Kitabı oku: «La reine Margot», sayfa 31
XIII. Oreste et Pylade
Henri d’Anjou parti, on eût dit que la paix et le bonheur étaient revenus s’asseoir dans le Louvre au foyer de cette famille d’Atrides.
Charles, oubliant sa mélancolie, reprenait sa vigoureuse santé, chassant avec Henri et parlant de chasse avec lui les jours où il ne pouvait chasser; ne lui reprochant qu’une chose, son apathie pour la chasse au vol, et disant qu’il serait un prince parfait s’il savait dresser les faucons, les gerfauts et les tiercelets comme il savait dresser braques et courants.
Catherine était redevenue bonne mère: douce à Charles et à d’Alençon, caressante à Henri et à Marguerite, gracieuse à madame de Nevers et à madame de Sauve; et, sous prétexte que c’était en accomplissant un ordre d’elle qu’il avait été blessé, elle avait poussé la bonté d’âme jusqu’à aller voir deux fois Maurevel convalescent dans sa maison de la rue de la Cerisaie.
Marguerite continuait ses amours à l’espagnole.
Tous les soirs elle ouvrait sa fenêtre et correspondait avec La Mole par gestes et par écrit; et dans chacune de ses lettres le jeune homme rappelait à sa belle reine qu’elle lui avait promis quelques instants, en récompense de son exil, rue Cloche-Percée.
Une seule personne au monde était seule et dépareillée dans le Louvre redevenu si calme et si paisible.
Cette personne, c’était notre ami le comte Annibal de Coconnas.
Certes, c’était quelque chose que de savoir La Mole vivant; c’était beaucoup que d’être toujours le préféré de madame de Nevers, la plus rieuse et la plus fantasque de toutes les femmes. Mais tout le bonheur de ce tête-à-tête que la belle duchesse lui accordait, tout le repos d’esprit donné par Marguerite à Coconnas sur le sort de leur ami commun, ne valaient point aux yeux du Piémontais une heure passée avec La Mole chez l’ami La Hurière devant un pot de vin doux, ou bien une de ces courses dévergondées faites dans tous ces endroits de Paris où un honnête gentilhomme pouvait attraper des accrocs à sa peau, à sa bourse ou à son habit.
Madame de Nevers, il faut l’avouer à la honte de l’humanité, supportait impatiemment cette rivalité de La Mole. Ce n’est point qu’elle détestât le Provençal, au contraire: entraînée par cet instinct irrésistible qui porte toute femme à être coquette malgré elle avec l’amant d’une autre femme, surtout quand cette femme est son amie, elle n’avait point épargné à La Mole les éclairs de ses yeux d’émeraude, et Coconnas eût pu envier les franches poignées de main et les frais d’amabilité faits par la duchesse en faveur de son ami pendant ces jours de caprice, où l’astre du Piémontais semblait pâlir dans le ciel de sa belle maîtresse; mais Coconnas, qui eût égorgé quinze personnes pour un seul clin d’œil de sa dame, était si peu jaloux de La Mole qu’il lui avait souvent fait à l’oreille, à la suite de ces inconséquences de la duchesse, certaines offres qui avaient fait rougir le Provençal.
Il résulte de cet état de choses que Henriette, que l’absence de La Mole privait de tous les avantages que lui procurait la compagnie de Coconnas, c’est-à-dire de son intarissable gaieté et de ses insatiables caprices de plaisir, vint un jour trouver Marguerite pour la supplier de lui rendre ce tiers obligé, sans lequel l’esprit et le cœur de Coconnas allaient s’évaporant de jour en jour.
Marguerite, toujours compatissante et d’ailleurs pressée par les prières de La Mole et les désirs de son propre cœur, donna rendez-vous pour le lendemain à Henriette dans la maison aux deux portes, afin d’y traiter à fond ces matières dans une conversation que personne ne pourrait interrompre.
Coconnas reçut d’assez mauvaise grâce le billet de Henriette qui le convoquait rue Tizon pour neuf heures et demie. Il ne s’en achemina pas moins vers le lieu du rendez-vous, où il trouva Henriette déjà courroucée d’être arrivée la première.
