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SCÈNE II
En France. – Devant Rouen
Entrent LA PUCELLE DÉGUISÉE ET DES SOLDATS vêtus en paysans, portant des sacs sur le dos
LA PUCELLE. – Voici les portes de la ville, les portes de Rouen, dont il faut que notre adresse nous ouvre l'entrée. Soyez sur vos gardes, faites bien attention à vos paroles; parlez comme des paysans de la campagne, qui viennent au marché vendre leur blé. Si nous parvenons à entrer, comme j'en ai l'espérance, et que nous ne trouvions qu'une garde faible et négligente, d'un signal j'avertirai nos amis, afin que le dauphin Charles vienne attaquer les Anglais.
UN SOLDAT. – Les sacs que nous portons préparent le sac de la ville, et nous serons bientôt maîtres et seigneurs de Rouen. Allons, frappons aux portes.
(Ils frappent.)
LA SENTINELLE. – Qui va là?
LA PUCELLE. – Paysans, pauvres gens de France; de pauvres fermiers qui viennent vendre leur blé.
LA SENTINELLE. – Entrez, entrez; la cloche du marché a déjà sonné.
(Elle ouvre les portes.)
LA PUCELLE. – C'est maintenant, ô Rouen, que je renverserai tes remparts jusque dans leurs fondements!
(Ils entrent dans la ville.)
(Entrent Charles, le Bâtard d'Orléans, Alençon et des troupes.)
CHARLES. – Que saint Denis favorise cet heureux stratagème! et nous dormirons encore une fois en sûreté dans Rouen.
LE BATARD. – Voici par où sont entrées la Pucelle et sa troupe. A présent qu'elle est dans la ville, comment nous indiquera-t-elle le passage le plus facile et le plus sûr?
ALENÇON. – En plaçant, à cette tour, une torche allumée: à l'endroit où nous la verrons paraître, ce signal nous annoncera qu'il n'est point de passage plus facile que celui par où la Pucelle s'est introduite.
(La Pucelle paraît sur le haut d'une tour, tenant une torche allumée.)
LA PUCELLE. – Regardez; voici l'heureux flambeau d'union qui va réunir Rouen à ses compatriotes: mais il brille d'un éclat fatal aux gens de Talbot.
LE BATARD. – Voyez, noble Charles, le phare de notre amie. La torche enflammée est plantée là-bas sur cette petite tour.
CHARLES. – Qu'elle brille comme une comète vengeresse et présage la ruine de nos ennemis!
ALENÇON. – Ne perdons pas de temps; les délais finissent mal: entrons à l'instant, en criant: Vive le dauphin! et égorgeons les sentinelles.
(Ils entrent.)
(Alarme. Arrive Talbot suivi de quelques Anglais.)
TALBOT. – France, tes larmes expieront cette trahison, si Talbot survit à cette perfidie. C'est la Pucelle, cette sorcière, cette infernale magicienne, qui a ourdi cette trame diabolique et nous a surpris; à grand'peine avons-nous échappé au malheur de servir d'ornement à l'orgueil de la France.
(Une alarme. Sortie, escarmouche. Entrent Bedford, transporté mourant sur un siége hors de la ville, Talbot, le duc de Bourgogne et les troupes anglaises. La Pucelle, Charles, le Bâtard, Alençon et autres paraissent sur les remparts.)
LA PUCELLE. – Salut, mes braves: avez-vous besoin de blé pour faire du pain? Je crois que le duc de Bourgogne jeûnera quelque temps avant d'en racheter une seconde fois à pareil prix: il était plein d'ivraie. En aimez-vous le goût?
LE DUC DE BOURGOGNE. – Raille, raille, vil démon, courtisane effrontée. Je me flatte qu'avant peu nous t'étoufferons avec ton blé, et que nous te ferons maudire la moisson que tu viens de faire.
CHARLES. – Votre Altesse pourrait bien mourir de faim avant ce moment-là.
BEDFORD. – Oh! que des actions et non des paroles nous vengent de cette trahison!
LA PUCELLE. – Hé! que ferez-vous, pauvre vieillard à la barbe grise? Prétendez-vous rompre une lance et porter un coup mortel, assis et défaillant sur votre chaise?
TALBOT. – Odieux démon de France, sorcière dévouée à l'opprobre, qui te fais suivre sans pudeur de tes lascifs galants, te convient-il d'insulter son honorable vieillesse et de braver lâchement un homme à demi mort? Ma belle, je veux faire assaut avec toi, ou que Talbot périsse dans l'ignominie.
