Kitabı oku: «Macbeth», sayfa 5
SCÈNE V
La bruyère. – Tonnerre
Entrent HÉCATE; LES TROIS SORCIÈRES viennent à sa rencontre
PREMIÈRE SORCIÈRE. – Quoi! qu'y a-t-il donc, Hécate? Vous paraissez en colère.
HÉCATE. – N'en ai-je pas sujet, sorcières que vous êtes, insolentes, effrontées? Comment avez-vous osé entrer avec Macbeth en traité et en commerce d'énigmes et d'annonces de mort, sans que moi, souveraine de vos enchantements, habile maîtresse de tout mal, j'aie jamais été appelée à y prendre part et à signaler la gloire de notre art? Et, ce qui est pis encore, c'est que tout ce que vous avez fait, vous l'avez fait pour un fils capricieux, chagrin, colère, qui, comme les autres, ne vous recherche que pour ses propres intérêts et nullement pour vous-mêmes. Réparez votre faute; partez, et demain matin, venez me trouver à la caverne de l'Achéron27. Il y viendra pour apprendre sa destinée: préparez vos vases, vos paroles magiques, vos charmes et tout ce qui est nécessaire. Je vais me rendre dans les airs: j'emploierai cette nuit à l'accomplissement d'un projet fatal et terrible; un grand ouvrage doit être terminé avant midi. A la pointe de la lune pend une épaisse goutte de vapeur; je la saisirai avant qu'elle tombe sur la terre; et, distillée par des artifices magiques, elle élèvera des visions fantastiques qui; par la force des illusions, entraîneront Macbeth à sa ruine. Il bravera les destins, méprisera la mort, et portera ses espérances au delà de toute sagesse, de toute pudeur, de toute crainte; et vous savez toutes que la sécurité est la plus grande ennemie des mortels. – (Chant derrière le théâtre.) «Viens, viens28…» Écoutez! on m'appelle. Vous voyez mon petit lutin assis dans ce gros nuage noir: il m'attend.
(Elle sort.)
PREMIÈRE SORCIÈRE. – Allons, hâtons-nous; il ne tardera pas à revenir.
(Les sorcières sortent.)
SCÈNE VI
A Fores. – Un appartement du palais
Entrent LENOX ET un autre SEIGNEUR
LENOX. – Mes premiers discours n'ont fait que rencontrer vos pensées, qui peuvent aller plus loin. Seulement, je dis que les choses ont été prises d'une singulière manière. Le bon roi Duncan a été plaint de Macbeth! vraiment je le crois bien, il était mort. – Le brave et vaillant Banquo s'est promené trop tard, et vous pouvez dire, si vous voulez, que c'est Fleance qui l'a assassiné, car Fleance s'est enfui. Il ne faut pas se promener trop tard. – Qui de nous peut ne pas voir combien il était horrible de la part de Malcolm et de Donalbain d'assassiner leur bon père? Damnable crime! combien Macbeth en a été affligé! N'a-t-il pas aussitôt, dans une pieuse rage, mis en pièces les deux coupables qui étaient les esclaves de l'ivresse et les serfs du sommeil? N'était-ce pas une noble action? Oui, et pleine de prudence aussi, car toute âme sensible eût été irritée d'entendre ces hommes nier le crime. En sorte que j'en reviens à dire qu'il a très-bien pris toutes choses; et je pense que s'il tenait les fils de Duncan sous sa clef (ce qui ne sera pas, s'il plaît au ciel), ils verraient ce que c'est que de tuer un père, et Fleance aussi. Mais, chut! car j'apprends que pour quelques paroles trop libres, et parce qu'il a manqué de se rendre à la fête du tyran29, Macduff est tombé en disgrâce. Pouvez-vous, monsieur, m'apprendre où il s'est réfugié?
LE SEIGNEUR. – Le fils de Duncan, à qui le tyran retient son légitime héritage, vit à la cour du roi d'Angleterre. Le pieux Edouard lui a fait un accueil si gracieux, que la malveillance de la fortune ne lui a rien fait perdre de la considération due à son rang. C'est là que Macduff est allé demander au saint roi de l'aider à éveiller le Northumberland et le belliqueux Siward, afin que, par leur secours et avec l'approbation de Celui qui est là-haut, nous puissions prendre nos repas sur nos tables, accorder le sommeil à nos nuits, affranchir nos fêtes et nos banquets des poignards sanglants, rendre des hommages légitimes et recevoir des honneurs libres de contrainte, toutes choses après quoi nous soupirons aujourd'hui. Ce rapport a mis le roi dans une telle fureur, qu'il se prépare à tenter quelque expédition guerrière.
