Kitabı oku: «La dame de Monsoreau — Tome 2», sayfa 16
Le roi se leva. Les hérauts commandèrent la silence.
CHAPITRE XXIV
COMMENT LE ROI NOMMA UN CHEF QUI N'ÉTAIT NI SON ALTESSE LE DUC D'ANJOU NI MONSEIGNEUR LE DUC DE GUISE
Messieurs, dit le roi au milieu du plus profond silence, et après s'être assuré que d'Épernon, Schomberg, Maugiron et Quélus, remplacés dans leur garde par un poste de dix Suisses, étaient venus le rejoindre et se tenaient derrière lui; Messieurs, un roi entend également, placé qu'il est, pour ainsi dire, entre le ciel et la terre, les voix qui viennent d'en haut et les voix qui viennent d'en bas, c'est-à-dire ce que commande Dieu et ce que demande son peuple. C'est une garantie pour tous mes sujets, et je comprends aussi parfaitement cela, que l'association de tous les pouvoirs réunis en un seul faisceau pour défendre la foi catholique. Aussi ai-je pour agréable le conseil que nous a donné mon cousin de Guise. Je déclare donc la sainte Ligue bien et dûment autorisée et instituée, et, comme il faut qu'un si grand corps ait une bonne et puissante tête, comme il importe que le chef appelé à soutenir l'Église soit un des fils les plus zélés de l'Église, et que ce zèle lui soit imposé par sa nature même et sa charge, je prends un prince chrétien pour le mettre à la tête de la Ligue, et je déclare que désormais ce chef s'appellera...
Henri fit à dessein une pause.
Le vol d'un moucheron eût fait événement au milieu de l'immobilité générale.
Henri répéta.
— Et je déclare que ce chef s'appellera Henri de Valois, roi de France et de Pologne.
Henri, en prononçant ces paroles, avait haussé la voix avec une sorte d'affectation, en signe de triomphe et pour échauffer l'enthousiasme de ses amis prêts à éclater, comme aussi pour achever d'écraser les ligueurs dont les sourds murmures décelaient le mécontentement, la surprise et l'épouvante.
Quant au duc de Guise, il était demeuré anéanti: de larges gouttes de sueur coulaient de son front; il échangea un regard avec le duc de Mayenne et le cardinal son frère, qui se tenaient au milieu des deux groupes de chefs, l'un à sa droite, l'autre à sa gauche.
Monsoreau, plus étonné que jamais de l'absence du duc d'Anjou, commença à se rassurer en se rappelant les paroles de Henri III.
En effet, le duc pouvait être disparu sans être parti.
Le cardinal quitta sans affectation le groupe dans lequel il se trouvait et se glissa jusqu'à son frère.
— François, lui dit-il à l'oreille, ou je me trompe fort, ou nous ne sommes plus en sûreté ici. Hâtons-nous de prendre congé, car la populace est étrange, et le roi qu'elle exécrait hier va devenir son idole pour quelques jours.
— Soit, dit Mayenne, partons. Attendez notre frère ici: moi, je vais préparer la retraite.
— Allez.
Pendant ce temps, le roi avait signé l'acte préparé sur la table et dressé d'avance par M. de Morvilliers, la seule personne qui fût, avec la reine mère, dans la connaissance du secret; puis il avait, de ce ton goguenard qu'il savait si bien prendre dans l'occasion, dit en nasillant à M. de Guise:
— Signez donc, mon beau cousin.
Et il lui avait passé la plume.
Puis, lui désignant la place du bout du doigt:
— Là, là, avait-il dit, au-dessous de moi. Maintenant passez à M. le cardinal et à M. le duc de Mayenne.
Mais le duc de Mayenne était déjà au bas des degrés et le cardinal dans l'autre chambre.
Le roi remarqua leur absence.
— Alors, passez à M. le grand veneur, dit-il.
Le duc signa, passa la plume au grand veneur, et fit un mouvement pour se retirer.
— Attendez, dit le roi.
