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Kitabı oku: «La reine Margot», sayfa 30

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Voilà pourquoi la reine n’était pas inquiète du sort de La Mole, auquel, du reste, de peur que ses pas ne fussent épiés, elle refusait opiniâtrement tout autre rendez-vous que ces entrevues à l’espagnole, qui duraient depuis sa fuite et se renouvelaient dans la soirée de chacun des jours qui s’écoulaient dans l’attente de la réception des ambassadeurs, réception remise à quelques jours, comme on l’a vu, par les ordres exprès d’Ambroise Paré.

La veille de cette réception, vers neuf heures du soir, comme tout le monde au Louvre était préoccupé des préparatifs du lendemain, Marguerite ouvrit sa fenêtre et s’avança sur le balcon; mais à peine y fut-elle que, sans attendre la lettre de Marguerite, La Mole, plus pressé que de coutume, envoya la sienne, qui vint, avec son adresse accoutumée, tomber aux pieds de sa royale maîtresse. Marguerite comprit que la missive devait renfermer quelque chose de particulier, elle rentra pour la lire.

Le billet, sur le recto de la première page, renfermait ces mots:

«Madame, il faut que je parle au roi de Navarre. L’affaire est urgente. J’attends.»

Et sur le second recto ces mots, que l’on pouvait isoler des premiers en séparant les deux feuilles:

«Madame et ma reine, faites que je puisse vous donner un de ces baisers que je vous envoie. J’attends.»

Marguerite achevait à peine cette seconde partie de la lettre, qu’elle entendit la voix de Henri de Navarre qui, avec sa réserve habituelle, frappait à la porte commune, et demandait à Gillonne s’il pouvait entrer.

La reine divisa aussitôt la lettre, mit une des pages dans son corset, l’autre dans sa poche, courut à la fenêtre qu’elle ferma, et s’élançant vers la porte:

– Entrez, Sire, dit-elle.

Si doucement, si promptement, si habilement que Marguerite eût fermé cette fenêtre, la commotion en était arrivée jusqu’à Henri, dont les sens toujours tendus avaient, au milieu de cette société dont il se défiait si fort, presque acquis l’exquise délicatesse où ils sont portés chez l’homme vivant dans l’état sauvage. Mais le roi de Navarre n’était pas un de ces tyrans qui veulent empêcher leurs femmes de prendre l’air et de contempler les étoiles.

Henri était souriant et gracieux comme d’habitude.

– Madame, dit-il, tandis que nos gens de cour essaient leurs habits de cérémonie, je pense à venir échanger avec vous quelques mots de mes affaires, que vous continuez de regarder comme les vôtres, n’est-ce pas?

– Certainement, monsieur, répondit Marguerite, nos intérêts ne sont-ils pas toujours les mêmes?

– Oui, madame, et c’est pour cela que je voulais vous demander ce que vous pensez de l’affectation que M. le duc d’Alençon met depuis quelques jours à me fuir, à ce point que depuis avant-hier il s’est retiré à Saint-Germain. Ne serait-ce pas pour lui soit un moyen de partir seul, car il est peu surveillé, soit un moyen de ne point partir du tout? Votre avis, s’il vous plaît, madame? il sera, je vous l’avoue, d’un grand poids pour affermir le mien.

– Votre Majesté a raison de s’inquiéter du silence de mon frère. J’y ai songé aujourd’hui toute la journée, et mon avis est que, les circonstances ayant changé, il a changé avec elles.

– C’est-à-dire, n’est-ce pas, que, voyant le roi Charles malade, le duc d’Anjou roi de Pologne, il ne serait pas fâché de demeurer à Paris pour garder à vue la couronne de France?

– Justement.

– Soit. Je ne demande pas mieux, dit Henri, qu’il reste; seulement cela change tout notre plan; car il me faut, pour partir seul, trois fois les garanties que j’aurais demandées pour partir avec votre frère, dont le nom et la présence dans l’entreprise me sauvegardaient. Ce qui m’étonne seulement, c’est de ne pas entendre parler de M. de Mouy. Ce n’est point son habitude de demeurer ainsi sans bouger. N’en auriez-vous point eu des nouvelles, madame?

