Kitabı oku: «Henri VI. 2», sayfa 7
SCÈNE X
Kent. – Le jardin d'Iden
Entre CADE
CADE. – Peste soit de l'ambition! et peste soit de moi, qui porte une épée, et cependant suis près de mourir de faim! Cinq jours entiers je suis resté caché dans ces bois sans oser mettre le nez dehors, car tout le pays est après moi; mais à présent je suis si affamé, que, quand on me ferait un bail de mille ans de vie, je ne pourrais y tenir plus longtemps. J'ai donc escaladé ce mur de briques, et pénétré dans ce jardin pour tenter si je n'y pourrais pas trouver de l'herbe à manger, ou bien arracher une fois ou l'autre une salade, ce qui n'est pas mauvais pour rafraîchir l'estomac dans cette extrême chaleur; et je pense que les salades de toute espèce ont été créées pour mon bien: car plus d'une fois, sans ma salade 23, j'aurais bien pu avoir le crâne fendu d'un coup de hache d'armes; et plus d'une fois aussi, lorsque j'étais pressé de la soif, et marchant sans relâche, elle m'a servi de pot pour y boire, et aujourd'hui c'est encore une salade qui va me rassasier.
(Entre Iden avec des domestiques.)
IDEN. – O Dieu! qui voudrait vivre dans le tumulte d'une cour lorsqu'il peut jouir de promenades aussi paisibles que celles-ci? Ce modique héritage que m'a laissé mon père, suffit à mes désirs, et vaut une monarchie. Je ne cherche point à m'agrandir par la ruine des autres, non plus qu'à accumuler des richesses, quitte à attirer sur moi je ne sais combien d'envie; il me suffit d'avoir de quoi soutenir mon état, et renvoyer toujours de ma porte le pauvre satisfait.
CADE. – J'aperçois le maître du terrain qui vient me saisir comme un vagabond, pour être entré dans son domaine sans sa permission. Ah! misérable, tu me livrerais et recevrais du roi mille couronnes pour lui avoir porté ma tête; mais avant que nous nous séparions je veux te faire manger du fer comme une autruche, et avaler une épée comme une grande épingle.
IDEN. – A qui en as-tu, brutal que tu es? Qui que tu sois, je ne te connais pas. Pourquoi donc te livrerais-je? N'est-ce pas assez d'être entré dans mon jardin, contre ma volonté, à moi qui en suis le propriétaire, et d'y venir comme un voleur par-dessus les murs dérober les fruits de ma terre? il faut que tu me braves encore par tes propos insolents!
CADE. – Te braver? oui, par le meilleur sang qui ait jamais été tiré, et te faire la barbe encore. Regarde-moi bien; je n'ai pas mangé depuis cinq jours: viens cependant avec tes cinq hommes, et si je ne vous étends pas là, roides comme un clou de porte, je prie Dieu qu'il ne me soit plus permis de manger un seul brin d'herbe.
IDEN. – Non, il ne sera jamais dit, tant que l'Angleterre subsistera, qu'Alexandre Iden, écuyer de Kent, ait combattu, en nombre inégal, un pauvre homme épuisé par la faim. Fixe sur mes yeux tes yeux assurés, et vois si tu peux m'intimider de tes regards; mesure tes membres contre mes membres, et vois si tu n'es pas le plus petit de beaucoup. Ta main n'est qu'un doigt comparée à mon poing, ta jambe qu'un bâton auprès de cette massue, mon pied soutiendrait le combat contre toute la force que t'a donnée le ciel. Si mon bras s'élève en l'air, ta fosse est déjà creusée en terre; et au lieu de paroles supérieures aux tiennes et dont la grandeur puisse répondre au reste de mes discours, je charge mon épée de te dire ce que t'épargne ma langue.
CADE. – Par ma valeur, c'est bien le champion le plus accompli dont j'aie jamais ouï parler! Toi, fer, si tu fléchis, et si, avant de t'endormir dans le fourreau, tu ne fais pas une émincée de boeuf de cette énorme charpente de paysan, je prie Dieu à genoux que tu serves à faire des clous de fer à cheval. (Ils se battent, Cade tombe.) Oh! je suis mort. C'est la famine, pas autre chose qui m'a tué. Envoie dix mille démons contre moi; pourvu que tu me donnes seulement les dix repas que j'ai perdus, je les défie tous. Sèche, jardin, et sois désormais la sépulture de tous ceux qui vivent dans cette maison, puisqu'ici l'âme indomptée de Cade s'est évanouie.
