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Kitabı oku: «La reine Margot», sayfa 29

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– Sire, dit Catherine s’animant à son tour, puisque vous me découvrez votre cœur, il faut que je vous ouvre le mien. Vous agissez en roi faible, en monarque mal conseillé; vous renvoyez votre second frère, le soutien naturel du trône, et qui est en tous points digne de vous succéder s’il vous advenait malheur, laissant dans ce cas votre couronne à l’abandon; car, comme vous le disiez, d’Alençon est jeune, incapable, faible, plus que faible, lâche! … Et le Béarnais se dresse derrière, entendez-vous?

– Eh! mort de tous les diables! s’écria Charles, qu’est-ce que me fait ce qui arrivera quand je n’y serai plus? Le Béarnais se dresse derrière mon frère, dites-vous? Corbœuf! tant mieux! … Je disais que je n’aimais personne… je me trompais, j’aime Henriot; oui, je l’aime, ce bon Henriot: il a l’air franc, la main tiède, tandis que je ne vois autour de moi que des yeux faux et ne touche que des mains glacées. Il est incapable de trahison envers moi, j’en jurerais. D’ailleurs je lui dois un dédommagement: on lui a empoisonné sa mère, pauvre garçon! des gens de ma famille, à ce que j’ai entendu dire. D’ailleurs je me porte bien. Mais, si je tombais malade, je l’appellerais, je ne voudrais pas qu’il me quittât, je ne prendrais rien que de sa main, et quand je mourrai je le ferai roi de France et de Navarre… Et, ventre du pape! au lieu de rire à ma mort, comme feraient mes frères, il pleurerait ou du moins il ferait semblant de pleurer.

La foudre tombant aux pieds de Catherine l’eût moins épouvantée que ces paroles. Elle demeura atterrée, regardant Charles d’un œil hagard; puis enfin, au bout de quelques secondes:

– Henri de Navarre! s’écria-t-elle, Henri de Navarre! roi de France au préjudice de mes enfants! Ah! sainte madone! nous verrons! C’est donc pour cela que vous voulez éloigner mon fils?

– Votre fils… et que suis-je donc moi? un fils de louve comme Romulus! s’écria Charles tremblant de colère et l’œil scintillant comme s’il se fût allumé par places. Votre fils! vous avez raison, le roi de France n’est pas votre fils lui, le roi de France n’a pas de frères, le roi de France n’a pas de mère, le roi de France n’a que des sujets. Le roi de France n’a pas besoin d’avoir des sentiments, il a des volontés. Il se passera qu’on l’aime, mais il veut qu’on lui obéisse.

– Sire, vous avez mal interprété mes paroles: j’ai appelé mon fils celui qui allait me quitter. Je l’aime mieux en ce moment parce que c’est lui qu’en ce moment je crains le plus de perdre. Est-ce un crime à une mère de désirer que son enfant ne la quitte pas?

– Et moi, je vous dis qu’il vous quittera, je vous dis qu’il quittera la France, qu’il s’en ira en Pologne, et cela dans deux jours; et si vous ajoutez une parole ce sera demain; et si vous ne baissez pas le front, si vous n’éteignez pas la menace de vos yeux, je l’étrangle ce soir comme vous vouliez qu’on étranglât hier l’amant de votre fille. Seulement je ne le manquerai pas, moi, comme nous avons manqué La Mole.

Sous cette première menace, Catherine baissa le front; mais presque aussitôt elle le releva.

– Ah! pauvre enfant! dit-elle, ton frère veut te tuer. Eh bien, soit tranquille, ta mère te défendra.

– Ah! l’on me brave! s’écria Charles. Eh bien, par le sang du Christ! il mourra, non pas ce soir, non pas tout à l’heure, mais à l’instant même. Ah! une arme! une dague! un couteau! … Ah!

Et Charles, après avoir porté inutilement les yeux autour de lui pour chercher ce qu’il demandait, aperçut le petit poignard que sa mère portait à sa ceinture, se jeta dessus, l’arracha de sa gaine de chagrin incrustée d’argent, et bondit hors de la chambre pour aller frapper Henri d’Anjou partout où il le trouverait. Mais en arrivant dans le vestibule ses forces surexcitées au-delà de la puissance humaine, l’abandonnèrent tout à coup: il étendit le bras, laissa tomber l’arme aiguë, qui resta fichée dans le parquet, jeta un cri lamentable, s’affaissa sur lui-même et roula sur le plancher.

