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Kitabı oku: «La reine Margot», sayfa 40

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– Par celui-ci, dit le président en montrant La Mole qu’on apercevait encore comme une ombre entre les deux gardes.

Puis s’approchant de René, qui était resté debout et tremblant en attendant à son tour qu’on le reconduisît au Châtelet où il était enfermé:

– Bien, monsieur, lui dit-il, soyez tranquille, la reine et le roi sauront que c’est à vous qu’ils auront dû de connaître la vérité.

Mais au lieu de lui rendre de la force, cette promesse parut atterrer René, et il ne répondit qu’en poussant un profond soupir.

XXVII. La torture du brodequin

Ce fut seulement lorsqu’on l’eut reconduit dans son nouveau cachot et qu’on eut refermé la porte derrière lui, que Coconnas, abandonné à lui-même et cessant d’être soutenu par la lutte avec les juges et par sa colère contre René, commença la série de ses tristes réflexions.

– Il me semble, se dit-il à lui-même, que cela tourne au plus mal, et qu’il serait temps d’aller un peu à la chapelle. Je me défie des condamnations à mort; car incontestablement on s’occupe de nous condamner à mort à cette heure. Je me défie surtout des condamnations à mort qui se prononcent dans le huis clos d’un château fort devant des figures aussi laides que toutes ces figures qui m’entouraient. On veut sérieusement nous couper la tête, hum! hum! … Je reviens donc à ce que je disais, il serait temps d’aller à la chapelle.

Ces mots prononcés à demi-voix furent suivis d’un silence, et ce silence fut interrompu par un bruit sourd, étouffé, lugubre, et qui n’avait rien d’humain; ce cri sembla percer la muraille épaisse et vint vibrer sur le fer de ses barreaux.

Coconnas frissonna malgré lui: et cependant c’était un homme si brave que chez lui la valeur ressemblait à l’instinct des bêtes féroces; Coconnas demeura immobile à l’endroit où il avait entendu la plainte, doutant qu’une pareille plainte pût être prononcée par un être humain, et la prenant pour le gémissement du vent dans les arbres, ou pour un de ces mille bruits de la nuit qui semblent descendre ou monter des deux mondes inconnus entre lesquels tourne notre monde; alors une seconde plainte, plus douloureuse, plus profonde, plus poignante encore que la première, parvint à Coconnas, et cette fois, non seulement il distingua bien positivement l’expression de la douleur dans la voix humaine, mais encore il crut reconnaître dans cette voix celle de La Mole.

À cette voix, le Piémontais oublia qu’il était retenu par deux portes, par trois grilles et par une muraille épaisse de douze pieds; il s’élança de tout son poids contre cette muraille comme pour la renverser et voler au secours de la victime en s’écriant:

– On égorge donc quelqu’un ici? Mais il rencontra sur son chemin le mur auquel il n’avait pas pensé, et il tomba froissé du choc contre un banc de pierre sur lequel il s’affaissa. Ce fut tout.

– Oh! ils l’ont tué! murmura-t-il; c’est abominable! Mais c’est qu’on ne peut se défendre ici… rien, pas d’armes. Il étendit les mains autour de lui.

– Ah! cet anneau de fer, s’écria-t-il, je l’arracherai, et malheur à qui m’approchera!

Coconnas se releva, saisit l’anneau de fer, et d’une première secousse l’ébranla si violemment, qu’il était évident qu’avec deux secousses pareilles il le descellerait.

Mais soudain la porte s’ouvrit et une lumière produite par deux torches envahit le cachot.

– Venez, monsieur, lui dit la même voix grasseyante qui lui avait été déjà si particulièrement désagréable, et qui, pour se faire entendre cette fois trois étages au-dessous, ne lui parut pas avoir acquis le charme qui lui manquait; venez, monsieur, la cour vous attend.

– Bon, dit Coconnas lâchant son anneau, c’est mon arrêt que je vais entendre, n’est-ce pas?

– Oui, monsieur.

– Oh! je respire; marchons, dit-il. Et il suivit l’huissier, qui marchait devant lui de son pas compassé et tenant sa baguette noire. Malgré la satisfaction qu’il avait témoignée dans un premier mouvement, Coconnas jetait, tout en marchant, un regard inquiet à droite et à gauche, devant et derrière.

