma vie, si je brandis autre chose que la bouteille. Il ne lui passe pas par la tête une entreprise dangereuse qu'il ne me fourre dedans. A la bonne heure, mais je ne peux pas toujours durer. – Ç'a toujours été notre tic à nous autres Anglais, quand nous avons quelque chose de bon, nous le mettons à toutes sauces. S'il vous convient de me trouver si vieux, vous devriez bien me donner un peu de repos. Plût à Dieu que mon nom ne fût pas aussi terrible à l'ennemi qu'il l'est! J'aimerais mieux mille fois être mangé de la rouille jusqu'aux os, que de me voir fondu et réduit à rien par un mouvement perpétuel.
LE JUGE. – Allons, soyez honnête homme, soyez honnête homme. Et que Dieu bénisse votre expédition!
FALSTAFF. – Votre seigneurie voudrait-elle me prêter seulement un millier de guinées pour monter mon équipage?
LE JUGE. – Pas un penny, pas un penny. Vous êtes trop vif à vouloir vous charger de croix 15. Adieu, faites bien mes compliments à mon cousin de Westmoreland.
(Il sort avec l'huissier.)
FALSTAFF. – Si j'en fais rien, je veux bien qu'on me berne sur la couverture d'un coffre 16. L'homme ne peut pas plus séparer la vieillesse de l'avarice, qu'il ne peut chasser la luxure d'un jeune corps. Mais aussi l'un est pris de la goutte, et l'autre prend… 17 Ce qui fait que je n'ai plus rien à leur souhaiter. – Page!
LE PAGE. – Monsieur!
FALSTAFF. – Combien y a-t-il dans ma bourse?
LE PAGE. – Sept groats et deux pence.
FALSTAFF. – Je ne sais aucun remède contre cette consomption de la bourse. Emprunter ne sert qu'à la faire traîner, et traîner jusqu'à la fin; mais le mal reste incurable. Tiens; va porter cette lettre à milord de Lancastre, celle-ci au prince, cette autre au comte de Westmoreland, celle-ci, c'est pour la vieille mistriss Ursule, à qui je promets toutes les semaines de l'épouser, depuis que j'ai aperçu le premier poil blanc à mon menton. A propos de cela, vous savez où me rejoindre. (Le page sort.) La peste soit de cette goutte 18 ou que la goutte soit de l'autre! Car je ne sais de la goutte ou de l'autre lequel fait le diable autour de mon gros orteil. Il n'y a pas grand mal, si je fais un peu de halte; je donnerai mes guerres pour cause de mes souffrances, et ma pension en paraîtra d'autant plus juste; avec de l'esprit, on tire parti de tout: je ferai servir mes infirmités à mon bien-être.
(Ils sortent.)
SCÈNE III
York. – Appartement dans le palais de l'archevêque
Entrent L'ARCHEVÊQUE D'YORK, les lords HASTINGS, MOWBRAY et BARDOLPH
L'ARCHEVÊQUE D'YORK. – Vous venez d'entendre nos motifs, et vous connaissez nos ressources; à présent, mes nobles et dignes amis, je vous prie tous de déclarer franchement ce que vous pensez de nos espérances; et d'abord, vous, lord maréchal, qu'en dites-vous?
MOWBRAY. – Je conviens qu'il y a lieu à prendre les armes; mais je voudrais voir un peu mieux comment, avec ce que nous avons de forces, nous pourrons parvenir à faire tête, avec quelque confiance et quelque sûreté, aux troupes et à la puissance du roi.
HASTINGS. – Le nombre actuel de nos troupes, d'après la dernière revue, monte à vingt-cinq mille hommes d'élite, et derrière nous de vastes ressources reposent sur l'espérance des secours du puissant Northumberland, dont le coeur brûle d'une flamme allumée par les injures.
BARDOLPH. – Ainsi, lord Hastings, voici donc l'état de la question; pouvons-nous, avec les vingt-cinq mille hommes que nous avons actuellement, tenir tête au roi, sans Northumberland?
