Kitabı oku: «Création et rédemption, première partie: Le docteur mystérieux», sayfa 14

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XXIII
Dumouriez

Si nous nous sommes si longtemps arrêté sur le siège de Verdun et sur la mort héroïque de Beaurepaire, c'est que, à notre avis, aucun historien n'a donné à la prise de Verdun l'importance qu'elle a en histoire, et à la mort de Beaurepaire l'admiration que lui doit l'historien, ce grand prêtre de la postérité.

Voici à quelle occasion j'ai été à même de remarquer cette étrange lacune.

J'ai toujours été indigné, même sous la Restauration, des autels poétiques que l'on tentait d'élever à ces prétendues vierges de Verdun qui avaient été, des fleurs d'une main, des dragées de l'autre, ouvrir à l'ennemi les portes de leur ville natale, qui était la clef de la France.

Cette trahison envers la patrie n'a d'excuse que dans l'ignorance de femmes qui ont cédé aux ordres de leurs parents et qui n'avaient pas le sentiment du crime qu'elles commettaient.

Les prêtres aussi y furent pour beaucoup.

Il en résulta que, voulant répondre par un livre aux vers de Delille et de Victor Hugo, je cherchai, voilà tantôt sept ou huit ans, des documents sur cette reddition de Verdun, qui n'eut pas une médiocre part aux 2 et 3 septembre.

Je m'adressai tout d'abord tout naturellement au plus volumineux de nos historiens, à M. Thiers. Mais M. Thiers, préoccupé de la bataille de Valmy, qu'il est pressé de gagner, se contente de dire, page 198 de l'édition de Furne: «Les Prussiens s'avançaient sur Verdun.»

Puis, page 342: «La prise de Verdun excita la vanité de Frédéric.»

Puis, page 347: «Galbaud, envoyé pour renforcer la garnison de Verdun, était arrivé trop tard.» Pas un mot de plus; de Beaurepaire, il n'est pas question.

Le fait n'est cependant pas commun.

Une ville rendue contre la volonté d'un commandant de place qui se brûle la cervelle;

Vingt-trois citoyens, convaincus d'en avoir ouvert les portes à l'ennemi, exécutés le 25 avril 1794;

Dix femmes, dont la plus vieille âgée de cinquante-cinq ans et la plus jeune de dix-huit, les suivant sur l'échafaud pour avoir offert des fleurs et des bonbons à l'ennemi, cela valait la peine d'être relaté, ne fût-ce que dans une note.

Quant à Dumouriez, dans ses Mémoires, il ne dit que quelques mots de Verdun, et appelle Beaurepaire, Beauregard!

Quand ce ne serait que pour cette erreur, Dumouriez mériterait le titre de traître.

Michelet, l'admirable historien, cet homme à qui les gloires de la France sont si chères, parce qu'il est lui-même une de ces gloires, ne passe pas ainsi à côté du cercueil de Beaurepaire sans s'arrêter.

Il s'y agenouille, il y prie.

«Un sentiment tout semblable, dit-il, fit vibrer la France en ce qu'elle eut de plus profond quand un cercueil la traversa, rapporté de la frontière, celui de l'immortel Beaurepaire, qui, non point par des paroles, mais par un acte d'un seul coup, lui dit ce qu'elle devait faire en pareille circonstance.

»Beaurepaire, ancien officier de carabiniers, avait formé, commandé depuis 89 l'intrépide bataillon des volontaires de Maine-et-Loire. Au moment de l'invasion, ces braves eurent peur de n'arriver pas assez vite. Ils ne s'amusèrent point à parler le long de la route: ils traversèrent la France au pas de charge et se jetèrent dans Verdun.

»Ils avaient un pressentiment qu'au milieu des trahisons dont ils étaient environnés, ils devaient périr; aussi chargèrent-ils d'avance un député patriote de faire leurs adieux à leurs familles, de les consoler et de dire qu'ils étaient morts. Beaurepaire venait de se marier et n'en fut pas moins ferme. Le conseil de guerre assemblé, Beaurepaire résista à tous les arguments de la lâcheté; voyant enfin qu'il ne gagnait rien sur ces nobles officiers dont le cœur tout royaliste était déjà dans l'autre camp:

» – Messieurs, dit-il, j'ai juré de ne me rendre que mort; survivez à votre honte. Je suis fidèle à mon serment; voici mon dernier mot: je meurs!

