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Kitabı oku: «La San-Felice, Tome 09», sayfa 9

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XCVII
LES NOUVELLES QU'APPORTAIT LA GOELETTE
the Runner

Le soir même du jour où nous avons vu le chevalier San-Felice entrer dans la chambre à coucher de la duchesse de Calabre, et le capitaine de la goëlette the Runner se rendre à la Salute, toute la famille royale des Deux-Siciles était réunie dans cette même salle du palais où nous avons vu Ferdinand jouer au reversis avec le président Cardillo, Emma Lyonna faire tête avec des poignées d'or au banquier du pharaon, et la reine, retirée dans un coin avec les jeunes princesses, broder la bannière que le fidèle et intelligent Lamarra devait porter au cardinal Ruffo.

Rien n'était changé: le roi jouait toujours au reversis; le président Cardillo arrachait toujours ses boutons; Emma Lyonna couvrait toujours d'or la table, tout en causant bas avec Nelson, appuyé à son fauteuil, et la reine et les jeunes princesses brodaient non plus un labarum de combat pour le cardinal, mais une bannière d'actions de grâce pour sainte Rosalie, douce vierge dont on essayait de souiller le nom en la faisant protectrice de ce trône, en train de se raffermir dans le sang.

Seulement, depuis le jour où nous avons introduit nos lecteurs dans cette même salle, les choses étaient bien changées. D'exilé et vaincu qu'était Ferdinand, il était redevenu, grâce à Ruffo, conquérant et vainqueur. Aussi rien n'eût-il altéré le calme de cet auguste visage que Canova, nous l'avons dit, était occupé à faire jaillir en Minerve, non pas du cerveau de Jupiter, mais d'un magnifique bloc de marbre de Carrare, si quelques numéros du Moniteur républicain, arrivés de France, n'eussent jeté leur ombre sur cette nouvelle ère dans laquelle entrait la royauté sicilienne.

Les Russes avaient été battus à Zurich par Masséna, et les Anglais à Almaker par Brune. Les Anglais avaient été forcés de se rembarquer, et Souvorov, laissant dix mille Russes sur le champ de bataille, n'avait échappé qu'en traversant un précipice, au fond duquel coulait la Reuss, sur deux sapins liés avec les ceintures de ses officiers, et qu'en repoussant dans l'abîme, une fois passé, le pont sur lequel il venait de le franchir.

Ferdinand s'était donné quelques minutes de plaisir au milieu de l'ennui que lui causaient ces nouvelles, en raillant Nelson sur le rembarquement des Anglais, et Baillie sur la fuite de SOUVOROV.

Il n'y avait rien à dire à un homme qui, en pareille circonstance, s'était si cruellement et si gaiement, tout à la fois, raillé lui-même.

Aussi, Nelson s'était contenté de se mordre les lèvres, et Baillie, qui était Irlandais, mais d'origine française, ne s'était pas trop désespéré de l'échec arrivé aux troupes du tzar Paul Ier.

Il est vrai que cela ne changeait rien aux affaires qui intéressaient directement Ferdinand, c'est-à-dire aux affaires d'Italie. L'Autriche était, grâce à ses victoires de Kokack en Allemagne, de Magnano en Italie, de la Trebbia et de Novi, l'Autriche était au pied des Alpes, et le Var, notre frontière antique, était menacé.

Il est vrai encore que Rome et le territoire romain étaient reconquis par Burckard et Pronio, les deux lieutenants de Sa Majesté Sicilienne, et qu'en vertu du traité signé entre le général Burckard, commandant des troupes napolitaines, le commodore Troubridge, commandant des troupes britanniques, et le général Garnier, commandant des troupes françaises, il devait, en se retirant avec les honneurs de la guerre, avoir abandonné les États romains le 4 octobre.

Il y avait dans tout cela, comme disait le roi Ferdinand, à boire et à manger. Puis, avec son insouciance napolitaine, il jetait en l'air, quitte à ce qu'il lui retombât sur le nez, le fameux proverbe que les Napolitains appliquent plus souvent encore au moral qu'au physique:

–Bon! tout ce qui n'étrangle pas engraisse.