LENOX. – A-t-il envoyé vers Macduff?
LE SEIGNEUR. – Oui, et sur cette réponse décidée: «Moi, monsieur! non,» le sombre messager lui a tourné le dos en murmurant, comme s'il eût dit: «Vous regretterez le moment où vous m'avez embarrassé de cette réponse.»
LENOX. – Et c'est un bon avis pour lui de se tenir aussi éloigné que sa prudence pourra lui en fournir les moyens. Que quelque saint ange vole à la cour d'Angleterre annoncer son message, avant qu'il arrive, afin que le bonheur rentre bientôt dans notre patrie, opprimée sous une main maudite!
LE SEIGNEUR. – Mes prières sont avec lui.
(Ils sortent.)
FIN DU TROISIÈME ACTE
ACTE QUATRIÈME
SCÈNE I
Une caverne obscure. Au milieu bout une chaudière. – Tonnerre
Entrent les trois SORCIÈRES
PREMIÈRE SORCIÈRE. – Trois fois le chat tigré a miaulé.
DEUXIÈME SORCIÈRE. – Et trois fois le jeune hérisson a gémi une fois.
TROISIÈME SORCIÈRE. – Harper30 nous crie: «Il est temps, il est temps.»
PREMIÈRE SORCIÈRE. – Tournons en rond autour de la chaudière, et jetons dans ses entrailles empoisonnées31.
Crapaud, qui, pendant trente et un jours et trente et une nuits,
Endormi sous la plus froide pierre,
T'es rempli d'un âcre venin,
Bous le premier dans la marmite enchantée.
LES TROIS SORCIÈRES ENSEMBLE.
Redoublons, redoublons de travail et de soins:
Feu, brûle; et chaudière, bouillonne.
PREMIÈRE SORCIÈRE.
Filet d'un serpent des marais, bous, et cuis dans le chaudron,
Oeil de lézard, pied de grenouille,
Duvet de chauve-souris et langue de chien,
Dard fourchu de vipère et aiguillon du reptile aveugle32,
Jambe de lézard et aile de hibou;
Pour faire un charme puissant en désordre,
Bouillez et écumez comme un bouillon d'enfer.
LES TROIS SORCIÈRES ENSEMBLE.
Redoublons, redoublons de travail et de soins:
Feu, brûle; et chaudière, bouillonne.
TROISIÈME SORCIÈRE.
Écailles de dragon et dents de loup,
Momie de sorcière, estomac et gosier
Du vorace requin des mers salées,
Racine de ciguë arrachée dans la nuit,
Foie de juif blasphémateur,
Fiel de bouc, branches d'if
Coupées pendant une éclipse de lune,
Nez de Turc et lèvres de Tartare,
Doigt de l'enfant d'une fille de joie
Mis au monde dans un fossé et étranglé en naissant;
Rendez la bouillie épaisse et visqueuse;
Ajoutez-y des entrailles de tigre
Pour compléter les ingrédients de notre chaudière.
LES TROIS SORCIÈRES ENSEMBLE.
Redoublons, redoublons de travail et de soins:
Feu, brûle; et chaudière, bouillonne.
DEUXIÈME SORCIÈRE.
Refroidissons le tout dans du sang de singe,
Et notre charme est parfait et solide.
(Entre Hécate, suivie de trois autres sorcières.)
HÉCATE.
Oh! à merveille! j'applaudis à votre ouvrage,
Et chacune de vous aura part au profit,
Maintenant, chantez autour de la chaudière,
Dansant en rond comme les lutins et les fées,
Pour enchanter tout ce que vous y avez mis.
(Musique.)
CHANT.
Esprits noirs et blancs,
Esprits rouges et gris,
Mêlez, mêlez, mêlez,
Vous qui savez mêler.
DEUXIÈME SORCIÈRE. – D'après la démangeaison de mes pouces, il vient par ici quelque maudit. Ouvrez-vous, verrous, qui que ce soit qui frappe.
(Entre Macbeth.)
MACBETH. – Eh bien! sorcières du mystère, des ténèbres et du minuit, que faites-vous là?
LES TROIS SORCIÈRES ENSEMBLE. – Une oeuvre sans nom.
MACBETH. – Je vous conjure par l'art que vous professez, de quelque manière que vous y soyez parvenues, répondez-moi. Dussent les vents par vous déchaînés livrer la guerre aux églises; dussent les vagues écumeuses bouleverser et engloutir les navires; dût le blé chargé d'épis verser, et les arbres être jetés à bas; dussent les châteaux s'écrouler sur la tête de leurs gardiens; dût le faîte des palais et des pyramides s'incliner vers leurs fondements; dût le trésor des germes de la nature rouler confondu jusqu'à rendre la destruction lasse d'elle-même: répondez à mes questions.
