Kitabı oku: «Le chevalier d'Harmental», sayfa 37
Chapitre 47
La voiture s'arrêta à l'endroit indiqué; le cocher vint ouvrir la portière, et le duc descendit et aida Bathilde à descendre, puis, tirant une clef de sa poche, il ouvrit la porte de l'allée de la maison qui faisait l'angle de la rue de Richelieu et de la rue Saint-Honoré, et qui porte aujourd'hui le n° 218.
– Je vous demande pardon mademoiselle, dit le duc en offrant le bras à la jeune fille, de vous conduire par des escaliers si mal éclairés, mais je tiens beaucoup à ne pas être reconnu si par hasard on me rencontrait dans ce quartier-ci. Au reste, nous n'avons pas haut à monter: il ne s'agit que d'atteindre le premier étage.
En effet, après avoir monté une vingtaine de marches, le duc s'arrêta, tira une seconde clef de sa poche, ouvrit la porte du palier avec le même mystère qu'il avait ouvert celle de la rue, et étant entré dans l'antichambre et y avant pris une bougie, il revint l'allumer à la lanterne qui brûlait dans l'escalier.
– Encore une fois, pardon, mademoiselle, dit le duc; mais ici, j'ai l'habitude de me servir moi-même, et vous allez comprendre tout à l'heure pourquoi, dans cet appartement, j'ai pris le parti de me passer de laquais.
Peu importait à Bathilde que le duc de Richelieu eût ou n'eût pas de domestique: elle entra donc dans l'antichambre sans lui répondre, et le duc referma la porte à double tour derrière elle.
– Maintenant, suivez-moi, dit le duc, et il marcha devant la jeune fille, l'éclairant avec la bougie qu'il tenait à la main.
Ils traversèrent ainsi une salle à manger et un salon; enfin, ils entrèrent dans une chambre à coucher, et le duc s'arrêta.
– Mademoiselle, dit Richelieu en posant la bougie sur la cheminée, j'ai votre parole que rien de ce que vous allez voir ne sera jamais révélé?
– Je vous l'ai déjà donnée, monsieur le duc, et je vous la renouvelle. Oh! je serais trop ingrate si j'y manquais.
– Eh bien donc, soyez en tiers dans notre secret; c'est celui de l'amour, nous le mettons sous la sauvegarde de l'amour.
Et le duc de Richelieu, faisant glisser un panneau de la boiserie, découvrit une ouverture pratiquée dans la muraille au delà de l'épaisseur de laquelle se trouvait le fond d'une armoire, et il y frappa doucement trois coups. Au bout d'un instant, on entendit tourner la clef dans la serrure; puis on vit briller une lumière entre les planches, puis une douce voix demanda: «Est-ce vous?» puis enfin, sur la réponse affirmative du duc, trois de ces planches se détachèrent doucement, ouvrirent une communication facile d'une chambre à l'autre, et le duc de Richelieu et Bathilde se trouvèrent en face de mademoiselle de Valois, qui jeta un cri en voyant son amant accompagné d'une femme.
– Ne craignez rien, chère Aglaé, dit le duc en passant de la chambre où il était dans la chambre voisine, et en saisissant la main de mademoiselle de Valois, tandis que Bathilde demeurait immobile à sa place n'osant faire un pas de plus avant que sa présence fût expliquée. Vous me remercierez vous même tout à l'heure d'avoir trahi le secret de notre bienheureuse armoire.
– Mais, monsieur le duc, m'expliquerez-vous…? demanda mademoiselle de Valois, en faisant une pause après ces paroles interrogatives et en regardant toujours Bathilde avec inquiétude.
– À l'instant même, ma belle princesse. Vous m'avez quelquefois entendu parler du chevalier d'Harmental, n'est-ce pas?
– Avant-hier encore, duc, vous me disiez qu'il n'aurait qu'un mot à prononcer pour sauver sa vie en vous compromettant tous, mais que ce mot, il ne le dirait pas.