– Moi, Sire! dit Marguerite étonnée; et comment voulez-vous?…

– Eh! pardieu, ma mie, rien ne serait plus naturel; vous avez bien voulu, pour me faire plaisir, sauver la vie au petit La Mole… Ce garçon a dû aller à Mantes… et quand on y va, on en peut bien revenir…

– Ah! voilà qui me donne la clef d’une énigme dont je cherchais vainement le mot, répondit Marguerite. J’avais laissé la fenêtre ouverte, et j’ai trouvé, en rentrant, sur mon tapis, une espèce de billet.

– Voyez-vous cela! dit Henri.

– Un billet auquel d’abord je n’ai rien compris, et auquel je n’ai attaché aucune importance, continua Marguerite; peut-être avais-je tort et vient-il de ce côté-là.

– C’est possible, dit Henri; j’oserais même dire que c’est probable. Peut-on voir ce billet?

– Certainement, Sire, répondit Marguerite en remettant au roi celle des deux feuilles de papier qu’elle avait introduite dans sa poche.

Le roi jeta les yeux dessus.

– N’est-ce point l’écriture de M. de La Mole? dit-il.

– Je ne sais, répondit Marguerite; le caractère m’en a paru contrefait.

– N’importe, lisons, dit Henri. Et il lut: «Madame, il faut que je parle au roi de Navarre. L’affaire est urgente. J’attends.»

– Ah! oui-da! … continua Henri. Voyez-vous, il dit qu’il attend!

– Certainement je le vois…, dit Marguerite. Mais que voulez-vous?

– Eh! ventre-saint-gris, je veux qu’il vienne.

– Qu’il vienne! s’écria Marguerite en fixant sur son mari ses beaux yeux étonnés; comment pouvez-vous dire une chose pareille, Sire? Un homme que le roi a voulu tuer… qui est signalé, menacé… qu’il vienne! dites-vous; est-ce que c’est possible?… Les portes sont-elles bien faites pour ceux qui ont été…

– Obligés de fuir par la fenêtre… vous voulez dire?

– Justement, et vous achevez ma pensée.

– Eh bien! mais, s’ils connaissent le chemin de la fenêtre, qu’ils reprennent ce chemin, puisqu’ils ne peuvent absolument pas entrer par la porte. C’est tout simple, cela.

– Vous croyez? dit Marguerite rougissant de plaisir à l’idée de se rapprocher de La Mole.

– J’en suis sûr.

– Mais comment monter? demanda la reine.

– N’avez-vous donc pas conservé l’échelle de corde que je vous avais envoyée? Ah! je ne reconnaîtrais point là votre prévoyance habituelle.

– Si fait, Sire, dit Marguerite.

– Alors, c’est parfait, dit Henri.

– Qu’ordonne donc Votre Majesté?

– Mais c’est tout simple, dit Henri, attachez-la à votre balcon et la laissez pendre. Si c’est de Mouy qui attend… et je serais tenté de le croire… si c’est de Mouy qui attend et qu’il veuille monter, il montera, ce digne ami.

Et sans perdre de son flegme, Henri prit la bougie pour éclairer Marguerite dans la recherche qu’elle s’apprêtait à faire de l’échelle; la recherche ne fut pas longue, elle était enfermée dans une armoire du fameux cabinet.

– Là, c’est cela, dit Henri; maintenant, madame, si ce n’est pas trop exiger de votre complaisance, attachez, je vous prie, cette échelle au balcon.

– Pourquoi moi et non pas vous, Sire? dit Marguerite.

– Parce que les meilleurs conspirateurs sont les plus prudents. La vue d’un homme effaroucherait peut-être notre ami, vous comprenez.

Marguerite sourit et attacha l’échelle.

– Là, dit Henri en restant caché dans l’angle de l’appartement, montrez-vous bien; maintenant faites voir l’échelle. À merveille; je suis sûr que de Mouy va monter.

En effet, dix minutes après, un homme ivre de joie enjamba le balcon, et, voyant que la reine ne venait pas au-devant de lui, demeura quelques secondes hésitant. Mais, à défaut de Marguerite, Henri s’avança:

– Tiens, dit-il gracieusement, ce n’est point de Mouy, c’est M. de La Mole. Bonsoir, monsieur de la Mole; entrez donc, je vous prie.

La Mole demeura un instant stupéfait.