»Il se fit sauter la cervelle.

»La France se reconnut, frémit d'admiration; elle mit la main sur son cœur et y sentit monter la foi. La patrie ne flotta plus aux regards, incertaine et vague; on la vit réelle, vivante. On ne doute guère des dieux à qui l'on sacrifie ainsi.»

Mais des vierges de Verdun, Michelet n'en parle point.

Sans doute il n'a pas voulu, près d'une si belle tache de sang, mettre une tache de boue.

Mais ce qu'il y a de certain, c'est qu'aucun historien, aucun chroniqueur, aucun contemporain, ne parle de Mme de Beaurepaire. Je crois avoir rencontré les seules lignes qui aient été écrites sur elle dans une brochure intitulée Les réminiscences du roi de Prusse.

En effet, cette brochure contient l'anecdote suivante, qui se rapporte probablement à elle.

«Le duc de Weimar, auquel la réputation des bonbons et des liqueurs de Verdun était bien connue, s'informa de la boutique où l'on pouvait trouver ce qui se faisait de mieux. On nous conduisit chez un marchand nommé Le Roux, au coin d'une petite place. Cet homme nous reçut avec beaucoup d'amabilité, et ne manqua point en effet à nous servir parfaitement.

»Lorsqu'il commençait à faire nuit, notre collation fut troublée par un bien triste incident. La maison d'en face était habitée par une jeune femme, parente du défunt commandant de place. On lui avait caché l'événement jusqu'à cet instant; mais il fallut bien le lui apprendre. Elle en fut si cruellement affectée, qu'elle tomba étendue à terre, en proie à des attaques de nerfs et à des convulsions extrêmement violentes. On ne put l'emporter qu'avec la plus grande peine.»

Il est probable que l'on ne voulût pas dire aux princesses que cette jeune femme était Mme de Beaurepaire, et qu'on leur dit seulement que c'était une parente du commandant de place.

La reddition de Verdun eut un immense retentissement par toute la France.

Paris épouvanté crut voir l'ennemi à ses portes. Il y était en effet, puisqu'en cinq étapes il franchissait la distance qui l'en séparait. On battit la générale par toute la ville; on sonna le tocsin; le canon grondait d'heure en heure.

C'est alors que Danton, seul, inébranlable et comprenant le parti que l'on pouvait tirer du dévouement de Beaurepaire, se précipita au milieu de l'Assemblée bouleversée, et, montant à la tribune, rendit compte des mesures prises pour sauver la patrie, et dit ces mémorables paroles enregistrées par l'histoire:

– Le canon que vous entendez n'est point le canon d'alarme, c'est le pas de charge sur nos ennemis. Pour les vaincre, pour les atterrer, que faut-il? De l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace!

Ce fut alors que le dévouement héroïque de Beaurepaire fut raconté comme savait raconter Danton.

À l'instant même une commission fut nommée qui proposa le décret suivant:

I

L'Assemblée nationale décrète que le corps de Beaurepaire, commandant le premier bataillon de Maine-et-Loire, sera déposé au Panthéon français.

II

L'inscription suivante sera placée sur sa tombe:

IL AIMA MIEUX SE DONNER LA MORT
QUE DE CAPITULER AVEC LES TYRANS

III

Le président est chargé d'écrire à la veuve et aux enfants de Beaurepaire.

Le nom de Beaurepaire fut donné à une rue qui a, jusqu'à ce jour, nous le croyons du moins, conservé ce nom glorieux, que nous prions M. Haussmann de transporter à une autre si celle-là était démolie.