IDEN. – Est-ce donc Cade que j'ai tué? Cet horrible traître? O mon épée! je veux te consacrer pour cet exploit, et quand je serai mort, te faire suspendre sur ma tombe. Jamais ce sang ne sera essuyé de ta pointe: tu le porteras comme un écusson glorieux, emblème de l'honneur que s'est acquis ton maître.
CADE. – Iden, adieu, et sois fier de ta victoire; dis au pays de Kent, de ma part, qu'il a perdu son meilleur soldat, et exhorte tous les hommes à être des lâches; car moi je ne redoutai jamais personne, je suis vaincu par la famine, et non par la valeur.
(Il meurt.)
IDEN. – Tu me fais injure. Que le ciel soit mon juge! Meurs, scélérat maudit, malédiction sur celle qui t'a porté dans son sein! Et comme j'enfonce mon épée dans ton corps, puisse-je enfoncer ton âme dans l'enfer! Je veux te traîner par les pieds dans un fumier qui te servira de tombeau. Là, je couperai ta tête proscrite, et je la porterai en triomphe au roi, laissant ton corps pour pâture aux corbeaux des champs.
(Il sort en traînant le corps.)
FIN DU QUATRIÈME ACTE.
ACTE CINQUIÈME
SCÈNE I
Plaines entre Dartford et Blackheath
D'un côté le camp du roi, de l'autre entre YORK avec sa suite, des tambours et des drapeaux; ses troupes à quelque distance
YORK. – Ainsi, York revient de l'Irlande pour revendiquer ses droits et arracher la couronne de la tête du faible Henri. Cloches, sonnez à grand bruit; feux de joie, brûlez d'une flamme claire et brillante, pour fêter le monarque légitime de l'illustre Angleterre. – Ah! sancta majestas, qui ne voudrait t'acheter au plus haut prix! Qu'ils obéissent, ceux qui ne savent pas gouverner. Cette main fut faite pour ne manier que l'or. Je ne puis donner à mes paroles l'influence qui leur appartient, si cette main ne balance une épée ou un sceptre. S'il est vrai que j'aie une âme, elle aura un sceptre, sur lequel s'agiteront les fleurs de lis de la France. (Entre Buckingham.) Qui vois-je s'avancer? Buckingham, qui vient me gêner par sa présence. Sûrement c'est le roi qui l'envoie: dissimulons.
BUCKINGHAM. – York, si tes intentions sont bonnes, je te salue de bon coeur.
YORK. – Humphroy de Buckingham, je reçois ton salut. Es-tu envoyé, ou viens-tu de ton propre mouvement?
BUCKINGHAM. – Envoyé par Henri, notre redouté souverain, pour savoir la raison de cette prise d'armes en temps de paix, ou pour que tu me dises à quel titre, toi, sujet comme moi, et contre ton serment d'obéissance et de fidélité, tu assembles, sans l'ordre du roi, ce grand nombre de soldats, et oses conduire tes troupes si près de sa cour.
YORK, à part. – A peine puis-je parler tant est grande ma colère. Oh! dans l'indignation que m'inspirent ces paroles avilissantes, que ne puis-je déraciner les rochers et me battre contre la pierre! et que n'ai-je en ce moment, comme Ajax, le fils de Télamon, le pouvoir de décharger ma furie sur des boeufs et des brebis! Je suis né bien plus haut que ce roi, bien plus semblable à un roi, bien plus roi par mes pensées… Mais je dois encore un peu de temps affecter la sérénité, jusqu'à ce que Henri soit plus faible et moi plus fort. (Haut.) Oh! Buckingham, pardonne-moi, je te prie, d'avoir été si longtemps sans te répondre; mon esprit était absorbé par une profonde mélancolie. – Mon but, en amenant cette armée, est… d'éloigner du roi l'orgueilleux Somerset, traître envers Sa Grâce et envers l'État.
BUCKINGHAM. – Cela est trop présomptueux de ta part. Cependant, si cet armement n'a point d'autre but, le roi a cédé à ta demande: le duc de Somerset est à la Tour.
YORK. – Sur ton honneur, est-il en prison?
BUCKINGHAM. – Sur mon honneur, il est en prison.