PREMIÈRE SORCIÈRE. – Parle.
DEUXIÈME SORCIÈRE. – Demande.
TROISIÈME SORCIÈRE. – Nous répondrons.
PREMIÈRE SORCIÈRE. – Dis, aimes-tu mieux recevoir la réponse de notre bouche ou de celle de nos maîtres?
MACBETH. – Appelez-les, que je les voie.
PREMIÈRE SORCIÈRE. – Versons du sang d'une truie qui a dévoré ses neuf marcassins, et de la graisse qui coule du gibet d'un meurtrier; et jetons-les dans la flamme.
LES TROIS SORCIÈRES ENSEMBLE. – Viens, en haut ou en bas; montre-toi, et fais ton devoir comme il convient.
(Tonnerre. – On voit s'élever le fantôme d'une tête armée d'un casque.)
MACBETH. – Dis-moi, puissance inconnue…
PREMIÈRE SORCIÈRE. – Il connaît ta pensée; écoute ses paroles, mais ne dis rien.
LE FANTÔME. – Macbeth! Macbeth! Macbeth! garde-toi de Macduff; garde-toi du thane de Fife. – Laissez-moi partir. – C'est assez.
(Le fantôme s'enfonce sous la terre.)
MACBETH. – Qui que tu sois, je te rends grâce de ton bon avis. Tu as touché la corde de ma crainte. Mais un mot encore.
PREMIÈRE SORCIÈRE. – Il ne souffre pas qu'on lui commande. En voici un autre plus puissant que le premier.
(Tonnerre. – On voit s'élever le fantôme d'un enfant ensanglanté.)
LE FANTÔME. – Macbeth! Macbeth! Macbeth!
MACBETH. – Je t'écouterais de trois oreilles si je les avais.
LE FANTÔME. – Sois sanguinaire, intrépide et décidé. Ris-toi dédaigneusement du pouvoir de l'homme. Nul homme né d'une femme ne peut nuire à Macbeth.
(Le fantôme s'enfonce sous terre.)
MACBETH. – Vis donc, Macduff; qu'ai-je besoin de te redouter? Cependant je veux rendre ma tranquillité doublement tranquille, et faire un bail avec le Destin. Tu ne vivras pas, afin que je puisse dire à la peur au pâle courage qu'elle en a menti, et dormir en dépit du tonnerre. (Tonnerre.—On voit s'élever le fantôme d'un enfant couronné, ayant un arbre dans la main.) Quel est celui-ci qui s'élève comme le fils d'un roi, et qui porte sur son front d'enfant la couronne fermée de la souveraineté?
LES TROIS SORCIÈRES ENSEMBLE. – Écoute, mais ne parle pas.
LE FANTÔME. – Sois fier comme un lion orgueilleux: ne t'embarrasse pas de ceux qui s'irritent, s'emportent et conspirent contre toi. Jamais Macbeth ne sera vaincu, jusqu'à ce que la grande forêt de Birnam marche contre lui vers la haute colline de Dunsinane.
(Le fantôme rentre dans la terre.)
MACBETH. – Cela n'arrivera jamais. Qui peut presser33 la forêt, commander à l'arbre de détacher sa racine liée à la terre? O douces prédictions! ô bonheur! Rébellion, ne lève point la tête jusqu'à ce que la forêt de Birnam se lève; et Macbeth, au faîte de la grandeur, vivra tout le bail de la nature, et son dernier soupir sera le tribut payé à la vieillesse et à la loi mortelle. – Cependant mon coeur palpite encore du désir de savoir une chose: dites-moi (si votre art va jusqu'à me l'apprendre), la race de Banquo régnera-t-elle un jour dans ce royaume?
TOUTES LES SORCIÈRES ENSEMBLE. – Ne cherche point à en savoir davantage.
MACBETH. – Je veux être satisfait. Si vous me le refusez, qu'une malédiction éternelle tombe sur vous! – Faites-moi connaître ce qui en est. – Pourquoi cette chaudière disparaît-elle? Quel est ce bruit?
(Hautbois.)
PREMIÈRE SORCIÈRE. – Paraissez!
DEUXIÈME SORCIÈRE. – Paraissez!
TROISIÈME SORCIÈRE. – Paraissez!
LES TROIS SORCIÈRES ENSEMBLE. – Paraissez à ses yeux et affligez son coeur. – Venez comme des ombres, et éloignez-vous de même.
