Kitabı oku: «Le Jour des Rois», sayfa 5
SCÈNE II
Un appartement dans la maison d'Olivia
SIR TOBIE, SIR ANDRÉ et FABIAN
SIR ANDRÉ. – Non, par ma foi; je ne resterai pas une minute de plus.
SIR TOBIE. – Ta raison, mon cher furieux; donne-moi ta raison.
FABIAN. – Il faut absolument que vous donniez votre raison, sir André.
SIR ANDRÉ. – Comment? J'ai vu votre nièce prodiguer plus de faveurs au serviteur du comte qu'elle ne m'en a jamais accordé; j'ai vu tout ce qui s'est passé dans le verger.
SIR TOBIE. – T'a-t-elle vu pendant ce temps-là, mon vieux garçon, dis-moi cela?
SIR ANDRÉ. – Aussi clairement que je vous vois à présent.
FABIAN. – C'est là une grande preuve de l'amour qu'elle a pour vous.
SIR ANDRÉ. – Morbleu! voulez-vous faire de moi un âne?
FABIAN. – Je vous prouverai la légitimité de ma conséquence, sir André, sur les témoignages du jugement et de la raison.
SIR TOBIE. – Et tous les deux ont été de grands juristes, bien avant que Noé fût devenu marin.
FABIAN. – Elle n'a fait un favorable accueil à ce page, en votre présence, que pour vous exaspérer, pour réveiller votre valeur endormie; que pour vous mettre du feu dans le coeur, et du soufre dans le foie. Vous auriez dû l'aborder alors; et par quelques fines railleries, tout fraîchement frappées à la monnaie, vous auriez pétrifié et rendu muet le jeune page: voilà ce qu'on attendait de vous, et cela a été manqué; vous avez laissé le temps effacer la double dorure de cette occasion; et vous voilà voguant au pôle nord de la bonne opinion de ma maîtresse. Vous y resterez suspendu comme un glaçon à la barbe d'un Hollandais, à moins que vous ne rachetiez cette faute par quelque louable tentative de valeur ou de politique.
SIR ANDRÉ. – S'il faut tenter quelque chose, il faut que ce soit par la valeur, car je déteste la politique; j'aimerais autant être un Browniste54 qu'un politique.
SIR TOBIE. – Eh bien! en ce cas, bâtis-moi donc ta fortune sur la base de la valeur. Envoie-moi un cartel au page du comte: bats-toi avec lui: blesse-le en onze endroits: ma nièce en tiendra note, et sois bien sûr qu'il n'y a point dans le monde d'entremetteur d'amour qui puisse rendre un homme recommandable aux yeux d'une femme comme la réputation de valeur.
FABIAN. – Il n'y a pas d'autre parti que celui-là, sir André.
SIR ANDRÉ. – Voulez-vous, l'un de vous deux, lui porter mon défi?
SIR TOBIE. – Allons, écris-le d'une écriture martiale: sois tranchant et court. Peu importe qu'il soit spirituel, pourvu qu'il soit éloquent, et plein d'invention. Insulte-le avec toute la licence de l'encre. Si tu le tutoies deux ou trois fois, cela ne fera pas mal; et accumule autant de démentis qu'il en pourra tenir dans ta feuille de papier, fût-elle assez grande pour servir de lit à la Ware, en Angleterre. Allons, à l'ouvrage! qu'il y ait assez de fiel dans ton encre; peu importe que tu écrives avec une plume d'oie: allons, à l'oeuvre.
SIR ANDRÉ. – Où vous retrouverai-je?
SIR TOBIE. – Nous irons te demander au cubiculo55: va.
(Sir André sort.)
FABIAN. – Voilà un bout d'homme qui vous est bien cher, sir Tobie.
SIR TOBIE. – Je lui ai été très-cher, mon garçon, jusqu'à concurrence de deux mille écus ou quelque chose comme cela.
FABIAN. – Nous aurons une bonne lettre de lui: mais vous ne la remettrez pas à son adresse?
SIR TOBIE. – Si fait, ou ne te fie jamais à ma parole; je veux user de tous les moyens pour exciter le jeune homme à y répondre. Je crois que ni boeufs, ni câbles ne pourront jamais venir à bout de les joindre; car, pour sir André, si on l'ouvrait et qu'on trouvât seulement autant de sang dans son foie qu'il en faut pour embarrasser le pied d'une mouche, je consens à manger le reste de la dissection.
