Kitabı oku: «La San-Felice, Tome 09», sayfa 8
XCV
COMMENT ON MOURAIT À NAPLES EN 1799
Quatre hommes armés jusqu'aux dents attendaient Salvato dans l'intérieur de l'église.
L'un d'eux lui ouvrit les bras. Salvato se jeta sur son coeur en criant:
–Mon père!
–Et maintenant, dit celui-ci, pas un instant à perdre! Viens! viens!
–Mais fit Salvato résistant, ne pouvons-nous pas sauver mes compagnons?
–N'y songeons même pas, dit Joseph Palmieri, ne songeons qu'à Luisa.
–Ah! oui, s'écria Salvato. Luisa! sauvons Luisa!
D'ailleurs, Salvato eût voulu résister, que la chose lui eût été impossible: au bruit des crosses de fusil contre la porte de l'église, Joseph Palmieri entraînait, avec la force d'un géant, son fils vers la sortie qui donne dans la rue des Chiarettieri-al-Pendino.
A cette sortie, quatre chevaux tout sellés, ayant chacun une carabine à l'arçon, attendaient leurs cavaliers, guidés par deux paysans des Abruzzes.
–Voici mon cheval, dit Joseph Palmieri en sautant en selle; et voilà le tien, ajouta-t-il en montrant un second cheval à son fils.
Salvato était, lui aussi, en selle avant que son père eût achevé la phrase.
–Suis-moi! lui cria Joseph.
Et il s'élança le premier par le largo del Elmo, par le vico Grande, par la strada Egiziaca à Forcella.
Salvato le suivit; les deux autres hommes galopèrent derrière Salvato.
Cinq minutes après, ils sortaient de Naples par la porte de Nola, prenaient la route de Saint-Corme, se jetaient à gauche par un sentier à travers les marais, gagnaient au-dessus de Capodichino la route de Casoria, laissaient Sant'Antonio à leur gauche, Acerra à leur droite, et, distançant, grâce à l'excellence de leurs chevaux, les deux hommes qui leur servaient d'escorte, ils s'enfonçaient dans la vallée des Fourches-Caudines.
Maintenant, pour ceux de nos lecteurs qui veulent l'explication de tout, nous donnerons cette explication en deux mots.
Joseph Palmieri, dans un court voyage qu'il avait fait à Molise, avait trouvé une douzaine d'hommes dévoués, qu'il avait ramenés avec lui à Naples.
Un de ses anciens amis, agrégé à la corporation des bianchi, s'était chargé, sous le prétexte d'assister Salvato comme pénitent, de faire savoir au condamné ce qui se tramait pour son salut.
Un des paysans de Joseph Palmieri avait barré la rue avec une charrette de bois.
L'autre attendait le passage du cortége avec une charrette attelée de deux buffles, tenant presque toute la largeur de la rue.
Le cortége, passé, le paysan avait laissé tomber dans l'oreille de chacun du ses buffles un morceau d'amadou allumé.
Les buffles étaient entrés en fureur et s'étaient élancés en mugissant dans la rue, renversant tout ce qu'ils rencontraient devant eux.
De là le désordre dont Salvato avait profité.
Ce désordre ne s'était point calmé à la disparition de Salvato.
Nous avons dit que Michele avait été tenté de suivre celui-ci, mais avait été arrêté par le vieux pêcheur Basso Tomeo, qui avait juré de le disputer au bourreau.
Et, en effet, une lutte s'était établie non-seulement entre les lazzaroni, qui voulaient mettre Michele en pièces, attendu qu'il avait déshonoré leur respectable corps en portant l'uniforme français, mais encore entre eux et Michele, qui, à tout prendre, aimait encore mieux être pendu que mis en pièces.
Les soldats de l'escorte étaient venus en aide à Michele et étaient parvenus à le tirer des mains de ses anciens camarades, mais dans un déplorable état.
Les lazzaroni ont la main leste, et il avaient eu le temps d'allonger à Michele deux ou trois coups de couteau.
Il en résulta que, comme le pauvre diable ne pouvait plus marcher, on s'empara de la charrette qui barrait la rue pour lui faire faire le reste du chemin.