YORK. – En ce cas, Buckingham, je congédie mon armée. Soldats, je vous remercie tous: dispersez-vous, et venez demain me trouver aux prés de Saint-George; vous y recevrez votre paye, et tout ce que vous pourrez désirer. Que mon souverain, le vertueux Henri, me demande mon fils aîné; que dis-je! tous mes fils, comme otages de ma fidélité et de mon attachement: je les lui remettrai tous avec autant de satisfaction que j'en ai à vivre. Terres, biens, cheval, armure, tout ce que je possède est à ses ordres, comme il est vrai que je désire que Somerset périsse.
BUCKINGHAM. – York, je loue cette affectueuse soumission, et nous allons nous rendre ensemble à la tente du roi.
(Entre le roi avec sa suite.)
LE ROI. – Buckingham, York n'a-t-il donc point dessein de nous nuire, que je le vois s'avancer ainsi son bras passé dans le tien?
YORK. – York vient, rempli de soumission et de respect, se présenter à Votre Majesté.
LE ROI. – Dans quelle intention as-tu donc amené toutes ces troupes?
YORK. – Pour enlever d'auprès de vous le traître Somerset, et pour marcher contre Cade, cet abominable rebelle, que je viens d'apprendre avoir été défait.
(Entre Iden avec la tête de Cade.)
IDEN. – Si un homme grossier comme moi et d'une aussi basse condition peut paraître en la présence d'un roi, je viens offrir à Votre Grâce la tête d'un traître, la tête de Cade que j'ai tué en combat.
LE ROI. – La tête de Cade! Grand Dieu, quelle est ta justice! Oh! laisse-moi regarder mort le visage de celui qui vivant m'a suscité de si cruels embarras. Dis-moi, mon ami; est-ce toi qui l'as tué?
IDEN. – C'est moi-même, n'en déplaise à Votre Majesté.
LE ROI. – Comment t'appelles-tu? quelle est ta condition?
IDEN. – Alexandre Iden est mon nom, un pauvre écuyer de Kent, qui aime son roi.
BUCKINGHAM. – Avec votre permission, seigneur, il ne serait pas mal de le créer chevalier pour un pareil service.
LE ROI. – Iden, mets-toi à genoux (il se met à genoux), et relève-toi chevalier. Je te donne mille marcs pour récompense, et je veux que désormais tu demeures attaché à notre suite.
IDEN. – Puisse Iden vivre pour mériter tant de bonté! et ne vivre jamais que pour être fidèle à son souverain!
(Entrent la reine Marguerite, Somerset.)
LE ROI. – Voyez, Buckingham, voilà Somerset qui s'approche avec la reine; allez la prier de le cacher promptement aux regards du duc.
MARGUERITE. – Pour mille York, il ne cachera pas sa tête; mais il demeurera hardiment pour l'affronter en face.
YORK. – Quoi donc! Somerset en liberté! S'il en est ainsi, York, laisse donc un libre cours à tes pensées emprisonnées trop longtemps, et que ta langue parle comme ton coeur? Endurerai-je la vue de Somerset? Perfide roi, pourquoi as-tu rompu ta foi avec moi, toi qui sais combien je souffre peu qu'on m'outrage? T'appellerai-je donc roi? Non, tu n'es point un roi, tu n'es point propre à gouverner ni à régir des peuples, toi qui n'oses pas, qui ne peux pas maîtriser un traître. Ta tête ne sait point porter une couronne. Ta main est faite pour serrer le bâton de palmier, non pour soutenir le sceptre imposant d'un souverain. C'est mon front qui doit ceindre l'or de la couronne; ce front dont la sérénité ou la colère peut, comme la lance d'Achille, tuer ou guérir par ses divers mouvements. Voilà la main qui saura tenir un sceptre, qui saura établir ses lois suprêmes. Cède-moi la place. Par le ciel, tu ne régneras pas plus longtemps sur celui que le ciel a créé pour régner sur toi.
SOMERSET. – O épouvantable traître! je t'arrête, York, pour crime de haute trahison contre le roi et la couronne. Obéis, traître audacieux. A genoux, pour demander grâce.
YORK. – Moi, me mettre à genoux! demande d'abord à mes genoux s'ils souffriront que je plie devant un homme. Qu'on appelle mes fils pour me servir de caution. (Sort un homme de la suite.) Je suis bien sûr qu'avant qu'ils me laissent conduire en prison, leurs épées se rendront caution de mon affranchissement.
MARGUERITE. – Qu'on cherche Clifford: priez-le de venir promptement, et qu'il nous dise si les bâtards d'York peuvent servir de caution à leur traître de père.