Et, pendant que Quélus reprenait d'un air narquois la plume des mains de M. de Monsoreau, et que non seulement toute la noblesse présente, mais encore tous les chefs de corporations convoqués pour ce grand événement s'apprêtaient à signer au-dessous du roi, et sur des feuilles volantes auxquelles devaient faire suite les différents registres où, la veille, chacun avait pu, qu'il fût petit ou grand, noble ou vilain, inscrire son nom en toutes lettres, pendant ce temps, le roi disait au duc de Guise:
— Mon cousin, c'était votre avis, je crois: faire, pour garde de notre capitale, une bonne armée avec toutes les forces de la Ligue? L'armée est faite et convenablement faite, puisque le général naturel des Parisiens, c'est le roi.
— Assurément, sire, répondit le duc sans trop savoir ce qu'il disait.
— Mais je n'oublie pas, continua le roi, que j'ai une autre armée à commander, et que ce commandement appartient de droit au premier homme de guerre du royaume. Tandis que moi je commanderai à la Ligue, allez donc commander l'armée, mon cousin.
— Et quand dois-je partir? demanda le duc.
— Sur-le-champ, répondit le roi.
— Henri! Henri! fit Chicot que l'étiquette empêcha de courir sus au roi pour l'arrêter en pleine harangue, comme il en avait bonne envie.
Mais, comme le roi ne l'avait pas entendu, ou, s'il l'avait entendu, ne l'avait pas compris, il s'avança révérencieusement, tenant à la main une énorme plume, et, se faisant jour jusqu'à ce qu'il fût près du roi:
— Tu te tairas, j'espère, double niais, lui dit-il tout bas.
Mais il était déjà trop tard. Le roi, comme nous l'avons vu, avait déjà annoncé au duc de Guise sa nomination, et lui remettait son brevet signé à l'avance, et cela malgré tous les gestes et toutes les grimaces du Gascon.
Le duc de Guise prit son brevet et sortit.
Le cardinal l'attendait à la porte de la salle, et le duc de Mayenne les attendait tous deux à la porte du Louvre.
Ils montèrent à cheval à l'instant même, et dix minutes ne s'étaient pas écoulées, que tous trois étaient hors de Paris.
Le reste de l'assemblée se retira peu à peu. Les uns criaient: Vive le roi! les autres: Vive la Ligue!
— Au moins, dit Henri en riant, j'ai résolu un grand problème.
— Oh! oui, murmura Chicot, tu es un fier mathématicien, va!
— Sans doute, reprit le roi, en faisant pousser à tous ces coquins les deux cris opposés,je suis parvenu à leur faire crier la même chose.
— Sta bene! dit la reine mère à Henri en lui serrant la main.
— Crois cela et bois du lait, dit le Gascon; elle enrage: ses Guises sont presque aplatis du coup.
— Oh! sire, sire, s'écrièrent les favoris en s'approchant tumultueusement du roi, la sublime imagination que vous avez eue là!
— Ils croient que l'argent va leur pleuvoir comme manne, dit Chicot à l'autre oreille du roi.
Henri fut reconduit en triomphe à son appartement; au milieu du cortège qui accompagnait et suivait le roi, Chicot jouait le rôle du détracteur antique en poursuivant son maître de ses lamentations.
Cette persistance de Chicot à rappeler au demi-dieu du jour qu'il n'était qu'un homme frappa le roi au point qu'il congédia tout le monde et demeura seul avec Chicot.
— Ah ça! dit Henri en se retournant vers le Gascon, savez-vous que vous n'êtes jamais content, maître Chicot, et que cela devient assommant? Que diable! ce n'est pas de la complaisance que je vous demande, c'est du bon sens.
— Tu as raison, Henri, dit Chicot, car c'est ce dont tu as le plus besoin.
— Conviens, au moins, que le coup est bien joué?
— C'est justement de cela que je ne veux pas convenir.
— Ah! tu es jaloux, monsieur le roi de France!
— Moi, Dieu m'en garde! je choisirais mieux mes sujets de jalousie.