– Fi! monsieur, dit-elle, que c’est mal appris de faire attendre ainsi… je ne dirai pas une princesse, mais une femme!
– Oh! attendre, dit Coconnas, voilà bien un mot à vous, par exemple! je parie au contraire que nous sommes en avance.
– Moi, oui.
– Bah! moi aussi; il est tout au plus dix heures, je parie.
– Eh bien, mon billet portait neuf heures et demie.
– Aussi étais-je parti du Louvre à neuf heures, car je suis de service près de M. le duc d’Alençon, soit dit en passant; ce qui fait que je serai obligé de vous quitter dans une heure.
– Ce qui vous enchante?
– Non, ma foi! attendu que M. d’Alençon est un maître fort maussade et fort quinteux; et, que pour être querellé, j’aime mieux l’être par de jolies lèvres comme les vôtres que par une bouche de travers comme la sienne.
– Allons! dit la duchesse, voilà qui est un peu mieux cependant… Vous disiez donc que vous étiez sorti à neuf heures du Louvre?
– Oh! mon Dieu, oui, dans l’intention de venir droit ici, quand, au coin de la rue de Grenelle, j’aperçois un homme qui ressemble à La Mole.
– Bon! encore La Mole.
– Toujours, avec ou sans permission.
– Brutal!
– Bon! dit Coconnas, nous allons recommencer nos galanteries.
– Non, mais finissez-en avec vos récits.
– Ce n’est pas moi qui demande à les faire, c’est vous qui me demandez pourquoi je suis en retard.
– Sans doute; est-ce à moi d’arriver la première?
– Eh! vous n’avez personne à chercher, vous.
– Vous êtes assommant, mon cher; mais continuez. Enfin, au coin de la rue de Grenelle, vous apercevez un homme qui ressemble à La Mole… Mais qu’avez-vous donc à votre pourpoint? du sang!
– Bon! en voilà encore un qui m’aura éclaboussé en tombant.
– Vous vous êtes battu?
– Je le crois bien.
– Pour votre La Mole?
– Pour qui voulez-vous que je me batte? pour une femme?
– Merci!
– Je le suis donc, cet homme qui avait l’impudence d’emprunter des airs de mon ami. Je le rejoins à la rue Coquillière, je le devance, je le regarde sous le nez à la lueur d’une boutique. Ce n’était pas lui.
– Bon! c’était bien fait.
– Oui, mais mal lui en a pris. Monsieur, lui ai-je dit, vous êtes un fat de vous permettre de ressembler de loin à mon ami M. de La Mole, lequel est un cavalier accompli, tandis que de près on voit bien que vous n’êtes qu’un truand. Sur ce, il a mis l’épée à la main et moi aussi. À la troisième passe, voyez le mal appris! il est tombé en m’éclaboussant.
– Et lui avez-vous porté secours, au moins?
– J’allais le faire quand est passé un cavalier. Ah! cette fois, duchesse, je suis sûr que c’était La Mole. Malheureusement le cheval courait au galop. Je me suis mis à courir après le cheval, et les gens qui s’étaient rassemblés pour me voir battre, à courir derrière moi. Or, comme on eût pu me prendre pour un voleur, suivi que j’étais de toute cette canaille qui hurlait après mes chausses, j’ai été obligé de me retourner pour la mettre en fuite, ce qui m’a fait perdre un certain temps. Pendant ce temps le cavalier avait disparu. Je me suis mis à sa poursuite, je me suis informé, j’ai demandé, donné la couleur du cheval; mais, baste! inutile: personne ne l’avait remarqué. Enfin, de guerre lasse, je suis venu ici.
– De guerre lasse! dit la duchesse; comme c’est obligeant!
– Écoutez, chère amie, dit Coconnas en se renversant nonchalamment dans un fauteuil, vous m’allez encore persécuter à l’endroit de ce pauvre La Mole; eh bien! vous aurez tort: car enfin, l’amitié, voyez-vous… Je voudrais avoir son esprit ou sa science, à ce pauvre ami; je trouverais quelque comparaison qui vous ferait palper ma pensée… L’amitié, voyez-vous, c’est une étoile, tandis que l’amour… l’amour… eh bien, je la tiens, la comparaison… l’amour n’est qu’une bougie. Vous me direz qu’il y en a de plusieurs espèces…
– D’amours?