LA PUCELLE. – Vous êtes bien vif, seigneur. – Mais nous, restons en paix; si Talbot commence à tonner, la pluie suivra bientôt. (Talbot et les autres Anglais délibèrent ensemble.) Que Dieu préside à votre parlement! Qui de vous sera l'orateur?
TALBOT. – Oseras-tu sortir et venir nous joindre en plaine?
LA PUCELLE. – En vérité, Votre Seigneurie nous prend donc pour des insensés, en nous proposant de remettre en question si ce qui nous appartient est à nous?
TALBOT. – Ce n'est point à cette moqueuse Hécate que je parle; c'est à toi, Alençon, et aux autres chevaliers. Voulez-vous venir et combattre en soldats?
ALENÇON. – Non, seigneur.
TALBOT. – Au diable avec ton seigneur! – Vils muletiers de France! Ils se tiennent sur les murailles comme d'ignobles paysans, et n'osent prendre les armes en gentilshommes.
LA PUCELLE, à Alençon et autres seigneurs. – Capitaines, quittons ces remparts: le regard de Talbot ne nous annonce rien de bon. Que Dieu soit avec vous, milord! Nous étions venus simplement pour vous dire que nous étions ici.
(La Pucelle et les Français descendent des remparts.)
TALBOT. – Et nous y serons aussi avant peu, ou que l'ignominie devienne la gloire de Talbot. Jure, duc de Bourgogne, par l'honneur de ta maison offensée des outrages publics que te fait souffrir la France; jure de reprendre la ville ou de périr: et moi, aussi sûr que Henri d'Angleterre respire, que son père est entré ici en conquérant, et que le grand coeur de Richard Coeur de Lion est enseveli dans cette ville que la trahison vient de nous enlever, je jure de la reprendre ou de mourir.
LE DUC DE BOURGOGNE. – J'associe mon voeu au tien.
TALBOT. – Mais, avant de partir, prenons soin de ce héros mourant, du vaillant duc de Bedford. – (A Bedford.) Venez, milord; nous allons vous placer dans un lieu plus sûr, et plus favorable pour votre état languissant et votre grand âge.
BEDFORD. – Lord Talbot, ne me déshonore pas à ce point. Je veux rester ici, assis devant les murs de Rouen; et partager encore vos succès ou vos revers.
LE DUC DE BOURGOGNE. – Courageux Bedford, laissez-vous persuader.
BEDFORD. – Non, je ne quitterai point ce lieu; je me souviens d'avoir lu que jadis l'intrépide Pendragon, mourant, se fit porter dans sa litière au champ de bataille, et vainquit ses ennemis. Il me semble que d'ici je ranimerai encore les coeurs de nos soldats: je les ai toujours trouvés tels que j'étais moi-même.
TALBOT. – O courage invincible dans un corps mourant! Eh bien, soit: que le Ciel garde en sûreté le vieux Bedford! et nous, maintenant, brave duc de Bourgogne, nous n'avons plus qu'à rassembler les troupes qui sont sous notre main, et à fondre sur notre insolent ennemi.
(Ils sortent.)
(Alarme. Sorties, escarmouche. Entrent sir Jean Fastolffe et un capitaine.)
LE CAPITAINE. – Où va sir Jean Fastolffe, à pas si précipités?
FASTOLFFE. – Où je vais? me sauver en fuyant 14. Nous avons bien l'air d'être mis en déroute une seconde fois.
LE CAPITAINE. – Quoi, vous fuyez? Vous abandonneriez lord Talbot?
FASTOLFFE. – Tous les Talbot de l'univers, pour sauver ma vie.
(Il sort.)
LE CAPITAINE. – Lâche chevalier, que le malheur te suive!
(Il sort.)
(Retraite, escarmouches. Entrent, au sortir de la ville, la Pucelle, Charles, Alençon et autres qui fuient.)
BEDFORD. – A présent, mon âme, pars en paix, quand il plaira au Ciel! j'ai vu la déroute de nos ennemis. Qu'est-ce que la force et la confiance de l'homme insensé? Ceux qui tout à l'heure nous insultaient de leurs railleries sont trop heureux en ce moment de sauver leur vie par la fuite.
(Il expire et on l'emporte.)
(Alarme. Entrent Talbot, le duc de Bourgogne et autres.)