(Huit rois paraissent marchant à la file, le dernier tenant un miroir dans sa main. Banquo les suit.)
MACBETH. – Tu ressembles trop à l'ombre de Banquo; à bas! ta couronne brûle mes yeux dans leur orbite. – Et toi, dont le front est également ceint d'un cercle d'or, tes cheveux sont pareils à ceux du premier. – Un troisième ressemble à celui qui le précède. Sorcières impures, pourquoi me montrez-vous ceci? – Un quatrième! Fuyez mes yeux. – Quoi! cette ligne se prolongera-t-elle jusqu'au jour du jugement? Encore un autre! – Un septième! Je n'en veux pas voir davantage. – Et cependant voilà le huitième qui paraît, portant un miroir où j'en découvre une foule d'autres: j'en vois quelques-uns qui portent deux globes et un triple sceptre34. Effroyable vue! Oui, je le vois maintenant, c'est vrai, car voilà Banquo, tout souillé du sang de ses plaies, qui me sourit et me les montre comme siens. – Quoi! en est-il ainsi?
PREMIÈRE SORCIÈRE. – Oui, seigneur, il en est ainsi. – Mais pourquoi Macbeth reste-t-il ainsi saisi de stupeur? Venez, mes soeurs, égayons ses esprits, et faisons-lui connaître nos plus doux plaisirs. Je vais charmer l'air pour qu'il rende des sons, tandis que vous exécuterez votre antique ronde; il faut que ce grand roi puisse dire avec bonté que nous l'avons reçu avec les hommages qui lui sont dus.
(Musique. – Les sorcières dansent et disparaissent.)
MACBETH. – Où sont-elles? parties! – Que cette heure funeste soit maudite dans le calendrier! – Venez, vous qui êtes là dehors.
(Entre Lenox.)
LENOX. – Que désire votre grâce?
MACBETH. – Avez-vous vu les soeurs du Destin?
LENOX. – Non, mon seigneur.
MACBETH. – N'ont-elles pas passé près de vous?
LENOX. – Non, en vérité, mon seigneur.
MACBETH. – Que l'air qu'elles traversent soit infecté, et damnation sur tous ceux qui croiront en elles! – J'ai entendu galoper des chevaux: qui donc est arrivé?
LENOX. – Deux ou trois personnes, seigneur, apportant la nouvelle que Macduff s'est sauvé en Angleterre.
MACBETH. – Il s'est sauvé en Angleterre?
LENOX. – Oui, mon bon seigneur.
MACBETH. – O temps! tu devances mes terribles exploits. On n'atteint jamais le dessein frivole si l'action ne marche pas avec lui. Désormais, les premiers mouvements de mon coeur seront aussi les premiers mouvements de ma main; dès à présent, pour couronner mes pensées par les actes, il faut penser et agir aussitôt; je vais surprendre le château de Macduff, m'emparer de Fife, passer au fil de l'épée sa femme et ses petits enfants, et tout ce qui a le malheur d'être de sa race. Inutile de se vanter comme un insensé; je vais accomplir cette entreprise avant que le projet se refroidisse. Mais, plus de visions!
(À Lenox.) Où sont ces gentilshommes? Viens, conduis-moi vers eux.
(Ils sortent.)
SCÈNE II
A Fife. – Un appartement du château de Macduff
Entrent lady MACDUFF, son JEUNE FILS, ROSSE
LADY MACDUFF. – Qu'avait-il fait qui pût le forcer à fuir son pays?
ROSSE. – Ayez patience, madame.
LADY MACDUFF. – Il n'en a pas eu, lui. Sa fuite est une folie; à défaut de nos actions, ce sont nos frayeurs qui font de nous des traîtres.
ROSSE. – Vous ne savez pas si ç'a été en lui sagesse ou frayeur.
LADY MACDUFF. – Sagesse! de laisser sa femme, laisser ses petits enfants, ses biens, ses titres dans un lieu d'où il s'enfuit! Il ne nous aime point, il ne ressent point les mouvements de la nature. Le pauvre roitelet, le plus faible des oiseaux dispute dans son nid ses petits au hibou. Il n'y a que de la frayeur, aucune affection, et tout aussi peu de sagesse, dans une fuite précipitée ainsi contre toute raison.