YORK. – O Napolitaine teinte de sang, rebut proscrit de Naples, fléau sanguinaire de l'Angleterre! Les fils d'York, bien meilleurs que toi par la naissance, seront la caution de leur père: malheur à ceux qui la refuseraient! (Entrent d'un côté Édouard et Richard Plantagenet avec des soldats; et de l'autre aussi avec des soldats, le vieux Clifford et son fils.) Vois s'ils viennent; je réponds qu'ils tiendront ma parole.
MARGUERITE. – Et voilà Clifford qui arrive pour rejeter leur caution.
CLIFFORD. – Salut et bonheur à mon seigneur roi!
YORK. – Je te rends grâces, Clifford: dis quel sujet t'amène. Ne nous chagrine pas par un regard ennemi, c'est nous qui sommes ton souverain, Clifford; fléchis de nouveau le genou, nous te pardonnerons de t'être mépris.
CLIFFORD. – Voici mon roi, York; je ne me méprends point. Mais, toi, tu te méprends fort de m'imputer une méprise. Il le faut envoyer à Bedlam: cet homme est-il devenu fou?
LE ROI. – Oui, Clifford, une folie ambitieuse le porte à s'élever contre son roi.
CLIFFORD. – C'est un traître. Faites-le conduire à la Tour, et qu'on vous mette à bas sa tête séditieuse.
MARGUERITE. – Il est arrêté; mais il ne veut pas obéir. Ses fils, dit-il, donneront pour lui leur parole.
YORK. – N'y consentez-vous pas, mes enfants?
ÉDOUARD PLANTAGENET. – Oui, mon noble père, si nos paroles peuvent vous servir.
RICHARD PLANTAGENET. – Et si nos paroles ne le peuvent, ce sera nos épées.
CLIFFORD. – Quoi? quelle race de traîtres avons-nous donc ici?
YORK. – Regarde dans un miroir, et donne ce nom à ton image. Je suis ton roi, et toi un traître au coeur faux. Appelez ici, pour se placer au poteau 24, mes deux braves ours; que du seul bruit de leurs chaînes ils fassent trembler ces chiens félons qui tournent timidement autour d'eux. Priez Salisbury et Warwick de se rendre près de moi.
(Tambours. Entrent Salisbury et Warwick avec des soldats.)
CLIFFORD. – Sont-ce là tes ours? Eh bien! je harcèlerai tes ours jusqu'à la mort, et de leurs chaînes j'attacherai le gardien d'ours lui-même, s'il se hasarde à les conduire dans la lice.
RICHARD PLANTAGENET. – J'ai vu souvent un dogue ardent et présomptueux se retourner et mordre celui qui l'empêchait de s'élancer; puis aussitôt que, laissé en liberté, il sentait la patte cruelle de l'ours, je l'ai vu serrer la queue entre ses jambes en poussant des cris; tel est le rôle que vous jouerez, si vous vous mesurez en ennemi avec le lord Warwick.
CLIFFORD. – Loin d'ici, amas de disgrâces, hideuse et grossière ébauche, aussi difforme par ton âme que par ta figure!
YORK. – Nous allons dans peu vous échauffer autrement.
CLIFFORD. – Prenez garde que cette chaleur ne vous brûle vous-même.
LE ROI. – Quoi, Warwick! Tes genoux ont-ils désappris à fléchir?.. Et toi, Salisbury, honte sur tes cheveux blancs! Toi, guide insensé, qui égares le coeur malade de ton fils, veux-tu, sur ton lit de mort, jouer le rôle d'un brigand, et chercher ton malheur avec tes lunettes! Oh! où est la foi, où est la loyauté? Si elles sont bannies d'une tête glacée par les ans, où trouveront-elles un refuge sur la terre? Veux-tu donc creuser ton tombeau pour y trouver encore la guerre, et souiller de sang ton âge honorable? Quoi! vieux comme tu l'es, tu manques d'expérience; ou, si tu en as, pourquoi lui fais-tu un tel outrage? Pour ton honneur, rends-toi au devoir, fléchis devant moi ces genoux que ton âge avancé fait déjà plier vers la tombe.
SALISBURY. – Seigneur, j'ai examiné avec moi-même le titre de ce très-renommé duc, et, dans ma conscience, je crois que c'est à Sa Grâce qu'appartient par droit de succession le trône d'Angleterre.
LE ROI. – Ne m'as-tu pas juré fidélité et obéissance?
SALISBURY. – Oui.
LE ROI. – Peux-tu te dégager envers le ciel de la nécessité d'acquitter ton serment?