– Non! de bougies, et que dans ces espèces il y en a de préférables: la rose, par exemple… va pour la rose… c’est la meilleure; mais, toute rose qu’elle est, la bougie s’use, tandis que l’étoile brille toujours. À cela vous me répondrez que quand la bougie est usée on en met une autre dans le flambeau.
– Monsieur de Coconnas, vous êtes un fat.
– Là!
– Monsieur de Coconnas, vous êtes un impertinent.
– Là! là!
– Monsieur de Coconnas, vous êtes un drôle.
– Madame, je vous préviens que vous allez me faire regretter trois fois plus La Mole.
– Vous ne m’aimez plus.
– Au contraire, duchesse, vous ne vous y connaissez pas, je vous idolâtre. Mais je puis vous aimer, vous chérir, vous idolâtrer, et, dans mes moments perdus, faire l’éloge de mon ami.
– Vous appelez vos moments perdus ceux où vous êtes près de moi, alors?
– Que voulez-vous! ce pauvre La Mole, il est sans cesse présent à ma pensée.
– Vous me le préférez, c’est indigne! Tenez, Annibal! je vous déteste. Osez être franc, dites-moi que vous me le préférez. Annibal, je vous préviens que si vous me préférez quelque chose au monde…
– Henriette, la plus belle des duchesses! pour votre tranquillité, croyez-moi, ne me faites point de questions indiscrètes. Je vous aime plus que toutes les femmes, mais j’aime La Mole plus que tous les hommes.
– Bien répondu, dit soudain une voix étrangère. Et une tapisserie de damas soulevée devant un grand panneau, qui, en glissant dans l’épaisseur de la muraille, ouvrait une communication entre les deux appartements, laissa voir La Mole pris dans le cadre de cette porte, comme un beau portrait du Titien dans sa bordure dorée.
– La Mole! cria Coconnas sans faire attention à Marguerite et sans se donner le temps de la remercier de la surprise qu’elle lui avait ménagée; La Mole, mon ami, mon cher La Mole!
Et il s’élança dans les bras de son ami, renversant le fauteuil sur lequel il était assis et la table qui se trouvait sur son chemin.
La Mole lui rendit avec effusion ses accolades; mais tout en les lui rendant:
– Pardonnez-moi, madame, dit-il en s’adressant à la duchesse de Nevers, si mon nom prononcé entre vous a pu quelquefois troubler votre charmant ménage: certes, ajouta-t-il en jetant un regard d’indicible tendresse à Marguerite, il n’a pas tenu à moi que je vous revisse plus tôt.
– Tu vois, dit à son tour Marguerite, tu vois Henriette, que j’ai tenu parole: le voici.
– Est-ce donc aux seules prières de madame la duchesse que je dois ce bonheur? demanda La Mole.
– À ses seules prières, répondit Marguerite. Puis se tournant vers La Mole:
– La Mole, continua-t-elle, je vous permets de ne pas croire un mot de ce que je dis.
Pendant ce temps, Coconnas, qui avait dix fois serré son ami contre son cœur, qui avait tourné vingt fois autour de lui, qui avait approché un candélabre de son visage pour le regarder tout à son aise, alla s’agenouiller devant Marguerite et baisa le bas de sa robe.
– Ah! c’est heureux, dit la duchesse de Nevers: vous allez me trouver supportable à présent.
– Mordi! s’écria Coconnas, je vais vous trouver, comme toujours, adorable; seulement je vous le dirai de meilleur cœur, et puissé-je avoir là une trentaine de Polonais, de Sarmates et autres barbares hyperboréens, pour leur faire confesser que vous êtes la reine des belles.
– Eh! doucement, doucement, Coconnas, dit La Mole, et madame Marguerite donc?…
– Oh! je ne m’en dédis pas, s’écria Coconnas avec cet accent demi-bouffon qui n’appartenait qu’à lui, madame Henriette est la reine des belles, et madame Marguerite est la belle des reines.
Mais, quoi qu’il pût dire ou faire, le Piémontais, tout entier au bonheur d’avoir retrouvé son cher La Mole, n’avait d’yeux que pour lui.