ROSSE. – Chère cousine, je vous en prie, gouvernez-vous; car, pour votre époux, il est généreux, sage, judicieux, et connaît mieux que personne ce qui convient aux circonstances. Je n'ose pas trop en dire davantage; mais ce sont dis temps bien cruels que ceux où nous sommes des traîtres sans nous en douter nous-mêmes, où le bruit menaçant arrive jusqu'à nous sans que nous sachions ce qui nous menace, et ou nous flottons au hasard, sans nous diriger, sur une mer capricieuse et irritée35. Je prends congé de vous; vous ne tarderez pas à me revoir ici. Les choses arrivées au dernier degré du mal doivent s'arrêter ou remonter vers ce qu'elles étaient naguère. – Mon joli cousin, que le ciel veille sur vous.
LADY MACDUFF. – Il a un père, et pourtant il n'a point de père.
ROSSE. – Je suis si peu maître de moi-même, que si je m'arrêtais plus longtemps, je me perdrais et ne ferais qu'ajouter à vos peines. Adieu, je prends congé de vous pour cette fois.
LADY MACDUFF. – Mon garçon, votre père est mort: qu'allez-vous devenir? Comment vivrez-vous?
L'ENFANT. – Comme vivent les oiseaux, ma mère.
LADY MACDUFF. – Quoi! de vers et de mouches?
L'ENFANT. – De ce que je pourrai trouver, je veux dire: c'est ainsi que vivent les oiseaux.
LADY MACDUFF. – Pauvre petit oiseau! ainsi tu ne craindrais pas le filet, la glu, le piège, le trébuchet?
L'ENFANT. – Pourquoi les craindrais-je, ma mère? Ils ne sont pas destinés aux petits oiseaux. – Mon père n'est pas mort, quoi que vous en disiez.
LADY MACDUFF. – Oui, il est mort. Comment feras-tu pour avoir un père?
L'ENFANT. – Comment ferez-vous pour avoir un mari?
LADY MACDUFF. – Moi! j'en pourrais acheter vingt au premier marché.
L'ENFANT. – Vous les achèteriez donc pour les revendre?
LADY MACDUFF. – Tu dis tout ce que tu sais, et en vérité cela n'est pas mal pour ton âge.
L'ENFANT. – Mon père était-il un traître, ma mère?
LADY MACDUFF. – Oui, c'était un traître.
L'ENFANT. – Qu'est-ce que c'est qu'un traître?
LADY MACDUFF. – C'est un homme qui jure et qui ment.
L'ENFANT. – Et tous ceux qui font cela sont-ils des traîtres?
LADY MACDUFF. – Oui, tout homme qui fait cela est un traître, et mérite d'être pendu.
L'ENFANT. – Et doivent-ils être tous pendus, ceux, qui jurent et qui mentent?
LADY MACDUFF. – Oui, tous.
L'ENFANT. – Et qui est-ce qui doit les pendre?
LADY MACDUFF. – Les honnêtes gens.
L'ENFANT. – Alors les menteurs et les jureurs sont des imbéciles, car il y a assez de menteurs et de jureurs pour battre les honnêtes gens et pour les pendre.
LADY MACDUFF. – Que Dieu te garde, pauvre petit singe! Mais comment feras-tu pour avoir un père?
L'ENFANT. – S'il était mort, vous le pleureriez, et si vous ne pleuriez pas, ce serait un bon signe que j'aurais bientôt un nouveau père.
LADY MACDUFF. – Pauvre petit causeur, comme tu babilles!
(Arrive un messager.)
LE MESSAGER. – Dieu vous garde, belle dame! je ne vous suis pas connu, quoique je sois parfaitement instruit du rang que vous tenez. Je crains que quelque danger ne soit prêt à fondre sur vous. Si vous voulez suivre l'avis d'un homme simple, qu'on ne vous trouve pas en ce lieu. Fuyez d'ici avec vos petits enfants. Je suis trop barbare, je le sens, de vous épouvanter ainsi: vous faire plus de mal encore serait une horrible cruauté qui est trop près de vous atteindre. Que le ciel vous protège! Je n'ose m'arrêter plus longtemps.
(Il sort.)
LADY MACDUFF. – Où pourrai-je fuir? Je n'ai point fait de mal: mais je me rappelle maintenant que je suis dans ce monde terrestre, où faire le mal est souvent regardé comme louable, et faire le bien passe quelquefois pour une dangereuse folie. Pourquoi donc, hélas! présenterais-je cette défense de femme, et dirais-je: Je n'ai point fait de mal? – (Entrent des assassins.) Quelles sont ces figures?
UN ASSASSIN. – Où est votre mari?
LADY MACDUFF. – Pas dans un lieu, j'espère, assez maudit du ciel pour qu'il puisse être trouvé par un homme tel que toi.
L'ASSASSIN. – C'est un traître.