— Corbleu! monsieur l'épilogueur!..
— Oh! quel amour-propre féroce!
— Voyons, suis-je, ou non, roi de la Ligue?
— Certainement, et c'est incontestable, tu l'es. Mais...
— Mais quoi?
— Mais tu n'es plus roi de France.
— Et qui donc est roi de France?
— Tout le monde, excepté toi, Henri; ton frère d'abord.
— Mon frère! de qui veux-tu parler?
— De M. d'Anjou, parbleu!
— Que je tiens prisonnier?
— Oui, car, tout prisonnier qu'il est, il est sacré, et toi, tu ne l'es pas.
— Par qui est-il sacré?
— Par le cardinal de Guise; en vérité, Henri, je te conseille de parler encore de ta police; on sacre un roi à Paris devant trente-trois personnes, en pleine église Sainte-Geneviève, et tu ne le sais pas.
— Ouais; et tu le sais, toi?
— Certainement que je le sais.
— Et comment peux-tu savoir ce que je ne sais pas?
— Ah! parce que tu fais faire ta police par M. de Morvilliers, et que moi je fais ma police moi-même.
Le roi fronça le sourcil.
— Nous avons donc déjà, comme roi de France, sans compter Henri de Valois, nous avons François d'Anjou, puis nous avons encore, voyons, dit Chicot en ayant l'air de chercher, nous avons encore le duc de Guise.
— Le duc de Guise?
— Le duc de Guise, Henri de Guise, Henri le Balafré. Je répète donc: nous avons encore le duc de Guise.
— Beau roi, en vérité, que j'exile, que j'envoie à l'armée!
— Bon! comme si on ne t'avait pas exilé en Pologne, toi; comme s'il n'y avait pas plus près de La Charité au Louvre que de Cracovie à Paris! Ah! il est vrai que tu l'envoies à l'armée; voilà où est la finesse du coup, l'habileté de la botte; tu l'envoies à l'armée, c'est-à-dire que tu mets trente mille hommes sous ses ordres; ventre de biche! et quelle armée! une vraie armée... ce n'est pas comme ton armée de la Ligue... Non... une armée de bourgeois, c'est bon pour Henri de Valois, roi des mignons; à Henri de Guise, il faut une armée de soldats, et de quels soldats! durs, aguerris, roussis par le canon, capables de dévorer vingt armées de la Ligue; de sorte que si, étant roi de fait, Henri de Guise avait un jour la sotte fantaisie de le devenir de nom, il n'aurait qu'à tourner ses trompettes du côté de la capitale, et dire: «En avant! avalons Paris d'une bouchée, et Henri de Valois et le Louvre avec.» Ils le feraient, les drôles, je les connais.
— Vous oubliez une chose seulement dans votre argumentation, illustre politique que vous êtes, dit Henri.
— Ah! dame, cela c'est possible, surtout si ce que j'oublie est un quatrième roi.
— Non; vous oubliez, dit Henri avec un suprême dédain, que, pour songer à régner sur la France, quand c'est un Valois qui porte la couronne, il faut un peu regarder en arrière et compter ses ancêtres. Que pareille idée vienne à M. d'Anjou, passe encore; il est de race à y prétendre, lui, ses aïeux sont les miens; il peut y avoir lutte et balance entre nous, car, entre nous, c'est une question de primogéniture, et voilà tout. Mais M. de Guise... allons donc, maître Chicot! allez étudier le blason, notre ami, et dites-nous si les fleurs de lis de France ne sont pas de meilleure maison que les merlettes de Lorraine.
— Eh! eh! fit Chicot, voilà justement où est l'erreur, Henri.
— Comment, où est l'erreur?
— Sans doute. M. de Guise est de bien meilleure maison que tu ne crois, va.
— De meilleure maison que moi peut-être? dit Henri en souriant.
— Il n'y a pas de peut-être, mon petit Henriquet.
— Vous êtes fou, monsieur Chicot.
— Dame! c'est mon titre.
— Mais je dis véritablement fou, mais je dis fou à lier. Allez apprendre à lire, mon ami.