TALBOT. – Perdue et reprise en un jour! C'est un double honneur, duc de Bourgogne! Mais que le Ciel ait toute la gloire de cette victoire.
LE DUC DE BOURGOGNE. – Brave Talbot, le duc de Bourgogne t'ouvre un sanctuaire dans son coeur, et y grave tes nobles exploits en monument de ta valeur.
TALBOT. – Duc, je te rends grâces. – Mais où est la Pucelle maintenant? Je pense que son démon familier est endormi. Où sont maintenant les bravades du Bâtard, et les railleries de Charles? Quoi, tous évanouis! Rouen est dans le deuil, et gémit d'avoir perdu de si braves hôtes! – A présent mettons quelque ordre dans la ville, en y plaçant des officiers expérimentés, et allons ensuite à Paris, rejoindre le roi: car le jeune Henri y est avec sa cour.
LE DUC DE BOURGOGNE. – Tout ce que veut le lord Talbot plaît au duc de Bourgogne.
TALBOT. – Mais, avant de partir, n'oublions pas le noble duc de Bedford, qui vient de mourir: assistons à ses obsèques dans la ville. Jamais plus brave guerrier ne tint sa lance en arrêt; jamais caractère plus aimable ne gouverna une cour. Mais les rois et les plus fiers potentats doivent mourir. C'est le terme des misères humaines.
(Ils sortent.)
SCÈNE III
Entrent CHARLES, LE BATARD, ALENÇON, LA PUCELLE et des troupes
LA PUCELLE. – Princes, ne vous découragez pas pour un revers, et ne gémissez plus de voir Rouen retomber aux mains de l'ennemi. Le chagrin n'est point un remède, mais bien plutôt un corrosif pour des maux auxquels il n'y a point de remède. Laissez le frénétique Talbot triompher un moment, et, comme un paon, étaler fièrement sa queue: nous lui arracherons ses brillantes plumes, et tout son orgueilleux appareil, si vous voulez vous laisser conduire par mes avis.
CHARLES. – C'est vous qui nous avez guidés jusqu'ici, et nous nous sommes confiés en votre habileté: un échec inattendu n'éveillera pas notre défiance.
LE BATARD. – Cherchez dans votre génie quelque ressource heureuse, et nous publierons votre renommée dans l'univers.
ALENÇON. – Nous placerons ta statue dans quelque lieu sacré, et nous t'y révérerons comme une sainte. Agis donc, admirable vierge, et travaille à notre succès.
LA PUCELLE. – Eh bien, voici ce que Jeanne propose. Par un discours insinuant et de douces paroles, nous captiverons le duc de Bourgogne, et le déterminerons à quitter Talbot pour nous suivre.
CHARLES. – Ah! chère Jeanne, si nous pouvions gagner cela, la France ne serait plus remplie des guerriers de Henri: cette nation ne serait plus si fière avec nous, et nous l'extirperions de nos provinces.
ALENÇON. – L'Anglais serait pour jamais chassé de la France, et n'y conserverait pas le titre d'un seul comté.
LA PUCELLE. – Vos seigneurs seront témoins de la manière dont je vais m'y prendre pour parvenir au but que vous désirez. (On entend battre le tambour.) Écoutez; au son de ces tambours vous pouvez reconnaître que l'armée anglaise marche vers Paris. (Une marche anglaise. Entrent et passent à distance Talbot et ses troupes.) Voilà Talbot qui s'avance, enseignes déployées, et suivi de toutes les troupes anglaises. (Une marche française. Entrent le duc de Bourgogne et ses troupes.) Ensuite viennent à l'arrière-garde le duc et sa troupe. La fortune nous seconde en le faisant rester ainsi, en arrière. Faites demander un pourparler; nous entrerons en conférence avec lui.
(On sonne pour demander un pourparler.)
CHARLES. – Un pourparler avec le duc de Bourgogne.
LE DUC DE BOURGOGNE. – Qui demande une conférence avec le duc de Bourgogne?
LA PUCELLE. – Le prince Charles de France, ton compatriote.
LE DUC DE BOURGOGNE. – Eh bien, Charles, que me veux-tu? je suis pressé de partir d'ici.
CHARLES. – Parle, Jeanne, et charme-le par tes paroles.
LA PUCELLE. – Brave duc de Bourgogne, infaillible espoir de la France, arrête et permets à ton humble servante de t'entretenir un moment.