– Allons, allons, ma belle reine, dit madame de Nevers, venez, et laissons ces parfaits amis causer une heure ensemble; ils ont mille choses à se dire qui viendraient se mettre en travers de notre conversation. C’est dur pour nous, mais c’est le seul remède qui puisse, je vous en préviens, rendre l’entière santé à M. Annibal. Faites donc cela pour moi, ma reine! puisque j’ai la sottise d’aimer cette vilaine tête-là, comme dit son ami La Mole.
Marguerite glissa quelques mots à l’oreille de La Mole, qui, si désireux qu’il fût de revoir son ami, aurait bien voulu que la tendresse de Coconnas fût moins exigeante… Pendant ce temps Coconnas essayait, à force de protestations, de ramener un franc sourire et une douce parole sur les lèvres de Henriette, résultat auquel il arriva facilement.
Alors les deux femmes passèrent dans la chambre à côté, où les attendait le souper.
Les deux amis demeurèrent seuls.
Les premiers détails, on le comprend bien, que demanda Coconnas à son ami, furent ceux de la fatale soirée qui avait failli lui coûter la vie. À mesure que La Mole avançait dans sa narration, le Piémontais, qui sur ce point cependant, on le sait, n’était pas facile à émouvoir, frissonnait de tous ses membres.
– Et pourquoi, lui demanda-t-il, au lieu de courir les champs comme tu l’as fait, et de me donner les inquiétudes que tu m’as données, ne t’es-tu point réfugié près de notre maître? Le duc, qui t’avait défendu, t’aurait caché. J’eusse vécu près de toi, et ma tristesse, quoique feinte, n’en eût pas moins abusé les niais de la cour.
– Notre maître! dit La Mole à voix basse, le duc d’Alençon?
– Oui. D’après ce qu’il m’a dit, j’ai dû croire que c’est à lui que tu dois la vie.
– Je dois la vie au roi de Navarre, répondit La Mole.
– Oh! oh! fit Coconnas, en es-tu sûr?
– À n’en point douter.
– Ah! le bon, l’excellent roi! Mais le duc d’Alençon, que faisait-il, lui, dans tout cela?
– Il tenait la corde pour m’étrangler.
– Mordi! s’écria Coconnas, es-tu sûr de ce que tu dis, La Mole? Comment! ce prince pâle, ce roquet, ce piteux, étrangler mon ami! Ah! mordi! dès demain je veux lui dire ce que je pense de cette action.
– Es-tu fou?
– C’est vrai, il recommencerait… Mais qu’importe? cela ne se passera point ainsi.
– Allons, allons, Coconnas, calme-toi, et tâche de ne pas oublier que onze heures et demie viennent de sonner et que tu es de service ce soir.
– Je m’en soucie bien de son service! Ah! bon, qu’il compte là-dessus! Mon service! Moi, servir un homme qui a tenu la corde! … Tu plaisantes! … Non! … C’est providentiel: il est dit que je devais te retrouver pour ne plus te quitter. Je reste ici.
– Mais malheureux, réfléchis donc, tu n’es pas ivre.
– Heureusement; car si je l’étais, je mettrais le feu au Louvre.
– Voyons, Annibal, reprit La Mole, sois raisonnable. Retourne là-bas. Le service est chose sacrée.
– Retournes-tu avec moi?
– Impossible.
– Penserait-on encore à te tuer?
– Je ne crois pas. Je suis trop peu important pour qu’il y ait contre moi un complot arrêté, une résolution suivie. Dans un moment de caprice, on a voulu me tuer, et c’est tout: les princes étaient en gaieté ce soir-là.
– Que fais-tu, alors?
– Moi, rien: j’erre, je me promène.
– Eh bien, je me promènerai comme toi, j’errerai avec toi. C’est un charmant état. Puis, si l’on t’attaque, nous serons deux, et nous leur donnerons du fil à retordre. Ah! qu’il vienne, ton insecte de duc! je le cloue comme un papillon à la muraille!
– Mais demande-lui un congé, au moins!
– Oui, définitif.
– Préviens-le que tu le quittes, en ce cas.