— Eh bien, Henri, dit Chicot, toi qui sais lire, toi qui n'as pas besoin de retourner comme moi à l'école, lis un peu ceci.
Et Chicot tira de sa poitrine le parchemin sur lequel Nicolas David avait écrit la généalogie que nous connaissons, celle-là même qui était revenue d'Avignon, approuvée par le pape, et qui faisait descendre Henri de Guise de Charlemagne.
Henri pâlit dès qu'il eut jeté les yeux sur le parchemin, et reconnut, près de la signature du légat, le sceau de saint Pierre.
— Qu'en dis-tu, Henri? demanda Chicot, les fleurs de lis sont un peu distancées, hein? Ventre de biche! les merlettes me paraissent vouloir voler aussi haut que l'aigle de César; prends-y garde, mon fils!
— Mais par quels moyens t'es-tu procuré cette généalogie?
— Moi, est-ce que je m'occupe de ces choses-là? elle est venue me trouver toute seule.
— Mais où était-elle avant de venir te trouver?
— Sous le traversin d'un avocat?
— Et comment s'appelait cet avocat?
— Maître Nicolas David.
— Où était-il?
— A Lyon.
— Et qui l'a été prendre à Lyon, sous le traversin de cet avocat?
— Un de mes bons amis.
— Que fait cet ami?
— Il prêche.
— C'est donc un moine?
— Juste.
— Et qui se nomme?
— Gorenflot.
— Comment! s'écria Henri; cet abominable ligueur qui a fait ce discours incendiaire à Sainte-Geneviève, et qui, hier, dans les rues de Paris, m'insultait?
— Te rappelles-tu l'histoire de Brutus qui faisait le fou...
— Mais c'est donc un profond politique que ton génovésain?
— Avez-vous entendu parler de M. Machiavelli, secrétaire de la république de Florence? votre grand'mère est son élève.
— Alors il a soustrait cette pièce à l'avocat.
— Ah! bien oui, soustrait, il la lui a prise de force.
— A Nicolas David, à ce spadassin?
— A Nicolas David, à ce spadassin.
— Mais il est donc brave, ton moine?
— Comme Bayard!
— Et, ayant fait ce beau coup, il ne s'est pas encore présenté devant moi pour recevoir sa récompense?
— Il est rentré humblement dans son couvent, et il ne demande qu'une chose, c'est qu'on oublie qu'il en est sorti.
— Mais il est-donc modeste!
— Comme saint Crépin.
— Chicot, foi de gentilhomme, ton ami aura la première abbaye vacante, dit le roi.
— Merci pour lui, Henri.
Puis à lui-même:
— Ma foi, se dit Chicot, le voilà entre Mayenne et Valois, entre une corde et une prébende; sera-t-il pendu? sera-t-il abbé? Bien fin qui pourrait le dire. En tous cas, s'il dort encore, il doit faire en ce moment-ci de drôles de rêves.
CHAPITRE XXV
ÉTÉOCLE ET POLYNICE
Cette journée de la Ligue finissait tumultueuse et brillante comme elle avait commencé.
Les amis du roi se réjouissaient; les prédicateurs de la Ligue se préparaient à canoniser frère Henri, et s'entretenaient, comme on avait fait autrefois pour saint Maurice, des grandes actions guerrières de Valois, dont la jeunesse avait été si éclatante.
Les favoris disaient: «Enfin le renard a deviné le piège.»
Et, comme le caractère de la nation française est principalement l'amour-propre, et que les Français n'aiment pas les chefs d'une intelligence inférieure, les conspirateurs eux-mêmes se réjouissaient d'être joués par leur roi.
Il est vrai que les principaux d'entre eux s'étaient mis à l'abri.
Les trois princes lorrains, comme on l'a vu, avaient quitté Paris à franc étrier, et leur agent principal, M. de Monsoreau, allait sortir du Louvre pour faire ses préparatifs de départ, dans le but de rattraper le duc d'Anjou.
