Kitabı oku: «Jules César», sayfa 4
LE SERVITEUR. – Je le sers, Marc-Antoine.
ANTOINE. – César lui a écrit de se rendre à Rome.
LE SERVITEUR. – Il a reçu les lettres de César. Il est en chemin, et il m'a chargé de vous dire de vive voix… (Il aperçoit le corps de César.) O César!
ANTOINE. – Ton coeur se gonfle: retire-toi à l'écart et pleure. La douleur, je le sens, est contagieuse; et mes yeux, en voyant rouler dans les tiens ces marques de ton affliction, commencent à se remplir de larmes. – Ton maître vient-il?
LE SERVITEUR. – Il couche cette nuit à sept lieues de Rome.
ANTOINE. – Retourne sur tes pas en diligence, et dis-lui ce qui est arrivé. Il n'y a plus ici qu'une Rome en deuil, une Rome dangereuse, et non point une Rome où Octave puisse encore trouver la sûreté40. Hâte-toi de partir et de lui donner cet avis. – Non, demeure encore: tu ne partiras point que je n'aie porté ce corps sur la place du marché. Là, dans ma harangue, je pressentirai les dispositions du peuple sur le cruel succès de ces hommes de sang, et, selon l'événement, tu rendras compte au jeune Octave de l'état des choses. – Prêtez-moi la main.
(Ils sortent, emportant le corps de César.)
SCÈNE II
Toujours à Rome. – Le Forum
Entrent BRUTUS ET CASSIUS, et une foule de citoyens
LES CITOYENS. – Nous voulons qu'on nous rende raison de ce qui a été fait: rendez-nous-en raison.
BRUTUS. – Suivez-moi donc et prêtez l'oreille à mon discours, amis. – Vous, Cassius, passez dans la rue voisine et partageons le peuple entre nous. – Ceux qui voudront m'entendre parler, qu'ils demeurent ici; que ceux qui veulent écouter Cassius aillent avec lui, et il va être rendu un compte public des motifs de la mort de César.
PREMIER CITOYEN. – Je veux entendre parler Brutus.
SECOND CITOYEN. – Je veux entendre Cassius, afin de comparer leurs raisons quand nous les aurons écoutés séparément l'un et l'autre.
(Cassius sort avec une partie du peuple. Brutus monte dans le rostrum.)
TROISIÈME CITOYEN. – Le noble Brutus est monté; silence.
BRUTUS. – Écoutez patiemment jusqu'à la fin. Romains, compatriotes, amis, entendez-moi dans ma cause, et faites silence pour que vous puissiez entendre. Croyez-moi pour mon honneur, et ayez égard à mon honneur, afin que vous puissiez me croire. Jugez-moi dans votre sagesse, et faites usage de votre raison afin de pouvoir mieux juger. S'il est dans cette assemblée quelque ami sincère de César, je lui dis que l'amour de Brutus pour César n'était pas moindre que le sien. Si cet ami demande pourquoi Brutus s'est élevé contre César, voici ma réponse: ce n'est pas que j'aimasse moins César, mais j'aimais Rome davantage. Aimeriez-vous mieux voir César vivant et mourir tous esclaves, que de voir César mort, et de vivre tous libres? César m'aimait, je le pleure; il fut heureux, je m'en réjouis; il était vaillant, je l'honore: mais il fut ambitieux, et je l'ai tué. Il y a des larmes pour son amitié, du respect pour sa vaillance, de la joie pour sa fortune, et la mort pour son ambition. – Quel est ici l'homme assez abject pour vouloir être esclave? S'il en est un, qu'il parle, car pour lui je l'ai offensé. Quel est ici l'homme assez stupide pour ne vouloir pas être un Romain? S'il en est un, qu'il parle, car pour lui je l'ai offensé. Quel est ici l'homme assez vil pour ne pas aimer sa patrie? S'il en est un, qu'il parle, car pour lui je l'ai offensé. – Je m'arrête pour attendre une réponse.
PLUSIEURS CITOYENS parlant à la fois. – Personne, Brutus, personne.