Tandis que l'Assemblée nationale rend ses derniers honneurs à Beaurepaire, tandis que Marceau, qui a tout perdu dans la ville, armes et chevaux, répond à un représentant du peuple qui lui demande: «Que voulez-vous que l'on vous rende? – Un sabre pour venger notre défaite!» tandis que le roi de Prusse, entré à Verdun, s'y trouve si commodément qu'il y reste une semaine, occupé à donner des bals, à manger des dragées et à affirmer qu'il ne vient en France que pour rendre la royauté aux rois, les prêtres aux églises, la propriété aux propriétaires, tandis que le paysan dresse l'oreille et comprend que c'est la contre-révolution qui entre en France; que celui qui a un fusil prend un fusil, que celui qui a une fourche prend sa fourche, que celui qui a une faux prend sa faux, cinq généraux étaient réunis dans la salle du conseil de l'hôtel de ville de Sedan, sous la présidence de leur général en chef Dumouriez.

Nous ne sommes pas de ceux qui pensent qu'une faute, qu'une faiblesse ou même qu'une mauvaise action doit faire perdre à un homme tous les mérites de sa vie passée. Non, les actions humaines doivent être pesées une à une, et à chacune l'historien doit apporter la part de louage ou de blâme.

On comprend que ces quelques lignes ne tombent de notre plume que pour nous aider à aborder une des plus étranges personnalités de notre époque, c'est-à-dire un homme qui, royaliste au fond, sauva la République, qui fit plus que La Fayette pour la France, moins que lui contre elle, et qui cependant fut déshonoré, exilé de France, mourut en Angleterre sans éveiller un regret, tandis que La Fayette rentra sous des arcs de triomphe, devint le patriarche de la révolution de 1830, et mourut glorieux et honoré au milieu de sa glorieuse et honorable famille.

Dumouriez pouvait avoir à cette époque cinquante-six ans; leste, dispos, nerveux, à peine en paraissait-il quarante-cinq. Né en Picardie quoique d'origine provençale, il avait l'esprit du Méridional et la volonté de l'homme du centre. Sa tête fine s'illuminait, dans certaines occasions, de regards pleins de feu. Esprit intelligent, cerveau complet, il était bon à tout. Il avait tout à la fois, chose rare, la rouerie du diplomate et le courage obstiné du soldat.

À vingt ans simple hussard, il s'était fait hacher en morceaux par six cavaliers plutôt que de se rendre; mais à trente il s'était laissé engrener dans cette diplomatie secrète de Louis XV, médiocrement honorable en ce qu'elle touchait à l'espionnage. Tout cela fut effacé sous Louis XVI par la fondation du port de Cherbourg, dont il fut le premier agent.

C'était un de ces hommes à peu près universels, dont les grandes connaissances peuvent être appliquées à tout, mais auxquels il faut l'occasion. Jusque-là elle ne s'était pas présentée. Serait-il grand diplomate, serait-il général victorieux? nul ne pouvait le dire, et peut-être lui-même n'avait-il pas encore la mesure exacte de son génie.

Porté en 1792 au ministère par les girondins, c'est-à-dire par les ennemis du roi, il était sorti des Tuileries complètement rallié au roi, à la suite d'une scène avec Marie-Antoinette. Au fond, Dumouriez avait bon cœur et était impressionnable aux femmes.

Deux jeunes filles vêtues en hussard, qui étaient ses aides de camp, qui ne le quittaient sur le champ de bataille que pour exécuter ses ordres, les demoiselles de Fernig, dont j'ai connu le frère, servent de preuve à ce que j'avance.

Il n'y avait donc rien d'étonnant à ce que Danton se défiât d'un pareil homme, et à ce qu'il envoyât le Dr Mérey, dont il connaissait la franchise, pour le surveiller.

La séance s'ouvrait au moment où nous introduisons le lecteur dans la salle du conseil.

– Citoyens, dit Dumouriez, en s'adressant à ses cinq collègues, je vous ai réunis pour vous faire part de la situation grave où nous nous trouvons.

»Je vais résumer les faits en quelques mots.

»Le 19 août 1792, il y a quinze jours de cela, les Prussiens et les émigrés sont entrés en France. Si nous étions des Romains, je vous dirais qu'ils sont entrés dans un jour néfaste, dans un jour de tonnerre, de pluie et de grêle; mais ce ne fut que sur les deux heures qu'ils arrivèrent à Brehain, la ville où ils s'arrêtèrent pour passer la nuit, pendant que leurs détachements pillent les campagnes environnantes. Pour en arriver là, Brunswick, le héros de Rossbach, a fait de Coblentz à Longwy quarante lieues en vingt jours.