– Rien de plus juste. J’y consens. Je vais lui écrire.
– Lui écrire, c’est bien leste, Coconnas, à un prince du sang!
– Oui, du sang! du sang de mon ami. Prends garde, s’écria Coconnas en roulant ses gros yeux tragiques, prends garde que je m’amuse aux choses de l’étiquette!
– Au fait, se dit La Mole, dans quelques jours il n’aura plus besoin du prince, ni de personne; car s’il veut venir avec nous, nous l’emmènerons.
Coconnas prit donc la plume sans plus longue opposition de son ami, et tout couramment composa le morceau d’éloquence que l’on va lire.
«Monseigneur, «Il n’est pas que Votre Altesse, versée dans les auteurs de l’Antiquité comme elle l’est, ne connaisse l’histoire touchante d’Oreste et de Pylade, qui étaient deux héros fameux par leurs malheurs et par leur amitié. Mon ami La Mole n’est pas moins malheureux qu’Oreste, et moi je ne suis pas moins tendre que Pylade. Il a, dans ce moment-ci, de grandes occupations qui réclament mon aide. Il est donc impossible que je me sépare de lui. Ce qui fait que, sauf l’approbation de Votre Altesse, je prends un petit congé, déterminé que je suis de m’attacher à sa fortune, quelque part qu’elle me conduise: c’est dire à Votre Altesse combien est grande la violence qui m’arrache de son service, en raison de quoi je ne désespère pas d’obtenir son pardon, et j’ose continuer de me dire avec respect, «De Votre Altesse royale, «Monseigneur, «Le très humble et très obéissant «ANNIBAL, COMTE DE COCONNAS, «ami inséparable de M. de La Mole.»
Ce chef-d’œuvre terminé, Coconnas le lut à haute voix à La Mole qui haussa les épaules.
– Eh bien, qu’en dis-tu? demanda Coconnas, qui n’avait pas vu le mouvement, ou qui avait fait semblant de ne pas le voir.
– Je dis, répondit La Mole, que M. d’Alençon va se moquer de nous.
– De nous?
– Conjointement.
– Cela vaut encore mieux, ce me semble, que de nous étrangler séparément.
– Bah! dit La Mole en riant, l’un n’empêchera peut-être point l’autre.
– Eh bien, tant pis! arrive qu’arrive, j’envoie la lettre demain matin. Où allons-nous coucher en sortant d’ici?
– Chez maître La Hurière. Tu sais, dans cette petite chambre où tu voulais me daguer quand nous n’étions pas encore Oreste et Pylade?
– Bien, je ferai porter ma lettre au Louvre par notre hôte. En ce moment le panneau s’ouvrit.
– Eh bien, demandèrent ensemble les deux princesses, où sont Oreste et Pylade?
– Mordi! madame, répondit Coconnas, Pylade et Oreste meurent de faim et d’amour.
Ce fut effectivement maître La Hurière qui, le lendemain à neuf heures du matin, porta au Louvre la respectueuse missive de maître Annibal de Coconnas.
XIV. Orthon
Henri, même après le refus du duc d’Alençon qui remettait tout en question, jusqu’à son existence, était devenu, s’il était possible, encore plus grand ami du prince qu’il ne l’était auparavant.
Catherine conclut de cette intimité que les deux princes non seulement s’entendaient, mais encore conspiraient ensemble. Elle interrogea là-dessus Marguerite; mais Marguerite était sa digne fille, et la reine de Navarre, dont le principal talent était d’éviter une explication scabreuse, se garda si bien des questions de sa mère, qu’après avoir répondu à toutes, elle la laissa plus embarrassée qu’auparavant.
La Florentine n’eut donc plus pour la conduire que cet instinct intrigant qu’elle avait apporté de la Toscane, le plus intrigant des petits États de cette époque, et ce sentiment de haine qu’elle avait puisé à la cour de France, qui était la cour la plus divisée d’intérêts et d’opinions de ce temps.
Elle comprit d’abord qu’une partie de la force du Béarnais lui venait de son alliance avec le duc d’Alençon, et elle résolut de l’isoler.