BRUTUS. – Je n'ai donc offensé personne. Je n'ai pas fait plus contre César que vous n'avez droit de faire contre Brutus. Les motifs de sa mort sont enregistrés au Capitole, sans atténuer la gloire qu'il méritait, sans appuyer sur ses fautes, pour lesquelles il a subi la mort. (Entrent Antoine et plusieurs autres conduisant le corps de César.) – Voici son corps qui s'avance accompagné de signes de deuil par les soins de Marc-Antoine, qui, sans avoir participé à sa mort, recueillera les fruits de son trépas, une place dans la république. Et qui de vous n'en recueillera pas une? Voici ce que j'ai à vous dire en vous quittant: Ainsi que j'ai tué mon meilleur ami pour le bien de Rome, de même je garde ce poignard pour moi dès que ma patrie jugera ma mort nécessaire.
LES CITOYENS. – Vivez, Brutus, vivez, vivez!
PREMIER CITOYEN. – Reconduisons-le en triomphe jusque dans sa maison.
SECOND CITOYEN. – Élevons-lui une statue parmi ses ancêtres.
TROISIÈME CITOYEN. – Qu'il soit fait César.
QUATRIÈME CITOYEN. – Les meilleures qualités de César seront couronnées dans Brutus.
PREMIER CITOYEN. – Il faut le conduire à sa maison avec de bruyantes acclamations.
BRUTUS. – Mes concitoyens!
SECOND CITOYEN. – Paix, silence; Brutus parle.
PREMIER CITOYEN. – Holà, silence.
BRUTUS. – Bons concitoyens, laissez-moi me retirer seul, et, pour l'amour de moi, demeurez ici avec Antoine. Accueillez le corps de César, et accueillez aussi sa harangue à la gloire de César. – C'est notre permission qui autorise Marc-Antoine à la faire. Je vous conjure, que personne ne sorte d'ici que moi seul, jusqu'à ce qu'Antoine ait parlé.
(Il sort.)
PREMIER CITOYEN. – Holà, restez; écoutons Marc-Antoine.
TROISIÈME CITOYEN. – Qu'il monte dans la tribune, nous l'écouterons. Noble Antoine, montez.
ANTOINE. – Je suis reconnaissant de ce que vous m'accordez pour l'amour de Brutus.
QUATRIÈME CITOYEN. – Que dit-il de Brutus?
TROISIÈME CITOYEN. – Il dit qu'il est reconnaissant envers nous tous de ce que nous lui accordons pour l'amour de Brutus.
QUATRIÈME CITOYEN. – Il ferait bien de ne pas parler mal de Brutus.
PREMIER CITOYEN. – Ce César était un tyran.
TROISIÈME CITOYEN. – Oui, cela est certain: nous sommes bien heureux que Rome en soit délivrée.
SECOND CITOYEN. – Paix: écoutons ce qu'Antoine pourra dire.
ANTOINE. – Généreux Romains…
LES CITOYENS. – Silence! holà! écoutons-le.
ANTOINE. – Amis, Romains, compatriotes, prêtez-moi l'oreille. – Je viens pour inhumer César, non pour le louer. Le mal que font les hommes vit après eux; le bien est souvent enterré avec leurs os. Qu'il en soit ainsi de César. – Le noble Brutus vous a dit que César était ambitieux: s'il l'était, ce fut une faute grave, et César en a été gravement puni. – Ici par la permission de Brutus et des autres (car Brutus est un homme honorable: ils le sont tous, tous des hommes honorables), je viens pour parler aux funérailles de César. Il était mon ami, il fut fidèle et juste envers moi; mais Brutus dit qu'il était ambitieux, et Brutus est un homme honorable. – Il a ramené dans Rome une foule de captifs dont les rançons ont rempli les coffres publics: César en ceci parut-il ambitieux? Lorsque les pauvres ont gémi, César a pleuré: l'ambition devrait être formée d'une matière plus dure. – Cependant Brutus dit qu'il était ambitieux, et Brutus est un homme honorable. – Vous avez tous vu qu'aux Lupercales, trois fois je lui présentai une couronne de roi, et que trois fois il la refusa. Était-ce là de l'ambition? – Cependant Brutus dit qu'il était ambitieux, et sûrement Brutus est un homme honorable. Je ne parle point pour contredire ce que Brutus a dit, mais je suis ici pour dire ce que je sais. – Vous l'aimiez tous autrefois, et ce ne fut pas sans cause: quelle cause vous empêche donc de pleurer sur lui? O discernement, tu as fui chez les brutes grossières, et les hommes ont perdu leur raison! – Soyez indulgents pour moi; mon coeur est dans ce cercueil avec César: il faut que je m'arrête jusqu'à ce qu'il me soit revenu.