Peut-être, s’il eût été encore suspendu à son échelle au lieu d’être posé le pied ferme sur le balcon, fût-il tombé en arrière.

– Vous avez désiré parler au roi de Navarre pour affaires urgentes, dit Marguerite; je l’ai fait prévenir, et le voilà. Henri alla fermer la fenêtre.

– Je t’aime, dit Marguerite en serrant vivement la main du jeune homme.

– Eh bien, monsieur, fit Henri en présentant une chaise à La Mole, que disons-nous?

– Nous disons, Sire, répondit celui-ci, que j’ai quitté M. de Mouy à la barrière. Il désire savoir si Maurevel a parlé et si sa présence dans la chambre de Votre Majesté est connue.

– Pas encore, mais cela ne peut tarder; il faut donc nous hâter.

– Votre opinion est la sienne, Sire, et si demain, pendant la soirée, M. d’Alençon est prêt à partir, il se trouvera à la porte Saint-Marcel avec cent cinquante hommes; cinq cents vous attendront à Fontainebleau: alors vous gagnerez Blois, Angoulême et Bordeaux.

– Madame, dit Henri en se tournant vers sa femme, demain, pour mon compte, je serai prêt, le serez-vous?

Les yeux de La Mole se fixèrent sur ceux de Marguerite avec une profonde anxiété.

– Vous avez ma parole, dit la reine, partout où vous irez, je vous suis; mais vous le savez, il faut que M. d’Alençon parte en même temps que nous. Pas de milieu avec lui, il nous sert ou il nous trahit; s’il hésite, ne bougeons pas.

– Sait-il quelque chose de ce projet, monsieur de la Mole? demanda Henri.

– Il a dû, il y a quelques jours, recevoir une lettre de M. de Mouy.

– Ah! ah! dit Henri, et il ne m’a parlé de rien!

– Défiez-vous, monsieur, dit Marguerite, défiez-vous.

– Soyez tranquille, je suis sur mes gardes. Comment faire tenir une réponse à M. de Mouy?

– Ne vous inquiétez de rien, Sire. À droite ou à gauche de Votre Majesté, visible ou invisible, demain, pendant la réception des ambassadeurs, il sera là: un mot dans le discours de la reine qui lui fasse comprendre si vous consentez ou non, s’il doit fuir ou vous attendre. Si le duc d’Alençon refuse, il ne demande que quinze jours pour tout réorganiser en votre nom.

– En vérité, dit Henri, de Mouy est un homme précieux. Pouvez-vous intercaler dans votre discours la phrase attendue, madame?

– Rien de plus facile, répondit Marguerite.

– Alors, dit Henri, je verrai demain M. d’Alençon; que de Mouy soit à son poste et comprenne à demi-mot.

– Il y sera, Sire.

– Eh bien, monsieur de la Mole, dit Henri, allez lui porter ma réponse. Vous avez sans doute dans les environs un cheval, un serviteur?

– Orthon est là qui m’attend sur le quai.

– Allez le rejoindre, monsieur le comte. Oh! non point par la fenêtre; c’est bon dans les occasions extrêmes. Vous pourriez être vu, et comme on ne saurait pas que c’est pour moi que vous vous exposez ainsi, vous compromettriez la reine.

– Mais par où, Sire?

– Si vous ne pouvez pas entrer seul au Louvre, vous en pouvez sortir avec moi, qui ai le mot d’ordre. Vous avez votre manteau, j’ai le mien; nous nous envelopperons tous deux, et nous traverserons le guichet sans difficulté. D’ailleurs, je serai aise de donner quelques ordres particuliers à Orthon. Attendez ici, je vais voir s’il n’y a personne dans les corridors.

Henri, de l’air du monde le plus naturel, sortit pour aller explorer le chemin. La Mole resta seul avec la reine.

– Oh! quand vous reverrai-je? dit La Mole.

– Demain soir si nous fuyons: un de ces soirs, dans la maison de la rue Cloche-Percée, si nous ne fuyons pas.

– Monsieur de la Mole, dit Henri en rentrant, vous pouvez venir, il n’y a personne. La Mole s’inclina respectueusement devant la reine.

– Donnez-lui votre main à baiser, madame, dit Henri; monsieur de La Mole n’est pas un serviteur ordinaire. Marguerite obéit.