– Oh! oh! murmura-t-il, je n’aperçois pas mon digne geôlier; j’avoue que sa présence me manque.

On entra dans la salle que venaient de quitter les juges, et où demeurait seul debout un homme que Coconnas reconnut pour le procureur général, qui avait plusieurs fois, dans le cours de l’interrogatoire, porté la parole, et toujours avec une animosité facile à reconnaître.

En effet, c’était celui à qui Catherine, tantôt par lettre, tantôt de vive voix, avait particulièrement recommandé le procès.

Un rideau levé laissait voir le fond de cette chambre, et cette chambre, dont les profondeurs se perdaient dans l’obscurité, avait dans ses parties éclairées un aspect si terrible que Coconnas sentit que les jambes lui manquaient et s’écria:

– Oh! mon Dieu! Ce n’était pas sans cause que Coconnas avait poussé ce cri de terreur. Le spectacle était en effet des plus lugubres. La salle, cachée pendant l’interrogatoire par ce rideau, qui était levé maintenant, apparaissait comme le vestibule de l’enfer. Au premier plan on voyait un chevalet de bois garni de cordes, de poulies et d’autres accessoires tortionnaires. Plus loin flambait un brasier qui reflétait ses lueurs rougeâtres sur tous les objets environnants, et qui assombrissait encore la silhouette de ceux qui se trouvaient entre Coconnas et lui. Contre une des colonnes qui soutenaient la voûte, un homme immobile comme une statue se tenait debout une corde à la main. On eût dit qu’il était de la même pierre que la colonne à laquelle il adhérait. Sur les murs au-dessus des bancs de grès, entre des anneaux de fer, pendaient des chaînes et reluisaient des lames.

– Oh! murmura Coconnas, la salle de la torture toute préparée et qui semble ne plus attendre que le patient! Qu’est-ce que cela signifie?

– À genoux, Marc-Annibal Coconnas, dit une voix qui fit relever la tête du gentilhomme, à genoux pour entendre l’arrêt qui vient d’être rendu contre vous!

C’était une de ces invitations contre lesquelles toute la personne d’Annibal réagissait instinctivement.

Mais comme elle était en train de réagir, deux hommes appuyèrent leurs mains sur son épaule d’une façon si inattendue et surtout si pesante, qu’il tomba les deux genoux sur la dalle.

La voix continua:

«Arrêt rendu par la cour séant au donjon de Vincennes contre Marc-Annibal de Coconnas, atteint et convaincu du crime de lèse-majesté, de tentative d’empoisonnement, de sortilège et de magie contre la personne du roi, du crime de conspiration contre la sûreté de l’État, comme aussi pour avoir entraîné, par ses pernicieux conseils, un prince du sang à la rébellion…»

À chacune de ces imputations, Coconnas avait hoché la tête en battant la mesure comme font les écoliers indociles.

Le juge continua:

«En conséquence de quoi, sera ledit Marc-Annibal de Coconnas conduit de la prison à la place Saint-Jean-en-Grève pour y être décapité; ses biens seront confisqués, ses hautes futaies coupées à la hauteur de six pieds, ses châteaux ruinés, et en l’air un poteau planté avec une plaque de cuivre qui constatera le crime et le châtiment…»

– Pour ma tête, dit Coconnas, je crois bien qu’on la tranchera, car elle est en France et fort aventurée même. Quant à mes bois de haute futaie, et quant à mes châteaux je défie toutes les scies et toutes les pioches du royaume très chrétien de mordre dedans.

– Silence! fit le juge. Et il continua: «De plus sera ledit Coconnas…»

– Comment! interrompit Coconnas, il me sera fait quelque chose encore après la décapitation? Oh! oh! cela me paraît bien sévère.

– Non, monsieur, dit le juge: avant…

Et il reprit:

«Et sera de plus ledit Coconnas, avant l’exécution du jugement, appliqué à la question extraordinaire qui est des dix coins.»

Coconnas bondit, foudroyant le juge d’un regard étincelant.

– Et pour quoi faire? s’écria-t-il, ne trouvant pas d’autres mots que cette naïveté pour exprimer la foule de pensées qui venaient de surgir dans son esprit.

En effet, cette torture était pour Coconnas le renversement complet de ses espérances; il ne serait conduit à la chapelle qu’après la torture, et de cette torture on mourait souvent; on en mourait d’autant mieux qu’on était plus brave et plus fort, car alors on regardait comme une lâcheté d’avouer; et tant qu’on n’avouait pas, la torture continuait, et non seulement continuait, mais redoublait de force.