Quant à Salvato, on s'était bien aperçu de sa fuite, puisque cette fuite avait été hâtée par les coups de crosse de fusil donnés par les soldats dans la porte de l'église; mais cette porte était trop solide pour être enfoncée: il fallait faire le tour de l'église et même de la rue par la strada del Pendino. On le fit, mais cela dura un quart d'heure, et, quand on arriva à la sortie de l'église, Salvato était hors de Naples, et, par conséquent, hors de danger.
Aucun des autres condamnés n'avait fait le moindre mouvement pour fuir.
Salvato disparu, Michele couché dans sa charrette, le cortége funèbre reprit donc sa marche vers le lieu de l'exécution, c'est-à-dire vers la place du Vieux-Marché.
Mais, pour donner plus grande satisfaction au peuple, on lui fit faire un grand détour par la rue Francesca, de manière à le faire déboucher sur le quai.
Les lazzaroni avaient reconnu Éléonor Pimentel, et, en dansant aux deux côtés du cortége, qu'ils accompagnaient avec des huées et des gestes obscènes, ils chantaient:
La signora Dianora,
Che cantava neoppa lo triato,
Mo alballa muzzo a lo mercato.
Viva, viva lo papa santo,
Che a marmato i cannoncini,
Per dustruggere i giacobini!
Viva la força e maestro Donato!
Sant'Antonio sia lodato!
Ce qui voulait dire:
La signora Dianora,
Qui chantait sur le théâtre,
Maintenant danse au milieu du marché.
Vive, vive le saint pape,
Qui a envoyé de petits canons
Pour détruire les jacobins!
Vive la potence et maître Donato!
Et que saint Antoine soit loué!
Ce fut au milieu de ces cris, de ces huées, de ces bouffonneries, de ces insultes, que les condamnés débouchèrent sur le quai, suivirent la strada Nuova, et atteignirent la rue des Soupirs-de-l'Abîme, d'où ils aperçurent les instruments du supplice, dressés au centre du Vieux-Marché.
Il y avait six gibets et un échafaud.
Un des gibets s'élevait au-dessus des autres à la hauteur de dix pieds.
Une pensée obscène l'avait fait dresser pour Éléonor Pimentel.
Comme on le voit, le roi de Naples était plein d'attention pour ses bons lazzaroni.
Au coin du vico della Conciaria, un homme, hideux de mutilation, avec une balafre lui fendant le visage en deux et lui crevant un oeil, avec une main dont les doigts étaient coupés, avec une jambe de bois par laquelle il avait remplacé sa jambe brisée, attendait le cortége, au-devant duquel sa faiblesse ne lui avait pas permis d'aller.
C'était le beccaïo.
Il avait appris le jugement et la condamnation de Salvato et avait fait un effort, tout mal guéri qu'il était, pour avoir le plaisir de le voir pendre.
–Où est-il, le jacobin? où est-il, le misérable? où est-il, le brigand? s'écria-t-il en essayant de franchir la haie des soldats.
Michele reconnut sa voix, et, tout mourant qu'il était, il se souleva dans sa charrette, et, avec un éclat de rire:
–Si c'est pour voir pendre le général Salvato que tu t'es dérangé, beccaïo, tu as perdu ta peine: il est sauvé!
–Sauvé? s'écria le beccaïo; sauvé? Impossible!
–Demande plutôt à ces messieurs, et vois la longue mine qu'ils font. Mais il y a encore une chance: c'est que tu te mettes à courir après lui. Tu as de bonnes jambes, tu le rattraperas.
Le beccaïo poussa un hurlement de rage: une fois encore, sa vengeance lui échappait.
–Place! crièrent les soldats en le repoussant à coups de crosse.
Et le cortège passa.
On arriva au pied des gibets. Là, un huissier attendait les condamnés pour leur lire la sentence.
La sentence fut lue au milieu des rires, des huées, des insultes et des chants.
La sentence lue, le bourreau s'avança vers le groupe des condamnés.
On n'avait point fixé l'ordre dans lequel les patients devaient être exécutés.