– À propos, dit Henri, serrez l’échelle de corde avec soin; c’est un meuble précieux pour des conspirateurs; et, au moment où l’on s’y attend le moins, on peut avoir besoin de s’en servir. Venez, monsieur de la Mole, venez.

XII. Les ambassadeurs

Le lendemain toute la population de Paris s’était portée vers le faubourg Saint-Antoine, par lequel il avait été décidé que les ambassadeurs polonais feraient leur entrée. Une haie de Suisses contenait la foule, et des détachements de cavaliers protégeaient la circulation des seigneurs et des dames de la cour qui se portaient au-devant du cortège.

Bientôt parut, à la hauteur de l’abbaye Saint-Antoine, une troupe de cavaliers vêtus de rouge et de jaune, avec des bonnets et des manteaux fourrés, et tenant à la main des sabres larges et recourbés comme les cimeterres des Turcs.

Les officiers marchaient sur le flanc des lignes.

Derrière cette première troupe en venait une seconde équipée avec un luxe tout à fait oriental. Elle précédait les ambassadeurs, qui, au nombre de quatre, représentaient magnifiquement le plus mythologique des royaumes chevaleresques du XVIe siècle.

L’un de ces ambassadeurs était l’évêque de Cracovie. Il portait un costume demi-pontifical, demi-guerrier, mais éblouissant d’or et de pierreries. Son cheval blanc à longs crins flottants et au pas relevé semblait souffler le feu par ses naseaux; personne n’aurait pensé que depuis un mois le noble animal faisait quinze lieues chaque jour par des chemins que le mauvais temps avait rendus presque impraticables.

Près de l’évêque marchait le palatin Lasco, puissant seigneur si rapproché de la couronne qu’il avait la richesse d’un roi comme il en avait l’orgueil.

Après les deux ambassadeurs principaux, qu’accompagnaient deux autres palatins de haute naissance, venait une quantité de seigneurs polonais dont les chevaux, harnachés de soie, d’or et de pierreries, excitèrent la bruyante approbation du peuple. En effet, les cavaliers français, malgré la richesse de leurs équipages, étaient complètement éclipsés par ces nouveaux venus, qu’ils appelaient dédaigneusement des barbares.

Jusqu’au dernier moment, Catherine avait espéré que la réception serait remise encore et que la décision du roi céderait à sa faiblesse, qui continuait. Mais lorsque le jour fut venu, lorsqu’elle vit Charles, pâle comme un spectre, revêtir le splendide manteau royal, elle comprit qu’il fallait plier en apparence sous cette volonté de fer, et elle commença de croire que le plus sûr parti pour Henri d’Anjou était l’exil magnifique auquel il était condamné.

Charles, à part les quelques mots qu’il avait prononcés lorsqu’il avait rouvert les yeux, au moment où sa mère sortait du cabinet, n’avait point parlé à Catherine depuis la scène qui avait amené la crise à laquelle il avait failli succomber. Chacun, dans le Louvre, savait qu’il y avait eu une altercation terrible entre eux sans connaître la cause de cette altercation, et les plus hardis tremblaient devant cette froideur et ce silence, comme tremblent les oiseaux devant le calme menaçant qui précède l’orage.

Cependant tout s’était préparé au Louvre, non pas comme pour une fête, il est vrai, mais comme pour quelque lugubre cérémonie. L’obéissance de chacun avait été morne ou passive. On savait que Catherine avait presque tremblé, et tout le monde tremblait.

La grande salle de réception du palais avait été préparée, et comme ces sortes de séances étaient ordinairement publiques, les gardes et les sentinelles avaient reçu l’ordre de laisser entrer, avec les ambassadeurs, tout ce que les appartements et les cours pourraient contenir de populaire.