PREMIER CITOYEN. – Il y a, ce me semble, beaucoup de raison dans ce qu'il dit.
SECOND CITOYEN. – Si tu examines sensément cette affaire, César a essuyé une grande injustice.
TROISIÈME CITOYEN. – Serait-il vrai, compagnons? Je crains qu'il n'en vienne à sa place un plus mauvais que lui.
QUATRIÈME CITOYEN. – Avez-vous remarqué ces mots: «Il ne voulut pas prendre la couronne?» Donc il est certain qu'il n'était pas ambitieux.
PREMIER CITOYEN. – Si cela est prouvé, il en coûtera cher à quelques-uns.
SECOND CITOYEN. – Pauvre homme! ses yeux sont rouges comme le feu à force de pleurer.
TROISIÈME CITOYEN. – Il n'est pas dans Rome un homme d'un plus grand coeur qu'Antoine.
QUATRIÈME CITOYEN. – Attention maintenant, il recommence à parler.
ANTOINE. – Hier encore la parole de César aurait pu résister à l'Univers: aujourd'hui le voilà étendu, et parmi les plus misérables, il n'en est pas un qui croie avoir à lui rendre quelque respect! O citoyens, si j'avais envie d'exciter vos coeurs et vos esprits à la révolte et à la fureur, je pourrais faire tort à Brutus, faire tort à Cassius, qui, vous le savez tous, sont des hommes honorables. Je ne veux pas leur faire tort: j'aime mieux faire tort au mort, à moi-même, et à vous aussi, que de faire tort à des hommes si honorables. – Mais voici un parchemin scellé du sceau de César; je l'ai trouvé dans son cabinet. Si le peuple entendait seulement ce testament, que, pardonnez-le-moi, je n'ai pas dessein de vous lire, tous courraient baiser les blessures du corps de César, et tremper leurs mouchoirs dans son sang sacré; oui, je vous le dis, tous solliciteraient en souvenir de lui un de ses cheveux qu'à leur mort ils mentionneraient dans leurs testaments, le léguant à leur postérité comme un précieux héritage.
QUATRIÈME CITOYEN. – Nous voulons entendre le testament: lisez-le, Marc-Antoine.
LES CITOYENS. – Le testament! le testament! nous voulons entendre le testament de César.
ANTOINE. – Modérez-vous, mes bons amis; je ne dois pas le lire. Il n'est pas à propos que vous sachiez combien César vous aimait. Vous n'êtes pas de bois, vous n'êtes pas de pierre, vous êtes des hommes; et puisque vous êtes des hommes, si vous entendiez le testament de César, il vous rendrait frénétiques. Il est bon que vous ne sachiez pas que vous êtes ses héritiers; car si vous le saviez, oh! qu'en arriverait-il?
QUATRIÈME CITOYEN. – Lisez le testament; nous voulons l'entendre, Antoine. Vous nous lirez le testament, le testament de César.
ANTOINE. – Voulez-vous avoir de la patience? voulez-vous différer quelque temps? – Je me suis laissé entraîner trop loin en parlant du testament. Je crains de faire tort à ces hommes honorables dont les poignards ont massacré César; je le crains.
QUATRIÈME CITOYEN. – Ce furent des traîtres. Eux, des hommes honorables!
LES CITOYENS. – Le testament! les dispositions de César!
SECOND CITOYEN. – Ce sont des scélérats, des assassins. – Le testament! le testament!
ANTOINE. – Vous voulez donc me contraindre à lire le testament? Puisqu'il en est ainsi, formez un cercle autour du corps de César, et laissez-moi vous montrer celui qui fit le testament. – Descendrai-je? y consentez-vous?
LES CITOYENS. – Venez, venez.
SECOND CITOYEN. – Descendez.
TROISIÈME CITOYEN. – Nous y consentons.
(Antoine descend de la tribune.)
QUATRIÈME CITOYEN. – Formons un cercle, mettons-nous autour de lui.
PREMIER CITOYEN. – Écartez-vous du cercueil, écartez-vous du corps.
SECOND CITOYEN. – Place pour Antoine, le noble Antoine.