En voyant venir à eux le bourreau, Cirillo et Manthonnet firent un pas en avant.
–Lequel des deux dois-je pendre le premier? demanda maître Donato.
Manthonnet se baissa, ramassa deux pailles d'inégale grandeur et donna le choix à Cirillo.
Cirillo tira la plus longue.
–J'ai gagné, dit Manthonnet.
Et il se livra à maître Donato.
La corde au cou, il cria:
–O peuple, qui aujourd'hui nous insultes, un jour, tu vengeras ceux qui sont morts pour la patrie!
Maître Donato le poussa hors de l'échelle, et son corps se balança dans le vide.
C'était le tour de Cirillo.
Il essaya, une fois monté sur l'échelle, de prononcer quelques paroles; mais le bourreau ne lui en laissa pas le temps, et, aux acclamations des lazzaroni, son corps se balança près de celui de Manthonnet.
Éléonor Pimentel s'avança.
–Ce n'est pas encore ton tour, lui dit brutalement le bourreau.
Elle fit un pas arrière et vit que l'on apportait Michele.
Mais, au pied de la potence, celui-ci dit:
–Laissez-moi essayer de monter tout seul à l'échelle, mes amis, ou sinon, on croira que c'est la peur qui m'ôte la force, et non mes blessures.
Et, sans être soutenu, il monta les degrés de l'échelle jusqu'à ce que maître Donato lui eût dit:
–Assez!
Alors, il s'arrêta, et, comme il avait la corde passée d'avance autour du cou, le bourreau n'eut qu'un coup de genou à lui donner pour en finir avec lui.
Au moment où il fut lancé dans le vide, il murmura le nom de «Nanno!..» Le reste de la phrase, si, toutefois, il y avait une phrase, fut étranglé par le noeud coulant.
Chacune de ces exécutions était saluée par des hourras frénétiques et des cris furieux.
Mais l'exécution que l'on attendait avec la plus grande impatience, c'était évidemment celle d'Éléonor Pimentel.
Son tour était enfin arrivé; car maître Donato devait en finir avec les gibets avant de passer à la guillotine.
L'huissier dit quelques mots tout bas à maître Donato, qui s'approcha d'Éléonor.
L'héroïne avait repris son calme, un instant troublé par la vue de cette potence plus haute que les autres, vue qui avait, non pas brisé son courage, mais alarmé sa pudeur.
–Madame, lui dit le bourreau d'un autre ton que celui dont il venait de lui parler cinq minutes auparavant, je suis chargé de vous dire que, si vous demandez la vie, il vous sera accordé un sursis pendant lequel votre requête sera envoyée au roi Ferdinand, qui peut-être, dans sa clémence, daignera y faire droit.
–Demandez la vie! demandez la vie! répétèrent autour d'elle les pénitents qui l'avaient assistée, elle et ses compagnons.
Elle sourit à cette marque de sympathie.
–Et, si je demande autre chose que la vie, me l'accordera-t-on?
–Peut-être, répliqua maître Donato.
–En ce cas, dit-elle, donnez-moi un caleçon.
–Bravo! cria Hector Caraffa, une Spartiate n'eût pas mieux dit!
Le bourreau regarda l'huissier; on avait espéré une lâcheté de la femme: on avait tiré une sublime réponse de l'héroïne.
L'huissier fit un signe.
Maître Donato laissa tomber sa main immonde sur l'épaule nue de Léonora et l'attira vers le gibet le plus élevé.
Arrivée au pied de la potence, elle en mesura des yeux la hauteur.
Puis, se tournant vers le cercle de spectateurs qui enveloppait de tous côtés l'instrument du supplice:
–Au nom de la pudeur, dit-elle, n'y a-t-il pas quelque mère de famille qui me donne un moyen d'échapper à cette infamie?
Une femme lui jeta l'épingle d'argent avec laquelle elle attachait ses cheveux.
Léonora poussa un cri de joie, et, à la hauteur du genou, à l'aide de cette épingle d'argent, attachant l'un à l'autre le devant et le derrière de sa robe, elle improvisa le caleçon qu'elle avait inutilement demandé.
