Kitabı oku: «La vie et la mort du roi Richard II», sayfa 7
ACTE CINQUIÈME
SCÈNE I
Une des rues conduisant à la Tour
Entrent LA REINE et ses dames
LA REINE. – C'est par cette rue que le roi va passer: voilà le chemin de cette Tour qu'à la maleheure a bâtie Jules César 27, et dont le sein de pierre devient, par arrêt de l'orgueilleux Bolingbroke, la prison de mon seigneur condamné. – Reposons-nous ici, si cette terre rebelle a encore un lieu de repos pour la reine de son légitime souverain! (Entre le roi Richard conduit par des gardes.) Mais paix; ah! que je voie… ou plutôt ne voyons pas se flétrir ma belle rose. Et cependant, levons les yeux, regardons-le, afin que la pitié nous dissolve en rosée pour lui rendre sa fraîcheur en l'arrosant des larmes du fidèle amour. – O toi, l'image des lieux où fut la vieille Troie, carte d'honneur, tombeau du roi Richard et non plus le roi Richard, toi la plus belle des demeures, pourquoi faut-il que le chagrin au sombre visage habite chez toi, tandis que le succès triomphant s'est logé dans un cabaret?
RICHARD. – Femme charmante, ne te ligue pas avec ma douleur, je t'en prie, pour me faire mourir trop promptement. Apprends, bonne âme, à tenir notre ancienne fortune comme un songe heureux dont nous nous réveillons pour voir dans l'état où nous sommes réduits la vérité de ce que nous sommes. Me voilà, ma douce amie, devenu l'inséparable frère de la hideuse nécessité; elle et moi nous sommes liés jusqu'à la mort. – Retire-toi en France, et va te cloîtrer dans quelque maison religieuse: il faut qu'une sainte vie nous gagne dans un monde nouveau la couronne que nos heures profanes ont abattue ici.
LA REINE. – Quoi! l'âme de mon Richard est-elle donc changée et affaiblie comme sa personne? Bolingbroke a-t-il aussi déposé ta raison? est-il entré dans ton coeur? Le lion mourant avance encore la griffe, et, dans la rage de se voir dompté, déchire la terre s'il ne peut atteindre autre chose; et toi, subiras-tu patiemment la correction comme un écolier? Baiseras-tu la verge? flatteras-tu avec une basse humilité la fureur de tes ennemis, toi qui es un lion et le roi des animaux?
RICHARD. – Oui, roi des animaux: si j'avais gouverné autre chose que des animaux, je régnerais encore heureux sur les hommes. – Ma bien-aimée, autrefois reine, prépare-toi à partir pour la France; suppose que je suis mort, et qu'ici, dans cet instant; tu reçois de moi, comme de mon lit de mort, mon dernier adieu de vivant. Dans les ennuyeuses soirées de l'hiver, assise auprès d'un foyer avec quelques bons vieillards, fais-toi raconter les histoires des siècles malheureux passés depuis longtemps; et avant de leur souhaiter le bonsoir, pour acquitter ta part de douleurs, dis-leur ma lamentable chute, et renvoie tes auditeurs pleurants à leurs lits. – Eh quoi! aux tristes accents de ta voix touchante, les insensibles tisons eux-mêmes, émus de sympathie, éteindront le feu sous les larmes de leur compassion; et les uns sous leurs cendres, les autres, noirs comme le charbon, pleureront la déposition d'un roi légitime.
(Entrent Northumberland et une suite.)
NORTHUMBERLAND. – Seigneur, les intentions de Bolingbroke sont changées: c'est à Pomfret, et non à la Tour, qu'il faut vous rendre. – Et vous, madame, je suis aussi chargé d'ordres pour vous: il vous faut partir sans délai pour la France.
RICHARD. – Northumberland, toi l'échelle au moyen de laquelle l'ambitieux Bolingbroke monte sur mon trône, le temps n'aura pas vieilli d'un grand nombre d'heures avant que ton odieux péché, se grossissant de sa propre matière, n'éclate en pourriture. Quand Bolingbroke partagerait son royaume et t'en donnerait la moitié, tu penseras que c'est trop peu pour l'avoir aidé à s'emparer du tout; et lui, il pensera que toi qui sais le moyen d'établir les rois illégitimes, tu sauras aussi, sous le moindre prétexte, trouver un autre moyen de le renverser la tête la première de son trône usurpé. L'attachement des amis pervers se convertit en défiance, la défiance en haine; et la haine conduit l'un, ou tous deux ensemble, à de justes périls et à une mort méritée.