Quant à Paris, son aspect était toujours celui que présente la grande ville en pareille circonstance: c’est-à-dire empressement et curiosité. Seulement quiconque eût bien considéré ce jour-là la population de la capitale, eût reconnu parmi les groupes composés de ces honnêtes figures de bourgeois naïvement béantes, bon nombre d’hommes enveloppés dans de grands manteaux, se répondant les uns aux autres par des coups d’œil, des signes de la main quand ils étaient à distance, et échangeant à voix basse quelques mots rapides et significatifs toutes les fois qu’ils se rapprochaient. Ces hommes, au reste, paraissaient fort préoccupés du cortège, le suivaient des premiers, et paraissaient recevoir leurs ordres d’un vénérable vieillard dont les yeux noirs et vifs faisaient, malgré sa barbe blanche et ses sourcils grisonnants, ressortir la verte activité. En effet, ce vieillard, soit par ses propres moyens, soit qu’il fût aidé par les efforts de ses compagnons, parvint à se glisser des premiers dans le Louvre, et, grâce à la complaisance du chef des Suisses, digne huguenot fort peu catholique malgré sa conversion, trouva moyen de se placer derrière les ambassadeurs, juste en face de Marguerite et de Henri de Navarre.

Henri prévenu par La Mole que de Mouy devait, sous un déguisement quelconque, assister à la séance, jetait les yeux de tous côtés. Enfin ses regards rencontrèrent ceux du vieillard et ne le quittèrent plus: un signe de De Mouy avait fixé tous les doutes du roi de Navarre. Car de Mouy était si bien déguisé que Henri lui-même avait douté que ce vieillard à barbe blanche pût être le même que cet intrépide chef des huguenots qui avait fait, cinq ou six jours auparavant, une si rude défense.

Un mot de Henri, prononcé à l’oreille de Marguerite, fixa les regards de la reine sur de Mouy. Puis alors ses beaux yeux s’égarèrent dans les profondeurs de la salle: elle cherchait La Mole, mais inutilement.

La Mole n’y était pas.

Les discours commencèrent. Le premier fut au roi. Lasco lui demandait, au nom de la diète, son assentiment à ce que la couronne de Pologne fût offerte à un prince de la maison de France.

Charles répondit par une adhésion courte et précise, présentant le duc d’Anjou, son frère, du courage duquel il fit un grand éloge aux envoyés polonais. Il parlait en français; un interprète traduisait sa réponse après chaque période. Et pendant que l’interprète parlait à son tour, on pouvait voir le roi approcher de sa bouche un mouchoir qui, à chaque fois, s’en éloignait teint de sang.

Quand la réponse de Charles fut terminée, Lasco se tourna vers le duc d’Anjou, s’inclina et commença un discours latin dans lequel il lui offrait le trône au nom de la nation polonaise.

Le duc répondit dans la même langue, et d’une voix dont il cherchait en vain à contenir l’émotion, qu’il acceptait avec reconnaissance l’honneur qui lui était décerné. Pendant tout le temps qu’il parla, Charles resta debout, les lèvres serrées, l’œil fixé sur lui, immobile et menaçant comme l’œil d’un aigle.

Quand le duc d’Anjou eut fini, Lasco prit la couronne des Jagellons posée sur un coussin de velours rouge, et tandis que deux seigneurs polonais revêtaient le duc d’Anjou du manteau royal, il déposa la couronne entre les mains de Charles.

Charles fit un signe à son frère. Le duc d’Anjou vint s’agenouiller devant lui, et de ses propres mains, Charles lui posa la couronne sur la tête: alors les deux rois échangèrent un des plus haineux baisers que se soient jamais donnés deux frères.

Aussitôt un héraut cria:

«Alexandre-Édouard-Henri de France, duc d’Anjou, vient d’être couronné roi de Pologne. Vive le roi de Pologne! »

Toute l’assemblée répéta d’un seul cri:

– Vive le roi de Pologne! Alors Lasco se tourna vers Marguerite. Le discours de la belle reine avait été gardé pour le dernier. Or, comme c’était une galanterie qui lui avait été accordée pour faire briller son beau génie, comme on disait alors, chacun porta une grande attention à la réponse, qui devait être en latin. Nous avons vu que Marguerite l’avait composée elle-même.