HASTINGS. – Avec lui, ils peuvent suffire.
BARDOLPH. – Eh! oui, sans doute, avec lui. Mais si, sans lui, nous nous croyons trop faibles, mon avis est que nous ne devons pas nous avancer trop loin, avant d'avoir reçu son renfort. Car, dans une affaire d'un aspect aussi sanglant que celle-ci, les conjectures, les vaines attentes, et la perspective des secours incertains ne doivent pas être admis dans nos calculs.
L'ARCHEVÊQUE D'YORK. – Rien n'est plus vrai, lord Bardolph; car c'est là précisément le cas où s'est trouvé le jeune Hotspur à Shrewsbury.
BARDOLPH. – Précisément, milord. Soutenu par l'espérance, il vécut d'air, attendant les renforts promis, et se flattant de la perspective d'un secours qui se trouva bien au-dessous de la plus petite de ses idées; ainsi, par la force de son imagination, ce qui est le propre des fous, il conduisit ses troupes à la mort, et s'élança les yeux fermés dans l'abîme de la destruction.
HASTINGS. – Mais avec votre permission, il n'y a jamais eu d'inconvénient à calculer les probabilités et les motifs d'espérance.
BARDOLPH. – Il y en a dans une guerre de la nature de la nôtre. Dans une entreprise commencée, l'action du moment s'enrichit d'espérances, de même qu'un printemps hâtif nous montre les boutons qui commencent à poindre; mais l'espoir qu'ils se changeront en fruits s'appuie sur de bien moindres certitudes que la crainte de les voir mordus de la gelée. Quand nous voulons bâtir, nous commençons par examiner le projet, ensuite nous traçons le plan; et, lorsque nous avons le dessin de la maison sous nos yeux, il faut ensuite faire le calcul des frais de construction. Si nous trouvons qu'ils excèdent nos facultés, que faisons-nous alors? nous traçons un plan nouveau où les appartements sont rétrécis; ou bien, nous renonçons à bâtir. A plus forte raison dans cette grande entreprise, où il s'agit presque de renverser un royaume et d'en élever un autre, devons-nous examiner d'abord l'état des choses, considérer le plan, tomber d'accord d'une base sûre, consulter les ouvriers en chef, connaître nos propres facultés, considérer quelles sont nos forces pour entreprendre un pareil ouvrage et les peser contre celles de notre ennemi. Autrement, nous nous composerons des armées sur le papier et en peinture, nous prendrons des noms d'hommes pour les hommes mêmes, et nous serons dans le cas de celui qui trace un modèle d'édifice au-dessus des ressources qu'il a pour le construire; puis il abandonne l'ouvrage à moitié fait, laissant la portion qu'il a élevée à grands frais, exposée sans défense comme pour servir d'objet aux pleurs des nuages, et de victime à la tyrannie du cruel hiver.
HASTINGS. – Supposez que nos espérances, malgré leur belle apparence, avortent en naissant, et que nous possédions en ce moment jusqu'au dernier des soldats que nous pouvons attendre, je crois encore que, dans cet état même, nous formons un corps assez puissant pour balancer les forces du roi.
BARDOLPH. – Quoi! le roi n'a-t-il que vingt-cinq mille hommes?
HASTINGS. – Contre nous, pas davantage; pas même tant, lord Bardolph; car, pour répondre aux divers points où la guerre menace, il a coupé son armée en trois corps. L'un marche contre les Français 19: le second contre Glendower, et il est forcé de nous opposer le troisième. Ainsi, ce roi mal assuré est obligé de se partager en trois, et ses coffres ne rendent plus que le son creux du vide et de la pauvreté.
L'ARCHEVÊQUE D'YORK. – Qu'il puisse rassembler ses forces divisées, et qu'il vienne fondre sur nous avec toute sa puissance, c'est ce qui n'est nullement à craindre.