Sa Majesté, assez peu inquiète des événements qui se passaient en Suisse et en Hollande, et fort rassurée sur ceux qui s'étaient accomplis, s'accomplissaient et devaient s'accomplir en Italie, faisait donc sa partie de reversis, raillant, tout à la fois, Cardillo, son adversaire, et Nelson et Baillie, ses alliés, lorsque le prince royal entra dans le salon, salua le roi, salua la reine, et, cherchant des yeux le prince de Castelcicala, resté à Palerme, près du roi, et nommé ministre des affaires étrangères, à cause de son dévouement, alla droit à lui et entama vivement avec Son Excellence une conversation à voix basse.

Au bout de cinq minutes, le prince de Castelcicala traversa le salon dans toute sa longueur, alla droit, à son tour, à la reine, et lui dit tout bas quelques mots qui lui firent vivement redresser la tête.

–Prévenez Nelson, dit la reine, et venez me rejoindre avec le prince de Calabre dans le cabinet à côté.

Et, se levant, elle entra, en effet, dans un cabinet attenant au grand salon.

Quelques secondes après, le prince de Castelcicala introduisait le prince, et Nelson entrait lui-même derrière eux, et refermait la porte sur lui.

–Venez donc ici, François, dit la reine, et racontez-nous d'où vous tenez toute cette belle histoire que vient de me dire Castelcicala.

–Madame, dit le prince en s'inclinant avec ce respect mêlé de crainte qu'il avait toujours eu pour sa mère, dont il ne se sentait pas aimé, madame, un de mes hommes, un homme sur lequel je puis compter, se trouvant par hasard aujourd'hui, vers deux heures de l'après-midi, à la police, a entendu dire que le capitaine d'un petit bâtiment américain qui est entré aujourd'hui dans le port, poussé, en sortant de Malte par un coup de vent du côté du cap Bon, avait rencontré deux bâtiments de guerre français, sur l'un desquels il avait tout lieu de croire que se trouvait le général Bonaparte.

Nelson, voyant l'attention que chacun portait au récit du prince François, se le fit traduire en anglais par le ministre des affaires étrangères, et se contenta de hausser les épaules.

–Et vous n'avez pas, en face d'une nouvelle de cette sorte, si vague qu'elle fût, cherché à voir ce capitaine, à vous informer par vous-même de ce qu'il y avait de réel dans ce bruit? Vraiment, François, vous êtes d'une insouciance impardonnable!

Le prince s'inclina.

–Madame, dit-il, ce n'était point à moi, qui ne suis rien dans le gouvernement, d'essayer de pénétrer des secrets de cette importance; mais j'ai envoyé la personne même qui avait recueilli ces rumeurs à bord de la goëlette américaine, lui ordonnant de s'informer à la source même, et, si ce capitaine lui paraissait digne de quelque créance, de l'amener au palais.

–Eh bien? demanda impatiemment la reine.

–Eh bien, madame, le capitaine attend dans le salon rouge.

–Castelcicala, dit la reine, allez! et amenez-le ici par les corridors, afin qu'il ne traverse pas le salon.

Il se fit un profond silence parmi les trois personnes qui se tenaient dans l'attente; puis, au bout d'une minute, la porte de dégagement se rouvrit et donna passage à un homme de cinquante à cinquante-cinq ans, portant un uniforme de fantaisie.

–Le capitaine Skinner, dit le prince de Castelcicala en introduisant le touriste américain.

Le capitaine Skinner était, comme nous l'avons dit, un homme ayant déjà passé le midi de la vie, de taille un peu au-dessus de la moyenne, admirablement pris dans sa taille, d'une figure grave mais sympathique, avec des cheveux grisonnant à peine, rejetés en arrière comme si le vent de la tempête, en lui soufflant au visage, les avait inclinés ainsi. Il portait le devant du visage sans barbe; mais d'épais favoris s'enfonçaient dans sa cravate de fine batiste et d'une irréprochable blancheur.