SALISBURY. – C'est un grand péché de jurer le péché; mais c'en est un plus grand encore de tenir un serment coupable. Quel voeu assez solennel peut contraindre à commettre un meurtre, à dépouiller autrui, à outrager la pudeur d'une vierge sans tache, à ravir le patrimoine de l'orphelin, à priver la veuve de ses droits légitimes, sans autre raison de cette injustice que le lien d'un serment solennel?
MARGUERITE. – Un traître subtil n'a pas besoin de sophiste.
LE ROI. – Appelez Buckingham; dites-lui de s'armer.
YORK. – Appelle Buckingham, Henri, et tout ce que tu as d'amis. Je suis résolu à mourir ou à régner.
CLIFFORD. – Je te garantis le premier, si les songes prédisent la vérité.
WARWICK. – Tu ferais mieux de regagner ton lit et d'y aller rêver encore, pour te mettre à l'abri de la tempête du champ de bataille.
CLIFFORD. – Je suis résolu à soutenir une tempête plus terrible que celle qu'il est en ton pouvoir de susciter aujourd'hui; et je compte écrire cette résolution sur ton cimier, si je puis seulement te reconnaître aux armes de ta maison.
WARWICK. – Oui, j'en jure par les armoiries de mon père, par l'ancien écu des Nevil, l'ours rampant enchaîné à un poteau tortueux, je veux porter aujourd'hui mon panache élevé, comme le cèdre qui se déploie sur le sommet d'une montagne et conserve son feuillage en dépit de la tempête, pour te faire trembler seulement à le voir.
CLIFFORD. – Et moi, je t'arracherai ton ours de dessus ton casque, et le foulerai sous mes pieds avec tout le mépris dont je suis capable, en haine du gardeur d'ours par qui l'ours sera défendu.
LE JEUNE CLIFFORD. – Aux armes donc, mon victorieux père, pour réprimer ces rebelles et leurs complices.
RICHARD PLANTAGENET. – Fi donc! pour votre honneur un peu plus de charité; ne proférez point de paroles de haine, car vous souperez ce soir avec Jésus-Christ.
LE JEUNE CLIFFORD. – Odieux signe de colère, c'est plus que tu n'en peux dire.
RICHARD PLANTAGENET. – Si ce n'est pas dans le ciel que vous souperez, ce sera donc sûrement en enfer.
(Ils sortent de différents côtés.)
SCÈNE II
Saint-Albans
Alarmes, combattants qui passent et repassent Entre WARWICK
WARWICK. – Clifford de Cumberland, c'est Warwick qui t'appelle; et si tu ne te caches pas devant l'ours, maintenant que les trompettes furieuses sonnent l'alarme et que les cris des mourants remplissent le vide des airs, Clifford, je t'appelle. Viens et combats contre moi, orgueilleux lord du nord. Clifford de Cumberland, Warwick s'enroue à force de t'appeler aux armes. (Entre York.) Quoi! mon noble lord, comment, à pied?
YORK. – Clifford, dont la mort arme le bras, vient de tuer mon cheval; mais coup pour coup, et au même moment, j'ai fait de cette excellente bête qu'il aimait tant un repas pour les vautours et les corbeaux.
(Entre Clifford.)
WARWICK. – L'heure de l'un de nous ou de tous deux est arrivée.
YORK. – Arrête, Warwick, et cherche ailleurs quelque autre proie; car c'est moi qui dois poursuivre celle-ci jusqu'à la mort.
WARWICK. – En ce cas, fais vaillamment, York; c'est pour une couronne que tu combats Clifford; comme il est vrai que je compte réussir aujourd'hui, j'ai du chagrin au coeur de te quitter sans te combattre.
(Warwick sort.)
CLIFFORD. – Que vois-tu donc en moi, York? Pourquoi t'arrêter ainsi?
YORK. – J'aimerais ta contenance guerrière si tu ne m'étais pas si profondément ennemi.
CLIFFORD. – Et l'on ne refuserait pas à ta valeur la louange et l'estime, si tu ne l'employais honteusement et pour le crime.
YORK. – Puisse-t-elle me défendre contre ton épée, comme il est vrai qu'elle soutient la justice et la bonne cause!
CLIFFORD. – Mon âme et mon corps ensemble sur cette affaire-ci.
YORK. – Voilà un terrible gage. En garde sur-le-champ.
(Ils combattent, Clifford tombe.)
CLIFFORD. -La fin couronne les oeuvres 25.
(Il meurt.)