ANTOINE. – Ne vous jetez pas ainsi sur moi, tenez-vous éloignés.
LES CITOYENS. – En arrière, place, reculons en arrière.
ANTOINE. – Si vous avez des larmes, préparez-vous à les répandre maintenant. – Vous connaissez tous ce manteau. – Je me souviens de la première fois où César le porta: c'était un soir d'été dans sa tente, le jour même qu'il vainquit les Nerviens. – Regardez; à cet endroit il a été traversé par le poignard de Cassius. Voyez quelle large déchirure y a faite le haineux Casca! C'est à travers celle-ci que le bien-aimé Brutus a poignardé César; et lorsqu'il retira son détestable fer, voyez jusqu'où le sang de César l'a suivi, se précipitant au dehors comme pour s'assurer si c'était bien Brutus qui frappait si cruellement; car Brutus, vous le savez, était un ange pour César. Jugez, ô vous, grands dieux, avec quelle tendresse César l'aimait: cette blessure fut pour lui la plus cruelle de toutes; car lorsque le noble César vit Brutus le poignarder, l'ingratitude, plus forte que les bras des traîtres, acheva de le vaincre: alors son coeur puissant se brisa, et de son manteau enveloppant son visage, au pied même de la statue de Pompée qui ruisselait de son sang, le grand César tomba. – Oh! quelle a été cette chute, mes concitoyens! Alors vous et moi, et chacun de nous, tombâmes avec lui, tandis que la trahison sanguinaire brandissait triomphante son glaive sur nos têtes. – Oh! maintenant vous pleurez; je le vois, vous sentez le pouvoir de la pitié. Ce sont de généreuses larmes. Bons coeurs, quoi, vous pleurez, en ne voyant encore que les plaies du manteau de notre César! Regardez-ici: le voici lui-même déchiré, comme vous le voyez, par des traîtres!
PREMIER CITOYEN. – O lamentable spectacle!
SECOND CITOYEN. – O noble César!
TROISIÈME CITOYEN. – O jour de malheur!
QUATRIÈME CITOYEN. – O traîtres! scélérats!
PREMIER CITOYEN. – O sanglant, sanglant spectacle!
SECOND CITOYEN. – Nous voulons être vengés. Vengeance! – Courons, cherchons. – Brûlons. – Du feu! – Tuons, massacrons. – Ne laissons pas vivre un des traîtres.
ANTOINE. – Arrêtez, concitoyens.
PREMIER CITOYEN. – Paix; écoutez le noble Antoine.
SECOND CITOYEN. – Nous l'écouterons, nous le suivrons; nous mourrons avec lui.
ANTOINE. – Bons amis, chers amis, que ce ne soit point moi qui vous précipite dans ce soudain débordement de révolte. – Ceux qui ont fait cette action sont des hommes honorables. Quels griefs personnels ils ont eu pour la faire, hélas! je ne le sais pas: ils sont sages et honorables, et sans doute ils auront des raisons à vous donner. – Je ne viens point, amis, surprendre insidieusement vos coeurs; je ne suis point, comme Brutus un orateur; je suis tel que vous me connaissez tous, un homme simple et sans art qui aime son ami, et ceux qui m'ont donné la permission de parler de lui en public le savent bien; car je n'ai ni esprit, ni talent de parole, ni autorité, ni grâce d'action, ni organe, ni aucun de ces pouvoirs d'éloquence qui émeuvent le sang des hommes. Je ne sais qu'exprimer la vérité; je ne vous dis que ce que vous savez vous-mêmes: je vous montre les blessures du bon César (pauvres, pauvres bouches muettes!), et je les charge de parler pour moi. Mais si j'étais Brutus, et que Brutus fût Antoine, il y aurait alors un Antoine qui porterait le trouble dans vos esprits, et donnerait à chaque blessure de César une langue qui remuerait les pierres de Rome et les soulèverait à la révolte.
LES CITOYENS. – Nous nous soulèverons.
PREMIER CITOYEN. – Nous brûlerons la maison de Brutus.
TROISIÈME CITOYEN. – Courons à l'instant, venez, cherchons les conspirateurs.
ANTOINE. – Écoutez-moi encore, compatriotes; écoutez encore ce que j'ai à vous dire.
LES CITOYENS. – Holà, silence; écoutons Antoine, le très-noble Antoine.