Puis elle gravit d'un pied ferme les degrés de l'échelle en disant les quatre premiers vers de la Marseillaise napolitaine, qu'elle avait chantée, le jour où l'on apprit la chute d'Altamura, sur le théâtre Saint-Charles.
Avant que le quatrième vers fût achevé, cette âme héroïque était remontée au ciel.
Les gibets étaient remplis, moins un: c'était celui qui était destiné à Salvato. Il ne restait plus personne à pendre, mais il restait quelqu'un à guillotiner.
C'était le comte de Ruvo.
–Enfin, dit-il lorsqu'il vit que maître Donato et ses aides en avaient fini avec le dernier cadavre, j'espère que c'est à mon tour, hein?
–Oh! sois tranquille, dit maître Donato, je ne te ferai pas attendre.
–Ah! ah! il paraît que, si je demande une faveur, cette faveur ne me sera pas accordée?
–Qui sait? demande toujours.
–Eh bien, je désire être guillotiné à l'envers, afin de voir tomber le fer qui me tranchera la gorge.
Maître Donato regarda l'huissier: l'huissier fit signe qu'il ne voyait aucun empêchement à l'accomplissement de ce désir.
–Il sera fait comme tu le veux, répondit le bourreau.
Alors, Hector Caraffa monta lestement les degrés de l'échafaud, et, arrivé sur la plate-forme, il se coucha de lui-même sur la planche, le dos à terre, la face au ciel.
On le lia ainsi; puis on le poussa sous le couperet.
Et, comme le bourreau, étonné peut-être de cet indomptable courage, tardait un instant à remplir son terrible office:
–Taglia dunque, per Dio! lui cria le patient. (Coupe donc, pardieu!)
Et, sur cet ordre, le fatal couperet tomba et la tête d'Hector Caraffa roula sur l'échafaud.
Détournons les yeux de ce hideux champ de carnage que l'on appelle Naples, et reportons-les sur un autre point du royaume.
XCVI
LA GOELETTE the Runner
Trois mois s'étaient écoulés depuis les événements que nous venons de raconter. Beaucoup de choses étaient changées à Naples, qu'avait abandonnée la flotte anglaise, et d'où le cardinal Ruffo était parti après avoir licencié son armée et résigné ses pouvoirs pour aller à Venise, comme simple cardinal, donner, au conclave, un successeur à Pie VI.
Un des principaux changements avait été la nomination du prince de Cassero-Statella comme vice-roi de Naples, et celle du marquis Malaspina comme sous-secrétaire intime.
La restauration du roi Ferdinand étant désormais assurée, les récompenses furent distribuées.
Il était impossible de faire pour Nelson plus que l'on n'avait fait: il avait l'épée de Philippe V, il était duc de Bronte, il avait de son duché soixante-quinze mille livres de rente.
Le cardinal Ruffo eut une rente viagère de quinze mille ducats (soixante-cinq mille francs), à prendre sur le revenu de San-Georgia la Malara, fief du prince de la Riccia, passé au gouvernement par défaut d'héritiers.
Le duc de Baranello, frère aîné du cardinal, eut l'abbaye de Sainte-Sophie de Bénévent, une des plus riches du royaume.
François Ruffo, que son frère avait nommé inspecteur de la guerre, – le même que nous avons vu envoyer à la cour de Palerme par Nelson, moitié comme messager, moitié comme otage, – eut une pension viagère de trois mille ducats.
Le général Micheroux fut fait maréchal et eut un poste de confiance dans la diplomatie.
De Cesare, le faux duc de Calabre, eut trois mille ducats de rente, et fut fait général.
Fra-Diavolo fut fait colonel et nommé duc de Cassano.
Enfin, Pronio, Mammone et Sciarpa furent nommés colonels et barons, avec des pensions et des terres, et furent décorés de l'ordre de Saint-Georges Constantinien.
En outre pour récompenser les services nouveaux, on créa un nouvel ordre qui reçut le nom d'ordre de Saint-Ferdinand et du Mérite, avec cette légende: Fidei et Merito.
Nelson en fut le premier dignitaire: en sa qualité d'hérétique, on ne pouvait lui donner l'ordre de Saint-Janvier, le premier de l'État.