FABIAN. – Et son adversaire, le jeune page, ne porte pas sur sa figure de grands symptômes de férocité.
(Entre Marie.)
SIR TOBIE. – Vois, voici le plus jeune roitelet de la couvée qui vient à nous.
MARIE. – Si vous voulez vous dilater la rate, et que vous soyez curieux de rire à vous tenir les côtés, suivez-moi. Ce stupide Malvolio est changé en païen, en vrai renégat: car il n'est point de chrétien, pour peu qu'il veuille être sauvé en croyant la vérité, qui puisse jamais croire à des extravagances pareilles et aussi grossières: il est en bas jaunes.
SIR TOBIE. – Et les jarretières en croix?
MARIE. – De la plus ridicule manière; comme un pédant qui tient école dans l'église. – Je l'ai suivi pas à pas, comme si j'eusse été son assassin; il obéit de point en point à la lettre que j'ai laissé tomber pour lui faire niche. Pour sourire, il contourne son visage en plus de lignes qu'il n'y en a dans la nouvelle carte, augmentée encore des Indes: vous n'avez jamais rien vu de semblable. J'ai bien de la peine à m'empêcher de lui lancer quelque chose à la tête. Je sais que ma maîtresse lui donnera quelque soufflet; si elle le fait, il sourira encore, et le prendra pour une faveur signalée.
SIR TOBIE. – Allons, mène-nous, mène-nous où il est.
(Ils sortent.)
SCÈNE III
Une rue
ANTONIO, SÉBASTIEN
SÉBASTIEN. – Je ne voulais pas volontairement vous déranger: mais puisque vous faites votre plaisir de vos peines, je ne gronde plus.
ANTONIO. – Je n'ai pu rester derrière vous: un désir, plus pénétrant que l'acier affilé, m'a aiguillonné et forcé à marcher en avant. Et ce n'est pas purement par besoin de vous voir, ce n'est pas seulement par amitié, quoiqu'elle soit assez forte pour m'avoir fait entreprendre une plus longue route; mais c'est aussi par inquiétude de ce qui pourrait vous arriver dans votre voyage, à vous qui n'avez aucune connaissance de ce pays, qui souvent se montre sauvage, inhospitalier pour un étranger sans guide et sans ami. Mon affection, poussée par ces motifs de crainte, m'a engagé à vous suivre.
SÉBASTIEN. – Mon cher Antonio, je ne peux vous répondre que par des remerciements, et des remerciements, et toujours des remerciements. Souvent les services de l'amitié se payent avec cette monnaie qui n'a pas cours. Mais si ma puissance égalait mon désir, vous seriez mieux récompensé. – Que ferons-nous? Irons-nous voir ensemble les ruines de cette ville?
ANTONIO. – Demain, seigneur. Il vaut mieux d'abord aller voir votre logement.
SÉBASTIEN. – Je ne suis point fatigué, et il y a loin encore d'ici à la nuit: je vous en prie, allons récréer nos yeux par la vue des monuments, des choses célèbres, qui donnent du renom à cette ville.
ANTONIO. – Je vous demanderai de m'excuser. Je ne me promène point sans danger dans ces rues. Une fois, dans un combat de mer, j'ai rendu quelque service contre les galères du comte; et un service vraiment si important, que si j'étais pris ici, j'aurais peine à me tirer d'affaire.
SÉBASTIEN. – Probablement vous avez tué beaucoup de ses sujets.
ANTONIO. – Mon offense n'est pas d'une nature si sanguinaire; quoique les circonstances et la querelle nous missent bien en droit d'en venir à cet argument sanglant. On aurait pu l'apaiser depuis en restituant ce que nous avions pris: et c'est ce que firent la plupart des citoyens de notre ville, pour l'intérêt du commerce: il n'y a eu que moi seul qui ai refusé; et à cause de cela, si j'étais surpris ici, je le payerais cher.
SÉBASTIEN. – Ne vous montrez donc pas trop ouvertement.