Le discours de Lasco fut plutôt un éloge qu’un discours. Il avait cédé, tout Sarmate qu’il était, à l’admiration qu’inspirait à tous la belle reine de Navarre; et empruntant la langue à Ovide, mais le style à Ronsard, il dit que, partis de Varsovie au milieu de la plus profonde nuit, ils n’auraient su, lui et ses compagnons, comment retrouver leur chemin, si, comme les rois mages, ils n’avaient eu deux étoiles pour les guider; étoiles qui devenaient de plus en plus brillantes à mesure qu’ils approchaient de la France, et qu’ils reconnaissaient maintenant n’être autre chose que les deux beaux yeux de la reine de Navarre. Enfin, passant de l’Évangile au Coran, de la Syrie à l’Arabie Pétrée, de Nazareth à La Mecque, il termina en disant qu’il était tout prêt à faire ce que faisaient les sectateurs ardents du Prophète, qui, une fois qu’ils avaient eu le bonheur de contempler son tombeau, se crevaient les yeux, jugeant qu’après avoir joui d’une si belle vue rien dans ce monde ne valait plus la peine d’être admiré.

Ce discours fut couvert d’applaudissements de la part de ceux qui parlaient latin, parce qu’ils partageaient l’opinion de l’orateur; de la part de ceux qui ne l’entendaient point, parce qu’ils voulaient avoir l’air de l’entendre.

Marguerite fit d’abord une gracieuse révérence au galant Sarmate; puis, tout en répondant à l’ambassadeur, fixant les yeux sur de Mouy, elle commença en ces termes:

«Quod nunc hac in aula insperati adestis exultaremus ego et conjux, nisi ideo immineret calimitas, scilicet non solum fratris sed etiam amici orbitas.6»

Ces paroles avaient deux sens, et, tout en s’adressant à de Mouy, pouvaient s’adresser à Henri d’Anjou. Aussi ce dernier salua-t-il en signe de reconnaissance.

Charles ne se rappela point avoir lu cette phrase dans le discours qui lui avait été communiqué quelques jours auparavant; mais il n’attachait point grande importance aux paroles de Marguerite, qu’il savait être un discours de simple courtoisie. D’ailleurs, il comprenait fort mal le latin.

Marguerite continua:

«Adeo dolemur a te dividi ut tecum proficisci maluissemus. Sed idem fatum que nunc sine ullâ morâ Lutetiâ cedere juberis, hac in urbe detinet. Proficiscere ergo, frater; proficiscere, amice; proficiscere sine nobis; proficiscentem sequentur spes et desideria nostra.7»

On devine aisément que de Mouy écoutait avec une attention profonde ces paroles, qui, adressées aux ambassadeurs, étaient prononcées pour lui seul. Henri avait bien déjà deux ou trois fois tourné la tête négativement sur les épaules, pour faire comprendre au jeune huguenot que d’Alençon avait refusé; mais ce geste, qui pouvait être un effet du hasard, eût paru insuffisant à de Mouy, si les paroles de Marguerite ne fussent venues le confirmer. Or, tandis qu’il regardait Marguerite et l’écoutait de toute son âme, ses deux yeux noirs, si brillants sous leurs sourcils gris, frappèrent Catherine, qui tressaillit comme à une commotion électrique, et qui ne détourna plus son regard de ce côté de la salle.

– Voilà une figure étrange, murmura-t-elle tout en continuant de composer son visage selon les lois du cérémonial. Qui donc est cet homme qui regarde si attentivement Marguerite, et que, de leur côté Marguerite et Henri regardent si attentivement?

Cependant la reine de Navarre continuait son discours, qui, à partir de ce moment, répondait aux politesses de l’envoyé polonais, tandis que Catherine se creusait la tête, cherchant quel pouvait être le nom de ce beau vieillard, lorsque le maître des cérémonies, s’approchant d’elle par derrière, lui remit un sachet de satin parfumé contenant un papier plié en quatre. Elle ouvrit le sachet, tira le papier, et lut ces mots:

«Maurevel, à l’aide d’un cordial que je viens de lui donner, a enfin repris quelque force, et est parvenu à écrire le nom de l’homme qui se trouvait dans la chambre du roi de Navarre. Cet homme, c’est M. de Mouy.»

– De Mouy! pensa la reine; eh bien, j’en avais le pressentiment. Mais ce vieillard… Eh! cospetto! … ce vieillard, c’est…

Catherine demeura l’œil fixe, la bouche béante. Puis, se penchant à l’oreille du capitaine des gardes qui se tenait à son côté:

– Regardez, monsieur de Nancey, lui dit-elle, mais sans affectation; regardez le seigneur Lasco, celui qui parle en ce moment. Derrière lui… c’est cela… voyez-vous un vieillard à barbe blanche, en habit de velours noir?