Du jour où elle eut pris cette résolution, elle entoura son fils avec la patience et le talent du pêcheur, qui, lorsqu’il a laissé tomber les plombs loin du poisson, les traîne insensiblement jusqu’à ce que de tous côtés ils aient enveloppé sa proie.
Le duc François s’aperçut de ce redoublement de caresses, et de son côté fit un pas vers sa mère. Quant à Henri, il feignit de ne rien voir, et surveilla son allié de plus près qu’il ne l’avait fait encore.
Chacun attendait un événement.
Or, tandis que chacun était dans l’attente de cet événement, certain pour les uns, probable pour les autres, un matin que le soleil s’était levé rose et distillant cette tiède chaleur et ce doux parfum qui annonce un beau jour, un homme pâle, appuyé sur un bâton et marchant péniblement, sortit d’une petite maison sise derrière l’Arsenal et s’achemina par la rue du Petit-Musc.
Vers la porte Saint-Antoine, et après avoir longé cette promenade qui tournait comme une prairie marécageuse autour des fossés de la Bastille, il laissa le grand boulevard à sa gauche et entra dans le jardin de l’Arbalète, dont le concierge le reçut avec de grandes salutations.
Il n’y avait personne dans ce jardin, qui, comme l’indique son nom, appartenait à une société particulière: celle des arbalétriers. Mais, y eût-il eu des promeneurs, l’homme pâle eût été digne de tout leur intérêt, car sa longue moustache, son pas qui conservait une allure militaire, bien qu’il fût ralenti par la souffrance, indiquaient assez que c’était quelque officier blessé dans une occasion récente qui essayait ses forces par un exercice modéré et reprenait la vie au soleil.
Cependant, chose étrange! lorsque le manteau dont, malgré la chaleur naissante, cet homme en apparence inoffensif était enveloppé s’ouvrait, il laissait voir deux longs pistolets pendant aux agrafes d’argent de sa ceinture, laquelle serrait en outre un large poignard et soutenait une longue épée qu’il semblait ne pouvoir tirer, tant elle était colossale, et qui, complétant cet arsenal vivant, battait de son fourreau deux jambes amaigries et tremblantes. En outre, et pour surcroît de précautions, le promeneur, tout solitaire qu’il était, lançait à chaque pas un regard scrutateur, comme pour interroger chaque détour d’allée, chaque buisson, chaque fossé.
Ce fut ainsi que cet homme pénétra dans le jardin, gagna paisiblement une espèce de petite tonnelle donnant sur les boulevards, dont il n’était séparé que par une haie épaisse et un petit fossé qui formaient sa double clôture. Là, il s’étendit sur un banc de gazon à portée d’une table où le gardien de l’établissement, qui joignait à son titre de concierge l’industrie de gargotier, vint au bout d’un instant lui apporter une espèce de cordial.
Le malade était là depuis dix minutes et avait à plusieurs reprises porté à sa bouche la tasse de faïence dont il dégustait le contenu à petites gorgées, lorsque tout à coup son visage prit, malgré l’intéressante pâleur qui le couvrait, une expression effrayante. Il venait d’apercevoir, venant de la Croix-Faubin par un sentier qui est aujourd’hui la rue de Naples, un cavalier enveloppé d’un grand manteau, lequel s’arrêta proche du bastion et attendit.
Il y était depuis cinq minutes, et l’homme au visage pâle, que le lecteur a peut-être déjà reconnu pour Maurevel, avait à peine eu le temps de se remettre de l’émotion que lui avait causée sa présence, lorsqu’un jeune homme au justaucorps serré comme celui d’un page arriva par ce chemin qui fut depuis la rue des Fossés-Saint-Nicolas, et rejoignit le cavalier.
Perdu dans sa tonnelle de feuillage, Maurevel pouvait tout voir et même tout entendre sans peine, et quand on saura que le cavalier était de Mouy et le jeune homme au justaucorps serré Orthon, on jugera si les oreilles et les yeux étaient occupés.
L’un et l’autre regardèrent autour d’eux avec la plus minutieuse attention; Maurevel retenait son souffle.
– Vous pouvez parler, monsieur, dit le premier Orthon, qui, étant le plus jeune, était le plus confiant, personne ne nous voit ni ne nous écoute.