ANTONIO. – Cela ne serait pas prudent à moi. Tenez, monsieur, voilà ma bourse: la meilleure auberge où vous puissiez loger, c'est à l'Éléphant, dans les faubourgs du midi. Je vais y commander notre repas, tandis que vous passerez le temps et que vous satisferez votre curiosité en voyant la ville, vous me retrouverez là.
SÉBASTIEN. – Pourquoi aurais-je votre bourse?
ANTONIO. – Peut-être vos yeux tomberont-ils sur quelque bagatelle qu'il vous prendra envie d'acheter; et vos fonds, à ce que j'imagine, ne sont pas destinés à de frivoles emplettes.
SÉBASTIEN. – Je serai votre porte-bourse, et je vous quitte pour une heure.
ANTONIO. – A l'Éléphant…
SÉBASTIEN. – Je m'en souviens bien.
SCÈNE IV
Le jardin d'Olivia
OLIVIA, MARIE
OLIVIA, à part. – J'ai envoyé après lui. Je suppose qu'il dise qu'il viendra… comment le fêterai-je? Quel don lui ferai-je? car la jeunesse aime plus souvent à se faire acheter qu'elle ne se donne ou ne se prête… Je parle trop haut. – Où est Malvolio? – Il est grave et civil; et c'est un serviteur qui cadre bien avec ma position. – Où est Malvolio?
MARIE. – Il vient, madame: mais dans un étrange accoutrement: il est sûrement possédé, madame.
OLIVIA. – Quoi, que veux-tu dire? Est-ce qu'il extravague?
MARIE. – Non, madame; il ne fait que sourire continuellement. – Il serait bon, madame, que vous fussiez entourée, s'il vient: car il est certain que cet homme a la tête timbrée.
OLIVIA. – Va le chercher. (Marie sort.) – Je suis aussi insensée qu'il peut l'être, si la folie gaie et la folie triste sont égales. (Rentrent Marie et Malvolio.) Eh bien! Malvolio?
MALVOLIO. – Belle dame… ho! ho! ho!
OLIVIA. – Tu ris? Je t'ai envoyé chercher pour une triste circonstance.
MALVOLIO. – Triste, madame? Je pourrais être triste; ces jarretières croisées causent toujours quelque obstruction dans le sang: mais qu'est-ce que cela fait? Si elles plaisent à l'oeil d'une seule personne, je suis dans le cas du sonnet qui dit bien vrai: Plaire à une seule, c'est plaire à tout le monde.
OLIVIA. – Qu'est-ce que tu as donc? Que t'arrive-t-il?
MALVOLIO. – Il n'y a point de noir dans mon âme, quoiqu'il y ait du jaune à mes jambes. – Elle est tombée dans ses mains, et les ordres seront exécutés. Je m'imagine que nous savons reconnaître sa belle main romaine.
OLIVIA. – Veux-tu aller te mettre au lit, Malvolio?
MALVOLIO. – Au lit? Oui, ma chère âme, et je viendrai te trouver!
OLIVIA. – Dieu te bénisse! Pourquoi ris-tu ainsi et baises-tu ta main si souvent?
MARIE. – Que faites-vous, Malvolio?
MALVOLIO. – Répondre à vos questions? Oui, comme les rossignols répondent aux corneilles.
MARIE. – Pourquoi paraissez-vous avec cette ridicule hardiesse devant madame?
MALVOLIO. —Ne t'effraye point de la grandeur?– Cela est bien écrit.
OLIVIA. – Que veux-tu dire par là, Malvolio?
MALVOLIO. —Quelques-uns naissent grands.
OLIVIA. – Quoi?
MALVOLIO. —D'autres parviennent à la grandeur.
OLIVIA. – Que dis-tu?
MALVOLIO. —Et il en est que la grandeur vient chercher d'elle-même.
OLIVIA. – Que le ciel te rétablisse!
MALVOLIO. —Rappelle-toi qui t'a fait l'éloge de tes bas jaunes.
OLIVIA. – Tes bas jaunes?
MALVOLIO. —Et qui a souhaité te voir en jarretières croisées.
OLIVIA. – En jarretières croisées?
MALVOLIO. —Poursuis, ta fortune est faite, pour peu que tu le veuilles.
OLIVIA. – Ma fortune est faite?