– Oui, madame, répondit le capitaine.

– Bon, ne le perdez pas de vue.

– Celui auquel le roi de Navarre fait un signe?

– Justement. Placez-vous à la porte du Louvre avec dix hommes, et, quand il sortira, invitez-le de la part du roi à dîner. S’il vous suit, conduisez-le dans une chambre où vous le retiendrez prisonnier. S’il vous résiste, emparez vous-en mort ou vif. Allez! allez!

Heureusement Henri, fort peu occupé du discours de Marguerite, avait l’œil arrêté sur Catherine, et n’avait point perdu une seule expression de son visage. En voyant les yeux de la reine mère fixés avec un si grand acharnement sur de Mouy, il s’inquiéta; en lui voyant donner un ordre au capitaine des gardes, il comprit tout.

Ce fut en ce moment qu’il fit le geste qu’avait surpris M. de Nancey, et qui, dans la langue des signes, voulait dire: Vous êtes découvert, sauvez-vous à l’instant même.

De Mouy comprit ce geste, qui couronnait si bien la portion du discours de Marguerite qui lui était adressé. Il ne se le fit pas dire deux fois, il se perdit dans la foule, et disparut.

Mais Henri ne fut tranquille que lorsqu’il eut vu M. de Nancey revenir à Catherine, et qu’il eut compris à la contraction du visage de la reine mère que celui-ci lui annonçait qu’il était arrivé trop tard. L’audience était finie. Marguerite échangeait encore quelques paroles non officielles avec Lasco.

Le roi se leva chancelant, salua et sortit appuyé sur l’épaule d’Ambroise Paré, qui ne le quittait pas depuis l’accident qui lui était arrivé.

Catherine, pâle de colère, et Henri, muet de douleur, le suivirent.

Quant au duc d’Alençon, il s’était complètement effacé pendant la cérémonie; et pas une fois le regard de Charles qui ne s’était pas écarté un instant du duc d’Anjou, ne s’était fixé sur lui.

Le nouveau roi de Pologne se sentait perdu. Loin de sa mère, enlevé par ces barbares du Nord, il était semblable à Antée, ce fils de la Terre, qui perdait ses forces, soulevé dans les bras d’Hercule. Une fois hors de la frontière, le duc d’Anjou se regardait comme à tout jamais exclu du trône de France.

Aussi, au lieu de suivre le roi, ce fut chez sa mère qu’il se retira.

Il la trouva non moins sombre et non moins préoccupée que lui-même, car elle songeait à cette tête fine et moqueuse qu’elle n’avait point perdue de vue pendant la cérémonie, à ce Béarnais auquel la destinée semblait faire place en balayant autour de lui les rois, princes assassins, ses ennemis et ses obstacles.

En voyant son fils bien-aimé pâle sous sa couronne, brisé sous son manteau royal, joignant sans rien dire, en signe de supplication, ses belles mains, qu’il tenait d’elle, Catherine se leva et alla à lui.

– Oh! ma mère, s’écria le roi de Pologne, me voilà condamné à mourir dans l’exil!

– Mon fils, lui dit Catherine, oubliez-vous si vite la prédiction de René? Soyez tranquille, vous n’y demeurerez pas longtemps.

– Ma mère, je vous en conjure, dit le duc d’Anjou, au premier bruit, au premier soupçon que la couronne de France peut être vacante, prévenez-moi…

– Soyez tranquille, mon fils, dit Catherine; jusqu’au jour que nous attendons tous deux il y aura incessamment dans mon écurie un cheval sellé, et dans mon antichambre un courrier prêt à partir pour la Pologne.

6.Votre présence inespérée dans cette cour nous comblerait de joie, moi et mon mari, si elle n’amenait un grand malheur, c’est-à-dire non seulement la perte d’un frère, mais encore celle d’un ami.
7.Nous sommes désespérés d’être séparés de vous, quand nous eussions préféré partir avec vous. Mais le même destin qui veut que vous quittiez sans retard Paris, nous enchaîne, nous, dans cette ville. Partez donc, cher frère; partez donc, cher ami; partez sans nous. Notre espérance et nos désirs vous suivent.