Il s'inclina respectueusement devant la reine et devant le duc de Calabre, et salua Nelson comme il eût fait d'un personnage ordinaire; ce qui indiquait qu'il ne le connaissait point ou ne voulait point le connaître.

–Monsieur, lui dit la reine, on m'assure que vous êtes porteur de nouvelles importantes; cela vous explique pourquoi j'ai désiré que vous prissiez la peine de passer au palais. Nous avons tous le plus grand intérêt à connaître ces nouvelles. Et, pour que vous sachiez devant qui vous allez parler, je suis la reine Marie-Caroline; voici mon fils, M. le duc de Calabre; voici mon ministre des affaires étrangères, M. le prince de Castelcicala; enfin, voici mon ami, mon soutien, mon sauveur, milord Nelson, duc de Bronte, baron du Nil.

Le capitaine Skinner semblait chercher des yeux une cinquième personne, quand tout à coup la porte du cabinet donnant sur le salon s'ouvrit, et le roi parut.

C'était évidemment cette cinquième personne que cherchait des yeux le capitaine Skinner.

Madonna! s'écria le roi s'adressant à Caroline, savez-vous les nouvelles qui se répandent dans Palerme, ma chère maîtresse?

–Je ne le sais pas encore, monsieur, répondit la reine; mais je vais le savoir, car voici monsieur qui les a apportées et qui me les va donner.

–Ah! ah! fit le roi.

– J'attends que Leurs Majestés veuillent bien me faire l'honneur de m'interroger, dit le capitaine Skinner, et je me tiens à leurs ordres.

–On dit, monsieur, demanda la reine, que vous pouvez nous donner des nouvelles du général Bonaparte?

Un sourire passa sur les lèvres de l'Américain.

–Et de sûres, oui, madame; car il y a trois jours que je l'ai rencontré en mer.

–En mer? répéta la reine.

–Que dit monsieur? demanda Nelson.

Le prince de Castelcicala traduisit en anglais la réponse du capitaine américain.

–A quelle hauteur? demanda Nelson.

–Entre la Sicile et le cap Bon, répondit en excellent anglais le capitaine Skinner, ayant la Pantellerie à bâbord.

–Alors, demanda Nelson, vers le 37e degré de latitude nord?

–Vers le 37e degré de latitude nord et par le 9e degré et vingt minutes de longitude est.

Le prince de Castelcicala traduisit au fur et à mesure au roi ce qui se disait. Pour la reine et pour le duc de Calabre, une traduction était inutile: ils parlaient tous deux anglais.

–Impossible, dit Nelson. Sir Sidney Smith bloque le port d'Alexandrie, et il n'aurait pas laissé passer deux bâtiments français se rendant en France.

–Bon! dit le roi, qui ne manquait jamais de donner son coup de dent à Nelson, vous avez bien laissé passer toute la flotte française, se rendant à Alexandrie!

–C'était pour mieux l'anéantir à Aboukir, répondit Nelson.

–Eh bien, dit le roi, courez donc après les deux bâtiments qu'a vus le capitaine Skinner, et anéantissez-les!

–Le capitaine voudrait-il nous dire, demanda le duc de Calabre en faisant un double signe de respect à son père et à sa mère comme pour s'excuser d'oser prendre la parole devant eux, par quelles circonstances il se trouvait dans ces parages, et quelles causes lui font croire qu'un des deux bâtiments français qu'il a rencontrés était monté par le général Bonaparte?

–Volontiers, Altesse, répondit le capitaine en s'inclinant. J'étais parti de Malte pour aller passer au détroit de Messine, quand j'ai été pris par un coup de vent de nord-est, à une lieue au sud du cap Passaro. J'ai laissé courir à l'abri de la Sicile jusqu'à l'île de Maritimo, et laissé porter avec le même vent sur le cap Bon, filant grand largue.

–Et là? demanda le duc.

–Là, je me suis trouvé en vue de deux bâtiments que j'ai reconnus pour français et qui m'ont reconnu pour américain. D'ailleurs, un coup de canon avait assuré leur pavillon et m'avait invité à déployer le mien. L'un d'eux m'a fait signe d'approcher, et, quand j'ai été à portée de la voix, un homme en costume d'officier général m'a crié:

–Ohé! de la goëlette! avez-vous vu des bâtiments anglais?