MALVOLIO. —Si tu ne le veux pas, je ne verrai donc en toi qu'un serviteur.
OLIVIA. – Mais c'est une vraie folie de canicule.
(Entre un domestique.)
LE DOMESTIQUE. – Madame, le jeune gentilhomme du comte Orsino est revenu: il me serait bien difficile de le prier de se retirer, il attend le bon plaisir de Votre Seigneurie.
OLIVIA. – Je vais aller le trouver. (Le domestique sort.) – Bonne Marie, aie soin qu'on veille sur ce garçon. Où est mon oncle Tobie? Que quelques-uns de mes gens le gardent à vue: je ne voudrais pas pour la moitié de ma fortune qu'il lui arrivât quelque malheur.
(Olivia sort avec Marie.)
MALVOLIO seul. – Oh! oh! qu'on m'approche maintenant? Pas moins que sir Tobie, pour m'accompagner! Cela s'accorde parfaitement avec la lettre; elle me l'envoie exprès pour que je le traite cavalièrement: car dans la lettre elle m'excite à cela. Secoue ton humble poussière, dit-elle: tiens tête au parent, sois hautain avec les serviteurs, que ta langue raisonne sur les affaires d'État, prends les airs d'un homme original; et ensuite elle me dicte la manière dont je dois m'y prendre: un visage sérieux, un maintien digne, une prononciation lente, à la manière de quelqu'un de grande considération, et le reste à l'avenant. Je l'ai prise dans mes filets: mais c'est l'oeuvre de Jupiter: et que Jupiter me rende reconnaissant! – Oui, et quand elle m'a quitté: Qu'on veille sur ce garçon! garçon, non pas Malvolio, ni suivant mon rang: mais garçon. Allons, tout se tient, en sorte que pas une drachme de scrupule, pas un scrupule de scrupule, pas le moindre obstacle, pas la moindre circonstance qui offre le moindre doute, la moindre incertitude… Que peut-on dire à cela? Rien qui soit possible ne peut s'interposer entre moi et la perspective de mes espérances. Allons, c'est Jupiter, et non pas moi, qui est l'auteur de tout ceci, et je dois lui en rendre grâces.
(Marie revient avec sir Tobie et Fabian.)
SIR TOBIE. – Au nom du ciel, quel chemin a-t-il pris? Quand tous les diables de l'enfer seraient entrés dans ce petit corps, et que Légion même le posséderait, je lui parlerai.
FABIAN. – Le voici, le voici. – (A Malvolio.) Comment vous va, monsieur? Comment vous trouvez-vous, ami?
MALVOLIO. – Éloignez-vous, je vous congédie. – Laissez-moi jouir de mon particulier, retirez-vous.
MARIE. – Voyez, comme l'esprit malin parle dans ses entrailles d'une voix sépulcrale! Ne vous l'avais-je pas dit? Sir Tobie, ma maîtresse vous prie de bien veiller sur lui.
MALVOLIO. – Ha! ha! l'a-t-elle recommandé?
SIR TOBIE. – Allez, allez; paix, paix! il faut que nous nous y prenions doucement avec lui. Laissez-moi faire. – Comment vous va, Malvolio? Comment vous trouvez-vous? Allons, du courage, mon garçon; défie le diable, souviens-toi qu'il est l'ennemi du genre humain.
MALVOLIO. – Savez-vous bien ce que vous dites?
MARIE. – Eh bien! voyez-vous, lorsque vous parlez mal du diable, comme il le prend à coeur? Prions Dieu qu'il ne soit pas ensorcelé.
FABIAN. – Il faut porter de son urine à la sage-femme.
MARIE. – Vraiment, c'est ce que je ne manquerai pas de faire dès demain matin, si je vis. Ma maîtresse ne voudrait pas le perdre pour plus de choses que je ne puis dire.
MALVOLIO, à Marie. – Comment donc, mademoiselle?
MARIE. – O mon Dieu!
SIR TOBIE. – Je t'en prie, tais-toi; ce n'est pas là le moyen. Ne vois-tu pas que tu l'émeus? Laisse-moi seul avec lui.
FABIAN. – Il n'y a pas d'autre voie que la douceur: doucement, doucement; l'esprit est brutal, et il ne veut pas être traité brutalement.