Enfin, après avoir récompensé tout le monde, Ferdinand pensa qu'il était juste qu'il se récompensât lui-même.
Il fit venir de Rome Canova et lui commanda, – la chose est véritablement si étrange, que nous hésitons à la dire, de peur de n'être pas cru, – et lui commanda sa propre statue en Minerve!
Pendant soixante ans, on a pu voir le grotesque et colossal chef-d'oeuvre dans une niche placée au dessus des premières marches du grand escalier du musée Borbonico, où il serait encore, si, à l'époque de ma nomination de directeur honoraire des beaux-arts, je ne l'eusse fait enlever de ce poste, non point parce qu'il était une reproduction ridicule de Ferdinand, mais parce que c'était une tache au génie du plus grand sculpteur de l'Italie, et une preuve du degré d'abaissement auquel peut descendre le ciseau d'un artiste qui, s'il eût eu quelque respect de lui-même, n'eût point consenti à prostituer son talent à l'exécution d'une pareille caricature.
Puis enfin, comme la monarchie napolitaine était dans une veine heureuse, la belle et mélancolique archiduchesse que nous avons vue sur la galère royale, à peine accouchée de cette petite fille que nous avons dit devoir être un jour la duchesse de Berry, était, vers le mois de février ou de mars 1800 devenue enceinte de nouveau, et, malgré tous les événements que nous avons racontés et qui eussent pu influer sur sa grossesse, avait, au contraire, mené le plus heureusement du monde cette grossesse à son neuvième mois; de sorte que l'on n'attendait que son accouchement, surtout si elle accouchait d'un prince, pour faire à Palerme une série de fêtes dignes de la double circonstance qui en serait le motif.
Une autre femme aussi attendait, non pas dans un palais, non pas au milieu de la soie et du velours, mais sur la paille d'un cachot un accouchement fatal et mortel; car à cet accouchement elle ne devait pas survivre.
Cette autre femme, c'était la malheureuse Luisa Molina San-Felice, qui, ainsi que nous l'avons entendu, déclarée enceinte par son mari, avait été, par ordre du roi Ferdinand, acharné dans sa vengeance, conduite à Palerme et soumise à un conseil de médecins qui avait reconnu la grossesse.
Mais le roi avait cru, lui si peu pitoyable cependant, à une conjuration de la pitié; il avait appelé son propre chirurgien, Antonio Villari, et, sous les peines les plus sévères, il lui avait ordonné de lui dire la vérité sur l'état de la prisonnière.
Antonio Villari reconnut comme les autres la grossesse et l'affirma au roi sur son âme et sa conscience.
Alors, le roi s'informa minutieusement de quelle époque à peu près datait la grossesse, afin de savoir à quelle époque, la mère étant délivrée, on pourrait l'abandonner au bourreau.
Par bonheur, elle était jugée et condamnée, et, le jour même où l'enfant qui la protégeait serait arraché de ses flancs, elle pourrait être exécutée, sans délai ni retard.
Ferdinand avait attaché son propre médecin, Antonio Villari, au service de la prisonnière, et il devait être non-seulement le premier, mais le seul, afin que nul ne contre-carrât ses projets de vengeance, prévenu de l'accouchement.
Les deux accouchements, celui de la princesse qui devait donner un héritier au trône et celui de la condamnée qui devait donner une victime au bourreau, devaient se suivre à quelques semaines de distance; seulement, celui de la princesse devait précéder celui de la condamnée.
C'était sur cette circonstance que le chevalier San-Felice avait fondé son dernier espoir.
En effet, après avoir accompli sa miséricordieuse mission à Naples; après avoir, par sa déclaration au tribunal et par son respect pour la prisonnière, sauvegardé l'honneur de la femme, il était revenu à Palerme reprendre, chez le duc de Calabre, qui habitait le palais sénatorial, sa place accoutumée.