– C’est bien, dit de Mouy. Tu vas allez chez madame de Sauve; tu remettras ce billet à elle-même, si tu la trouves chez elle; si elle n’y est pas, tu le déposeras derrière le miroir où le roi avait l’habitude de mettre les siens; puis tu attendras dans le Louvre. Si l’on te donne une réponse, tu l’apporteras où tu sais; si tu n’en as pas, tu viendras me chercher ce soir avec un poitrinal à l’endroit que je t’ai désigné et d’où je sors.
– Bien, dit Orthon; je sais.
– Moi, je te quitte; j’ai fort affaire pendant toute la journée. Ne te hâte pas, toi, ce serait inutile; tu n’as pas besoin d’arriver au Louvre avant qu’il y soit, et je crois qu’il prend une leçon de chasse au vol ce matin. Va, et montre-toi hardiment. Tu es rétabli, tu viens remercier madame de Sauve des bontés qu’elle a eues pour toi pendant ta convalescence. Va, enfant, va.
Maurevel écoutait, les yeux fixes, les cheveux hérissés, la sueur sur le front. Son premier mouvement avait été de détacher un pistolet de son agrafe et d’ajuster de Mouy; mais un mouvement qui avait entrouvert son manteau lui avait montré sous ce manteau une cuirasse bien ferme et bien solide. Il était donc probable que la balle s’aplatirait sur cette cuirasse, ou qu’elle frapperait dans quelque endroit du corps où la blessure qu’elle ferait ne serait pas mortelle. D’ailleurs il pensa que de Mouy, vigoureux et bien armé, aurait bon marché de lui, blessé comme il l’était, et, avec un soupir, il retira à lui son pistolet déjà étendu vers le huguenot.
– Quel malheur, murmura-t-il, de ne pouvoir l’abattre ici sans autre témoin que ce brigandeau à qui mon second coup irait si bien!
Mais en ce moment Maurevel réfléchit que ce billet donné à Orthon, et qu’Orthon devait remettre à madame de Sauve, était peut-être plus important que la vie même du chef huguenot.
– Ah! dit-il, tu m’échappes encore ce matin; soit. Éloigne-toi sain et sauf; mais j’aurai mon tour demain, dussé-je te suivre jusque dans l’enfer, dont tu es sorti pour me perdre si je ne te perds.
En ce moment de Mouy croisa son manteau sur son visage et s’éloigna rapidement dans la direction des marais du Temple. Orthon reprit les fossés qui le conduisaient au bord de la rivière.
Alors Maurevel, se soulevant avec plus de vigueur et d’agilité qu’il n’osait l’espérer, regagna la rue de la Cerisaie, rentra chez lui, fit seller un cheval, et tout faible qu’il était, au risque de rouvrir ses blessures, prit au galop la rue Saint-Antoine, gagna les quais et s’enfonça dans le Louvre.
Cinq minutes après qu’il eut disparu sous le guichet, Catherine savait tout ce qui venait de se passer, et Maurevel recevait les mille écus d’or qui lui avaient été promis pour l’arrestation du roi de Navarre.
– Oh! dit alors Catherine, ou je me trompe bien, ou ce de Mouy sera la tache noire que René a trouvée dans l’horoscope de ce Béarnais maudit.
Un quart d’heure après Maurevel, Orthon entrait au Louvre, se faisait voir comme le lui avait recommandé de Mouy, et gagnait l’appartement de madame de Sauve après avoir parlé à plusieurs commensaux du palais.
Dariole seule était chez sa maîtresse; Catherine venait de faire demander cette dernière pour transcrire certaines lettres importantes, et depuis cinq minutes elle était chez la reine.
– C’est bien, dit Orthon, j’attendrai. Et, profitant de sa familiarité dans la maison, le jeune homme passa dans la chambre à coucher de la baronne, et après s’être bien assuré qu’il était seul, il déposa le billet derrière le miroir. Au moment même où il éloignait sa main de la glace, Catherine entra. Orthon pâlit, car il semblait que le regard rapide et perçant de la reine mère s’était tout d’abord porté sur le miroir.
– Que fais-tu là, petit? demanda Catherine; ne cherches-tu point madame de Sauve?