» – Aucun, général, ai-je répondu.

» – Que fait la flotte de l'amiral Nelson?

» – Une partie bloque Malte, l'autre est dans le port de Palerme.

» – Où allez-vous?

» – A Palerme.

» – Eh bien, si vous y voyez l'amiral, dites-lui que je vais prendre en Italie la revanche d'Aboukir.

»Et le bâtiment a continué sa route.

» – Savez-vous comment se nomme le général qui vous a interrogé? m'a demandé mon second, qui s'était tenu près de moi pendant l'interrogatoire. Eh bien, c'est le général Bonaparte!

On traduisit tout le récit du capitaine américain à Nelson, tandis que le roi, la reine et le duc de Calabre se regardaient, inquiets.

–Et, demanda Nelson, vous ne savez pas les noms de ces deux bâtiments?

–Je les ai approchés de si près, répondit le capitaine, que j'ai pu les lire: l'un s'appelle le Muiron, l'autre le Carrère.

–Que veulent dire ces noms? demanda en allemand la reine au duc de Calabre. Je ne comprends pas leur signification.

–Ce sont deux noms d'homme, madame, répondit le capitaine Skinner en allemand, et en parlant cette langue aussi purement que les deux autres dans lesquelles il s'était déjà exprimé.

–Ces diables d'Américains! dit en français la reine, ils parlent toutes les langues.

–Cela nous est nécessaire, madame, répondit en bon français le capitaine Skinner. Un peuple de marchands doit connaître toutes les langues dans lesquelles on peut demander le prix d'une balle de coton.

–Eh bien, milord Nelson, demanda le roi, que dites-vous de la nouvelle?

–Je dis qu'elle est grave, sire, mais qu'il ne faut pas s'en inquiéter outre mesure. Lord Keith croise entre la Corse et la Sardaigne, et, vous le savez, la mer et les vents sont pour l'Angleterre.

–Je vous remercie, monsieur, des renseignements que vous avez bien voulu me donner, dit la reine. Comptez-vous faire un long séjour à Palerme?

–Je suis un touriste voyageant pour mon plaisir, madame, répondit le capitaine, et, à moins de désirs contraires de la part de Votre Majesté, vers la fin de la semaine prochaine, j'espère mettre à la voile.

–Où vous trouverait-on, capitaine, si l'on avait besoin de nouveaux renseignements?

–A mon bord. J'ai jeté l'ancre en face du fort de Castellamare, et, à moins d'ordres contraires, la place m'étant commode, je resterai où je suis.

–François, dit la reine à son fils, vous veillerez à ce que le capitaine ne soit pas dérangé de la place qu'il a choisie. Il faut qu'on sache où le retrouver à la minute, si par hasard on a besoin de lui.

Le prince s'inclina.

–Eh bien, milord Nelson, demanda le roi, à votre avis, qu'y a-t-il à faire, maintenant?

–Sire, il y a votre partie de reversis à reprendre, comme si rien d'extraordinaire n'était arrivé. En supposant que le général Bonaparte aborde en France, ce n'est qu'un homme de plus.

–Si vous n'eussiez pas été à Aboukir, milord, dit Skinner, ce n'était qu'un homme de moins; mais il est probable que, grâce à cet homme de moins, la flotte française était sauvée.

Et, sur ces paroles, qui contenaient tout à la fois un compliment et une menace, le capitaine américain embrassa d'un salut les augustes personnages qui l'avaient appelé, et se retira.

Et, selon le conseil que lui avait donné Nelson, le roi alla reprendre sa place à la table où l'attendait impatiemment le président Cardillo, et où l'attendaient patiemment, comme il convient à des courtisans bien dressés, le duc d'Ascoli et le marquis Cirillo.

Ceux-ci étaient trop bien formés à l'étiquette des cours pour se permettre d'interroger le roi; mais le président Cardillo était moins rigide observateur du décorum que ces deux messieurs.