SIR TOBIE. – Eh bien! mon dindonneau, comment cela va-t-il? Comment es-tu, mon poulet?
MALVOLIO. – Monsieur?
SIR TOBIE. – Oui! je t'en prie; viens avec moi. Allons, mon garçon, il ne sied pas à un homme sage comme toi, de jouer ainsi avec Satan; aux enfers, l'infâme charbonnier56!
MARIE. – Tâchez de lui faire dire ses prières; mon bon sir Tobie, engagez-le à prier.
MALVOLIO. – Mes prières, effrontée!
MARIE. – Non, je vous proteste qu'il ne voudra pas entendre parler de rien de sacré.
MALVOLIO. – Allez tous vous faire pendre! Vous êtes des têtes vides et légères; je ne suis pas formé des mêmes éléments que vous: vous en saurez davantage par la suite.
(Il sort.)
SIR TOBIE. – Est-il possible?
FABIAN. – Si on jouait ceci sur un théâtre, je pourrais bien le condamner comme une fiction invraisemblable.
SIR TOBIE. – Oh! son esprit tout entier s'est laissé prendre au piége.
MARIE. – Allons, suivez-le à présent, de peur que notre projet ne s'évente et ne se gâte.
FABIAN. – En vérité, vous le rendrez fou.
MARIE. – La maison n'en sera que plus tranquille.
SIR TOBIE. – Allons, nous l'enfermerons dans une chambre obscure, enchaîné. Ma nièce est déjà dans la persuasion qu'il est fou! Nous pouvons continuer cette farce, pour notre amusement et sa pénitence, jusqu'à ce que, las de nous amuser, nous nous sentions disposés à avoir pitié de lui. Alors, nous porterons ton plan au tribunal, et nous te couronnerons en qualité de femme habile à trouver des fous. Mais voyez, voyez.
(Entre sir André Ague-cheek.)
FABIAN. – Nouvelle matière à divertissement pour le matin du premier mai57.
SIR ANDRÉ. – Voici le cartel. Lisez-le. Je garantis, qu'il y a du poivre et du vinaigre.
FABIAN. – Est-il bien insultant?
SIR ANDRÉ. – S'il l'est? Oh! je vous en réponds; lisez-le seulement.
SIR TOBIE. – Donnez-moi. (Sir Tobie lit.) «Jeune homme, qui que tu sois, tu n'es qu'un vil drôle.
FABIAN. – Bien, courageux!
SIR TOBIE, lisant. —«Ne t'étonne pas, et ne te demande pas dans tes pensées pourquoi je te traite ainsi; car je ne t'en donnerai aucune raison.
FABIAN. – Bonne note! qui vous met hors de la prise de la loi.
SIR TOBIE, lisant. —«Tu viens chez la dame Olivia, et sous mes yeux elle te traite avec bonté! Mais tu mens par la gorge: ce n'est pas là la raison pourquoi je te provoque en duel.
FABIAN. – Fort laconique, et d'une bêtise exquise.
SIR TOBIE, lisant. —«Je te surprendrai en chemin, retournant chez toi, et là, s'il t'arrive de me tuer…
FABIAN. – Fort bien!
SIR TOBIE, lisant. —«Tu me tueras comme un lâche et un vaurien.
FABIAN. – Bon! Vous vous mettez toujours au-dessus du vent de la loi.
SIR TOBIE, lisant. —«Porte-toi bien; et que Dieu fasse merci à l'une de nos deux âmes; il pourrait faire merci à la mienne; mais j'espère mieux que cela, et ainsi songe à toi. Ton ami, selon que tu le traiteras, et ton ennemi juré. «ANDRÉ AGUE-CHEEK.»
– Si cette lettre n'est pas capable de le mouvoir, ses jambes ne le pourront pas davantage. Je veux la lui remettre.
MARIE. – Vous avez une belle occasion pour cela: il a maintenant un entretien avec madame et il va partir prochainement.
SIR TOBIE. – Allons, sir André; attends-le au coin du verger, en vrai prévôt: du plus loin que tu l'apercevras, dégaine; et en tirant ton épée, jure à faire peur, car il arrive souvent qu'un effroyable serment, prononcé d'un accent insultant et d'une voix foudroyante, vaut plus d'applaudissements au courage que ne lui en auraient gagné les preuves mêmes. Allons, pars.