LE DUC DE BOURGOGNE. – Parle; mais pas de longueurs.
LA PUCELLE. – Contemple ton pays, contemple la fertile France; vois ses villes et ses cités défigurées par les ravages destructeurs d'un ennemi cruel; ainsi qu'une mère contemple son jeune enfant au berceau, dont la mort va fermer les yeux, vois, vois les maux qui consument la France. Vois les plaies, les plaies barbares dont ta main dénaturée a déchiré son malheureux sein; ah! détourne contre d'autres victimes le fer de ton épée; frappe ceux qui blessent, et ne blesse pas ceux qui secourent. Une seule goutte de sang tirée du sein de ta patrie devrait te causer plus de douleur que des flots d'un sang étranger. Efface donc par tes larmes les taches sanglantes qui couvrent le corps de ta malheureuse patrie.
LE DUC DE BOURGOGNE. – Il faut qu'elle m'ait ensorcelé par ses paroles, ou que la nature m'inspire cet attendrissement soudain!
LA PUCELLE. – Toute la France et ses enfants poussent sur toi des cris de surprise, et commencent à douter de ta naissance et de ta légitimité… A quel peuple t'es-tu associé? A une nation hautaine, qui ne te sera fidèle que selon son intérêt. Quand Talbot aura mis le pied en France, et aura fait de toi un instrument de calamités, dis, quel autre que Henri d'Angleterre sera le souverain? et toi, tu seras rejeté comme un proscrit. Rappelle à ta mémoire… et que ceci serve à te convaincre: – le duc d'Orléans n'était-il pas ton ennemi? et n'était-il pas prisonnier en Angleterre? mais dès qu'ils ont su qu'il était ton ennemi, ils lui ont rendu sa liberté sans rançon, au mépris des intérêts du duc de Bourgogne et de tous ses amis. Vois donc, tu combats contre tes compatriotes, et tu t'es lié avec ceux qui sont prêts à devenir tes assassins. Allons, reviens, reviens, prince égaré; Charles et toute la France sont prêts à te recevoir dans leurs bras.
LE DUC DE BOURGOGNE. – Je suis vaincu; ses victorieuses paroles m'ont bombardé comme le canon bat les remparts d'une ville; et je me sens prêt à fléchir les genoux. – Pardonne, ô ma patrie; pardonnez, mes chers compatriotes; et vous, princes, acceptez ce cordial et sincère embrassement. Mes forces et mes soldats sont à vous; adieu, Talbot; je ne me fierai plus à toi.
LA PUCELLE. – Je reconnais là un Français: change encore une fois pour revenir vers nous.
CHARLES. – Sois le bienvenu, brave duc; ton amitié renouvelle nos forces.
LE BATARD. – Elle ramène un nouveau courage dans notre sein.
ALENÇON. – La Pucelle a rempli admirablement son rôle: elle mérite une couronne d'or.
CHARLES. – Allons, seigneurs, marchons; joignons nos troupes, et cherchons tous les moyens de nuire à notre ennemi.
(Ils sortent.)
SCÈNE IV
Paris. – Un appartement du palais
Entrent LE ROI HENRI, GLOCESTER, WINCHESTER, YORK, SUFFOLK, SOMERSET, WARWICK, EXETER, TALBOT, suivi de quelques officiers, leur adresse ces paroles
TALBOT. – Mon auguste prince, et vous, illustres pairs! ayant appris votre arrivée dans ce royaume, j'ai suspendu quelque temps mes combats pour venir rendre hommage à mon souverain. Ce bras qui a remis sous votre obéissance cinquante forteresses, douze villes et sept places fortes, outre cinq cents prisonniers de marque, laisse tomber son épée aux pieds de Votre Majesté; et, avec la soumission d'un coeur loyal, il renvoie toute la gloire de ses conquêtes d'abord à son Dieu, et ensuite à Votre Majesté.
LE ROI. – Est-ce là lord Talbot, mon oncle Glocester, ce guerrier qui depuis si longtemps combat en France?
GLOCESTER. – Oui, mon souverain, c'est lui-même.
LE ROI. – Soyez le bienvenu, brave capitaine, victorieux Talbot. Lorsque j'étais jeune, et je ne suis pas vieux encore, je me rappelle que mon père me disait que jamais plus intrépide chevalier n'avait manié l'épée. Depuis longtemps nous étions instruits de votre loyauté, de vos fidèles services, de vos travaux guerriers, et cependant vous n'avez jamais connu les récompenses de votre souverain; vous n'avez pas même reçu ses remerciements: car, avant ce jour, je n'avais jamais vu vos traits. Levez-vous, et pour tous ces illustres services nous vous créons ici comte de Shrewsbury; vous prendrez votre rang à notre couronnement.