NORTHUMBERLAND. – Que mon crime retombe sur ma tête, et que tout finisse là. Faites-vous vos adieux et séparez-vous, car il faut vous quitter sur l'heure.
RICHARD. – Accablé d'un double divorce! Méchants hommes, vous violez une double union; d'abord entre ma couronne et moi, et puis entre moi et la femme que j'ai épousée. – Délions par un baiser le serment qui subsiste entre toi et moi: et cependant cela ne se peut, car il fut consacré par un baiser 28. – Sépare-nous, Northumberland: moi pour aller vers le nord, où le froid transi et la maladie font languir le pays; ma femme pour aller en France, d'où elle est venue avec pompe et parée comme le doux mois de mai, et où elle est renvoyée comme la Toussaint, ou comme le jour le plus court.
LA REINE. – Eh quoi! faut-il qu'on nous sépare? faut-il nous quitter?
RICHARD. – Oui, ma bien-aimée, ta main de ma main, et ton coeur de mon coeur.
LA REINE. – Bannissez-nous tous deux, et renvoyez le roi avec moi.
NORTHUMBERLAND. – Il y aurait à cela quelque bonté, mais peu de politique.
LA REINE. – Eh bien, là où il va, laissez-moi y aller aussi.
RICHARD. – Pleurant ainsi tous deux ensemble, nous ne ferions qu'une seule douleur. Pleure pour moi en France, je pleurerai ici pour toi: il vaut mieux être loin l'un de l'autre, que réunis pour n'être jamais plus heureux 29. Va, compte tes pas par tes soupirs, et moi les miens par mes gémissements.
LA REINE. – Ainsi le chemin plus long fournira les plus longues plaintes.
RICHARD. – Je pousserai deux gémissements à chaque pas puisque mon chemin est court, et je l'allongerai par le poids que j'ai sur le coeur. Allons, allons, ne faisons pas plus longtemps la cour à la douleur, puisqu'une fois qu'on l'a épousée la douleur dure si longtemps. Qu'un baiser nous ferme la bouche, et séparons-nous en silence. (Ils s'embrassent.) Dans ce baiser je te donne mon coeur, et je prends le tien.
LA REINE. – Rends-moi le mien: c'est un triste rôle que de prendre ton coeur pour le tuer. (Ils s'embrassent encore une fois.) Maintenant que j'ai repris le mien, va-t'en; que je puisse m'efforcer de le tuer d'un seul gémissement.
RICHARD. – Nous jouons avec le malheur dans ces tendres délais. Encore une fois, adieu: que la douleur dise le reste.
(Ils sortent.)
SCÈNE II
La scène est toujours à Londres. – Un appartement dans le palais du duc d'York
Entrent YORK et LA DUCHESSE D'YORK
LA DUCHESSE D'YORK. – Milord, vous m'aviez promis de m'achever le récit de l'entrée de nos deux cousins dans Londres, lorsque vos larmes vous ont forcé de l'interrompre.
YORK. – Où en suis-je resté?
LA DUCHESSE D'YORK. – A ce triste moment où des mains brutales et insolentes jetaient, du haut des fenêtres, de la poussière et des ordures sur la tête du roi Richard.
YORK. – Alors, comme je vous l'ai dit, le duc, le grand Bolingbroke, monté sur un bouillant et fougueux coursier qui semblait connaître son ambitieux maître, poursuivait sa marche à pas lents et majestueux, tandis que toutes les voix criaient: «Dieu te garde, Bolingbroke!» Vous auriez cru que les fenêtres parlaient, tant s'y pressaient les figures de tout âge, jeunes et vieilles, pour lancer à travers les ouvertures d'avides regards sur le visage de Bolingbroke: on eût dit que toutes les murailles, chargées d'images peintes, répétaient à la fois: «Jésus te conserve! sois le bienvenu, Bolingbroke!» tandis que lui, se tournant de côté et d'autre, la tête découverte et courbée plus bas que le cou de son fier coursier, leur disait: «Je vous remercie, mes compatriotes.» Et faisant toujours ainsi, il continuait sa marche.
LA DUCHESSE D'YORK. – Hélas! et le pauvre Richard, que faisait-il alors?