SIR ANDRÉ. – Oh! laissez-moi le soin de jurer comme il faut.
(Il sort.)
SIR TOBIE. – Maintenant… je ne lui donnerai pas la lettre; car les manières du jeune gentilhomme me prouvent qu'il est intelligent et bien élevé: la négociation où il est employé entre son maître et ma nièce le confirme; en conséquence cette lettre, chef-d'oeuvre d'ignorance, n'inspirerait aucune terreur au jeune homme, et il s'apercevrait aisément qu'elle vient d'un butor. Mais, voyez-vous, je lui rendrai le défi de bouche; je vanterai sir André pour avoir la réputation d'un brave; et j'inspirerai au jeune homme (que son âge rendra crédule, je le sais) la plus formidable idée de sa fureur, de sa science, de sa rage, et de son impétuosité. Et cela les épouvantera si fort tous deux, qu'ils se tueront mutuellement de leur regard, comme des basilics.
FABIAN. – Le voici qui vient avec votre nièce; laissez-les ensemble, jusqu'à ce qu'il prenne congé d'elle, et alors suivez-le.
SIR TOBIE. – Je vais en attendant méditer quelque terrible message pour rendre un défi.
(Ils sortent.)
(Entrent Olivia et Viola.)
OLIVIA. – J'en ai trop dit à un coeur de pierre, et j'ai exposé mon honneur à trop bon marché. Il y a quelque chose en moi qui me reproche ma faute; mais ma faute est si entêtée et si opiniâtre qu'elle se rit des reproches.
VIOLA. – Les chagrins de mon maître tiennent la même conduite que votre passion.
OLIVIA. – Tenez, portez ce bijou pour l'amour de moi; c'est mon portrait: ne refusez pas; il n'a point de langue qui puisse vous être importune, et je vous en conjure, revenez demain. Que pourrez-vous me demander que je vous refuse, de ce que l'honneur peut, sans se compromettre, accorder à une demande?
VIOLA. – Rien autre chose que cette grâce: votre amour sincère pour mon maître.
OLIVIA. – Comment puis-je, avec honneur, lui donner ce que je vous ai donné?
VIOLA. – Je vous tiendrai quitte.
OLIVIA. – Allons, revenez demain; adieu: un démon qui te ressemblerait pourrait conduire mon âme en enfer!
(Elle sort.)
(Rentrent Sir Tobie Belch et Fabian.)
SIR TOBIE. – Mon gentilhomme, Dieu te garde!
VIOLA. – Et vous aussi, monsieur!
SIR TOBIE. – Recours à tous les moyens que tu as de te défendre. De quelle nature sont les insultes que tu lui as faites, c'est ce que j'ignore: mais ton ennemi en embuscade, plein de courroux, avide de sang comme un chasseur, t'attend au bout du verger. Dégaine ta courte épée, sois leste à te mettre en garde; car ton assaillant est vif, habile, et poussé par une haine mortelle.
VIOLA. – Vous vous méprenez, monsieur. Je suis certain que nul homme au monde n'est en querelle avec moi: ma mémoire est bien nette et ne me retrace pas la moindre idée d'une offense quelconque faite à qui que ce soit.
SIR TOBIE. – Vous verrez le contraire, je vous assure: ainsi, si vous attachez quelque prix à votre vie, songez à vous bien mettre en garde; car votre adversaire a pour lui tous les avantages que peuvent donner la jeunesse, la vigueur, l'art et la fureur.
VIOLA. – Je vous prie, monsieur, qui est-ce?
SIR TOBIE. – Il est chevalier; il a reçu l'accolade avec une rapière sans brèche et sur un tapis58: mais c'est un démon dans une querelle privée: il a déjà fait divorcer trois âmes et trois corps; et sa furie est dans ce moment si implacable, qu'il n'y a point d'autre satisfaction qu'il accepte que l'agonie de la mort et le tombeau: à toute outrance59 est son mot; il faut la donner ou la recevoir.
VIOLA. – Je vais rentrer dans la maison, et demander à madame Olivia quelques avis sur la conduite que je dois tenir. Je ne suis point un duelliste. J'ai ouï parler de certaines gens qui suscitent exprès des querelles aux autres, pour éprouver leur valeur: probablement que c'est un homme de cette espèce.