(Sortent le roi, Glocester, Talbot et autres seigneurs.)
VERNON. – Maintenant, seigneur, vous qui étiez si fougueux sur mer et qui avez insulté les couleurs que je porte en l'honneur de mon noble lord York, osez-vous ici soutenir les paroles que vous avez dites?
BASSET. – Oui, je l'ose, comme vous osez soutenir les jalouses inventions de votre langue insolente contre mon noble lord, le duc de Somerset.
VERNON. – Drôle, j'honore ton lord pour ce qu'il est.
BASSET. – Et qu'est-il? Il vaut autant qu'York.
VERNON. – Lui? non. Et en preuve reçois ceci.
(Il le frappe.)
BASSET. – Lâche, tu sais trop que la loi des armes est que quiconque tire son épée dans le palais du roi est sur-le-champ condamné à mort; sans cela cette attaque te coûterait le plus pur de ton sang; mais je vais m'adresser à Sa Majesté, et lui demander la liberté de me venger de cet affront; et alors tu verras si je sais te joindre et t'en punir.
VERNON. – Allons, homme sans foi; j'y serai aussitôt que toi; et après tu me rencontreras plus tôt que tu ne voudras.
(Ils sortent.)
FIN DU TROISIÈME ACTE.
ACTE QUATRIÈME
SCÈNE I
Paris. – Une salle d'apparat
LE ROI HENRI, GLOCESTER, WINCHESTER, YORK, SUFFOLK, SOMERSET, WARWICK, TALBOT, EXETER, LE GOUVERNEUR de Paris et autres
GLOCESTER. – Lord évêque, placez la couronne sur sa tête.
WINCHESTER. – Que Dieu protége le roi Henri sixième du nom!
GLOCESTER. – A présent, gouverneur de Paris, prêtez votre serment. – (Le gouverneur se met à genoux.) Que vous ne reconnaîtrez d'autre roi que Henri; que vous n'aurez d'amis que ses amis, et que vous ne compterez pour vos ennemis que ceux qui machineront de coupables complots contre Sa Majesté. Ainsi faites que le Dieu de justice vous protége!
(Sortent le gouverneur et la suite.)
(Entre sir Jean Fastolffe.)
FASTOLFFE. – Mon gracieux souverain, comme je venais de Calais, pressant mon cheval pour me trouver à votre couronnement, on a remis dans mes mains cette lettre adressée à Votre Majesté par le duc de Bourgogne.
TALBOT. – Opprobre sur le duc de Bourgogne et sur toi! Lâche chevalier, j'ai fait voeu, dès que je te trouverais, d'arracher la jarretière de ta jambe fuyarde, et je le fais (il la lui arrache), car tu étais indigne d'être élevé à ce rang honorable. Pardonnez, mon roi, et vous, lords; ce lâche, à la bataille de Patay, lorsque je n'avais en tout que six mille hommes, et que les Français étaient presque dix contre un, avant même que nous nous fussions rencontrés, avant qu'un seul coup eût été frappé, s'est enfui comme un écuyer confident. Dans cette attaque nous avons perdu douze cents hommes, et moi-même avec nombre d'autres gentilshommes, nous avons été surpris et faits prisonniers. Jugez à présent, nobles lords, si j'ai mal fait, et si de tels lâches sont faits pour porter cet ornement des chevaliers.
GLOCESTER. – Il faut l'avouer, cette action est infâme: elle déshonorerait un simple soldat; à plus forte raison un chevalier, un officier, un chef.
TALBOT. – Dans les premiers temps où cet ordre fut établi, milords, les chevaliers de la Jarretière étaient d'une noble naissance, vaillants et généreux, pleins d'un courage intrépide, comme des hommes nés pour s'illustrer par la guerre, qui ne craignaient point la mort, qui n'étaient point abattus par l'infortune, mais toujours pleins de résolution dans les plus affreuses extrémités. Celui donc qui n'est pas doué de ces qualités usurpe le nom sacré de chevalier, profane l'honneur de cet ordre, et devrait, si l'on s'en rapportait à mon jugement, être dégradé comme un obscur paysan qui oserait se vanter d'être issu d'un sang illustre.