Le juge se dispensa de répondre à Coconnas, la suite de l’arrêt répondant pour lui; seulement il continua: «Afin de le forcer d’avouer ses complices, complots et machinations dans le détail.»

– Mordi! s’écria Coconnas, voilà ce que j’appelle une infamie; voilà ce que j’appelle bien plus qu’une infamie, voilà ce que j’appelle une lâcheté.

Accoutumé aux colères des victimes, colères que la souffrance calme en les changeant en larmes, le juge impassible ne fit qu’un seul geste.

Coconnas, saisi par les pieds et par les épaules, fut renversé, emporté, couché et attaché sur le lit de la question avant d’avoir pu regarder même ceux qui lui faisaient cette violence.

– Misérables! hurlait Coconnas, secouant dans un paroxysme de fureur le lit et les tréteaux de manière à faire reculer les tourmenteurs eux-mêmes; misérables! torturez-moi, brisez-moi, mettez-moi en morceaux, vous ne saurez rien, je vous le jure! Ah! vous croyez que c’est avec des morceaux de bois ou avec des morceaux de fer qu’on fait parler un gentilhomme de mon nom! Allez, allez, je vous en défie.

– Préparez-vous à écrire, greffier, dit le juge.

– Oui, prépare-toi! hurla Coconnas, et si tu écris tout ce que je vais vous dire à tous, infâmes bourreaux, tu auras de l’ouvrage. Écris, écris.

– Voulez-vous faire des révélations? dit le juge de sa même voix calme.

– Rien, pas un mot; allez au diable!

– Vous réfléchirez, monsieur, pendant les préparatifs. Allons, maître, ajustez les bottines à monsieur.

À ces mots, l’homme qui était resté debout et immobile jusque-là, les cordes à la main, se détacha de la colonne, et d’un pas lent s’approcha de Coconnas, qui se retourna de son côté pour lui faire la grimace.

C’était maître Caboche, le bourreau de la prévôté de Paris.

Un douloureux étonnement se peignit sur les traits de Coconnas, qui, au lieu de crier et de s’agiter, demeura immobile et ne pouvant détacher ses yeux du visage de cet ami oublié qui reparaissait en un pareil moment.

Caboche, sans qu’un seul muscle de son visage fût agité, sans qu’il parût avoir jamais vu Coconnas autre part que sur le chevalet, lui introduisit deux planches entre les jambes, lui plaça deux autres planches pareilles en dehors des jambes, et ficela le tout avec la corde qu’il tenait à la main.

C’était cet appareil qu’on appelait les brodequins.

Pour la question ordinaire, on enfonçait six coins entre les deux planches, qui en s’écartant broyaient les chairs.

Pour la question extraordinaire, on enfonçait dix coins, et alors les planches, non seulement broyaient les chairs, mais faisaient éclater les os.

L’opération préliminaire terminée, maître Caboche introduisit l’extrémité du coin entre les deux planches; puis, son maillet à la main, agenouillé sur un seul genou, il regarda le juge.

– Voulez-vous parler? demanda celui-ci.

– Non, répondit résolument Coconnas, quoiqu’il sentît la sueur perler sur son front et ses cheveux se dresser sur sa tête.

– En ce cas, allez, dit le juge, premier coin de l’ordinaire. Caboche leva son bras armé d’un lourd maillet et assena un coup terrible sur le coin, qui rendit un son mat.

Le chevalet trembla.

Coconnas ne laissa point échapper une plainte à ce premier coin, qui, d’ordinaire, faisait gémir les plus résolus. Il y eut même plus: la seule expression qui se peignit sur son visage fut celle d’un indicible étonnement. Il regarda avec des yeux stupéfaits Caboche, qui, le bras levé, à demi retourné vers le juge, s’apprêtait à redoubler.

– Quelle était votre intention en vous cachant dans la forêt? demanda le juge.

– De nous asseoir à l’ombre, répondit Coconnas.

– Allez, dit le juge. Caboche appliqua un second coup, qui résonna comme le premier. Mais pas plus qu’au premier coup Coconnas ne sourcilla, et son œil continua de regarder le bourreau avec la même expression. Le juge fronça le sourcil.