En même temps le sang jaillit en abondance de ses lèvres et de son nez.

– Jésus! dit-il, on me tue; à moi! à moi!

Catherine, qui l’avait suivi, le vit tomber; elle regarda un instant impassible et sans bouger; puis rappelée à elle, non par l’amour maternel, mais par la difficulté de la situation, elle ouvrit en criant:

– Le roi se trouve mal! au secours! au secours! À ce cri un monde de serviteurs, d’officiers et de courtisans s’empressèrent autour du jeune roi. Mais avant tout le monde une femme s’était élancée, écartant les spectateurs et relevant Charles pâle comme un cadavre.

– On me tue, nourrice, on me tue, murmura le roi baigné de sueur et de sang.

– On te tue! mon Charles! s’écria la bonne femme en parcourant tous les visages avec un regard qui fit reculer jusqu’à Catherine elle-même; et qui donc cela qui te tue?

Charles poussa un faible soupir et s’évanouit tout à fait.

– Ah! dit le médecin Ambroise Paré, qu’on avait envoyé chercher à l’instant même, ah! voilà le roi bien malade!

– Maintenant, de gré ou de force, se dit l’implacable Catherine, il faudra bien qu’il accorde un délai.

Et elle quitta le roi pour aller joindre son second fils, qui attendait avec anxiété dans l’oratoire le résultat de cet entretien si important pour lui.

X. L’Horoscope

En sortant de l’oratoire, où elle venait d’apprendre à Henri d’Anjou tout ce qui s’était passé, Catherine avait trouvé René dans sa chambre.

C’était la première fois que la reine et l’astrologue se revoyaient depuis la visite que la reine lui avait faite à sa boutique du pont Saint-Michel; seulement, la veille, la reine lui avait écrit, et c’était la réponse à ce billet que René lui apportait en personne.

– Eh bien, lui demanda la reine, l’avez-vous vu?

– Oui.

– Comment va-t-il?

– Plutôt mieux que plus mal.

– Et peut-il parler?

– Non, l’épée a traversé le larynx.

– Je vous avais dit en ce cas de le faire écrire?

– J’ai essayé, lui-même a réuni toutes ses forces; mais sa main n’a pu tracer que deux lettres presque illisibles, puis il s’est évanoui: la veine jugulaire a été ouverte, et le sang qu’il a perdu lui a ôté toutes ses forces.

– Avez-vous vu ces lettres?

– Les voici.

René tira un papier de sa poche et le présenta à Catherine, qui le déplia vivement.

– Un M et un O, dit-elle… Serait-ce décidément ce La Mole, et toute cette comédie de Marguerite ne serait-elle qu’un moyen de détourner les soupçons?

– Madame, dit René, si j’osais émettre mon opinion dans une affaire où Votre Majesté hésite à former la sienne, je lui dirais que je crois M. de La Mole trop amoureux pour s’occuper sérieusement de politique.

– Vous croyez?

– Oui, surtout trop amoureux de la reine de Navarre pour servir avec dévouement le roi, car il n’y a pas de véritable amour sans jalousie.

– Et vous le croyez donc tout à fait amoureux?

– J’en suis sûr.

– Aurait-il eu recours à vous?

– Oui.

– Et il vous a demandé quelque breuvage, quelque philtre?

– Non, nous nous en sommes tenus à la figure de cire.

– Piquée au cœur?

– Piquée au cœur.

– Et cette figure existe toujours?

– Oui.

– Elle est chez vous?

– Elle est chez moi.

– Il serait curieux, dit Catherine, que ces préparations cabalistiques eussent réellement l’effet qu’on leur attribue.

– Votre Majesté est plus que moi à même d’en juger.

– La reine de Navarre aime-t-elle M. de La Mole?

– Elle l’aime au point de se perdre pour lui. Hier elle l’a sauvé de la mort au risque de son honneur et de sa vie. Vous voyez, madame, et cependant vous doutez toujours.