YORK. – Comme dans un théâtre, lorsqu'un acteur favori vient de quitter la scène, les yeux des spectateurs se portent négligemment sur celui qui lui succède, tenant son bavardage pour ennuyeux; ainsi, et avec plus de mépris encore, les yeux du peuple s'arrêtaient d'un air d'aversion sur Richard. Pas un seul n'a crié: Dieu le sauve! Pas une voix joyeuse ne lui a souhaité la bienvenue; mais on répandait la poussière sur sa tête sacrée; et lui la secouait avec une tristesse si douce, une expression si combattue entre les pleurs et le sourire, gages de sa douleur et de sa patience; que si Dieu, pour quelque grand dessein, n'avait pas endurci les coeurs des hommes, ils auraient été forcés de s'attendrir, et la barbarie elle-même eût eu compassion de lui. Mais le ciel a mis la main à ces événements; tranquilles et satisfaits, nous nous soumettrons à sa haute volonté, Notre foi de sujet est maintenant jurée à Bolingbroke dont je reconnais pour toujours la puissance et les droits.
(Entre Aumerle.)
LA DUCHESSE D'YORK. – Voici mon fils Aumerle.
YORK. – Il fut Aumerle jadis, mais il a perdu ce titre pour avoir été l'ami de Richard; et il faut désormais, madame, que vous l'appeliez Rutland. Je suis caution, devant le parlement, de sa fidélité et de sa ferme loyauté envers le nouveau roi.
LA DUCHESSE D'YORK. – Sois le bienvenu, mon fils. Quelles sont les violettes parsemées maintenant sur le sein verdoyant du nouveau printemps?
AUMERLE. – Madame, je l'ignore et ne m'en embarrasse guère. Dieu sait qu'il m'est indifférent d'en être ou de n'en pas être.
YORK. – A la bonne heure; mais comportez-vous bien dans cette saison nouvelle, de peur d'être moissonné avant le temps de la maturité. Que dit-on d'Oxford? Les joutes et les fêtes continuent-elles?
AUMERLE. – Oui, milord, à ce que j'ai ouï dire.
YORK. – Vous y serez, je le sais.
AUMERLE. – Si Dieu ne s'y oppose, c'est mon dessein.
YORK. – Quel est ce sceau qui pend de ton sein 30? – Eh quoi! tu pâlis? Laisse-moi voir cet écrit.
AUMERLE. – Milord, ce n'est rien.
YORK. – En ce cas, peu importe qu'on le voie. Je veux être satisfait: voyons cet écrit.
AUMERLE. – Je conjure Votre Grâce de m'excuser: c'est un écrit de peu d'importance, que j'ai quelque raison de tenir caché.
YORK. – Et moi, monsieur, que j'ai quelque raison de vouloir connaître. Je crains… je crains…
LA DUCHESSE D'YORK. – Eh! que pouvez-vous craindre? Ce ne peut être que quelque engagement qu'il aura contracté pour ses parures le jour du triomphe.
YORK. – Quoi! un engagement avec lui-même? Comment aurait-il entre ses mains l'engagement qui le lie? Tu es folle, ma femme. – Jeune homme, fais-moi voir cet écrit.
AUMERLE. – Je vous en conjure, excusez-moi: je ne puis le montrer.
YORK. – Je veux être obéi; je veux le voir, te dis-je. (Il lui arrache l'écrit et le lit.) – Trahison! noire trahison! – Déloyal! traître! misérable!
LA DUCHESSE D'YORK. – Qu'est-ce que c'est, milord?
YORK. – Holà! quelqu'un ici. (Entre un serviteur.) – Qu'on selle mon cheval. – Le ciel lui fasse miséricorde! – Quelle trahison je découvre ici!
LA DUCHESSE D'YORK. – Comment? qu'est-ce, milord?
YORK. – Donnez-moi mes bottes, vous dis-je. Sellez mon cheval. – Oui, sur mon honneur, sur ma vie, sur ma foi, je vais dénoncer le scélérat!
LA DUCHESSE D'YORK. – Qu'il y a-t-il donc?
YORK. – Taisez-vous, folle que vous êtes.
LA DUCHESSE D'YORK. – Je ne me tairai point. – De quoi s'agit-il, mon fils?
AUMERLE. – Calmez-vous, ma bonne mère: de rien dont ne puisse répondre ma pauvre vie.
LA DUCHESSE D'YORK. – Ta vie en répondre!
(Entre un valet apportant des bottes.)
YORK. – Donne-moi mes bottes. Je veux allez trouver le roi.
LA DUCHESSE D'YORK. – Aumerle, frappe-le. – Pauvre enfant, tu es tout consterné. (Au valet.) – Loin d'ici, malheureux! ne reparais jamais en ma présence.