»Cette invasion, qui, au dire du roi de Prusse, ne devait être qu'une promenade militaire de la frontière à Paris, ne se présente pas, il faut le dire, sous un aspect d'activité bien redoutable.

»Mais, citoyens, mon système est toujours de croire, quand un ennemi aussi expérimenté que le nôtre commet une faute, mon système est toujours de croire qu'il a une raison de la commettre, ce qui ne m'empêche pas d'en profiter.

»60 000 Prussiens, héritiers de la gloire et des traditions du grand Frédéric, s'avancèrent donc en une seule colonne sur notre centre, le 22 août dernier. Ils sont entrés à Longwy, et hier nous avons entendu le canon du côté de Verdun.

»Les Prussiens sont donc devant Verdun, s'ils ne sont point à Verdun.

»26 000 Autrichiens, commandés par le général Clerfayt, les soutiennent à droite en marchant sur Stenay.

»16 000 Autrichiens, sous les ordres du prince Hohenlohe-Kirchberg, et 10 000 Hessois, flanquent la gauche des Prussiens.

»Le duc de Saxe-Teschen occupe les Pays-Bas et menace les places fortes.

»Le prince de Condé, avec 6 000 émigrés, s'est porté sur Philippsburg.

»Tout au contraire, nos armées sont disposées de la façon la plus malheureuse pour résister à une masse de 60 000 hommes. Beurnonville, Moreton et Duval réunissent 30 000 hommes dans les trois camps de Maulde, de Maubeuge et de Lille.

»L'armée de 33 000 hommes que nous commandons est complètement désorganisée par la fuite de La Fayette, qui s'était fait aimer d'elle; mais cela ne m'inquiète que secondairement. Si je ne m'en fais pas aimer, je m'en ferai craindre.

»20 000 hommes sont à Metz, commandés par Kellermann.

»15 000 hommes, sous Custine, sont à Landau.

»Biron est en Alsace avec 30 000. Inutile non seulement de nous occuper de lui, mais d'y penser.

»Nous n'avons donc à opposer à nos 60 000 Prussiens que mes 23 000 hommes et les 20 000 de Kellermann, en supposant qu'il consente à m'obéir et veuille bien faire sa jonction avec moi.

»Voilà la situation claire, nette, précise. Vos avis?»

Le plus jeune des généraux c'était ce beau Dillon, qui passait pour avoir été l'amant de la reine. Après l'échauffourée de Quiévrain, son frère, que l'on avait pris pour lui, avait été tué par ses propres soldats, sous le prétexte que l'amant de la reine ne pouvait être qu'un traître.

Quant à lui, on citait à l'appui de ce bruit d'intimité avec Marie-Antoinette deux faits:

On avait reconnu à son colback une magnifique aigrette, montée en diamants, que l'on avait vue deux ou trois jours auparavant à la coiffure de la reine, et dans la cour des Tuileries il avait passé une revue paré de cette aigrette.

Puis on racontait que, à un bal où il avait eu l'honneur de valser avec la reine, la reine, qui aimait cette danse à la folie, s'était arrêtée tout étourdie pour reprendre haleine, sans s'apercevoir que le roi était derrière elle, et, se penchant nonchalamment sur l'épaule du bel officier, lui avait dit:

– Mettez la main sur mon cœur, vous verrez comme il bat.

– Madame, dit, en arrêtant la main de Dillon, le roi qui avait entendu, le colonel aura la galanterie de vous croire sur parole.

Arthur Dillon était non seulement d'une beauté remarquable, mais il était brave à toute épreuve, et si l'on pouvait reprocher quelque chose à son intelligence guerrière, c'était trop de témérité.

– Citoyens, dit-il, c'est avec la timidité d'un jeune homme que j'oserai donner mon avis devant des hommes de votre distinction et de votre expérience. Mais je crois, d'après ce que vient de nous dire le général en chef, notre ligne de défense impossible, et serais d'avis de gagner la Flandre et d'agir contre les Pays-Bas autrichiens de manière à opérer une diversion qui forçât les ennemis de revenir sur Bruxelles, où d'ailleurs la présence des Français ferait certainement éclater une révolution.