YORK. – Ainsi la guerre t'a donné la paix, car te voilà tranquille. Que le repos soit avec son âme, si c'est la volonté du ciel!
(Il sort.)
(Entre le jeune Clifford.)
LE JEUNE CLIFFORD. – Honte et confusion! Tout est en déroute. La peur crée le désordre, et le désordre frappe ceux qu'il faudrait défendre. O guerre! fille des enfers, dont le ciel irrité a fait l'instrument de sa colère, jette dans les coeurs glacés des nôtres les charbons brûlants de la vengeance! Ne laisse pas fuir un soldat. L'homme qui s'est vraiment consacré à la guerre ne connaît pas l'amour de soi. Quiconque s'aime soi-même n'a point essentiellement, mais seulement par le hasard des circonstances, les caractères de la valeur… (Voyant son père mort.) O que ce vil monde prenne fin, et que les flammes du dernier jour confondent, avant le temps, la terre et le ciel embrasés ensemble! Que le souffle de la trompette universelle se fasse entendre et impose silence au son mesquin des divers bruits du monde! Père chéri, étais-tu donc destiné à perdre ta jeunesse dans la paix, et à revêtir les couleurs argentées de l'âge, de la prudence, pour venir, aux jours vénérables où l'on garde la maison, périr dans une mêlée de brigands. A cette vue, mon coeur se change en pierre, et tant qu'il m'appartiendra il demeurera dur comme elle. – York n'épargne point nos vieillards, je n'épargnerai pas davantage leurs enfants. Les larmes des jeunes vierges feront sur mon coeur l'effet de la rosée sur la flamme; et la beauté, qui si souvent a rappelé les tyrans à la clémence, ne fera, comme l'huile et la cire, qu'animer l'ardeur de ma colère. Dès ce moment, la pitié ne m'est plus rien. Si je trouve un enfant de la maison d'York, je le couperai en autant de bouchées que la farouche Médée fit du jeune Absyrte, et je chercherai ma gloire dans la cruauté. (Il prend sur ses épaules le corps de son père.) Viens, toi, ruine récente de l'antique maison de Clifford; comme Énée emporta le vieil Anchise, je vais te charger sur mes robustes épaules. Mais Énée portait une charge vivante, elle ne lui pesait pas ce que me pèsent mes douleurs.
(Il sort.)
(Entrent Richard Plantagenet et Somerset: ils combattent, Somerset est tué.)
RICHARD PLANTAGENET. – Te voilà donc là gisant! Par sa mort sous une misérable enseigne du château de Saint-Albans, mise à la porte d'un cabaret, Somerset va rendre fameuse la sorcière qui l'a prédite 26. Fer, conserve ta trempe; coeur, continue d'être impitoyable. Les prêtres prient pour leurs ennemis, mais les princes tuent.
(Il sort.)
(Alarmes. Différentes excursions des deux partis. Entrent le roi Henri et la reine Marguerite et quelques autres faisant retraite.)
MARGUERITE. – Fuyez, seigneur. Que vous êtes lent! N'avez-vous pas de honte? fuyez.
LE ROI. – Pouvons-nous fuir les volontés du ciel? Chère Marguerite, arrêtez.
MARGUERITE. – De quelle nature êtes-vous donc? Vous ne voulez ni combattre ni fuir. Maintenant c'est force d'esprit, sagesse et sûreté, de céder le champ aux ennemis, et de garantir notre vie par tous les moyens possibles, puisque tout ce que nous pouvons c'est de fuir. (On entend au loin une alarme.) Si vous êtes pris, nous sommes au bout de nos ressources; mais si nous avons le bonheur d'échapper, comme le temps nous en reste, si nous ne le perdons pas par votre négligence, nous pourrons gagner Londres où vous êtes aimé, et où l'échec de cette journée pourra être promptement réparé.
(Entre le jeune Clifford.)
CLIFFORD. – Si je n'avais attaché toute mon âme à l'espoir de leur nuire un jour, vous m'entendriez blasphémer, plutôt que de vous engager à fuir. Mais fuyez, il le faut. L'incurable découragement règne dans le coeur de notre parti. Fuyez pour votre salut, et nous vivrons pour voir arriver leur tour, et leur transmettre notre fortune. Hâtez-vous, seigneur; fuyez.
Cette allusion de l'ours qu'on enchaînait à un poteau, et qu'on faisait harceler par une meute de chiens, est familière à Shakspeare pour désigner un guerrier redoutable. Un ours rampant était l'écusson des Nevils.