YORK. – Donne-moi mes bottes, te dis-je.
LA DUCHESSE D'YORK. – Quoi donc, York, que veux-tu faire? Quoi! tu ne cacheras pas la faute de ton propre sang? Avons-nous d'autres fils? pouvons-nous en espérer d'autres? le temps n'a-t-il pas épuisé la fécondité de mon sein? Et tu veux enlever à ma vieillesse mon aimable fils, et me dépouiller de l'heureux titre de mère! Ne te ressemble-t-il pas? n'est-il pas à toi?
YORK. – Femme faible et insensée, veux-tu donc celer cette noire conspiration? Ils sont là douze traîtres qui ont ici pris par serment et réciproquement signé l'engagement d'assassiner le roi à Oxford.
LA DUCHESSE D'YORK. – Il n'en sera pas: nous le garderons ici; et alors comment pourra-t-il s'en mêler?
YORK. – Laisse-moi, femme inconsidérée: fût-il vingt fois mon fils, je le dénoncerais.
LA DUCHESSE D'YORK. – Ah! si tu avais poussé pour lui autant de gémissements que moi, tu serais plus pitoyable. Mais je sais maintenant ce que tu penses: tu soupçonnes que j'ai été infidèle à ta couche; et qu'il est un bâtard au lieu d'être ton fils. Ah! cher York, cher époux, n'aie pas cette pensée; il te ressemble autant qu'homme puisse ressembler à un autre; il ne me ressemble pas, ni à personne de ma famille, et pourtant je l'aime.
YORK. – Laisse-moi passer, femme indisciplinée.
(Il sort.)
LA DUCHESSE D'YORK. – Va après lui, Aumerle: monte son cheval; pique, presse, arrive avant lui auprès du roi, et implore ta grâce avant qu'il t'accuse. Je ne tarderai pas à te suivre: quoique vieille, je ne doute pas que je ne puisse galoper aussi vite qu'York. Je ne me relèverai point de terre que Bolingbroke ne t'ait pardonné. Partons. Va-t'en.
(Ils sortent.)
SCÈNE III
La scène est à Windsor. – Un appartement dans le château
Entrent BOLINGBROKE en roi, PERCY et autres seigneurs
BOLINGBROKE. – Personne ne peut-il me donner des nouvelles de mon débauché de fils? Il y a trois mois entiers que je ne l'ai vu. S'il est quelque fléau dont le ciel nous menace, c'est lui. Plût à Dieu, milords, qu'on pût le découvrir! Faites chercher à Londres, dans toutes les tavernes; car on dit qu'il les hante journellement avec des compagnons sans moeurs et sans frein, de ceux-là mêmes, dit-on, qui se tiennent dans des ruelles étroites, où ils battent notre garde et volent les passants! Et lui, jeune étourdi, jeune efféminé, il se fait un point d'honneur de soutenir cette bande dissolue!
PERCY. – Seigneur, il n'y a guère que deux jours que j'ai vu le prince, et je lui ai parle des tournois qui se tiennent à Oxford.
BOLINGBROKE. – Et qu'a répondit ce galant?
PERCY. – Sa réponse fut qu'il irait dans un mauvais lieu 31, qu'il arracherait à la plus vile des créatures qui s'y trouveraient un de ses gants, qu'il le porterait comme une faveur, et qu'avec ce gage il désarçonnerait le plus robuste agresseur.
BOLINGBROKE. – Aussi dissolu que téméraire: et cependant, au travers de tout cela, j'entrevois quelques étincelles d'espérance qu'un âge plus mûr pourra peut-être développer heureusement. – Mais qui vient à nous?
(Entre Aumerle.)
AUMERLE. – Où est le roi?
BOLINGBROKE. – Que veut dire notre cousin avec cet air de trouble et d'effroi?
AUMERLE. – Que Dieu garde Votre Grâce! Je conjure Votre Majesté de m'accorder un moment d'entretien, seul avec Votre Grâce.
BOLINGBROKE, aux lords.-Retirez-vous, et laissez-nous seuls ici. (Percy et les lords se retirent.) – Que nous veut maintenant notre cousin?
AUMERLE, s'agenouillant.-Que mes genoux restent pour toujours attachés à la terre, et ma langue fixée dans ma bouche à mon palais, si vous ne me pardonnez avant que je me relève ou que je parle.