– De quoi?

– De la science.

– C’est qu’aussi la science m’a trahie, dit Catherine en regardant fixement René, qui supporta admirablement bien ce regard.

– En quelle occasion?

– Oh! vous savez ce que je veux dire; à moins toutefois que ce soit le savant et non la science.

– Je ne sais ce que vous voulez dire, madame, répondit le Florentin.

– René, vos parfums ont-ils perdu leur odeur?

– Non, madame, quand ils sont employés par moi; mais il est possible qu’en passant par la main des autres… Catherine sourit et hocha la tête.

– Votre opiat a fait merveille, René, dit-elle, et madame de Sauve a les lèvres plus fraîches et plus vermeilles que jamais.

– Ce n’est pas mon opiat qu’il faut en féliciter, madame, car la baronne de Sauve, usant du droit qu’a toute jolie femme d’être capricieuse, ne m’a plus reparlé de cet opiat, et moi, de mon côté, après la recommandation que m’avait faite Votre Majesté, j’ai jugé à propos de ne lui en point envoyer. Les boîtes sont donc toutes encore à la maison telles que vous les y avez laissées, moins une qui a disparu sans que je sache quelle personne me l’a prise ni ce que cette personne a voulu en faire.

– C’est bien, René, dit Catherine; peut-être plus tard reviendrons-nous là-dessus; en attendant, parlons d’autre chose.

– J’écoute, madame.

– Que faut-il pour apprécier la durée probable de la vie d’une personne?

– Savoir d’abord le jour de sa naissance, l’âge qu’elle a, et sous quel signe elle a vu le jour.

– Puis ensuite?

– Avoir de son sang et de ses cheveux.

– Et si je vous porte de son sang et de ses cheveux, si je vous dis sous quel signe il a vu le jour, si je vous dis l’âge qu’il a, le jour de sa naissance, vous me direz, vous, l’époque probable de sa mort?

– Oui, à quelques jours près.

– C’est bien. J’ai de ses cheveux, je me procurerai de son sang.

– La personne est-elle née pendant le jour ou pendant la nuit?

– À cinq heures vingt-trois minutes du soir.

– Soyez demain à cinq heures chez moi, l’expérience doit être faite à l’heure précise de la naissance.

– C’est bien, dit Catherine, nous y serons. René salua et sortit sans paraître avoir remarqué le nous y serons, qui indiquait cependant, que contre son habitude, Catherine ne viendrait pas seule.

Le lendemain, au point du jour, Catherine passa chez son fils. À minuit elle avait fait demander de ses nouvelles, et on lui avait répondu que maître Ambroise Paré était près de lui, et s’apprêtait à le saigner si la même agitation nerveuse continuait.

Encore tressaillant dans son sommeil, encore pâle du sang qu’il avait perdu, Charles dormait sur l’épaule de sa fidèle nourrice, qui, appuyée contre son lit, n’avait point depuis trois heures changé de position, de peur de troubler le repos de son cher enfant.

Une légère écume venait poindre de temps en temps sur les lèvres du malade, et la nourrice l’essuyait avec une fine batiste brodée. Sur le chevet était un mouchoir tout maculé de larges taches de sang.

Catherine eut un instant l’idée de s’emparer de ce mouchoir, mais elle pensa que ce sang, mêlé comme il l’était à la salive qui l’avait détrempé, n’aurait peut-être pas la même efficacité; elle demanda à la nourrice si le médecin n’avait pas saigné son fils comme il lui avait fait dire qu’il le devait faire. La nourrice répondit que si, et que la saignée avait été si abondante que Charles s’était évanoui deux fois.

La reine mère, qui avait quelque connaissance en médecine comme toutes les princesses de cette époque, demanda à voir le sang; rien n’était plus facile, le médecin avait recommandé qu’on le conservât pour en étudier les phénomènes.

Il était dans une cuvette dans le cabinet à côté de la chambre. Catherine y passa pour l’examiner, remplit de la rouge liqueur un petit flacon qu’elle avait apporté dans cette intention; puis rentra, cachant dans ses poches ses doigts, dont l’extrémité eût dénoncé la profanation qu’elle venait de commettre.