L'ENFANT. – Tu en as menti, vilain, aux poils roux!
L'ASSASSIN, poignardant l'enfant. – Comment, toi qui n'es pas sorti de ta coquille, petit frai de traître!
L'ENFANT. – Il m'a tué, ma mère: sauvez-vous, je vous en prie.
(Il meurt. Lady Macduff sort en criant au meurtre, et poursuivie par les assassins.)
SCÈNE III
En Angleterre. – Un appartement dans le palais du roi
Entrent MALCOLM ET MACDUFF
MALCOLM. – Cherchons quelque sombre solitude où nous puissions vider de larmes nos tristes coeurs.
MACDUFF. – Empoignons plutôt l'épée meurtrière, et, en hommes de courage, marchons à grands pas vers notre patrie abattue36. Chaque matin se lamentent de nouvelles veuves, de nouveaux orphelins pleurent; chaque jour de nouveaux accents de douleur vont frapper la face du ciel, qui en retentit, comme s'il était sensible aux maux de l'Écosse, et qu'il répondit par des cris aussi lamentables.
MALCOLM. – Je pleure sur ce que je crois; je crois ce que j'ai appris, et ce que je puis redresser sera redressé dès que je trouverai l'occasion amie. Il peut se faire que ce que vous m'avez raconté soit vrai: cependant ce tyran, dont le nom seul blesse notre langue, passa autrefois pour un honnête homme; vous l'avez aimé chèrement; il ne vous a point encore fait de mal. Je suis jeune, mais vous pourriez vous faire un mérite près de lui à mes dépens; et c'est sagesse que d'offrir un pauvre, faible et innocent agneau pour apaiser un dieu irrité.
MACDUFF. – Je ne suis pas traître.
MALCOLM. – Mais Macbeth l'est. Un bon et vertueux naturel peut plier sous la main d'un monarque. Je vous demande pardon; mes idées ne changent point ce que vous êtes en effet: les anges sont demeurés brillants, quoique le plus brillant soit tombé; et quand tout ce qu'il y a d'odieux se présenterait sous les traits de la vertu, la vertu n'en conserverait pas moins son aspect ordinaire.
MACDUFF. – J'ai perdu mes espérances.
MALCOLM. – Peut-être là même où j'ai trouvé des doutes. Pourquoi avez-vous si brusquement quitté, sans prendre congé d'eux, votre femme et vos enfants, ces précieux motifs de nos actions, ces puissants liens d'amour? – Je vous prie, ne voyez pas dans mes soupçons des affronts pour vous, mais seulement des sûretés pour moi: vous pouvez être parfaitement honnête, quoique je puisse penser.
MACDUFF. – Péris, péris, pauvre patrie! Tyrannie puissante, affermis-toi sur tes fondements, car la vertu n'ose te réprimer; et toi, subis tes injures, c'est maintenant à juste titre37. Adieu, prince: je ne voudrais pas être le misérable que tu soupçonnes pour tout l'espace qui est sous la main du tyran, avec le riche Orient par-dessus le marché.
MALCOLM. – Ne vous offensez point: ce que je dis ne vient point d'une défiance décidée contre vous. Je crois que notre patrie succombe sous le joug, elle pleure, son sang coule, et chaque jour de plus ajoute une plaie à ses blessures; je crois aussi que plus d'une main se lèverait en faveur de mes droits, et je reçois ici de la généreuse Angleterre l'offre d'un million de bons soldats: mais après tout cela, quand j'aurai foulé aux pieds la tête du tyran, ou que je l'aurai placée sur la pointe de mon épée, ma pauvre patrie se trouvera en proie à plus de vices encore qu'auparavant; elle souffrira encore, et de plus de manières, de celui qui succédera.
MACDUFF. – Et qui sera-ce donc?
MALCOLM. – C'est moi-même dont je veux parler; je sens en moi toutes les sortes de vices tellement enracinés, que, quand ils viendront à s'épanouir, le noir Macbeth paraîtra pur comme la neige; et le pauvre État le tiendra pour un agneau en comparaison des maux sans bornes qui viendraient de moi.
MACDUFF. – Jamais, aux légions de l'horrible enfer, il ne peut se joindre un démon assez maudit en méchanceté pour surpasser Macbeth.