Mais, au moment où il allait mettre le pied sur le seuil, Chicot l'aborda. Le palais était vide de ligueurs, le Gascon ne craignait plus rien pour son roi.
— Où allez-vous donc en si grande hâte, monsieur le grand veneur? demanda-t-il.
— Auprès de Son Altesse, répondit laconiquement le comte.
— Auprès de Son Altesse?
— Oui! je suis inquiet de monseigneur. Nous ne vivons pas dans un temps où les princes puissent se mettre en route sans une bonne suite.
— Oh! celui-là est si brave, dit Chicot, qu'il en est téméraire.
Le grand veneur regarda le Gascon.
— En tout cas, lui dit-il, si vous êtes inquiet, je le suis bien plus encore, moi!
— De qui?
— Toujours de la même Altesse.
— Pourquoi?
— Vous ne savez pas ce que l'on dit?
— Ne dit-on pas qu'il est parti? demanda le comte.
— On dit qu'il est mort, souffla tout bas le Gascon à l'oreille de son interlocuteur.
— Bah! fit Monsoreau avec une intonation de surprise qui n'était pas exempte d'une certaine joie; vous disiez qu'il était en route.
— Dame! on me l'avait persuadé. Je suis de si bonne foi, moi, que je crois toutes les bourdes qu'on me conte; mais maintenant, voyez-vous, j'ai tout lieu de croire, pauvre prince! que, s'il est en route, c'est pour l'autre monde.
— Voyons, qui vous donne ces funèbres idées?
— Il est entré au Louvre hier, n'est-ce pas?
— Sans doute, puisque j'y suis entré avec lui.
— Eh bien, on ne l'en a pas vu sortir.
— Du Louvre?
— Non.
— Mais Aurilly?
— Disparu!
— Mais ses gens?
— Disparus! disparus! disparus!
— C'est une raillerie, n'est-ce pas, monsieur Chicot?
— Demandez!
— A qui?
— Au roi.
— On n'interroge point Sa Majesté?
— Bah! il n'y a que manière de s'y prendre.
— Voyons, dit le comte, je ne puis rester dans un pareil doute.
Et, quittant Chicot, ou plutôt marchant devant lui, il s'achemina vers le cabinet du roi.
Sa Majesté venait de sortir.
— Où est allé le roi? demanda le grand veneur; je dois lui rendre compte de certains ordres qu'il m'a donnés.
— Chez M. le duc d'Anjou, lui répondit celui auquel il s'adressait.
— Chez M. le duc d'Anjou! dit le comte à Chicot; le prince n'est donc pas mort?
— Heu! fit le Gascon, m'est avis qu'il n'en vaut guère mieux.
Pour le coup, les idées du grand veneur s'embrouillèrent tout à fait: il devenait certain que M. d'Anjou n'avait pas quitté le Louvre. Certains bruits qu'il recueillit, certains mouvements de gens d'office, lui confirmèrent la vérité.
Or, comme il ignorait les véritables causes de l'absence du prince, cette absence l'étonnait au delà de toute mesure dans un moment si décisif.
Le roi, en effet, était allé chez le duc d'Anjou; mais, comme le grand veneur, malgré le grand désir où il était de savoir ce qui se passait chez le prince, ne pouvait y pénétrer, force lui fut d'attendre les nouvelles dans le corridor.
Nous avons dit que, pour assister à la séance, les quatre mignons s'étaient fait remplacer par des Suisses; mais, aussitôt la séance finie, malgré l'ennui que leur causait la garde qu'ils montaient près du prince, le désir d'être désagréables à Son Altesse en lui apprenant le triomphe du roi l'avait emporté sur l'ennui, et ils étaient venus reprendre leur poste, Schomberg et d'Épernon dans le salon, Maugiron et Quélus dans la chambre même de Son Altesse.
François, de son côté, s'ennuyait mortellement, de cet ennui terrible doublé d'inquiétudes, et, il faut le dire, la conversation de ces messieurs n'était pas faite pour le distraire.