HASTINGS. – Il faudrait pour cela, qu'il laissât ses derrières sans défense contre les Français et les Gallois continuellement sur ses talons: ne craignez pas qu'il en fasse rien.
BARDOLPH. – Qui doit, suivant les apparences, commander l'armée destinée contre nous?
HASTINGS. – Le duc de Lancastre et Westmoreland. Contre les Gallois, c'est lui-même avec Henri Monmouth; mais quel est le chef qu'on oppose aux Français, c'est ce dont je n'ai aucune certitude.
L'ARCHEVÊQUE D'YORK. – Marchons en avant, et publions les motifs qui nous mettent les armes à la main. Le peuple est las de son propre choix. Son trop avide amour s'est fatigué de ses propres excès. C'est une demeure mobile et incertaine que celle qui se bâtit sur le coeur du vulgaire! O multitude imbécile, avec quelles bruyantes acclamations n'as-tu pas fatigué le ciel de tes bénédictions sur Bolingbroke, avant qu'il fût ce que tu souhaitais qu'il devînt! Et aujourd'hui que tes voeux se trouvent accomplis, animal vorace, tu es si rassasié de lui, que tu t'excites toi-même à le rejeter… Ce fut ainsi, chien sans pudeur, que de ton estomac glouton tu vomis l'auguste Richard; et maintenant tu voudrais revenir à ton vomissement 20, et tu hurles pour le retrouver. Quelle confiance fonder sur des temps comme les nôtres? Ceux qui, lorsque Richard vivait, le souhaitaient mort, sont maintenant amoureux de son tombeau!.. Toi qui jetais de la poussière sur sa tête sacrée, lorsqu'au travers de la superbe Londres il marchait en soupirant derrière les admirés de Bolingbroke, tu cries aujourd'hui: O terre, rends-nous ce roi, et prends celui-ci. Maudites soient les pensées des hommes! Le passé et l'avenir sont toujours préférés, et le présent est toujours le pire.
MOWBRAY. – Irons-nous rassembler nos troupes, et nous mettrons-nous en campagne?
HASTINGS. – Nous sommes les sujets du temps, et le temps nous ordonne de partir.
FIN DU PREMIER ACTE
«Monsieur, souvenez-vous que je tiens ici la place du roi, votre souverain seigneur et père, à qui vous devez une double obéissance. Je vous ordonne donc en son nom de vous désister sur-le-champ de votre entreprise téméraire et illégale, et de donner désormais bon exemple à ceux qui seront un jour vos sujets; quant à présent, pour votre désobéissance et mépris de la loi, vous vous rendrez à la prison du banc du roi, où je vous constitue prisonnier, et vous y demeurerez jusqu'à ce que le roi votre père ait fait connaître sa volonté.»
Sur quoi, le prince, frappé de respect, déposant aussitôt son épée, se rendit en prison. Shakspeare a suivi la version de Hollinshed, qui, d'après Hall, rapporte que le prince frappa le grand juge. Il suppose aussi, d'après le même écrivain, qu'à cette occasion Henri perdit sa place au conseil, où il fut remplacé par son frère Jean de Lancastre (voy. la 1re partie d'Henri IV, acte III, scène II.) Mais ce fait paraîtrait en contradiction avec les paroles que prononça, dit-on, le roi à cette occasion, et que Shakspeare lui-même rapporte à la fin de la seconde partie d'Henri IV, dans le discours qu'il prête à Henri V devenu roi: au surplus, ce discours et la circonstance qui y donne occasion, sont, autant qu'on en peut juger, une invention du poëte. Il paraît constant que le grand juge Gascoygne mourut avant Henri IV, vers la fin de 1412. Hume rapporte comme Shakspeare la conduite de Henri V avec Gascoygne. On serait tenté de croire qu'il n'a eu sur ce point d'autre autorité que le poëte dont il emprunte à peu près les expressions.