MALCOLM. – J'avoue qu'il est sanguinaire, esclave de la luxure, avare, faux, trompeur, capricieux, violent, et infecté de tous les vices qui ont un nom; mais il n'y a point de limites, il n'y en a aucune à mes ardeurs de volupté: vos femmes, vos filles, vos matrones et vos servantes, ne pourraient combler le gouffre de mon incontinence, et mes désirs renverseraient tous les obstacles que la vertu opposerait à ma volonté. Macbeth vaut mieux qu'un pareil roi,
MACDUFF. – Une intempérance sans fin est une tyrannie de la nature; elle a plus d'une fois avant le temps rendu vacant un trône fortuné, et causé la chute de beaucoup de rois. Mais ne craignez point pour cela de vous charger de la couronne qui vous appartient. Vous pouvez abandonner à votre passion une vaste moisson de voluptés, et paraître encore tempérant, tant il vous sera aisé de fasciner le public. Nous avons assez de dames de bonne volonté, et vous ne pouvez renfermer en vous-même un vautour capable de dévorer toutes celles qui viendront s'offrir d'elles-mêmes à l'homme revêtu du pouvoir, aussitôt quelles auront découvert son inclination.
MALCOLM. – Outre cela, au nombre de mes penchants désordonnés s'élève en moi une avarice si insatiable, que, si j'étais roi, je ferais périr les nobles pour avoir leurs terres; je convoiterais les joyaux de l'un, le château d'un autre; et plus j'aurais, plus cet assaisonnement augmenterait mon appétit, en sorte que je forgerais d'injustes accusations contre des hommes honnêtes et fidèles, et je les détruirais par avidité de richesses.
MACDUFF. – L'avarice pénètre plus avant et jette des racines plus pernicieuses que l'incontinence, fruit de l'été38; elle a été le glaive qui a égorgé nos rois. Cependant ne craignez rien: l'Écosse contient des richesses à foison pour assouvir vos désirs, même de votre propre bien; tous ces vices sont tolérables quand ils sont balancés par des vertus.
MALCOLM. – Mais je n'en ai point: tout ce qui fait l'ornement des rois, justice, franchise, tempérance, fermeté, libéralité, persévérance, clémence, modestie, piété, patience, courage, bravoure, tout cela n'a pour moi aucun attrait; mais j'abonde en vices de toutes sortes, chacun en particulier reproduit sous différentes formes. Oui! si j'en avais le pouvoir, je ferais couler dans l'enfer le doux lait de la concorde, je bouleverserais la paix universelle, et je porterais le désordre dans tout ce qui est uni sur la terre.
MACDUFF. – O Écosse! Écosse!
MALCOLM. – Si un pareil homme est fait pour gouverner, parlez; je suis tel que je vous l'ai dit.
MACDUFF. – Fait pour gouverner! non, pas même pour vivre! O nation misérable! sous le joug d'un tyran usurpateur, armé d'un sceptre ensanglanté, quand reverras-tu des jours prospères, puisque le rejeton légitime de ton trône demeure réprouvé par son propre arrêt et blasphème contre sa race? Ton père était un saint roi; la reine qui t'a porté, plus souvent à genoux que sur ses pieds, mourait chaque jour à elle-même. Adieu: ces vices dont tu t'accuses toi-même m'ont banni d'Écosse. O mon coeur, ta dernière espérance s'évanouit ici!
MALCOLM. – Macduff, ce noble transport, fils de l'intégrité, a effacé de mon âme tous ses noirs soupçons, m'a convaincu de ton honneur et de ta bonne foi. Le diabolique Macbeth a déjà tenté, par plusieurs artifices semblables, de m'attirer sous sa puissance; et une modeste prudence me défend contre une crédulité trop précipitée. Mais que le Dieu d'en haut traite seul entre toi et moi! De ce moment je m'abandonne à tes conseils; je rétracte les calomnies que j'ai proférées contre moi-même, et j'abjure ici tous les reproches, toutes les imputations dont je me suis chargé, comme étrangers à mon caractère. Je suis encore inconnu à une femme; jamais je ne fus parjure; à peine ai-je convoité la possession de mon propre bien; jamais je n'ai violé ma foi; je ne trahirais pas le diable à son compère; et la vérité m'est aussi chère que la vie. Mon premier mensonge est celui que je viens de faire contre moi. Ce que je suis en en effet, c'est à toi et à ma pauvre patrie à en disposer, et déjà, avant ton arrivée en ce lieu, le vieux Siward, à la tête de dix mille vaillants guerriers réunis sur un même point, allait se mettre en marche pour l'Écosse. Maintenant nous irons ensemble; et puisse le succès être aussi bon que la querelle que nous soutenons! – Pourquoi gardes-tu le silence?
MACDUFF. – Tant d'idées agréables et tant d'idées fâcheuses à la fois ne sont pas aisées à concilier.
(Entre un médecin.)