— Vois-tu, disait Quélus à Maugiron d'un bout de la chambre à l'autre, et comme si le prince n'eût point été là, vois-tu, Maugiron, je commence, depuis une heure seulement, à apprécier notre ami Valois; en vérité, c'est un grand politique.
— Explique ton dire, répondit Maugiron en se carrant dans une chaise longue.
— Le roi a parlé tout haut de la conspiration, donc il la dissimulait; s'il la dissimulait, c'est qu'il la craignait; s'il en a parlé tout haut, c'est qu'il ne la craint plus.
— Voilà qui est logique, répondit Maugiron.
— S'il ne la craint plus, il va la punir; tu connais Valois: il brille certainement par un grand nombre de qualités, mais sa resplendissante personne est assez obscure à l'endroit de la clémence.
— Accordé.
— Or, s'il punit la susdite conspiration, ce sera par un procès; s'il y a procès, nous allons jouir, sans nous déranger, d'une seconde représentation de l'affaire d'Amboise.
— Beau spectacle, morbleu!
— Oui, et dans lequel nos places sont marquées d'avance, à moins que...
— A moins que... c'est possible encore... à moins qu'on ne laisse de côté les formes judiciaires, à cause de la position des accusés, et qu'on arrange cela sous le manteau de la cheminée, comme on dit.
— Je suis pour ce dernier avis, dit Maugiron; c'est assez comme cela que se traitent d'habitude les affaires de famille, et cette dernière conspiration est une véritable affaire de famille.
Aurilly lança un coup d'oeil inquiet au prince.
— Ma foi, dit Maugiron, je sais une chose, moi: c'est qu'à la place du roi je n'épargnerais pas les grosses têtes, en vérité, parce qu'ils sont deux fois plus coupables que les autres en se permettant de conspirer; ces messieurs se croient toute conspiration permise. Je dis donc que j'en sanglerais un ou deux, un surtout, mais là, carément; puis je nouerais tout le fretin. La Seine est profonde au devant de Nesle, et à la place du roi, parole d'honneur, je ne résisterais pas à la tentation.
— En ce cas, dit Quélus, je crois qu'il ne serait point mal de faire revivre la fameuse invention des sacs.
— Et quelle était cette invention? demanda Maugiron.
— Une fantaisie royale qui date de 1350 à peu près; voici la chose: on enfermait un homme dans un sac en compagnie de trois ou quatre chats, puis on jetait le tout à l'eau. Les chats, qui ne peuvent pas souffrir l'humidité, ne se sentaient pas plutôt dans la Seine qu'ils s'en prenaient à l'homme de l'accident qui leur arrivait; alors il se passait dans ce sac des choses que malheureusement on ne pouvait pas voir.
— En vérité, dit Maugiron, tu es un puits de science, Quélus, et ta conversation est des plus intéressantes.
— On pourrait ne pas appliquer cette invention aux chefs: les chefs ont toujours droit de réclamer le bénéfice de décapitation en place publique ou de l'assassinat dans quelque coin; mais comme tu le disais, au fretin, et par le fretin j'entends les favoris, les écuyers, les maîtres d'hôtel, les joueurs de luth...
— Messieurs! balbutia Aurilly pâle de terreur.
— Ne réponds donc pas, Aurilly, dit François, cela ne peut s'adresser à moi ni par conséquent à ma maison: on ne raille pas les princes du sang en France.
— Non, on les traite plus sérieusement, dit Quélus, on leur coupe le cou; Louis XI ne s'en privait pas, lui, le grand roi! témoin M. de Nemours.
Les mignons en étaient là de leur dialogue, lorsqu'on entendit du bruit dans le salon; puis la porte de la chambre s'ouvrit, et le roi parut sur le seuil.
François se leva.
— Sire, s'écria-t-il, j'en appelle à votre justice du traitement indigne que me font subir vos gens.
Mais Henri ne parut ni avoir vu ni avoir entendu son frère.
— Bonjour, Quélus, dit Henri en baisant son favori sur les deux joues; bonjour, mon enfant, la vue me réjouit l'âme; et toi, mon pauvre Maugiron, comment allons-nous?