–Eh bien, sire, cela valait-il la peine d'interrompre notre partie, dit-il, et de nous laisser le bec dans l'eau pendant un quart d'heure?

–Ah! par ma foi! non, dit le roi, à ce que prétend l'amiral Nelson, du moins. Bonaparte a quitté l'Égypte, a passé, sans être vu, à travers la flotte de Sydney Smith. Il était, il y a quatre jours, à la hauteur du cap Bon. Il passera à travers la flotte de milord Keith, comme il a passé à travers celle de sir Sydney Smith, et, dans trois semaines, il sera à Paris. A vous de battre les cartes, président, – en attendant que Bonaparte batte les Autrichiens!

Et, sur ce bon mot, dont il parut enchanté, le roi reprit sa partie, comme si, en effet, ce qu'il venait d'apprendre ne valait point la peine de l'interrompre.

XCVIII
LA FEMME ET LE MARI

On se rappelle comment le prince de Calabre avait eu vent des nouvelles qu'il venait d'apporter à sa mère.

Un homme à lui, se trouvant à la police, avait entendu répéter quelques paroles dites en l'air par le capitaine Skinner au directeur de la Salute.

Le capitaine avait-il dit ces paroles avec intention ou au hasard? C'est ce que lui seul eût pu expliquer.

Cet homme à lui, dont parlait le duc de Calabre, n'était autre que le chevalier San-Felice, qui, avec une recommandation du prince, allait demander au préfet de police une autorisation de pénétrer jusqu'à la malheureuse prisonnière.

Cette autorisation, il l'avait obtenue, mais en promettant la plus entière discrétion, la prisonnière étant recommandée à la sévérité du préfet par le roi lui-même.

Aussi était-ce pendant l'obscurité, entre dix et onze heures, que le chevalier devait être introduit dans la prison de sa femme.

En rentrant au palais sénatorial, qu'habitait, comme nous l'avons dit, le prince royal, le chevalier raconta à Son Altesse ce qu'il avait entendu répéter à la police des propos tenus par un officier américain sur la rencontre que celui-ci aurait faite en mer du général Bonaparte.

Le prince avait la vue longue, et il avait à l'instant même deviné les conséquences d'un pareil retour. Aussi la nouvelle lui avait-elle paru des plus importantes, et, pour en vérifier le degré de vérité, il avait prié le chevalier San-Felice de se faire conduire à l'instant même à bord du bâtiment américain.

San-Felice eût dans tous les temps obéi au prince avec la rapidité du dévouement; mais, ce jour même, le prince l'avait comblé de bontés, et il regrettait de n'avoir, pour lui rendre service, qu'un ordre si simple à exécuter.

Le chevalier, le cas échéant, était chargé de ramener au prince le capitaine américain.

Il s'était donc, à l'instant même, rendu sur le port et, serrant soigneusement dans son portefeuille son ordre d'entrer dans la prison, il avait pris une de ces barques qui font des courses dans la rade et avait invité, avec sa douceur ordinaire, les mariniers qui la montaient à le conduire à la goëlette américaine.

Si vulgaire et si fréquent que soit l'événement, l'entrée d'un navire dans un port est toujours un événement. Aussi à peine le chevalier San-Felice eût-il annoncé le but de sa course, que les mariniers, secondant ses désirs, mirent le cap sur le petit bâtiment, dont les deux mâts, gracieusement penchés en arrière, juraient par leur hauteur avec l'exiguïté de sa coque.

Une garde assez sévère se faisait à bord de la goëlette; car à peine le matelot de quart eut-il aperçu la barque et jugé qu'elle se dirigeait vers le petit bâtiment, que le capitaine, rentré depuis une heure à peine de la Salute, fut prévenu de l'incident et monta rapidement sur le pont, suivi de son lieutenant, jeune homme de vingt-six à vingt-huit ans. Mais à peine eurent-ils jeté un coup d'oeil rapide sur la barque, qu'avec l'accent de l'étonnement et de l'inquiétude, ils échangèrent quelques paroles, et que le jeune homme disparut par l'escalier qui conduisait au salon.