Il salua et se rassit; le général Monet se leva.

– Il me semble, dit-il, tout en rendant justice à l'intention de notre jeune collègue, que nous retirer en Flandre serait abandonner le poste où la France nous a placés. Je propose de nous retirer vers Châlons et de défendre la ligne de la Marne.

En ce moment, le soldat de planton annonça qu'un cavalier couvert de poussière, arrivant de Verdun, demandait à parler sans retard au général en chef.

Dumouriez consulta de l'œil le conseil. Il reconnut dans tous les regards l'avidité des nouvelles.

– Faites entrer, dit-il.

Jacques Mérey parut avec le costume moitié civil, moitié militaire des représentants du peuple: redingote bleue à larges revers avec une ceinture supportant un sabre et des pistolets, chapeau à plumes tricolores, culotte de peau collante, bottes molles montant au-dessus du genou.

– Citoyens, dit-il, je suis porteur de mauvaises nouvelles; mais les mauvaises nouvelles ne supportent pas de retard, voilà pourquoi j'ai insisté pour être introduit près de vous. Verdun a été livré à l'ennemi; Beaurepaire, son commandant, s'est brûlé la cervelle. Le général Galbaud est en retraite sur Paris, par Clermont et Sainte-Menehould. Et je viens vous dire de la part de Danton que le salut de la France est entre vos mains.

Et, s'avançant vers le général en chef, il lui présenta la lettre dont il était porteur.

Dumouriez salua, prit la lettre sans la lire.

– Citoyens, dit-il, quelle est l'opinion de la majorité?

Les trois généraux qui n'avaient point encore parlé se levèrent, et l'un des trois, parlant pour lui et les deux autres:

– Général, dit-il, nous nous rallions à l'avis du général Monet.

– C'est-à-dire que vous êtes d'avis de vous retirer vers Châlons et de défendre la ligne de la Marne.

– Oui, citoyen général, répondirent les trois officiers d'une seule voix.

– C'est bien, dit Dumouriez; citoyens, j'aviserai.

Et, levant la séance, il salua et congédia les officiers.

Puis, se tournant vers Jacques Mérey:

– Citoyen représentant, dit-il, tu as besoin d'un bain, d'un bon déjeuner et d'un bon lit; tu trouveras tout cela chez moi, si tu me fais l'honneur d'accepter l'hospitalité que je t'offre.

– De grand cœur, dit Jacques Mérey, d'autant plus que j'ai à vous laisser pressentir des nouvelles de Paris plus intéressantes et plus terribles encore peut-être que ne sont celles de Verdun.

Dumouriez, avec la courtoisie d'un ancien gentilhomme, sourit, salua et passa devant pour montrer le chemin au messager.

Il le conduisit à la salle à manger, où l'attendaient, pour se mettre à table, Westermann et Fabre d'Églantine.

– Citoyens, dit-il à Westermann et à Fabre d'Églantine, vous allez déjeuner aussi rapidement que possible; puis, comme il faut faire face aux nouvelles qui viennent d'arriver, Westermann, vous allez vous rendre à Metz et donner à Kellermann l'ordre de venir me joindre sans perdre une minute à Valmy. Vous, Fabre, vous allez prendre un cheval, et vous rendre à toute bride à Châlons, où vous arrêterez la retraite de Galbaud, que vous ramènerez avec ses deux ou trois mille hommes à Révigny-aux-Vaches, où ils garderont jusqu'à nouvel ordre les sources de l'Aisne et de la Marne.

Les deux hommes désignés firent un mouvement.

– Voici monsieur, dit Dumouriez, qui est envoyé comme vous par Danton, avec les mêmes instructions que vous. Il reste près de moi et suffira à me brûler la cervelle si besoin est.

– Mais, dit Westermann, notre mission est de rester près de toi, citoyen général, et non d'aller où tu nous envoies.