Au moment où elle reparaissait sur le seuil du cabinet, Charles rouvrit les yeux et fut frappé de la vue de sa mère. Alors rappelant, comme à la suite d’un rêve, toutes ses pensées empreintes de rancune:

– Ah! c’est vous, madame? dit-il. Eh bien, annoncez à votre fils bien-aimé, à votre Henri d’Anjou, que ce sera pour demain.

– Mon cher Charles, dit Catherine, ce sera pour le jour que vous voudrez. Tranquillisez-vous et dormez.

Charles, comme s’il eût cédé à ce conseil, ferma effectivement les yeux; et Catherine qui l’avait donné comme on fait pour consoler un malade ou un enfant, sortit de sa chambre. Mais derrière elle, et lorsqu’il eut entendu se refermer la porte, Charles se redressa, et tout à coup, d’une voix étouffée par l’accès dont il souffrait encore:

– Mon chancelier! cria-t-il, les sceaux, la cour! … qu’on me fasse venir tout cela.

La nourrice, avec une tendre violence, ramena la tête du roi sur son épaule, et pour le rendormir essaya de le bercer comme lorsqu’il était enfant.

– Non, non, nourrice, je ne dormirai plus. Appelle mes gens, je veux travailler ce matin.

Quand Charles parlait ainsi, il fallait obéir; et la nourrice elle-même, malgré les privilèges que son royal nourrisson lui avait conservés, n’osait aller contre ses commandements. On fit venir ceux que le roi demandait, et la séance fut fixée, non pas au lendemain, c’était chose impossible, mais à cinq jours de là.

Cependant à l’heure convenue, c’est-à-dire à cinq heures, la reine mère et le duc d’Anjou se rendaient chez René, lequel, prévenu, comme on le sait, de cette visite, avait tout préparé pour la séance mystérieuse.

Dans la chambre à droite, c’est-à-dire dans la chambre aux sacrifices, rougissait, sur un réchaud ardent, une lame d’acier destinée à représenter, par ses capricieuses arabesques, les événements de la destinée sur laquelle on consultait l’oracle; sur l’autel était préparé le livre des sorts, et pendant la nuit, qui avait été fort claire, René avait pu étudier la marche et l’attitude des constellations.

Henri d’Anjou entra le premier; il avait de faux cheveux; un masque couvrait sa figure et un grand manteau de nuit déguisait sa taille. Sa mère vint ensuite; et si elle n’eût pas su d’avance que c’était son fils qui l’attendait là, elle-même n’eût pu le reconnaître. Catherine ôta son masque; le duc d’Anjou, au contraire, garda le sien.

– As-tu fait cette nuit tes observations? demanda Catherine.

– Oui, madame, dit-il; et la réponse des astres m’a déjà appris le passé. Celui pour qui vous m’interrogez a, comme toutes les personnes nées sous le signe de l’écrevisse, le cœur ardent et d’une fierté sans exemple. Il est puissant; il a vécu près d’un quart de siècle; il a jusqu’à présent obtenu du ciel gloire et richesse. Est-ce cela, madame?

– Peut-être, dit Catherine.

– Avez-vous les cheveux et le sang?

– Les voici.

Et Catherine remit au nécromancien une boucle de cheveux d’un blond fauve et une petite fiole de sang.

René prit la fiole, la secoua pour bien réunir la fibrine et la sérosité, et laissa tomber sur la lame rougie une large goutte de cette chair coulante, qui bouillonna à l’instant même et s’extravasa bientôt en dessins fantastiques.

– Oh! madame, s’écria René, je le vois se tordre en d’atroces douleurs. Entendez-vous comme il gémit, comme il crie à l’aide! Voyez-vous comme tout devient sang autour de lui? Voyez-vous comme, enfin, autour de son lit de mort s’apprêtent de grands combats? Tenez, voici les lances; tenez, voici les épées.

– Sera-ce long? demanda Catherine palpitante d’une émotion indicible et arrêtant la main de Henri d’Anjou, qui, dans son avide curiosité, se penchait au-dessus du brasier.