MALCOLM, à Macduff. – Nous en reparlerons. – Je vous prie, le roi va-t-il paraître?
LE MÉDECIN, – Oui, seigneur; il y a là une foule de malheureux qui attendent de lui leur guérison. Leur maladie triomphe des plus puissants moyens de l'art; mais dès qu'il les touche, telle est la vertu sainte dont le ciel a doué sa main, qu'ils guérissent à l'instant.
MALCOLM. – Je vous remercie, docteur.
(Le médecin sort.)
MACDUFF. – Quelle est la maladie dont il veut parler?
MALCOLM. – On l'appelle le mal du roi39: c'est une oeuvre miraculeuse de ce bon prince, et dont j'ai été moi-même souvent témoin depuis mon séjour dans cette cour. Comment il se fait exaucer du ciel, lui seul le sait; mais le fait est qu'il guérit des gens affligés d'un mal cruel, tout bouffis et couverts d'ulcères, pitoyables à voir, et désespoir de la médecine, en leur suspendant au cou une médaille d'or qu'il accompagne de saintes prières; et l'on dit qu'il transmettra aux rois ses successeurs ce bienfaisant pouvoir de guérir. Outre cette vertu singulière, il a encore reçu du ciel le don de prophétie; et les nombreuses bénédictions qui planent sur son trône annoncent assez qu'il est rempli de la grâce de Dieu.
(Entre Rosse.)
MACDUFF. – Voyez: qui vient à nous?
MALCOLM. – Un de mes compatriotes, mais je ne le reconnais pas encore.
MACDUFF, à Rosse. – Mon bon et cher cousin, soyez le bienvenu.
MALCOLM. – Je le reconnais à présent. Dieu de bonté, écarte promptement les causes qui nous rendent ainsi étrangers les uns aux autres.
ROSSE. —Amen, seigneur.
MACDUFF. – L'Écosse est-elle toujours à sa place?
ROSSE. – Hélas! pauvre pays qui n'ose presque plus se reconnaître! On ne peut l'appeler notre mère, mais notre tombeau, cette patrie où l'on n'a jamais vu sourire que ce qui est privé d'intelligence; où l'air est déchiré de soupirs, de gémissements, de cris douloureux qu'on ne remarque plus; où la violence de la douleur est regardée comme une folie ordinaire40; où la cloche mortuaire sonne sans qu'à peine on demande pour qui; où la vie des hommes de bien expire avant que soit séchée la fleur qu'ils portent à leur chapeau, ou même avant qu'elle commence à se flétrir.
MACDUFF. – O récit trop exact, et cependant trop vrai!
MALCOLM. – Quel est le malheur le plus nouveau?
ROSSE. – Le malheur qui date d'une heure fait siffler celui qui le raconte; chaque minute en enfante un nouveau.
MACDUFF. – Comment se porte ma femme?
ROSSE. – Mais, bien.
MACDUFF. – Et tous mes enfants?
ROSSE. – Bien aussi.
MACDUFF. – Et le tyran n'a pas attenté à leur paix?
ROSSE. – Non, ils étaient bien en paix quand je les ai quittés.
MACDUFF. – Ne soyez point avare de paroles: comment cela va-t-il?
ROSSE. – Lorsque je suis arrivé ici pour apporter les nouvelles qui me pèsent si cruellement, le bruit courait que plusieurs hommes de coeur s'étaient mis en campagne; et, d'après ce que j'ai vu des forces que le tyran à sur pied en ce moment, je suis disposé à le croire. L'heure est venue de nous secourir; un de vos regards en Écosse créerait des soldats, et ferait combattre jusqu'aux femmes pour s'affranchir de tant d'horribles maux.
Bestride our down fall'n birthdom.
Les commentateurs ont voulu expliquer pur birth right, droit de naissance, le mot de birthdom, qui signifie, je crois, pays natal. Dans cette supposition, ils ont expliqué le mot bestride par être à cheval, à la manière d'un homme qui met entre ses jambes, pour le défendre, l'objet qu'on veut lui enlever. Cette explication me paraît être forcée et nullement en rapport avec le reste du dialogue. – Malcolm parle de se retirer dans un coin pour pleurer; Macduff veut au contraire qu'il se rende dans son pays, et part de là pour lui décrire les maux de ce pays: cela est naturel.
Thy title is affeer'd.
Affeer'd est un terme de loi qui paraît signifier confirmer. Je pense, malgré l'opinion de la plupart des commentateurs, que Macduff s'adresse ici à Malcolm, et lui dit, pour lui reprocher sa lâcheté: «Subis tes injures, ton titre est consacré, tu y as droit.»