– Notre mission est de servir la patrie; or, pour le service de la patrie, je vous ordonne, moi, général en chef de l'armée de l'Est, vous, Westermann, d'aller à Metz et de m'amener Kellermann, et, à défaut de Kellermann, ses vingt mille hommes. Vous aurez tout à la fois dans votre poche sa destitution et votre nomination; à vous, Fabre, d'aller à Clermont et d'arrêter la retraite. Si Galbaud essaye de vous résister, vous l'arrêterez au milieu de ses hommes et l'enverrez pieds et poings liés au Comité de Salut public. C'est ce que je ferai moi-même pour le premier qui me résistera.

»Pendant que vous déjeunerez, j'écrirai les ordres et le citoyen Mérey prendra un bain, à la sortie duquel je le mettrai au courant de mes intentions. Déjeunez donc, chers amis; et toi, citoyen, mon valet de chambre va te conduire au bain; tu sais où est la salle à manger; au sortir du bain, je t'y attendrai.»

Fabre et Westermann se mirent à table. Dumouriez entra dans son cabinet, qui confinait à la salle à manger, et Jacques Mérey suivit le valet de chambre du général, qui le conduisait au bain.

XXIV
Les Thermopyles de la France

Lorsque Jacques Mérey, le corps convenablement frotté par le valet de chambre du général et les habits convenablement époussetés par son hussard, entra dans la salle à manger, Dumouriez y était seul et attendait.

– Citoyen, dit-il à Jacques Mérey, je ne suis point étonné que Danton me soupçonne et multiplie autour de moi ses agents; d'un mot, je vais le rassurer, et vous aussi.

Jacques Mérey s'inclina.

– La situation est mauvaise, continua Dumouriez, mais telle que pouvait la désirer un homme de ma trempe. La bataille que je vais livrer sauvera ou perdra la France. Je suis ambitieux et je veux attacher mon nom à la victoire. Je veux qu'on dise: «Les Prussiens n'étaient plus qu'à cinq journées de Paris; Dumouriez, un homme inconnu, a sauvé la nation.» Remarquez que je dis la nation. – D'autres, Villars à Denain, le maréchal de Saxe à Fontenoy, ont sauvé le royaume; Dumouriez, à l'Argonne, aura sauvé la nation. La forêt d'Argonne, c'est les Thermopyles de la France. Je les défendrai et serai plus heureux que Léonidas. Déjeunons!

Puis, en s'asseyant, il frappa sur un timbre.

– Appelle Thévenot et mes deux officiers d'ordonnance, dit Dumouriez, montrant en même temps un fauteuil à Jacques Mérey.

Quelques secondes après, un jeune homme portant l'uniforme de chef de brigade entra. Il pouvait avoir trente à trente-deux ans, avait l'œil ferme et intelligent, était de grande taille, et salua Dumouriez, qui lui tendit familièrement la main.

– Le chef de brigade Thévenot, dit Dumouriez; mon premier aide de camp toujours, mon conseiller quelquefois.

Puis, indiquant le docteur:

– Le citoyen Jacques Mérey, docteur médecin, dit-il en souriant d'une certaine façon, pour le moment représentant du peuple attaché à ma personne.

Puis, comme deux jeunes gens vêtus en officiers de hussards, paraissant quinze ou seize ans, entraient, il continua:

– Messieurs de Fernig, qui font sous moi leurs premières armes, et que j'aime comme mes enfants.

Et, en effet, l'œil plein d'expression et même un peu dur de Dumouriez devint, en regardant les deux jeunes gens, d'une douceur extrême.

Tous deux s'approchèrent de lui, il réunit leurs quatre mains dans les deux siennes en leur souriant paternellement.

Eux l'embrassèrent tour à tour au front.

Jacques Mérey, qui s'était soulevé sur son siège pour Thévenot, se leva tout à fait pour les deux frères, ou plutôt pour les deux sœurs, dont il reconnut à l'instant même le sexe.

– Nous allons nous battre, et rudement, selon toute probabilité, reprit Dumouriez; s'il arrivait malheur à l'un ou l'autre de ces enfants, je vous le recommande, docteur.

Et, presque malgré lui, sa bouche laissa échapper un soupir.