ANTOINE. – Quoi, mes amis, savez-vous ce que vous allez faire? En quoi César a-t-il mérité de vous tant d'amour? Hélas! vous l'ignorez: il faut donc que je vous le dise. Vous avez oublié le testament dont je vous ai parlé.
LES CITOYENS. – C'est vrai! – Le testament; restons et écoutons le testament.
ANTOINE. – Le voici, le testament, et scellé du sceau de César. – À chaque citoyen romain, à chacun de vous tous, il donne soixante-quinze drachmes.
SECOND CITOYEN. – O noble César! – Nous vengerons sa mort.
TROISIÈME CITOYEN. – O royal César!
ANTOINE. – Écoutez-moi avec patience.
LES CITOYENS. – Silence donc.
ANTOINE. – En outre il vous a légué tous ses jardins, ses bocages fermés, et ses vergers récemment plantés de ce côté du Tibre. Il vous les a laissés, à vous et à vos héritiers à perpétuité, pour en faire des jardins publics destinés à vos promenades et à vos amusements. – C'était là un César: quand en naîtra-t-il un pareil?
PREMIER CITOYEN. – Jamais, jamais. – Venez, partons, partons; allons brûler son corps sur la place sacrée, et avec les tisons incendier toutes les maisons des traîtres. – Enlevez le corps.
SECOND CITOYEN. – Allez, apportez du feu.
TROISIÈME CITOYEN. – Jetez bas les siéges.
QUATRIÈME CITOYEN. – Enlevez les bancs, les fenêtres, tout.
(Le peuple sort emportant le corps.)
ANTOINE, à part. – Maintenant laissons faire. – Génie du mal! te voilà lancé; suis le cours qu'il te plaira. – (Entre un serviteur.) Qu'y a-t-il, camarade?
LE SERVITEUR. – Seigneur, Octave est déjà arrivé dans Rome.
ANTOINE. – Où est-il?
LE SERVITEUR. – Lépidus et lui sont dans la maison de César.
ANTOINE. – Je vais l'y voir à l'instant; il arrive à souhait. – La Fortune est en belle humeur, et dans ce caprice elle nous accordera tout.
LE SERVITEUR. – Octave a dit devant moi que Brutus et Cassius étaient sortis au galop hors des portes de Rome, comme des hommes qui ont la tête perdue.
ANTOINE. – Sans doute ils auront reçu du peuple quelque nouvelle de la manière dont je l'ai animé. – Conduis-moi vers Octave.
(Antoine sort, suivi du serviteur.)
SCÈNE III
Toujours à Rome. – Une rue
Entre CINNA le poëte
CINNA. – J'ai rêvé cette nuit que j'étais à un banquet avec César, et mon imagination est obsédée d'idées funestes. Je me sens de la répugnance à sortir de ma maison; cependant quelque chose m'entraîne.
(Entrent des citoyens.)
PREMIER CITOYEN. – Quel est votre nom?
SECOND CITOYEN. – Où allez-vous?
TROISIÈME CITOYEN. – Où demeurez-vous?
QUATRIÈME CITOYEN. – Êtes-vous marié ou garçon?
SECOND CITOYEN. – Répondez sans détour à chacun de nous.
PREMIER CITOYEN. – Oui, et brièvement.
QUATRIÈME CITOYEN, – Oui, et sagement.
TROISIÈME CITOYEN. – Oui, et véridiquement; vous ferez bien.
CINNA. – Quel est mon nom, où je vais, où je demeure, si je suis marié ou garçon? Eh bien! pour répondre à chacun de vous sans détour, brièvement, véridiquement et sagement, je dis sagement: Je suis garçon.
SECOND CITOYEN. – Autant dire: Il n'y a que les imbéciles qui se marient. Vous pourriez bien être rossé pour ça, j'en ai peur. Poursuivez et sans détour.
CINNA. – Sans détour? J'allais aux funérailles de César.
PREMIER CITOYEN. – Comme ami, ou comme ennemi?
CINNA. – Comme ami.
SECOND CITOYEN. – C'est répondre sans détour.
QUATRIÈME CITOYEN. – Et votre demeure? Brièvement.
CINNA. – Brièvement? Je demeure près du Capitole.
TROISIÈME CITOYEN. – Et votre nom, s'il vous plaît? véridiquement.
CINNA. – Véridiquement? Mon nom est Cinna.