René s’approcha de l’autel et répéta une prière cabalistique, mettant à cette action un feu et une conviction qui gonflaient les veines de ses tempes et lui donnaient ces convulsions prophétiques et ces tressaillements nerveux qui prenaient les pythies antiques sur le trépied et les poursuivaient jusque sur leur lit de mort.

Enfin il se releva et annonça que tout était prêt, prit d’une main le flacon encore aux trois quarts plein, et de l’autre la boucle de cheveux; puis commandant à Catherine d’ouvrir le livre au hasard et de laisser tomber sa vue sur le premier endroit venu, il versa sur la lame d’acier tout le sang, et jeta dans le brasier tous les cheveux, en prononçant une phrase cabalistique composée de mots hébreux auxquels il n’entendait rien lui-même.

Aussitôt le duc d’Anjou et Catherine virent s’étendre sur cette lame une figure blanche comme celle d’un cadavre enveloppé de son suaire.

Une autre figure, qui semblait celle d’une femme, était inclinée sur la première.

En même temps les cheveux s’enflammèrent en donnant un seul jet de feu, clair, rapide, dardé comme une langue rouge.

– Un an! s’écria René, un an à peine, et cet homme sera mort, et une femme pleurera seule sur lui. Mais non, là-bas, au bout de la lame, une autre femme encore, qui tient comme un enfant dans ses bras.

Catherine regarda son fils, et, toute mère qu’elle était, sembla lui demander quelles étaient ces deux femmes.

Mais René achevait à peine, que la plaque d’acier redevint blanche; tout s’y était graduellement effacé.

Alors Catherine ouvrit le livre au hasard, et lut, d’une voix dont, malgré toute sa force, elle ne pouvait cacher l’altération, le distique suivant:

 
Ains a peri cil que l’on redoutoit,
Plus tôt, trop tôt, si prudence n’étoit.
 

Un profond silence régna quelque temps autour du brasier.

– Et pour celui que tu sais, demanda Catherine, quels sont les signes de ce mois?

– Florissant comme toujours, madame. À moins de vaincre le destin par une lutte de dieu à dieu, l’avenir est bien certainement à cet homme. Cependant…

– Cependant, quoi?

– Une des étoiles qui composent sa pléiade est restée pendant le temps de mes observations couverte d’un nuage noir.

– Ah! s’écria Catherine, un nuage noir… Il y aurait donc quelque espérance?

– De qui parlez-vous, madame? demanda le duc d’Anjou. Catherine emmena son fils loin de la lueur du brasier et lui parla à voix basse. Pendant ce temps René s’agenouillait, et à la clarté de la flamme, versant dans sa main une dernière goutte de sang demeurée au fond de la fiole:

– Bizarre contradiction, disait-il, et qui prouve combien peu sont solides les témoignages de la science simple que pratiquent les hommes vulgaires! Pour tout autre que moi, pour un médecin, pour un savant, pour maître Ambroise Paré lui-même, voilà un sang si pur, si fécond, si plein de mordant et de sucs animaux, qu’il promet de longues années au corps dont il est sorti; et cependant toute cette vigueur doit disparaître bientôt, toute cette vie doit s’éteindre avant un an!

Catherine et Henri d’Anjou s’étaient retournés et écoutaient. Les yeux du prince brillaient à travers son masque.

– Ah! continua René, c’est qu’aux savants ordinaires le présent seul appartient; tandis qu’à nous appartiennent le passé et l’avenir.

– Ainsi donc, continua Catherine, vous persistez à croire qu’il mourra avant une année?

– Aussi certainement que nous sommes ici trois personnes vivantes qui un jour reposeront à leur tour dans le cercueil.

– Cependant vous disiez que le sang était pur et fécond, vous disiez que ce sang promettait une longue vie?

– Oui, si les choses suivaient leur cours naturel. Mais n’est-il pas possible qu’un accident…

– Ah! oui, vous entendez, dit Catherine à Henri, un accident…

– Hélas! dit celui-ci, raison de plus pour demeurer.

– Oh! quant à cela, n’y songez plus, c’est chose impossible. Alors se retournant vers René:

– Merci, dit le jeune homme en déguisant le timbre de sa voix, merci; prends cette bourse.