– Le citoyen Mérey, qui avait été envoyé par notre ami Danton à Verdun (et Dumouriez souligna par son sourire et par son intonation le mot ami), est arrivé nous annonçant que, comme Longwy, la ville s'est rendue aux premiers coups de canon.

– Est-ce que Beaurepaire n'était pas là? demanda Thévenot.

– Beaurepaire, forcé de capituler par la municipalité, s'est brûlé la cervelle pour ne pas signer la capitulation, dit Jacques Mérey.

– Mais ce n'est pas le tout, dit Dumouriez; le docteur, qui a quitté Paris il y a trois jours seulement, prétend qu'il va s'y passer des choses terribles.

– Dans quel genre? demanda Thévenot.

Les deux jeunes hussards étaient muets, mais leur regard parlait pour eux.

– Ce que j'ai cru deviner dans les quelques mots que Danton m'a dits, reprit le docteur, c'est qu'il était important de compromettre Paris tout entier en le trempant jusqu'au cou dans la révolution, afin que les Parisiens, n'attendant point de pardon des souverains alliés, s'ensevelissent sous les ruines de la capitale.

– Et de quelle façon Danton s'y prendra-t-il?

– On a parlé du massacre des prisons. On ne peut, dit-on, envoyer les volontaires à la frontière en laissant derrière eux un ennemi plus dangereux que celui qu'ils vont combattre.

– En effet, dit Dumouriez, que la nouvelle n'étonna ni ne révolta, c'est peut-être un moyen.

Les deux jeunes gens avaient échangé un regard avec Thévenot, qui leur répondit par un mouvement d'épaules.

Leur regard disait compassion, le mouvement d'épaules de Thévenot signifiait nécessité.

En ce moment, le bruit d'un cheval entrant au galop dans la cour se fit entendre. Les deux jeunes filles firent un mouvement pour se lever, Dumouriez les arrêta d'un regard.

Puis, à Thévenot:

– Voyez ce que c'est, dit-il.

Thévenot alla à la fenêtre, qu'il ouvrit. Il se trouvait à la hauteur du courrier qui arrivait.

– De quelle part? demanda Thévenot.

– Le général verra, répondit le courrier en tendant son pli au chef de brigade.

– Dépêche pour vous seul, à ce qu'il paraît, dit Thévenot.

Et il remit la dépêche au général, en criant aux gens de la maison qui aidaient le courrier à mettre pied à terre, brisé qu'il était par la route:

– Ayez soin à ce que cet homme ne manque de rien.

– Pour moi seul, mon cher Thévenot, répéta Dumouriez. Vous savez que je n'ai pas de secrets pour vous ni pour personne, ajouta-t-il en se tournant du côté du docteur.

Et brisant le cachet:

– Ah! c'est du prince, dit-il; pardon, je ne pourrai jamais m'habituer à l'appeler Égalité. Que voulez-vous, mon cher Thévenot, je suis un aristocrate, c'est connu.

Puis, se tournant vers Jacques Mérey, et lisant au fur et à mesure:

– Vous aviez raison, docteur, lui dit-il, cela a commencé avant-hier par des voitures de prisonniers que l'on amenait à l'Abbaye. La moitié des prisonniers ont été tués dans les voitures, l'autre moitié dans la cour de l'église où on les avait fait entrer. De là le massacre s'est étendu à l'Abbaye et va probablement s'étendre aux autres prisons. C'est Marat et Robespierre qui ont fait le coup. Danton n'a point paru; il était au Champ de Mars passant la revue des volontaires.

Puis s'interrompant:

– Ah! par ma foi, dit-il, il y en a trop long, et puis c'est une affaire entre bourgeois, qui ne nous regarde pas, nous autres militaires. Lisez, docteur, lisez.

Et il jeta la lettre du duc d'Orléans de l'autre côté de la table, avec une expression de mépris indiquant combien il se trouvait heureux d'être général en chef sur le théâtre de la guerre au lieu d'être ministre à Paris.

Jacques Mérey la prit avec un calme prouvant qu'il n'avait rien à faire avec le mépris de Dumouriez, et la lut d'un bout à l'autre.

– Ah! dit-il, l'Assemble a réclamé l'abbé Sicard et l'a sauvé.