LE ROI, à Fastolffe. – Opprobre de ton pays, tu viens d'entendre ta condamnation; fuis de notre vue, toi qui fus jadis chevalier: nous te bannissons de notre présence sous peine de mort. (Fastolffe sort.) Maintenant, lord protecteur, voyons cette lettre que nous envoie notre oncle le duc de Bourgogne.
GLOCESTER, lisant la suscription. – Que prétend donc Son Altesse, en changeant son style ordinaire? On ne lit ici que cette adresse nue et familière: Au roi. A-t-il donc oublié que Henri est son souverain? ou cette formule irrespectueuse annonce-t-elle quelque changement dans sa volonté? – Voyons ce qu'elle dit. (Il ouvre et lit.) «Cédant à des motifs particuliers, et ému de pitié des désastres de ma patrie et des plaintes des victimes infortunées que vous opprimez, j'ai abandonné votre inique faction, et je me suis joint à Charles, le roi légitime de la France.» O trahison monstrueuse! Se peut-il que dans une telle alliance, au sein de tant d'amitié et de serments, nous ne trouvions que tant de fausseté et de perfidie?
LE ROI. – Quoi! Est-ce que mon oncle le duc de Bourgogne se révolte contre nous?
GLOCESTER. – Oui, mon prince, il est devenu votre ennemi.
LE ROI. – Est-ce là ce que sa lettre contient de plus grave?
GLOCESTER. – Oui, mon souverain; voilà tout ce qu'il écrit.
LE ROI. – Eh bien, lord Talbot aura une entrevue avec lui et saura le punir de cette fourberie. (A Talbot.) Milord, qu'en dites-vous? n'est-ce pas votre avis?
TALBOT. – Mon avis? Oui, sans doute, mon souverain; et si vous ne m'aviez prévenu, j'allais vous supplier de me charger de cette tâche.
LE ROI. – Rassemblez des forces et marchez sans délai: qu'il connaisse quelle indignation nous inspire sa perfidie, et quel crime c'est d'insulter ses amis.
TALBOT. – Je pars, mon prince, en formant dans mon coeur le voeu que vous voyiez bientôt vos ennemis confondus.
(Il sort.)
(Entrent Vernon et Basset.)
VERNON. – Gracieux souverain, accordez-moi le combat.
BASSET. – Et à moi aussi, mon seigneur.
YORK. – Celui-ci est de ma maison: écoutez-le, noble prince.
SOMERSET. – Et l'autre est de la mienne: aimable Henri, soyez-lui favorable.
LE ROI. – Patience, lords, laissez-les parler. – Expliquez-vous, gentilshommes: quelle est la raison de cette démarche? Pourquoi demandez-vous le combat, et avec qui?
VERNON. – Avec lui, mon prince; il m'a outragé.
BASSET. – Et moi avec lui; c'est lui qui m'a outragé.
LE ROI. – Quel est cet outrage dont vous vous plaignez tous deux? faites-le-moi connaître; et ensuite je vous répondrai.
BASSET. – En traversant la mer d'Angleterre en France, cet homme, d'une langue insultante et railleuse, m'a reproché la rose que je porte; disant que la couleur de sang de ses feuilles représente la rougeur des joues de mon maître, dans une dispute où il repoussait opiniâtrement la vérité, sur une question de loi élevée entre le duc d'York et lui; et il y a ajouté d'autres paroles pleines de mépris et d'ignominie. C'est pour réfuter son odieux reproche et pour défendre l'honneur de mon seigneur que je réclame le privilége de la loi des armes.
VERNON. – Et c'est aussi là ma demande, noble seigneur; car bien qu'il affecte de colorer adroitement d'un vernis trompeur son audace et ses torts, apprenez que c'est lui qui m'a provoqué, et qui, le premier, a lancé ses observations malignes sur la rose que je porte, en disant que la pâleur de cette fleur décelait la faiblesse du coeur de mon maître.
YORK. – Eh quoi, Somerset, ne renonceras-tu jamais à cette maligne animosité?
SOMERSET. – Et c'est vous, milord d'York, dont la secrète envie éclate à tout moment, malgré vos adroites précautions pour la dissimuler.
LE ROI. – Grand Dieu! quel délire insensé s'empare des hommes, pour nourrir, sur des causes si légères, sur des prétextes si frivoles, ces haines jalouses et factieuses? Nobles cousins, York, et vous, Somerset, calmez-vous, je vous prie, et vivez en paix.