– Venez, comte, dit Catherine, donnant à dessein à son fils un titre qui devait dérouter les conjectures de René. Et ils partirent.

– Oh! ma mère, vous voyez, dit Henri, un accident! … et si cet accident-là arrive, je ne serai point là; je serai à quatre cents lieues de vous…

– Quatre cents lieues se font en huit jours, mon fils.

– Oui; mais sait-on si ces gens-là me laisseront revenir? Que ne puis-je attendre, ma mère! …

– Qui sait? dit Catherine; cet accident dont parle René n’est-il pas celui qui, depuis hier, couche le roi sur un lit de douleur? Écoutez, rentrez de votre côté, mon enfant; moi, je vais passer par la petite porte du cloître des Augustines, ma suite m’attend dans ce couvent. Allez, Henri, allez, et gardez-vous d’irriter votre frère, si vous le voyez.

XI. Les confidences

La première chose qu’apprit le duc d’Anjou en arrivant au Louvre, c’est que l’entrée solennelle des ambassadeurs était fixée au cinquième jour. Les tailleurs et les joailliers attendaient le prince avec de magnifiques habits et de superbes parures que le roi avait commandés pour lui.

Pendant qu’il les essayait avec une colère qui mouillait ses yeux de larmes, Henri de Navarre s’égayait fort d’un magnifique collier d’émeraudes, d’une épée à poignée d’or et d’une bague précieuse que Charles lui avait envoyés le matin même.

D’Alençon venait de recevoir une lettre et s’était renfermé dans sa chambre pour la lire en toute liberté.

Quant à Coconnas, il demandait son ami à tous les échos du Louvre.

En effet, comme on le pense bien, Coconnas, assez peu surpris de ne pas voir rentrer La Mole de toute la nuit, avait commencé dans la matinée à concevoir quelque inquiétude: il s’était en conséquence mis à la recherche de son ami, commençant son investigation par l’hôtel de la Belle-Étoile, passant de l’hôtel de la Belle-Étoile à la rue Cloche-Percée, de la rue Cloche-Percée à la rue Tizon, de la rue Tizon au pont Saint-Michel, enfin du pont Saint-Michel au Louvre.

Cette investigation avait été faite, vis-à-vis de ceux auxquels elle s’adressait, d’une façon tantôt si originale, tantôt si exigeante, ce qui est facile à concevoir quand on connaît le caractère excentrique de Coconnas, qu’elle avait suscité entre lui et trois seigneurs de la cour des explications qui avaient fini à la mode de l’époque, c’est-à-dire sur le terrain. Coconnas avait mis à ces rencontres la conscience qu’il mettait d’ordinaire à ces sortes de choses; il avait tué le premier et blessé les deux autres, en disant:

– Ce pauvre La Mole, il savait si bien le latin!

C’était au point que le dernier, qui était le baron de Boissey, lui avait dit en tombant:

– Ah! pour l’amour du ciel, Coconnas, varie un peu, et dis au moins qu’il savait le grec.

Enfin, le bruit de l’aventure du corridor avait transpiré: Coconnas s’en était gonflé de douleur, car un instant il avait cru que tous ces rois et tous ces princes lui avaient tué son ami, et l’avaient jeté dans quelque oubliette.

Il apprit que d’Alençon avait été de la partie, et passant par-dessus la majesté qui entourait le prince du sang, il l’alla trouver et lui demanda une explication comme il l’eût fait envers un simple gentilhomme.

D’Alençon eut d’abord bonne envie de mettre à la porte l’impertinent qui venait lui demander compte de ses actions; mais Coconnas parlait d’un ton de voix si bref, ses yeux flamboyaient d’un tel éclat, l’aventure des trois duels en moins de vingt-quatre heures avait placé le Piémontais si haut, qu’il réfléchit, et qu’au lieu de se livrer à son premier mouvement, il répondit à son gentilhomme avec un charmant sourire:

– Mon cher Coconnas, il est vrai que le roi furieux d’avoir reçu sur l’épaule une aiguière d’argent, le duc d’Anjou mécontent d’avoir été coiffé avec une compote d’oranges, et le duc de Guise humilié d’avoir été souffleté avec un quartier de sanglier, ont fait la partie de tuer M. de La Mole; mais un ami de votre ami a détourné le coup. La partie a donc manqué, je vous en donne ma parole de prince.