– Voilà un chrétien bien dur, murmura-t-il; le coin est-il entré jusqu’au bout, maître?

Caboche se baissa comme pour examiner; mais en se baissant il dit tout bas à Coconnas:

– Mais criez donc, malheureux! Puis se relevant:

– Jusqu’au bout, monsieur, dit-il.

– Second coin de l’ordinaire, reprit froidement le juge. Les quatre mots de Caboche expliquaient tout à Coconnas. Le digne bourreau venait de rendre à son ami le plus grand service qui se puisse rendre de bourreau à gentilhomme. Il lui épargnait plus que la douleur, il lui épargnait la honte des aveux, en lui enfonçant entre les jambes des coins de cuir élastiques, dont la partie supérieure était seulement garnie de bois, au lieu de lui enfoncer des coins de chêne. De plus, il lui laissait toute sa force pour faire face à l’échafaud.

– Ah brave, brave Caboche, murmura Coconnas, sois tranquille, va, je vais crier, puisque tu me le demandes, et si tu n’es pas content, tu seras difficile.

Pendant ce temps, Caboche avait introduit entre les planches l’extrémité d’un coin plus gros encore que le premier.

– Allez, dit le juge.

À ce mot, Caboche frappa comme s’il se fût agi de démolir d’un seul coup le donjon de Vincennes.

– Ah! ah! hou! hou! cria Coconnas sur les intonations les plus variées. Mille tonnerres, vous me brisez les os, prenez donc garde!

– Ah! dit le juge en souriant, le second fait son effet; cela m’étonnait aussi. Coconnas respira comme un soufflet de forge.

– Que faisiez-vous donc dans la forêt? répéta le juge.

– Eh! mordieu! je vous l’ai déjà dit, je prenais le frais.

– Allez, dit le juge.

– Avouez, lui glissa Caboche à l’oreille.

– Quoi?

– Tout ce que vous voudrez, mais avouez quelque chose. Et il donna le second coup non moins bien appliqué que le premier. Coconnas pensa s’étrangler à force de crier.

– Oh! là, là, dit-il. Que désirez-vous savoir, monsieur? par ordre de qui j’étais dans le bois?

– Oui, monsieur.

– J’y étais par ordre de M. d’Alençon.

– Écrivez, dit le juge.

– Si j’ai commis un crime en tendant un piège au roi de Navarre, continua Coconnas, je n’étais qu’un instrument, monsieur, et j’obéissais à mon maître.

Le greffier se mit à écrire.

– Oh! tu m’as dénoncé, face blême, murmura le patient, attends, attends.

Et il raconta la visite de François au roi de Navarre, les entrevues entre de Mouy et M. d’Alençon, l’histoire du manteau rouge, le tout en hurlant par réminiscence et en se faisant ajouter de temps en temps un coup de marteau.

Enfin il donna tant de renseignements précis, véridiques, incontestables, terribles contre M. le duc d’Alençon; il fit si bien paraître ne les accorder qu’à la violence des douleurs; il grimaça, rugit, se plaignit si naturellement et sur tant d’intonations différentes, que le juge lui-même finit par s’effaroucher d’avoir à enregistrer des détails si compromettants pour un fils de France.

– Eh bien, à la bonne heure! disait Caboche, voici un gentilhomme à qui il n’est pas besoin de dire les choses à deux fois et qui fait bonne mesure au greffier. Jésus-Dieu! que serait-ce donc, si, au lieu d’être de cuir, les coins étaient de bois!

Aussi fit-on grâce à Coconnas du dernier coin de l’extraordinaire; mais, sans compter celui-là, il avait eu affaire à neuf autres, ce qui suffisait parfaitement à lui mettre les jambes en bouillie.

Le juge fit valoir à Coconnas la douceur qu’il lui accordait en faveur de ses aveux et se retira.

Le patient resta seul avec Caboche.

– Eh bien, lui demanda celui-ci, comment allons-nous, mon gentilhomme?

– Ah! mon ami! mon brave ami, mon cher Caboche! dit Coconnas, sois certain que je serai reconnaissant toute ma vie de ce que tu viens de faire pour moi.

– Peste! vous avez raison, monsieur, car si on savait ce que j’ai fait pour vous, c’est moi qui prendrais votre place sur ce chevalet, et on ne me ménagerait point, moi, comme je vous ai ménagé.