— Je m'ennuie à périr, dit Maugiron; j'avais cru, quand je me suis chargé de garder votre frère, sire, qu'il était plus divertissant que cela. Fi! l'ennuyeux prince! est-ce bien le fils de votre père et de votre mère?
— Sire, vous l'entendez, dit François, est-il donc dans vos intentions royales que l'on insulte ainsi votre frère?
— Silence, monsieur, dit Henri sans se retourner, je n'aime pas que mes prisonniers se plaignent.
— Prisonnier tant qu'il vous plaira, mais ce prisonnier n'en est pas moins votre...
— Le titre que vous invoquez est justement celui qui vous perd dans mon esprit. Mon frère, coupable, est coupable deux fois.
— Mais s'il ne l'est pas?
— Il l'est!
— De quel crime?
— De m'avoir déplu, monsieur.
— Sire, dit François humilié, nos querelles de famille ont-elles besoin d'avoir des témoins?
— Vous avez raison, monsieur. Mes amis, laissez-moi donc causer un instant avec monsieur mon frère.
— Sire, dit tout bas Quélus, ce n'est pas prudent à Votre Majesté de rester entre deux ennemis.
— J'emmène Aurilly, dit Maugiron à l'autre oreille du roi.
Les deux gentilshommes emmenèrent Aurilly, à la fois brûlant de curiosité et mourant d'inquiétude.
— Nous voici donc seuls, dit le roi.
— J'attendais ce moment avec impatience, sire.
— Et moi aussi, Ah! vous en voulez à ma couronne, mon digne Étéocle; ah! vous vous faisiez de la Ligue un moyen et du trône un but. Ah! l'on vous sacrait dans un coin de Paris, dans une église perdue, pour vous montrer tout à coup aux Parisiens tout reluisant d'huile sainte?
— Hélas! dit François, qui sentait peu à peu la colère du roi, Votre Majesté ne me laisse pas parler.
— Pourquoi faire? dit Henri, pour mentir, ou pour me dire du moins des choses que je sais aussi bien que vous? Mais non, vous mentiriez, mon frère; car l'aveu de ce que vous avez fait, ce serait l'aveu que vous méritez la mort. Vous mentiriez, et c'est une honte que je vous épargne.
— Mon frère, mon frère, dit François éperdu, est-ce bien votre intention de m'abreuver de pareils outrages?
— Alors, si ce que je vous dis peut être tenu pour outrageant, c'est moi qui mens, et je ne demande pas mieux que de mentir. Voyons, parlez, parlez, j'écoute; apprenez-nous comment vous n'êtes pas un déloyal, et, qui pis est, un maladroit.
— Je ne sais ce que Votre Majesté veut dire, et elle semble avoir pris à tâche de me parler par énigmes.
— Alors je vais vous expliquer mes paroles, moi, s'écria Henri d'une voix pleine de menaces et qui vibrait à la portée des oreilles de François: oui, vous avez conspiré contre moi, comme vous avez autrefois conspiré contre mon frère Charles; seulement autrefois c'était à l'aide du roi de Navarre, aujourd'hui c'est à l'aide du duc de Guise. Beau projet, que j'admire et qui vous eût fait une riche place dans l'histoire des usurpateurs. Il est vrai qu'autrefois vous rampiez comme un serpent, et qu'aujourd'hui vous voulez mordre comme un lion; après la perfidie, la force ouverte; après le poison, l'épée.
— Le poison! Que voulez-vous dire, monsieur? s'écria François, pâle de rage et cherchant, comme cet Étéocle à qui Henri l'avait comparé, une place où frapper Polynice avec ses regards de flamme, a défaut de glaive et de poignard. Quel poison?