– Cette bonne Assemblée! s'écria Dumouriez, elle a osé! Mais elle va se faire donner le fouet par la Commune.

– Manuel, continua Jacques, a sauvé de son côté Beaumarchais.

– Par ma foi! dit Dumouriez, il eût pu mieux choisir.

– Le duc continue, dit Jacques Mérey, en vous annonçant qu'il vous enverra un courrier tous les jours, et en demandant si vous voulez ses deux fils pour aides de camp.

Et Jacques Mérey posa la lettre sur la table.

– Diable! fit Dumouriez, voilà de ces demandes auxquelles il faut songer avant d'y répondre. Comme il y va, monseigneur! deux princes dans mon armée! On verra.

Chacun demeura sérieux ou tout au moins pensif pendant le reste du repas. Seules les deux sœurs échangèrent quelques mots tout bas, puis Dumouriez se leva, et, s'adressant à Thévenot et à Jacques:

– Citoyens, leur dit-il, faites-moi le plaisir de me suivre dans mon cabinet.

Tous deux se levèrent et suivirent Dumouriez.

– Eh bien! demanda Thévenot, qu'a-t-on décidé au conseil?

– Rien de bon. Dillon a proposé une pointe en Flandre. C'était bon il y a quinze jours. L'ennemi serait à Paris avant que nous fussions à Bruxelles. Les autres veulent se retirer derrière la Marne. Laisser l'ennemi faire un pas de plus en France serait une honte; il n'y est déjà entré que trop avant. Alors, continua Dumouriez, j'ai répondu que je réfléchirais; mais déjà mon plan était fait. J'ai dit tout à l'heure à notre cher hôte que les bois de l'Argonne seraient les Thermopyles de la France. Je tiendrai parole. Voici, sur la plus grande échelle où j'ai pu le trouver, un plan de la forêt d'Argonne qui s'étend, vous le voyez, de Semuy à Triaucourt. Maintenant il nous faudrait un homme pratique, un garde de la forêt; nous n'en sommes qu'à sept ou huit lieues; faites monter à cheval un hussard qui prenne un cheval en main, et qu'il nous amène le premier garde venu.

– Inutile, citoyen général, dit Jacques Mérey.

– Pourquoi inutile? demanda Dumouriez.

– Mais parce que je suis de Stenay, parce que pendant dix ans j'ai herborisé, chassé et pêché même dans la forêt d'Argonne, qui est en quelque sorte enfermée par deux rivières, l'Oise et l'Aisne, et que je connais ma forêt mieux qu'aucun garde.

– Alors, dit Dumouriez, le citoyen Danton nous a rendu un double service.

»Vois-tu, Thévenot, dit Dumouriez s'animant, vois-tu tous les avantages de mon plan? Outre que l'on ne recule pas, outre que l'on ne se réduit pas à la Marne comme dernière ligne de défense, on fait perdre à l'ennemi un temps précieux, on l'oblige à rester dans la Champagne pouilleuse, sur un sol désolé, fangeux, stérile, insuffisant à la nourriture d'une armée; on ne lui cède pas un pays riche et fertile où il pourrait hiverner. Si l'ennemi, après avoir perdu quelques jours devant la forêt, veut la trouver, il y rencontre Sedan et toute la ligne des places fortes des Pays-Bas; remonte-t-il du côté opposé, il trouve Metz et l'armée de Kellermann. Kellermann, moi et Galbaud réunissons alors cinquante mille hommes, et à la rigueur nous pouvons livrer bataille; d'ailleurs ne vois-tu pas que le ciel est d'intelligence avec nous: une pluie constante, infatigable, tombe sur les Prussiens et les mouille à fond; ils ont déjà trouvé la boue en Lorraine; vers Metz et Verdun, la terre, d'après les rapports qui me sont faits, commence à se détremper: la Champagne sera pour eux une véritable fondrière; les paysans émigrent, les grains disparaissent comme si un tourbillon les avait emportés; il ne restera plus pour l'ennemi que trois choses sur la route: les raisins verts, la maladie et la mort.

– Bravo, général, cria Thévenot. Ah! voilà où je vous reconnais.

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19 mart 2017
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