– Oui, madame; il y avait longtemps que je ne l’avais vue, et en tardant encore à la venir remercier je craignais de passer pour un ingrat.
– Tu l’aimes donc bien, cette chère Charlotte?
– De toute mon âme, madame.
– Et tu es fidèle, à ce qu’on dit?
– Votre Majesté comprendra que c’est une chose bien naturelle quand elle saura que madame de Sauve a eu de moi des soins que je ne méritais pas, n’étant qu’un simple serviteur.
– Et dans quelle occasion a-t-elle eu de toi ces soins? demanda Catherine, feignant d’ignorer l’événement arrivé au jeune garçon.
– Madame, lorsque je fus blessé.
– Ah! pauvre enfant! dit Catherine, tu as été blessé?
– Oui, madame.
– Et quand cela?
– Le soir où l’on vint pour arrêter le roi de Navarre. J’eus si grand-peur en voyant des soldats, que je criai, j’appelai; l’un d’eux me donna un coup sur la tête et je tombai évanoui.
– Pauvre garçon! Et te voilà bien rétabli, maintenant?
– Oui, madame.
– De sorte que tu cherches le roi de Navarre pour rentrer chez lui?
– Non, madame. Le roi de Navarre, ayant appris que j’avais osé résisté aux ordres de Votre Majesté, m’a chassé sans miséricorde.
– Vraiment! dit Catherine avec une intonation pleine d’intérêt. Eh bien, je me charge de cette affaire. Mais si tu attends madame de Sauve, tu l’attendras inutilement; elle est occupée au-dessus d’ici, chez moi, dans mon cabinet.
Et Catherine, pensant qu’Orthon n’avait peut-être pas eu le temps de cacher le billet derrière la glace, entra dans le cabinet de madame de Sauve pour laisser toute liberté au jeune homme.
Au même moment, et comme Orthon, inquiet de cette arrivée inattendue de la reine mère, se demandait si cette arrivée ne cachait pas quelque complot contre son maître, il entendit frapper trois petits coups au plafond; c’était le signal qu’il devait lui-même donner à son maître dans le cas de danger, quand son maître était chez madame de Sauve et qu’il veillait sur lui.
Ces trois coups le firent tressaillir; une révélation mystérieuse l’éclaira, et il pensa que cette fois l’avis était donné à lui-même; il courut donc au miroir, et en retira le billet qu’il y avait déjà posé.
Catherine suivait, à travers une ouverture de la tapisserie, tous les mouvements de l’enfant; elle le vit s’élancer vers le miroir, mais elle ne sut si c’était pour y cacher le billet ou pour l’en retirer.
– Eh bien, murmura l’impatiente Florentine, pourquoi tarde-t-il donc maintenant à partir? Et elle rentra aussitôt dans la chambre le visage souriant.
– Encore ici, petit garçon? dit-elle. Eh bien! mais qu’attends-tu donc? Ne t’ai-je pas dit que je prenais en main le soin de ta petite fortune? Quand je te dis une chose, en doutes-tu?
– Oh! madame, Dieu m’en garde! répondit Orthon. Et l’enfant, s’approchant de la reine, mit un genou en terre, baisa le bas de sa robe et sortit rapidement. En sortant il vit dans l’antichambre le capitaine des gardes qui attendait Catherine. Cette vue n’était pas faite pour éloigner ses soupçons; aussi ne fit-elle que les redoubler. De son côté Catherine n’eut pas plus tôt vu la tapisserie de la portière retomber derrière Orthon, qu’elle s’élança vers le miroir. Mais ce fut inutilement qu’elle plongea derrière lui sa main tremblante d’impatience, elle ne trouva aucun billet. Et cependant elle était sûre d’avoir vu l’enfant s’approcher du miroir. C’était donc pour reprendre et non pour déposer. La fatalité donnait une force égale à ses adversaires. Un enfant devenait un homme du moment où il luttait contre elle. Elle remua, regarda, sonda: rien! …
– Oh! le malheureux! s’écria-t-elle. Je ne lui voulais cependant pas de mal, et voilà qu’en retirant le billet il va au-devant de sa destinée. Holà! monsieur de Nancey, holà!