– Mais comment as-tu eu l’ingénieuse idée…

– Voilà, dit Caboche tout en entortillant les jambes de Coconnas dans des linges ensanglantés: j’ai su que vous étiez arrêté, j’ai su qu’on faisait votre procès, j’ai su que la reine Catherine voulait votre mort; j’ai deviné qu’on vous donnerait la question, et j’ai pris mes précautions en conséquence.

– Au risque de ce qui pouvait arriver?

– Monsieur, dit Caboche, vous êtes le seul gentilhomme qui m’ait donné la main, et l’on a de la mémoire et un cœur, tout bourreau qu’on est, et peut-être même parce qu’on est bourreau. Vous verrez demain comme je ferai proprement ma besogne.

– Demain? dit Coconnas.

– Sans doute, demain.

– Quelle besogne? Caboche regarda Coconnas avec stupéfaction.

– Comment, quelle besogne? avez-vous donc oublié l’arrêt?

– Ah! oui, en effet, l’arrêt, dit Coconnas, je l’avais oublié. Le fait est que Coconnas ne l’avait point oublié, mais qu’il n’y pensait pas. Ce à quoi il pensait, c’était à la chapelle, au couteau caché sous la nappe sacrée, à Henriette et à la reine, à la porte de la sacristie et aux deux chevaux attendant à la lisière de la forêt; ce à quoi il pensait, c’était à la liberté, c’était à la course en plein air, c’était à la sécurité au-delà des frontières de France.

– Maintenant, dit Caboche, il s’agit de vous faire passer adroitement du chevalet sur la litière. N’oubliez pas que pour tout le monde, et même pour mes valets, vous avez les jambes brisées, et qu’à chaque mouvement vous devez pousser un cri.

– Aïe! fit Coconnas rien qu’en voyant les deux valets approcher de lui la litière.

– Allons! allons! un peu de courage, dit Caboche; si vous criez déjà, que direz-vous donc tout à l’heure?

– Mon cher Caboche, dit Coconnas, ne me laissez pas toucher, je vous en supplie, par vos estimables acolytes; peut-être n’auraient-ils pas la main aussi légère que vous.

– Posez la litière près du chevalet, dit maître Caboche.

Les deux valets obéirent. Maître Caboche prit Coconnas dans ses bras comme il aurait fait d’un enfant, et le déposa couché sur le brancard; mais malgré toutes ces précautions, Coconnas poussa des cris féroces. Le brave guichetier parut alors avec une lanterne.

– À la chapelle, dit-il.

Et les porteurs de Coconnas se mirent en route après que Coconnas eut donné à Caboche une seconde poignée de main.

La première avait trop bien réussi au Piémontais pour qu’il fît désormais le difficile.

XXVIII. La chapelle

Le lugubre cortège traversa dans le plus profond silence les deux ponts-levis du donjon et la grande cour du château qui mène à la chapelle, et aux vitraux de laquelle une pâle lumière colorait les figures livides des apôtres en robes rouges.

Coconnas aspirait avidement l’air de la nuit, quoique cet air fût tout chargé de pluie. Il regardait l’obscurité profonde et s’applaudissait de ce que toutes ces circonstances étaient propices à sa fuite et à celle de son compagnon.

Il lui fallut toute sa volonté, toute sa prudence, toute sa puissance sur lui-même pour ne pas sauter en bas de la litière dès que, porté dans la chapelle, il aperçut dans le chœur, et à trois pas de l’autel, une masse gisante dans un grand manteau blanc.

C’était La Mole.

Les deux soldats qui accompagnaient la litière s’étaient arrêtés en dehors de la porte.

– Puisqu’on nous fait cette suprême grâce de nous réunir encore une fois, dit Coconnas, alanguissant sa voix, portez-moi près de mon ami.

Les porteurs n’avaient aucun ordre contraire, ils ne firent donc aucune difficulté d’accorder la demande de Coconnas.

La Mole était sombre et pâle, sa tête était appuyée au marbre de la muraille; ses cheveux noirs, baignés d’une sueur abondante, qui donnait à son visage la mate pâleur de l’ivoire, semblaient avoir conservé leur raideur après s’être hérissés sur sa tête.

Sur un signe du porte-clefs les deux valets s’éloignèrent pour aller chercher le prêtre que demanda Coconnas.