BOLINGBROKE. – La faute n'est-elle que dans l'intention, ou déjà commise? Dans le premier cas, quelque odieuse qu'elle puisse être, pour gagner ton amitié à l'avenir, je te pardonne.
AUMERLE. – Permettez-moi donc de tourner la clef, afin que personne n'entre jusqu'à ce que je vous aie tout dit.
BOLINGBROKE. – Fais ce que tu voudras.
(Aumerle ferme la porte.)
YORK, en dehors.-Prends garde, mon souverain; veille à ta sûreté; tu as un traître en ta présence.
BOLINGBROKE, tirant son épée.-Scélérat! je vais m'assurer de toi.
AUMERLE. – Retiens ta main vengeresse; tu n'as aucun sujet de craindre.
YORK, en dehors.-Ouvre la porte; prends garde, roi follement téméraire. Ne pourrai-je, au nom de mon attachement, accuser devant toi la trahison? Ouvre la porte, ou je vais la briser.
(Bolingbroke ouvre la porte.)
(Entre York.)
BOLINGBROKE. – Qu'y a-t-il, mon oncle? parlez. Reprenez haleine; dites-nous si le danger presse, afin que nous nous armions pour le repousser.
YORK. – Parcours cet écrit, et tu connaîtras la trahison que ma course rapide m'empêche de te développer.
AUMERLE. – Souviens-toi, en lisant, de ta parole donnée. Je suis repentant: ne lis plus mon nom dans cette liste; mon coeur n'est point complice de ma main.
YORK. – Traître, il l'était avant que ta main eût signé. – Roi, je l'ai arraché du sein de ce traître: c'est la crainte et non l'amour qui engendre son repentir. Oublie ta pitié pour lui, de peur que ta pitié ne devienne un serpent qui te percera le coeur.
BOLINGBROKE. – O conspiration odieuse, menaçante et audacieuse! O père loyal d'un fils perfide! O toi, source argentée, pure et immaculée, d'où ce ruisseau a pris son cours à travers des passages fangeux qui l'ont sali; comme le surcroît de ta bonté s'est en lui changé en méchanceté, de même cette bonté surabondante excusera la faute mortelle de ton coupable fils.
YORK. – Ainsi ma vertu servira d'entremetteur à ses vices 32; il dépensera mon honneur à réparer sa honte, comme ces fils prodigues qui dépensent l'or amassé par leurs pères. Pour que mon honneur vive, il faut que son déshonneur périsse; ou bien son déshonneur va couvrir ma vie d'infamie. Tu me tues en lui permettant de vivre: si tu lui laisses le jour, le traître vit et tu mets à mort le sujet fidèle.
LA DUCHESSE D'YORK, en dehors. – De grâce, mon souverain, pour l'amour de Dieu, laisse-moi entrer.
BOLINGBROKE. – Quelle suppliante à la voix grêle pousse ces cris empressés?
LA DUCHESSE D'YORK. – Une femme, ta tante, grand roi. C'est moi, écoute-moi, aie pitié de moi; ouvre la porte: c'est une mendiante qui mendie sans avoir jamais mendié 33, moi qui ne demandai jamais.
BOLINGBROKE. – Voilà notre scène changée: nous passons d'une chose sérieuse à la mendiante avec le roi. – Mon dangereux cousin, faites entrer votre mère: je vois bien qu'elle vient intercéder pour votre odieux forfait.
YORK. – Si tu lui pardonnes, qui que ce soit qui te prie, ce pardon pourra faire germer d'autres crimes. Retranche ce membre corrompu, et tous les autres restent sains. Si tu l'épargnes, il corrompra tout le reste.
(Entre la duchesse d'York.)
LA DUCHESSE D'YORK. – O roi! ne crois pas cet homme au coeur dur: celui qui ne s'aime pas lui-même ne peut aimer personne.
YORK. – Femme extravagante, que fais-tu ici? Ton sein flétri veut-il une seconde fois nourrir un traître?
LA DUCHESSE D'YORK. – Cher York, calmez-vous. – Mon gracieux souverain, écoutez-moi.
(Elle se met à genoux.)
BOLINGBROKE. – Levez-vous, ma bonne tante.
LA DUCHESSE D'YORK. – Non, pas encore, je t'en conjure: je resterai prosternée sur mes genoux, et jamais je ne reverrai le jour que voient les heureux, que tu ne m'aies rendue à la joie, que tu ne m'aies dit de me réjouir en pardonnant à Rutland, à mon coupable enfant.