YORK. – Que d'abord un combat vide cette querelle, et ensuite Votre Majesté nous commandera la paix.
SOMERSET. – Cette querelle n'intéresse que nous seuls: laissez-nous donc la vider ensemble.
YORK. – Voilà mon gage; relève-le, Somerset.
VERNON. – Non, que la querelle reste là où elle a commencé.
BASSET, à Somerset. – Oui; daignez le permettre, mon honorable seigneur.
GLOCESTER. – Le permettre? Maudits soient vos débats, et vous et vos audacieux propos! vassaux présomptueux, n'êtes-vous pas honteux de venir troubler et inquiéter le roi et nous de vos indiscrètes et insolentes clameurs? – Et vous, milords, il me semble que vous ayez grand tort de souffrir leurs mutuels reproches; et beaucoup plus encore de prendre occasion des querelles de vos vassaux pour éveiller la discorde entre vous-mêmes. Laissez-moi vous persuader de suivre un parti plus sage.
EXETER. – Ceci désole Sa Majesté. Chers lords, soyez amis.
LE ROI. – Approchez, vous qui demandez le combat. – Je vous enjoins désormais, si vous êtes jaloux de notre faveur, d'oublier pour toujours cette querelle et sa cause. – Et vous, milords, souvenez-vous du lieu où nous sommes; en France, au milieu d'une nation inconstante et légère. S'ils surprennent la dissension dans nos regards, s'ils s'aperçoivent que nous soyons divisés, combien leurs coeurs, déjà irrités, se porteront aisément à la désobéissance et à la révolte! Et quel déshonneur pour vous si les princes étrangers viennent à apprendre que pour un rien, une chose sans importance, les pairs d'Angleterre et la première noblesse du roi Henri se sont détruits eux-mêmes et ont perdu le royaume de France? Oh! songez à la conquête de mon père, à ma tendre jeunesse, et ne sacrifiez pas pour une bagatelle le prix de tant de sang. Laissez-moi être l'arbitre de votre différend. Je ne vois aucune raison, si je porte cette rose (il prend une rose rouge), de faire soupçonner à personne que j'incline plus pour Somerset que pour York: tous deux sont mes parents, et je les aime tous deux. On pourrait donc aussi me reprocher ma couronne, parce que le roi d'Écosse est aussi couronné. Mais vos lumières peuvent bien mieux vous persuader que mes raisonnements et mes avis. Allons, nous sommes venus ici en paix, continuons de vivre en paix et en bonne amitié. Cousin d'York, nous vous établissons régent de ces contrées de la France; et vous, noble lord de Somerset, unissez votre cavalerie à son infanterie, et comme des sujets fidèles, dignes fils de vos pères, vivez en bon accord et déchargez votre ressentiment sur nos ennemis. Nous, le lord protecteur et les autres lords, après quelque repos, nous reprendrons le chemin de Calais: de là nous repasserons en Angleterre, où j'espère apprendre avant peu vos victoires sur Charles, sur Alençon et cette bande de traîtres.
(Une fanfare, ils sortent.)
WARWICK. – Milord d'York, le jeune roi, à mon avis, vient de parler avec beaucoup d'éloquence.
YORK. – J'en conviens; mais ce qui me déplaît, c'est qu'il porte la livrée de Somerset.
WARWICK. – Bon! c'est une pure fantaisie: ne l'en blâmez pas. J'ose assurer que cet aimable prince n'a en cela nulle intention d'offenser.
YORK. – Et moi, si je m'y connais bien, je l'en soupçonne. – Mais laissons cela. – Nous nous devons en ce moment à d'autres soins.
(Ils sortent.)
EXETER, seul. – Tu as bien fait, Richard, d'étouffer ta voix; car si la passion de ton coeur avait éclaté, je crains bien que nous n'eussions pu y voir plus de rancune haineuse et des discordes plus acharnées qu'il n'est possible de l'imaginer. Il n'est point d'homme si borné qui, en voyant ces violentes dissensions de la noblesse, ces discordes au sein de la cour, ces partis réunissant leurs serviteurs en bandes factieuses, ne prévoie dans l'avenir quelque événement funeste. C'est un malheur quand le sceptre est dans la main d'un enfant; mais c'est un bien plus grand malheur encore quand la rivalité enfante ces divisions cruelles: alors approche la ruine, alors commence la confusion.