Le capitaine attendit seul.

Le chevalier San-Felice, quoiqu'il n'y eût que deux marches à franchir pour monter sur le pont, crut devoir demander en anglais, au capitaine, la permission d'entrer à son bord. Mais celui-ci répondit par un cri de surprise, l'attira à lui et l'entraîna tout étonné sur une petite plate-forme située à l'arrière, entourée d'une balustrade de cuivre et formant tillac.

Le chevalier ne savait que penser de cette réception, qui, au reste, n'avait rien d'hostile, et il regarda l'Américain d'un oeil interrogateur.

Mais, alors, celui-ci, en excellent italien:

–Je vous remercie de ne pas me reconnaître, chevalier, lui dit-il; cela prouve que mon déguisement est bon, quoique l'oeil d'un ami soit souvent moins perçant que celui d'un ennemi.

Le chevalier continuait de regarder le capitaine, tâchant de rassembler ses souvenirs, mais ne se rappelant pas où il avait pu voir cette physionomie loyale et vigoureuse.

–Je vais entrer dans votre vie, monsieur, lui dit le faux Américain, par un triste mais noble souvenir. J'étais au tribunal de Monte-Oliveto le jour où vous êtes venu sauver la vie à votre femme. C'est moi qui vous ai suivi et abordé au sortir du tribunal. Je portais alors l'habit d'un moine bénédictin.

San-Felice fit un pas en arrière et pâlit légèrement.

–Alors, murmura-t-il, vous êtes le père?

–Oui. Vous souvenez-vous de ce que vous me dîtes lorsque je vous fis cette demi-confidence?

–Je vous dis: «Faisons tout ce que nous pourrons pour la sauver.»

–Et aujourd'hui?

–Oh! aujourd'hui, de tout coeur, je vous répète la même chose.

–Eh bien, moi, dit le faux Américain, je suis ici pour cela.

–Et moi, dit le chevalier, j'ai l'espoir d'y réussir cette nuit.

–Voudrez-vous me tenir au courant de vos tentatives?

–Je vous le promets.

–Maintenant, qui vous conduit vers moi, puisque vous ne m'avez pas reconnu?

–L'ordre du prince royal. Le bruit s'est répandu que vous apportiez des nouvelles très-graves, et le prince m'envoie à vous avec l'intention de vous conduire au roi. Répugnez-vous à être présenté à Sa Majesté.

–Je ne répugne à rien de ce qui peut servir vos projets et ne demande pas mieux que de détourner les regards de la police du véritable but qui m'amène ici. – Au reste, je doute qu'elle reconnaisse, sous ce costume et dans cette condition le frère Joseph, chirurgien du couvent du Mont-Cassin. Et reconnût-elle le frère Joseph, chirurgien du Mont-Cassin, qu'elle serait à cent lieues de se douter de ce qu'il vient faire à Palerme.

–Écoutez-moi donc, alors.

–J'écoute.

–Tandis qu'avec le prince royal, vous irez au palais, et tandis que le roi vous y recevra, moi, avec une permission de la police, je pénétrerai jusqu'auprès de la prisonnière. Je vais lui faire part d'un projet arrêté aujourd'hui entre le duc, la duchesse de Calabre et moi. Si notre projet réussit, et je vous dirai ce soir quel est ce projet, vous n'avez plus rien à faire: la malheureuse est sauvée et l'exil remplace pour elle la peine capitale. Or, l'exil pour elle, c'est le bonheur: que Dieu lui donne donc l'exil! Si notre projet échoue, elle n'aura plus, je vous le déclare, d'espoir qu'en vous. Ce moment venu, vous me direz ce que vous désirez de moi. Coopération active ou simples prières, vous avez le droit de tout exiger. J'ai déjà fait le sacrifice de mon bonheur au sien: je suis prêt à faire le sacrifice de ma vie à la sienne.

–Oh! oui, nous savons cela: vous êtes l'ange du dévouement.

–Je fais ce que je dois, et c'est dans cette ville même que j'ai pris l'engagement que je remplis aujourd'hui. Maintenant, vous sortirez du palais à la même heure à peu près où je sortirai de la prison; le premier libre attendra l'autre à la place des Quatre-Cantons.