– Ah! fit Coconnas respirant sur cette assurance comme un soufflet de forge, ah! mordi, Monseigneur, voilà qui est bien, et je voudrais connaître cet ami, pour lui prouver ma reconnaissance.

M. d’Alençon ne répondit rien, mais sourit plus agréablement encore qu’il ne l’avait fait; ce qui laissa croire à Coconnas que cet ami n’était autre que le prince lui-même.

– Eh bien, Monseigneur! reprit-il, puisque vous avez tant fait que de me dire le commencement de l’histoire, mettez le comble à vos bontés en me racontant la fin. On voulait le tuer, mais on ne l’a pas tué, me dites-vous; voyons! qu’en a-t-on fait? Je suis courageux, allez! dites, et je sais supporter une mauvaise nouvelle. On l’a jeté dans quelque cul de basse-fosse, n’est-ce pas? Tant mieux, cela le rendra circonspect. Il ne veut jamais écouter mes conseils. D’ailleurs on l’en tirera, mordi! Les pierres ne sont pas dures pour tout le monde.

D’Alençon hocha la tête.

– Le pis de tout cela, dit-il, mon brave Coconnas, c’est que depuis cette aventure ton ami a disparu, sans qu’on sache où il est passé.

– Mordi! s’écria le Piémontais en pâlissant de nouveau, fût-il passé en enfer, je saurai où il est.

– Écoute, dit d’Alençon qui avait, mais par des motifs bien différents, aussi bonne envie que Coconnas de savoir où était La Mole, je te donnerai un conseil d’ami.

– Donnez, Monseigneur, dit Coconnas, donnez.

– Va trouver la reine Marguerite, elle doit savoir ce qu’est devenu celui que tu pleures.

– S’il faut que je l’avoue à Votre Altesse, dit Coconnas, j’y avais déjà pensé, mais je n’avais point osé; car, outre que madame Marguerite m’impose plus que je ne saurais dire, j’avais peur de la trouver dans les larmes. Mais, puisque Votre Altesse m’assure que La Mole n’est pas mort et que Sa Majesté doit savoir où il est, je vais faire provision de courage et aller la trouver.

– Va, mon ami, va, dit le duc François. Et quand tu auras des nouvelles, donne-m’en à moi-même; car je suis en vérité aussi inquiet que toi. Seulement souviens-toi d’une chose, Coconnas…

– Laquelle?

– Ne dis pas que tu viens de ma part, car en commettant cette imprudence tu pourrais bien ne rien apprendre.

– Monseigneur, dit Coconnas, du moment où Votre Altesse me recommande le secret sur ce point, je serai muet comme une tanche ou comme la reine mère.

«Bon prince, excellent prince, prince magnanime», murmura Coconnas en se rendant chez la reine de Navarre.

Marguerite attendait Coconnas, car le bruit de son désespoir était arrivé jusqu’à elle, et en apprenant par quels exploits ce désespoir s’était signalé, elle avait presque pardonné à Coconnas la façon quelque peu brutale dont il traitait son amie madame la duchesse de Nevers, à laquelle le Piémontais ne s’était point adressé à cause d’une grosse brouille existant déjà depuis deux ou trois jours entre eux. Il fut donc introduit chez la reine aussitôt qu’annoncé.

Coconnas entra, sans pouvoir surmonter ce certain embarras dont il avait parlé à d’Alençon qu’il éprouvait toujours en face de la reine, et qui lui était bien plus inspiré par la supériorité de l’esprit que par celle du rang; mais Marguerite l’accueillit avec un sourire qui le rassura tout d’abord.

– Eh! madame, dit-il, rendez-moi mon ami, je vous en supplie, ou dites-moi tout au moins ce qu’il est devenu; car sans lui je ne puis pas vivre. Supposez Euryale sans Nisus, Damon sans Pythias, ou Oreste sans Pylade, et ayez pitié de mon infortune en faveur d’un des héros que je viens de vous citer, et dont le cœur, je vous le jure, ne l’emportait pas en tendresse sur le mien.