SIR TOBIE. – Non; son indignation vient d'une injure très-positive: ainsi avancez, et donnez-lui satisfaction. Vous ne retournerez point à la maison, à moins que vous ne veuilliez tenter avec moi ce que vous pouvez avec autant de sûreté vider avec lui. Ainsi, en avant ou tirez votre épée de son fourreau: car il faut vous battre, cela est certain; ou bien renoncer à porter cette arme à votre côté.
VIOLA. – Mais cela est aussi incivil qu'étrange. Je vous en conjure, rendez-moi le bon service de savoir du chevalier en quoi je l'ai offensé, cela vient peut-être d'une négligence de ma part, mais non certainement de mes intentions.
SIR TOBIE. – Je le veux bien; seigneur Fabian, restez auprès de ce gentilhomme jusqu'à mon retour.
(Sir Tobie sort.)
VIOLA. – De grâce, monsieur: êtes-vous instruit de cette affaire?
FABIAN. – Ce que je sais, c'est que le chevalier est irrité contre vous, au point de vouloir un duel à mort; mais je ne sais rien des circonstances.
VIOLA. – Dites-moi, je vous prie, quelle espèce d'homme est-ce?
FABIAN. – Son air ne promet rien d'extraordinaire, et l'on ne lit point sur sa figure ce que vous le trouverez être en éprouvant sa valeur. C'est l'adversaire le plus habile, le plus sanguinaire, et le plus dangereux, que vous puissiez trouver dans toute l'Illyrie. Voulez-vous que nous marchions à sa rencontre? Je ferai votre paix avec lui, si je puis.
VIOLA. – Je vous en aurai grande obligation. Je suis un de ces hommes qui aimeraient beaucoup mieux faire société avec messire le curé qu'avec messire le chevalier; peu m'importe qu'on sache jusqu'où va mon courage.
(Ils sortent, et sir Tobie revient avec sir André.)
SIR TOBIE. – Oh! ma foi, c'est un vrai démon; je n'ai jamais vu un tel champion. J'ai fait un assaut avec lui, lame, fourreau, tout; il m'a porté la botte, et d'une rapidité de mouvement si dangereuse qu'il est impossible de l'éviter; et à la riposte, il vous répond aussi sûrement que votre pied frappe la terre sur laquelle il marche. On dit qu'il a été le maître d'armes du sophi.
SIR ANDRÉ. – La peste l'étouffe; je ne veux point avoir affaire à lui.
SIR TOBIE. – Oui, mais maintenant il ne se laissera pas apaiser. Fabian a bien de la peine à le retenir là-bas.
SIR ANDRÉ. – Malepeste! Si j'avais pu croire qu'il fût si vaillant, et si consommé dans l'escrime, je l'aurais vu damné avant de le défier. S'il veut laisser passer l'affaire, je lui donnerai mon cheval gris, Capilet.
SIR TOBIE. – Je veux bien lui en faire la proposition; restez ici, faites bonne contenance; cela finira, j'espère, sans perte d'âmes. (A part.) Mordienne, je ferai aller votre cheval tout aussi bien que vous. (Rentrent Fabian et Viola.) – (A Fabian.) J'ai son cheval pour apaiser la querelle. Je lui ai persuadé que le jeune homme était un diable.
FABIAN, à sir Tobie. – Il a de lui une idée tout aussi formidable, et il est haletant et pâle, comme s'il avait un ours sur les talons.
SIR TOBIE, à Viola. – Il n'y a point de remède. Il faut qu'il se batte avec vous, à cause de son serment. Il a réfléchi depuis sur sa querelle, et il trouve à présent qu'à peine vaut-elle la peine d'en parler: ainsi, dégainez seulement pour l'honneur de sa parole: il proteste qu'il ne vous blessera pas.
VIOLA. – Dieu me protége; il ne s'en faut guère que je ne leur dise tout ce qu'il me manque pour être un homme.
FABIAN. – Cédez le terrain, si vous le voyez trop furieux.