AUMERLE, se mettant à genoux.-Et moi je courbe les genoux pour m'unir aux prières de ma mère.
YORK, se mettant à genoux.-Et moi je courbe mes genoux fidèles pour prier contre tous les deux. Si tu accordes la moindre grâce, puisse-t-il t'en mal arriver!
LA DUCHESSE D'YORK. – Ah! croyez-vous qu'il parle sérieusement? Voyez son visage: ses yeux ne versent point de larmes, sa prière n'est qu'un jeu, ses paroles ne viennent que de sa bouche, les nôtres viennent du coeur: il ne vous prie que faiblement, et désire qu'on le refuse; mais nous, nous vous prions du coeur, de l'âme, de tout le reste: ses genoux fatigués se lèveraient avec joie, je le sais; et les nôtres resteront agenouillés jusqu'à ce qu'ils s'unissent à terre. Ses prières sont remplies d'une menteuse hypocrisie; les nôtres sont pleines d'un vrai zèle et d'une intégrité profonde. Nos prières surpassent les siennes: qu'elles obtiennent donc cette miséricorde due aux prières véritables.
BOLINGBROKE. – Ma bonne tante, levez-vous.
LA DUCHESSE D'YORK. – Ne me dis point levez-vous, mais d'abord je pardonne; et tu diras ensuite levez-vous. Ah! si j'avais été ta nourrice et chargée de t'apprendre à parler, je pardonne eut été pour toi le premier mot de la langue. Jamais je n'ai tant désiré entendre un mot. Roi, dis: Je pardonne; que la pitié t'enseigne à le prononcer. Le mot est court, mais moins court qu'il n'est doux: il n'en est point qui convienne mieux à la bouche des rois que: je pardonne.
YORK. – Parle-leur français, roi; dis-leur: Pardonnez-moi 34.
LA DUCHESSE D'YORK. – Dois-tu enseigner au pardon à détruire le pardon? Ah! mon cruel mari, mon seigneur au coeur dur qui emploie ce mot contre lui-même, prononce le pardon commun qui est d'usage dans notre pays; nous ne comprenons pas ce jargon français. Tes yeux commencent à parler; que ta langue s'y joigne, ou bien place ton oreille dans ton coeur compatissant, afin qu'il entende le son pénétrant de nos plaintes et de nos prières, et que la pitié t'excite à proférer le pardon.
BOLINGBROKE. – Ma bonne tante, levez-vous.
LA DUCHESSE D'YORK. – Je ne demande point à me relever: la grâce que je sollicite, c'est que tu pardonnes.
BOLINGBROKE. – Je lui pardonne, comme je désire que Dieu me pardonne.
LA DUCHESSE D'YORK. – O heureuse victoire d'un genou suppliant! Et pourtant je suis malade de crainte; répète-le: prononcer deux fois le pardon, ce n'est pas pardonner deux fois, mais c'est fortifier un pardon.
BOLINGBROKE. – Je lui pardonne de tout mon coeur.
LA DUCHESSE D'YORK. – Tu es un dieu sur la terre.
BOLINGBROKE. – Mais pour notre loyal beau-frère et l'abbé, et tout le reste de cette bande de conspirateurs, la destruction va leur courir sur les talons. – Mon bon oncle, chargez-vous d'envoyer plusieurs détachements à Oxford, ou en quelque autre lieu que se trouvent ces traîtres: ils ne demeureront pas en ce monde, je le jure; mais je les aurai si je sais une fois où ils sont. Mon oncle, adieu. – Et vous aussi, cousin, adieu. Votre mère a su prier pour vous; devenez fidèle.
LA DUCHESSE D'YORK. – Viens, mon vieux fils, je prie Dieu de faire de toi un nouvel homme.
(Ils sortent.)
C'est sur ce mot beggar que porte la plaisanterie de Bolingbroke.
Our scene is alter'd from a serious thing,And now chang'd to the Beggar and the king. The beggar était, comme on l'a déjà fait voir dans les notes de Roméo et Juliette, une ballade alors très-connue.
Shakspeare en veut beaucoup au pardonnez-moi. Il paraît que de son temps l'usage continuel et abusif de cette expression était le signe caractéristique de l'affectation des manières françaises. Mais la plaisanterie est ici d'autant plus mal placée, que cette manière de s'excuser n'a rien de particulier au français: pardon me est continuellement employé dans ce même sens par Shakspeare, pas plus loin que dans la scène précédente, où Aumerle refuse de donner à son père le papier qu'il lui demande.