C’était le signal convenu.

Coconnas les suivait des yeux avec anxiété; mais il n’était pas le seul dont le regard ardent était fixé sur eux. À peine eurent-ils disparu, que deux femmes s’élancèrent de derrière l’autel et firent irruption dans le chœur avec des frémissements de joie qui les précédaient, agitant l’air comme le souffle chaud et bruyant qui précède l’orage.

Marguerite se précipita vers La Mole et le saisit dans ses bras.

La Mole poussa un cri terrible, un de ces cris comme en avait entendu Coconnas dans son cachot et qui avaient failli le rendre fou.

– Mon Dieu! qu’y a-t-il donc, La Mole? dit Marguerite se reculant d’effroi. La Mole poussa un gémissement profond et porta ses mains à ses yeux comme pour ne pas voir Marguerite.

Marguerite fut épouvantée plus encore de ce silence et de ce geste que du cri de douleur qu’avait poussé La Mole.

– Oh! s’écria-t-elle, qu’as-tu donc? tu es tout en sang.

Coconnas, qui s’était élancé vers l’autel, qui avait pris le poignard, qui tenait déjà Henriette enlacée, se retourna.

– Lève-toi donc, disait Marguerite, lève-toi donc, je t’en supplie! tu vois bien que le moment est venu.

Un sourire effrayant de tristesse passa sur les lèvres blêmes de La Mole, qui semblait ne plus devoir sourire.

– Chère reine! dit le jeune homme, vous aviez compté sans Catherine, et par conséquent sans un crime. J’ai subi la question, mes os sont rompus, tout mon corps n’est qu’une plaie, et le mouvement que je fais en ce moment pour appuyer mes lèvres sur votre front me cause des douleurs pires que la mort.

Et en effet, avec effort et tout pâlissant, La Mole appuya ses lèvres sur le front de la reine.

– La question! s’écria Coconnas; mais moi aussi je l’ai subie; mais le bourreau n’a-t-il donc pas fait pour toi ce qu’il a fait pour moi?

Et Coconnas raconta tout.

– Ah! dit La Mole, cela se comprend: tu lui as donné la main le jour de notre visite; moi j’ai oublié que tous les hommes sont frères, j’ai fait le dédaigneux. Dieu me punit de mon orgueil, merci à Dieu!

La Mole joignit les mains. Coconnas et les deux femmes échangèrent un regard d’indicible terreur.

– Allons, allons, dit le geôlier, qui avait été jusqu’à la porte pour écouter et qui était revenu, allons, ne perdez pas de temps, cher monsieur de Coconnas; mon coup de dague, et arrangez-moi cela en digne gentilhomme, car ils vont venir.

Marguerite s’était agenouillée près de La Mole, pareille à ces figures de marbre courbées sur un tombeau, près du simulacre de celui qu’il renferme.

– Allons, ami, dit Coconnas, du courage! je suis fort, je t’emporterai, je te placerai sur ton cheval, je te tiendrai même devant moi si tu ne peux te soutenir sur la selle, mais partons, partons; tu entends bien ce que nous dit ce brave homme, il s’agit de ta vie.

La Mole fit un effort surhumain, un effort sublime.

– C’est vrai, il s’agit de ta vie, dit-il. Et il essaya de se soulever. Annibal le prit sous le bras et le dressa debout. La Mole, pendant ce temps, n’avait fait entendre qu’une espèce de rugissement sourd; mais au moment où Coconnas le lâchait pour aller au guichetier, et lorsque le patient ne fut plus soutenu que par les bras des deux femmes, ses jambes plièrent, et, malgré les efforts de Marguerite en larmes, il tomba comme une masse, et le cri déchirant qu’il ne put retenir fit retentir la chapelle d’un écho lugubre qui vibra longtemps sous ses voûtes.

– Vous voyez, dit La Mole avec un accent de détresse, vous voyez, ma reine, laissez-moi donc, abandonnez-moi donc avec un dernier adieu de vous. Je n’ai point parlé, Marguerite, votre secret est donc demeuré enveloppé dans mon amour, et mourra tout entier avec moi. Adieu, ma reine, adieu…

Marguerite, presque inanimée elle-même, entoura de ses bras cette tête charmante, et y imprima un baiser presque religieux.