Le jour même de son arrivée, comme il hésitait à se présenter devant le prince, celui-ci l'avait fait appeler, et, lui tendant sa main, que le chevalier avait baisée:
–Mon cher San-Felice, lui dit-il, vous m'avez demandé la permission d'aller à Naples, et, sans vous demander ce que vous aviez à y faire, cette permission, je vous l'ai accordée. Maintenant, beaucoup de bruits différents, vrais ou faux, se sont répandus sur la cause de votre voyage: j'attends de vous, non comme prince, mais comme ami, d'être mis au courant par vous de ce que vous y avez fait. J'ai une grande considération pour vous, vous le savez, et, le jour où j'aurai pu vous rendre un grand service, sans avoir cru m'acquitter de ce que je vous dois, je serai le plus heureux homme du monde.
Le chevalier avait voulu mettre un genou en terre; mais le prince l'en avait empêché, l'avait pris dans ses bras et serré contre son coeur.
Alors, le chevalier lui avait tout raconté: son amitié avec le prince Caramanico, la promesse qu'il lui avait faite à son lit de mort, son mariage avec Luisa; enfin, il lui avait tout dit, excepté les confessions de Luisa; de sorte qu'aux yeux du prince, la paternité du chevalier ne fit aucun doute. Le chevalier finit par protester de l'innocence politique de Luisa et par demander sa grâce au prince.
Celui-ci réfléchit un instant. Il connaissait le caractère cruel et vindicatif de son père; il savait quel serment celui-ci avait fait, et combien il lui serait difficile de le faire revenir sur ce serment.
Mais tout à coup une idée lumineuse lui traversa le cerveau.
–Attends-moi ici, lui dit-il: c'est bien le moins que, dans une affaire de cette importance, je consulte la princesse; en outre, elle est de bon conseil.
Et il entra dans la chambre à coucher de sa femme.
Cinq minutes après, la porte se rouvrit, et, le prince, passant la tête par l'ouverture, appela à lui le chevalier.
Au moment où la porte de la chambre à coucher de la princesse se refermait sur San-Felice, une petite goëlette, qu'à la hauteur et à la flexibilité de ses mâts, on pouvait reconnaître de construction américaine, doublait le mont Pellegrino, suivait la longue jetée du château du Môle, terminée par la batterie, s'enfonçait dans la rade, et, naviguant, avec la même facilité que le ferait de nos jours un bateau à vapeur, entre les vaisseaux de guerre anglais et les bâtiments de commerce de tous les pays qui encombraient le port de Palerme, allait jeter l'ancre à une demi-encablure du château de Castel-Lamare, transformé depuis longtemps en prison d'État.
Si le signe auquel nous avons dit qu'on pouvait reconnaître la nationalité de ce petit bâtiment n'eût point été suffisant à des yeux peu exercés, le drapeau qui se déployait à la corne de son grand mât, et sur lequel flottaient les étoiles d'Amérique, eût affirmé qu'il avait été construit sur le continent découvert par Christophe Colomb, et que, tout frêle qu'il était, il avait audacieusement et heureusement traversé l'Atlantique, comme un vaisseau à trois ponts ou une frégate de haut bord.
Son nom, écrit en lettres d'or à l'arrière, the Runner, c'est-à-dire le Coureur, indiquait qu'il avait reçu un nom selon son mérite, non selon le caprice de son propriétaire.
A peine l'ancre fut-elle jetée et eut-elle mordu le fond, que l'on vit le canot de la Santé s'approcher du Runner avec toutes les formalités et précautions habituelles et que les questions et les réponses d'usage s'échangèrent.
–Ohé! de la goëlette! cria-t-on, d'où venez-vous?
–De Malte.
–En droiture?
–Non: nous avons touché à Marsala.
–Voyons votre patente.
Le capitaine, qui répondait à toutes ces questions en italien, mais avec un accent yankee très-prononcé, tendit le papier demandé, qu'on lui prit des mains avec une pincette, et qui, après avoir été lu, lui fut rendu de la même façon.
–C'est bien, dit l'employé; vous pouvez descendre en canot et venir à la Santé avec nous.
Le capitaine descendit en canot; quatre rameurs s'affolèrent après lui, et, escorté par la barque sanitaire, il traversa toute la rade pour aller joindre, de l'autre côté du port, le bâtiment appelé la Salute.