–C'est convenu.

–Alors, venez.

–Un ordre à donner, et je suis à vous.

On comprend le sentiment de délicatesse qui avait éloigné Salvato au moment où le chevalier était monté; mais son père, jugeant de quelles angoisses il devait être agité, voulait, en s'éloignant de la goëlette, lui dire ce qu'il ne savait que très-superficiellement, c'est-à-dire les conditions dans lesquelles les choses se trouvaient.

Donc, tout était pour le mieux: Luisa était prisonnière mais vivante, et le chevalier San-Felice, le duc et la duchesse de Calabre conspiraient pour elle.

Il était impossible qu'avec de pareilles protections, on ne parvint pas à la sauver.

D'ailleurs, si l'on échouait, il serait là, lui, pour tenter, avec son père, quelque coup désespéré dans le genre de celui qui l'avait sauvé lui-même.

Joseph Palmieri remonta: le chevalier l'attendait dans le canot qui l'avait amené. Le faux capitaine donna, en effet, très-haut quelques ordres en américain, et prit place près du chevalier.

Nous avons vu comment les choses s'étaient passées au palais, et quelles nouvelles apportait le propriétaire de la goëlette; il nous reste à voir maintenant ce qui, pendant ce temps-là, s'était passé dans la prison, et quel était le projet qui avait été arrêté entre le chevalier et ses deux puissants protecteurs, le duc et la duchesse de Calabre.

À dix heures précises, le chevalier frappait à la porte de la forteresse.

Ce mot de forteresse indique que la prison dans laquelle était renfermée la malheureuse Luisa était plus qu'une prison ordinaire: c'était un donjon d'État.

Ce fut donc au gouverneur que le chevalier fut conduit.

En général, les militaires sont exempts de ces petites passions qui, dans les prisons civiles, se mettent au service des haines de la puissance. Le colonel qui remplissait la charge de gouverneur reçut et salua poliment le chevalier, prit connaissance de l'autorisation qu'il avait de communiquer avec la prisonnière, fit appeler le geôlier en chef et lui ordonna de conduire le chevalier à la chambre de la personne qu'il avait la permission de visiter.

Puis, remarquant que la permission avait été délivrée sur la demande du prince et reconnaissant San-Felice pour être un des familiers du palais:

–Je prie Votre Excellence, dit-il en prenant congé du chevalier, de mettre mes respects et mes hommages aux pieds de Son Altesse royale.

Le chevalier, touché de rencontrer cette courtoisie là où il craignait de se heurter à quelque brutalité, promit non-seulement de s'acquitter de la commission, mais encore de dire à Son Altesse royale combien le gouverneur avait eu d'égards à sa recommandation.

De son côté, le geôlier en chef, voyant la courtoisie avec laquelle le gouverneur parlait au chevalier, jugea que le chevalier était un très-grand personnage, et se hâta de le conduire avec toute sorte de saluts à la chambre de Luisa, située au second étage d'une des tours.

Au fur et à mesure qu'il montait, le chevalier sentait sa poitrine s'oppresser. Comme nous l'avons dit, il n'avait pas revu Luisa depuis la séance du tribunal, et ce n'était point sans une profonde émotion qu'il allait se trouver en face d'elle. Aussi, en arrivant à la porte de la chambre, et, au moment où le geôlier allait mettre la clef dans la serrure, il lui posa la main sur l'épaule en murmurant:

–Par grâce, mon ami, un instant!

Le geôlier s'arrêta. Le chevalier s'appuya contre la muraille, les jambes lui manquaient.

Mais les sens des prisonniers acquièrent, dans le silence, dans la solitude et dans la nuit, une acuité toute particulière. Luisa avait entendu des pas dans l'escalier, et avait reconnu que ces pas s'arrêtaient à sa porte.