Marguerite sourit, et après avoir fait promettre le secret à Coconnas, elle lui raconta la fuite par la fenêtre. Quant au lieu de son séjour, si instantes que fussent les prières du Piémontais, elle garda sur ce point le plus profond silence. Cela ne satisfaisait qu’à demi Coconnas; aussi se laissa-t-il aller à des aperçus diplomatiques de la plus haute sphère. Il en résulta que Marguerite vit clairement que le duc d’Alençon était de moitié dans le désir qu’avait son gentilhomme de connaître ce qu’était devenu La Mole.

– Eh bien, dit la reine, si vous voulez absolument savoir quelque chose de positif sur le compte de votre ami, demandez au roi Henri de Navarre, c’est le seul qui ait le droit de parler; quant à moi, tout ce que je puis vous dire, c’est que celui que vous cherchez est vivant: croyez-en ma parole.

– J’en crois une chose plus certaine encore, madame, répondit Coconnas, ce sont vos beaux yeux qui n’ont point pleuré.

Puis, croyant qu’il n’y avait rien à ajouter à une phrase qui avait le double avantage de rendre sa pensée et d’exprimer la haute opinion qu’il avait du mérite de La Mole, Coconnas se retira en ruminant un raccommodement avec madame de Nevers, non pas pour elle personnellement, mais pour savoir d’elle ce qu’il n’avait pu savoir de Marguerite.

Les grandes douleurs sont des situations anormales dont l’esprit secoue le joug aussi vite qu’il lui est possible. L’idée de quitter Marguerite avait d’abord brisé le cœur de La Mole; et c’était bien plutôt pour sauver la réputation de la reine que pour préserver sa propre vie qu’il avait consenti à fuir.

Aussi dès le lendemain au soir était-il revenu à Paris pour revoir Marguerite à son balcon. Marguerite, de son côté, comme si une voix secrète lui eût appris le retour du jeune homme, avait passé toute la soirée à sa fenêtre; il en résulta que tous deux s’étaient revus avec ce bonheur indicible qui accompagne les jouissances défendues. Il y a même plus: l’esprit mélancolique et romanesque de La Mole trouvait un certain charme à ce contretemps. Cependant, comme l’amant véritablement épris n’est heureux qu’un moment, celui pendant lequel il voit ou possède, et souffre pendant tout le temps de l’absence, La Mole, ardent de revoir Marguerite, s’occupa d’organiser au plus vite, l’événement qui devait la lui rendre, c’est-à-dire la fuite du roi de Navarre.

Quant à Marguerite, elle se laissait, de son côté, aller au bonheur d’être aimée avec un dévouement si pur. Souvent elle s’en voulait de ce qu’elle regardait comme une faiblesse; elle, cet esprit viril, méprisant les pauvretés de l’amour vulgaire, insensible aux minuties qui en font pour les âmes tendres le plus doux, le plus délicat, le plus désirable de tous les bonheurs, elle trouvait sa journée sinon heureusement remplie, du moins heureusement terminée, quand vers neuf heures, paraissant à son balcon vêtue d’un peignoir blanc, elle apercevait sur le quai, dans l’ombre, un cavalier dont la main se posait sur ses lèvres, sur son cœur; c’était alors une toux significative, qui rendait à l’amant le souvenir de la voix aimée. C’était quelquefois aussi un billet vigoureusement lancé par une petite main et qui enveloppait quelque bijou précieux, mais bien plus précieux encore pour avoir appartenu à celle qui l’envoyait que pour la matière qui lui donnait sa valeur, et qui allait résonner sur le pavé à quelques pas du jeune homme. Alors La Mole, pareil à un milan, fondait sur cette proie, la serrait dans son sein, répondait par la même voie, et Marguerite ne quittait son balcon qu’après avoir entendu se perdre dans la nuit les pas du cheval poussé à toute bride pour venir, et qui, pour s’éloigner, semblait d’une matière aussi inerte que le fameux colosse qui perdit Troie.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
30 ağustos 2016
Hacim:
750 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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