PREMIER CITOYEN. – Mettons-le en pièces: c'est un conspirateur.
CINNA. – Je suis Cinna le poëte, je suis Cinna le poëte.
QUATRIÈME CITOYEN. – Mettons-le en pièces pour ses mauvais vers, mettons-le en pièces pour ses mauvais vers.
CINNA. – Je ne suis point Cinna le conspirateur.
QUATRIÈME CITOYEN. – N'importe, il se nomme Cinna; arrachons seulement son nom de son coeur, et puis nous le laisserons aller.
TROISIÈME CITOYEN. – Déchirons-le, déchirons-le, – Allons, des brandons, holà, des brandons de feu! – Chez Brutus, chez Cassius, brûlons tout. – Quelques-uns à la maison de Décius, quelques-uns chez Ligarius: partons, courons.
(Ils sortent.)
FIN DU TROISIÈME ACTE
ACTE QUATRIÈME
SCÈNE I
Toujours à Rome. – Une pièce de la maison d'Antoine
ANTOINE, OCTAVE, LÉPIDUS, assis autour d'une table
ANTOINE. – Ainsi, tous ceux-là périront. Leurs noms sont pointés.
OCTAVE. – Votre frère aussi doit mourir. Y consentez-vous, Lépidus?
LÉPIDUS. – J'y consens.
OCTAVE. – Pointez-le, Antoine.
LÉPIDUS. – À condition que Publius41 ne vivra pas, le fils de votre soeur, Marc-Antoine.
ANTOINE. – Il ne vivra pas: voyez, de ce trait, je le condamne. – Mais vous, Lépidus, allez à la maison de César, rapportez-nous le testament, et nous verrons à faire quelques coupures dans les charges qu'il nous a léguées.
LÉPIDUS. – Mais vous retrouverai-je ici?
OCTAVE. – Ou ici, ou au Capitole.
(Lépidus sort.)
ANTOINE. —regardant aller Lépidus. – C'est là un homme nul et sans mérite, bon à être envoyé en message. Lorsqu'il se fait trois parts de l'univers, convient-il qu'il soit l'un des trois copartageants?
OCTAVE. – Vous le jugiez ainsi, et vous avez pris sa voix sur ceux qui doivent être désignés à la mort dans notre noire sentence de proscription!
ANTOINE. – Octave, j'ai vu plus de jours que vous; et si nous plaçons ces honneurs sur cet homme en vue de nous soulager nous-mêmes de divers fardeaux odieux, il ne fera que les porter comme l'âne porte l'or, gémissant et suant sous sa charge, tantôt conduit, tantôt chassé dans la voie que nous lui indiquerons; et quand il aura voituré notre trésor au lieu qui nous convient, alors nous lui reprendrons son fardeau, et nous le renverrons, comme l'âne déchargé, secouer ses oreilles et paître dans les prés du commun.
OCTAVE. – Vous pouvez faire ce qu'il vous plaira; mais c'est un soldat intrépide et éprouvé.
ANTOINE. – Comme mon cheval, Octave; et à cause de cela je lui assigne sa ration de fourrage. C'est un animal que j'instruis à combattre, à volter, à s'arrêter ou à courir en avant. Ses mouvements physiques sont gouvernés par mon intelligence, et à certains égards Lépidus n'est rien de plus; il a hesoin d'être instruit, dressé et averti de se mettre en marche. C'est un esprit stérile n'ayant pour pâture que les objets, les arts, les imitations, qui, déjà usés et vieillis pour les autres hommes, deviennent ses modèles. Ne t'en occupe que comme d'une chose qui nous appartient; maintenant, Octave, de grands intérêts réclament notre attention. – Brutus et Cassius lèvent des armées; il faut nous préparer à leur tenir tête. Songeons donc à combiner notre alliance, à nous assurer de nos meilleurs amis, à déployer nos plus puissantes ressources; et allons de ce pas nous réunir pour délibérer sur les moyens les plus efficaces de découvrir les choses cachées, sur les plus sûrs moyens de faire face aux périls connus.
OCTAVE. – J'en suis d'avis; car nous sommes comme la bête attachée au poteau, entourés d'ennemis qui aboient et nous harcèlent; et plusieurs qui nous sourient renferment, je le crains bien, dans leurs coeurs des millions de projets perfides.