SIR TOBIE, à sir André. – Allons, sir André, il n'y a pas de remède, il n'y a pas moyen de l'éviter, le gentilhomme ne poussera qu'une botte contre vous, pour sauver son honneur: il ne peut, par les lois du duel, s'en dispenser: mais il m'a promis, foi de gentilhomme et de soldat, qu'il ne vous blessera pas. Allons, en garde.
SIR ANDRÉ. – Dieu veuille qu'il tienne sa parole!
(Il tire l'épée.)
VIOLA. – Je vous assure que c'est contre ma volonté.
(Elle tire l'épée.)
(Entre Antonio.)
ANTONIO, à sir André. – Remettez votre épée: si ce jeune gentilhomme vous a fait quelque insulte, j'en prends la faute sur moi. Si vous l'offensez, je vous défie en son nom, j'embrasse sa défense et vous attaque.
(Dégaînant.)
SIR TOBIE, à Antonio. – Vous, monsieur? Quoi! qui êtes-vous?
ANTONIO. – Un homme, monsieur, qui, pour l'amour de ce jeune cavalier, fera plus encore que vous ne l'avez entendu se vanter à vous de faire.
SIR TOBIE. – Si vous êtes un entrepreneur60, je suis à vous.
(Il tire l'épée.)
(Entrent les officiers de justice.)
FABIAN. – Ah! bon sir Tobie, arrêtez; voici les officiers de justice.
SIR TOBIE, à Antonio. – Je serai à vous tout à l'heure.
VIOLA, à sir André. – Je vous prie, monsieur, remettez votre épée, si c'est votre bon plaisir.
SIR ANDRÉ. – Oh! bien volontiers, monsieur; et quant à ce que je vous ai promis, je vous réponds de tenir ma parole. Il vous portera bien doucement, et il a la bouche fine.
PREMIER OFFICIER. – Voilà l'homme; faites votre devoir.
SECOND OFFICIER. – Antonio, je vous arrête à la requête du comte Orsino.
ANTONIO. – Vous vous méprenez, monsieur.
PREMIER OFFICIER. – Non, monsieur, pas du tout. – Je connais bien vos traits, quoique vous n'ayez pas maintenant le bonnet de marin sur la tête. – Emmenez-le: il sait que je le connais bien.
ANTONIO, à Viola. – Je suis forcé d'obéir. – Voilà ce qui m'arrive en vous cherchant, mais il n'y a pas de remède. Je saurai me tirer d'affaire: vous, que ferez-vous? Maintenant la nécessité me force de vous demander ma bourse; je ressens bien plus de peine de ne pouvoir rien faire pour vous, que du malheur qui m'arrive. Vous restez confondu; allons, consolez-vous.
SECOND OFFICIER. – Allons, monsieur, partons.
ANTONIO. – Il faut que je vous demande une partie de cet argent.
VIOLA. – Quel argent, monsieur? Je veux bien, en considération de l'intérêt généreux que vous venez de montrer ici pour moi, et touché aussi de l'accident qui vous arrive, vous prêter quelque chose de mes minces et modiques ressources: ce que je possède n'est pas grand'chose; je le partagerai volontiers avec vous: tenez, voilà la moitié de ma bourse.
ANTONIO. – Voulez-vous me refuser à présent? Est-il possible que mes services envers vous ne soient pas capables de vous persuader? N'insultez pas à mon infortune, de crainte que le ressentiment ne me pousse à l'inconséquence de vous reprocher les services que je vous ai rendus.
VIOLA. – Je n'en connais aucun; et je ne vous reconnais ni au son de voix, ni à vos traits; je hais plus dans un homme l'ingratitude que le mensonge, la vanité, le bavardage, l'ivrognerie, ou tout autre trace de vice, dont le germe impur corrompt notre sang.
ANTONIO. – O ciel!
SECOND OFFICIER. – Allons, monsieur, je vous prie, suivez-nous.
ANTONIO. – Laissez-moi dire encore un mot. Ce jeune homme, que vous voyez là, je l'ai arraché à la mort qui l'avait déjà à moitié englouti; je l'ai secouru avec l'affection la plus sainte… et je m'étais dévoué à lui, séduit par son visage, qui promettait, à ce que je m'imaginais, le plus respectable mérite.
SECOND OFFICIER. – Qu'est-ce que cela nous fait? Le temps se passe. – Allons.