– Toi, Annibal, dit La Mole, toi que les douleurs ont épargné, toi qui es jeune encore et qui peux vivre, fuis, mon ami, donne-moi cette consolation suprême de te savoir en liberté.

– L’heure passe, cria le geôlier, allons, hâtez-vous. Henriette essayait d’entraîner doucement Annibal, tandis que Marguerite à genoux devant La Mole, les cheveux épars et les yeux ruisselants, semblait une Madeleine.

– Fuis, Annibal, reprit La Mole, fuis, ne donne pas à nos ennemis le joyeux spectacle de la mort de deux innocents.

Coconnas repoussa doucement Henriette qui l’attirait vers la porte, et d’un geste si solennel qu’il en était devenu majestueux:

– Madame, dit-il, donnez d’abord les cinq cents écus que nous avons promis à cet homme.

– Les voici, dit Henriette.

Alors se retournant vers La Mole et secouant tristement la tête:

– Quant à toi, bon La Mole, dit-il, tu me fais injure en pensant un instant que je puisse te quitter. N’ai-je pas juré de vivre et de mourir avec toi? Mais tu souffres tant, pauvre ami, que je te pardonne.

Et il se recoucha résolument près de son ami, vers lequel il pencha sa tête et dont il effleura le front avec ses lèvres.

Puis il attira doucement, doucement, comme une mère ferait pour son enfant, la tête de son ami, qui glissa contre la muraille et vint se reposer sur sa poitrine.

Marguerite était sombre. Elle avait ramassé le poignard que venait de laisser tomber Coconnas.

– Ô ma reine, dit, en étendant les bras vers elle, La Mole, qui comprenait sa pensée; ô ma reine, n’oubliez pas que je meurs pour éteindre jusqu’au moindre soupçon de notre amour!

– Mais que puis-je donc faire pour toi, s’écria Marguerite désespérée, si je ne puis pas même mourir avec toi?

– Tu peux faire, dit La Mole, tu peux faire que la mort me sera douce, et viendra en quelque sorte à moi avec un visage souriant.

Marguerite se rapprocha de lui en joignant les mains comme pour lui dire de parler.

– Te rappelles-tu ce soir, Marguerite, où, en échange de ma vie que je t’offrais alors et que je te donne aujourd’hui, tu me fis une promesse sacrée?…

Marguerite tressaillit.

– Ah! tu te rappelles, dit La Mole, car tu frissonnes.

– Oui, oui, je me la rappelle, dit Marguerite, et sur mon âme, Hyacinthe, cette promesse, je la tiendrai.

Marguerite étendit de sa place la main vers l’autel, comme pour prendre une seconde fois Dieu à témoin de son serment.

Le visage de La Mole s’éclaira comme si la voûte de la chapelle se fût ouverte, et qu’un rayon céleste eût descendu jusqu’à lui.

– On vient, on vient, dit le geôlier. Marguerite poussa un cri, et se précipita vers La Mole, mais la crainte de redoubler ses douleurs l’arrêta tremblante devant lui.

Henriette posa ses lèvres sur le front de Coconnas et lui dit:

– Je te comprends, mon Annibal, et je suis fière de toi. Je sais bien que ton héroïsme te fait mourir, mais je t’aime pour ton héroïsme. Devant Dieu je t’aimerai toujours avant et plus que toute chose, et ce que Marguerite a juré de faire pour La Mole, sans savoir quelle chose cela est, je te jure que pour toi aussi je le ferai.

Et elle tendit sa main à Marguerite.

– C’est bien parler cela; merci, dit Coconnas.

– Avant de me quitter, ma reine, dit La Mole, une dernière grâce: donnez-moi un souvenir quelconque de vous, que je puisse baiser en montant à l’échafaud.

– Oh oui! s’écria Marguerite, tiens! …

Et elle détacha de son cou un petit reliquaire d’or soutenu par une chaîne du même métal.

– Tiens, dit-elle, voici une relique sainte que je porte depuis mon enfance; ma mère me la passa au cou quand j’étais toute petite et qu’elle m’aimait encore; elle vient de notre oncle le pape Clément; je ne l’ai jamais quittée. Tiens, prends-la.

La Mole la prit et la baisa avidement.

– On ouvre la porte, dit le geôlier; fuyez, mesdames! fuyez! Les deux femmes s’élancèrent derrière l’autel, où elles disparurent. Au même moment le prêtre entrait.