Or, ce n'était pas l'heure, à laquelle on avait l'habitude d'entrer dans sa prison. Inquiète, elle était descendue de son lit, où elle s'était jetée tout habillée; l'oreille tendue, les bras allongés, elle s'était rapprochée de la porte dans l'espoir de saisir quelque bruit qui lui permît de deviner dans quel but on venait la visiter au tiers de la nuit.

Elle savait que, jusqu'à l'heure de son accouchement, sa vie était sauvegardée par l'ange protecteur qu'elle portait dans son sein; mais elle comptait les jours avec terreur; elle allait accomplir son septième mois.

Pendant que le chevalier, appuyé à la muraille extérieure, et la main sur sa poitrine, tâchait de calmer les battements de son coeur, elle, de l'autre côté de la porte, écoutait donc, haletante et pleine d'angoisses.

Le chevalier comprit qu'il ne pouvait rester ainsi éternellement. Il fit un appel à ses forces, et, d'une voix assez ferme:

–Ouvrez maintenant, mon ami, dit-il au geôlier.

Ces paroles étaient à peine prononcées qu'il lui sembla, de l'autre côté de la porte, entendre un faible cri: mais ce cri, si c'en était un, fut immédiatement étouffé par le grincement de la clef dans la serrure.

La porte s'ouvrit; le chevalier s'arrêta sur le seuil.

A deux pas, dans l'intérieur de la chambre, baignée tout entière par un rayon de la lune qui passait à travers la fenêtre grillée, mais sans vitres, Luisa était agenouillée, blanche, les cheveux épars, les mains allongées sur ses genoux et pareille à la Madeleine de Canova.

Elle avait, à travers la porte, reconnu la voix de son mari, et elle l'attendait dans l'attitude où la femme adultère attendait le Christ.

Le chevalier, à son tour, poussa un cri, la souleva entre ses bras, et, à demi évanouie, l'emporta sur son lit.

Le geôlier referma la porte en disant:

–Quand Votre Excellence entendra sonner onze heures…

–C'est bien, lui répondit San-Felice ne lui donnant pas le temps d'achever sa phrase.

La chambre demeura sans autre lumière que le rayon de lune qui, suivant le mouvement de la nocturne planète, se rapprochait lentement des deux époux. Nous eussions dû dire: de ce père et de cette fille. Rien n'était plus paternel, en effet, que ce baiser dont Luciano couvrait le front pâle de Luisa; rien n'était plus filial que cette étreinte dont les bras tremblants de Luisa serraient Luciano.

Ni l'un ni l'autre ne disaient une parole: on entendait seulement des sanglots étouffés.

Le chevalier comprenait que la honte n'était pas la seule cause des sanglots de Luisa. Elle n'avait pas revu Salvato, elle avait entendu prononcer sa condamnation, elle ne savait pas ce qu'il était devenu.

Elle n'osait faire une question, et, par un sentiment d'exquise délicatesse, le chevalier n'osait répondre à sa pensée.

En ce moment, les angoisses de la mère se traduisaient par un mouvement si violent de l'enfant, que Luisa poussa un cri.

Le chevalier l'avait senti, et un frisson avait passé par tous ses membres; mais, de sa voix douce:

–Tranquillise-toi, innocente créature, dit-il: ton père vit, il est libre et ne court aucun danger.

–Oh! Luciano! Luciano! s'écria Luisa en se laissant glisser aux pieds de San-Felice.

–Mais, continua vivement le chevalier, je suis venu pour autre chose: je suis venu pour parler de toi, avec toi, mon enfant chéri.

–De moi?

–Oui, nous voulons te sauver, ma fille bien-aimée.

Luisa secoua la tête en signe qu'elle croyait la chose impossible.

–Je le sais, répondit San-Felice répondant à sa pensée, le roi t'a condamnée; mais nous avons un moyen d'obtenir ta grâce.

–Ma grâce! un moyen! répéta Luisa; vous connaissez un moyen d'obtenir ma grâce?

Et elle secoua la tête une seconde fois.

–Oui, reprit San-Felice, et ce moyen, je vais te le dire. La princesse est grosse.

–Heureuse mère! s'écria Luisa, elle n'attend pas avec terreur le jour où elle embrassera son enfant!