— Le poison avec lequel tu as assassiné notre frère Charles; le poison que tu destinais à Henri de Navarre, ton associé. Il est connu, va, ce poison fatal; notre mère en a déjà usé tant de fois! Voilà sans doute pourquoi tu y as renoncé à mon égard; voilà pourquoi tu as voulu prendre des airs de capitaine, en commandant les milices de la Ligue. Mais regarde-moi bien en face, François, continua Henri en faisant vers son frère un pas menaçant, et demeure bien convaincu qu'un homme de ta trempe ne tuera jamais un homme de la mienne.
François chancela sous le poids de cette terrible attaque; mais, sans égards, sans miséricorde pour son prisonnier, le roi reprit:
— L'épée! l'épée! je voudrais bien te voir dans cette chambre seul à seul avec moi, tenant une épée. Je t'ai déjà vaincu en fourberie, François, car, moi aussi, j'ai pris les chemins tortueux pour arriver au trône de France; mais ces chemins, il fallait les franchir en passant sur le ventre d'un million de Polonais; à la bonne heure! Si vous voulez être fourbe, soyez-le, mais de cette façon; si vous voulez m'imiter, imitez-moi, mais pas en me rapetissant. Voilà des intrigues royales, voilà de la fourberie digne d'un capitaine; donc, je le répète, en ruses tu es vaincu, et dans un combat loyal tu serais tué; ne songe donc plus à lutter d'une façon ni de l'autre; car, dès à présent, j'agis en roi, en maître, en desposte; dès à présent, je te surveille dans tes oscillations, je te poursuis dans tes ténèbres, et à la moindre hésitation, à la moindre obscurité, au moindre doute, j'étends ma large main sur toi, chétif, et je te jette pantelant à la hache de mon bourreau.
Voilà ce que j'avais à te dire relativement à nos affaires de famille, mon frère; voilà pourquoi je voulais te parler tête à tête, François; voilà pourquoi je vais ordonner à mes amis de te laisser seul cette nuit, afin que, dans la solitude, tu puisses méditer mes paroles. Si la nuit porte véritablement conseil, comme on dit, ce doit être surtout aux prisonniers.
— Ainsi, murmura le duc, par un caprice de Votre Majesté, sur un soupçon qui ressemble à un mauvais rêve que vous auriez fait, me voilà tombé dans votre disgrâce?
— Mieux que cela François: te voilà tombé sous ma justice.
— Mais au moins, sire, fixez un terme à ma captivité, que je sache à quoi m'en tenir.
— Quand on vous lira votre jugement, vous le saurez.
— Ma mère! ne pourrais-je pas voir ma mère?
— Pourquoi faire? Il n'y avait que trois exemplaires au monde du fameux livre de chasse que mon pauvre frère Charles a dévoré, c'est le mot, et les deux autres sont: l'un à Florence et l'autre à Londres. D'ailleurs, je ne suis pas un Nemrod, moi, comme mon pauvre frère. Adieu! François.
Le prince tomba atterré sur un fauteuil.
— Messieurs, dit le roi en rouvrant la porte, messieurs, M. le duc d'Anjou m'a demandé la liberté de réfléchir cette nuit à une réponse qu'il doit me faire demain matin. Vous le laisserez donc seul dans sa chambre, sauf les visites de précaution que, de temps en temps, vous croirez devoir faire. Vous trouverez peut-être votre prisonnier un peu exalté par la conversation que nous venons d'avoir ensemble; mais souvenez-vous qu'en conspirant contre moi M. le duc d'Anjou a renoncé au titre de mon frère; il n'y a par conséquent ici qu'un captif et des gardes; pas de cérémonies: si le captif vous désoblige, avertissez-moi; j'ai la Bastille sous ma main, et dans la Bastille, maître Laurent Testu, le premier homme du monde pour dompter les rebelles humeurs.
— Sire! sire! murmura François tentant un dernier effort, souvenez-vous que je suis votre...
— Vous étiez aussi le frère du roi Charles IX, je crois, dit Henri.
— Mais, au moins, qu'on me rende mes serviteurs, mes amis.
— Plaignez-vous! je me prive des miens pour vous les donner.
Et Henri referma la porte sur la face de son frère, qui recula pâle et chancelant jusqu'à son fauteuil, dans lequel il tomba.