– Eh bien! il ne l'a pas dit, et il est condamné à mort: on l'exécute demain. Cette jeune fille l'aime; et sa grâce dépend du régent. Comprenez-vous maintenant?
– Oh! oui, oui, dit mademoiselle de Valois.
– Venez, mademoiselle, dit le duc de Richelieu à Bathilde, en l'attirant par la main; puis se retournant vers la princesse: – Elle ne savait comment arriver jusqu'à votre père, ma chère Aglaé; elle s'est adressée à moi, juste au moment où je venais de recevoir votre lettre. J'avais à vous remercier du bon avis que vous me donniez, et, comme je connais votre cœur, j'ai pensé que le remerciement auquel vous seriez le plus sensible serait de vous offrir l'occasion de sauver la vie à un homme au silence duquel vous devez probablement la mienne.
– Et vous avez eu raison, mon cher duc. Soyez la bienvenue, mademoiselle. Maintenant, que désirez-vous? que puis-je faire pour vous?
– Je désire voir monseigneur le régent, dit Bathilde et Votre Altesse peut me conduire près de lui.
– M'attendrez-vous, duc, demanda mademoiselle de Valois avec inquiétude.
– Pouvez-vous en douter?
– Alors, rentrez dans l'armoire aux confitures, de peur que quelqu'un en entrant ici, ne vous surprenne. Je conduis mademoiselle près de mon père, et je reviens.
– Je vous attends, dit le duc, en suivant les instructions que lui donnait la princesse et en rentrant dans l'armoire.
Mademoiselle de Valois échangea quelques paroles à voix basse avec son amant, referma l'armoire, mit la clef dans sa poche, et tendant la main à Bathilde:
– Mademoiselle, dit-elle, toutes les femmes qui aiment sont sœurs.
Armand et vous avez bien fait de compter sur moi. Venez.
Bathilde baisa la main que lui tendait mademoiselle de Valois, et la suivit.
Les deux femmes traversèrent tous les appartements qui font face à la place du Palais-Royal, et, tournant à gauche, s'engagèrent dans ceux qui longent la rue de Valois. C'était dans cette partie que se trouvait la chambre à coucher du régent.
– Nous sommes arrivées, dit mademoiselle de Valois en s'arrêtant devant une porte, et en regardant Bathilde, qui à cette nouvelle chancela et pâlit; car toute cette force morale qui l'avait soutenue depuis trois ou quatre heures était prête à disparaître juste au moment où elle allait en avoir le plus de besoin.
– Ô mon Dieu! mon Dieu! je n'oserai jamais! s'écria Bathilde.
– Voyons, mademoiselle, du courage, mon père est bon; entrez, tombez à ses pieds: Dieu et son cœur feront le reste.
À ces mots, voyant que la jeune fille hésitait encore, elle ouvrit la porte, poussa Bathilde dans la chambre, et referma la porte derrière elle. Elle courut ensuite de son pas le plus léger rejoindre le duc de Richelieu, laissant la jeune fille plaider sa cause, tête-à-tête avec le régent.
À cette action imprévue, Bathilde poussa un léger cri et le régent, qui se promenait de long en large, la tête inclinée, la releva et se retourna.
Bathilde, incapable de faire un pas de plus, tomba sur ses deux genoux, tira sa lettre de sa poitrine et l'étendit vers le régent.
Le régent avait la vue mauvaise, il ne comprit pas bien ce qui se passait et, s'avança vers cette femme qui lui apparaissait dans l'ombre comme une forme blanche et indécise. Bientôt, dans cette forme inconnue d'abord, il reconnut une femme, et dans cette femme une jeune fille belle et suppliante. Quant à la pauvre enfant, elle voulait en vain articuler une prière; la voix lui manquait complètement, et bientôt, la force lui manquant comme la voix, elle se renversa en arrière, et serait tombée sur le tapis si le régent ne l'eut retenue dans ses bras.
– Mon Dieu, mademoiselle, dit le régent, chez lequel les signes d'une douleur profonde produisaient leur effet ordinaire; mon Dieu! qu'avez-vous donc, et que puis-je faire pour vous? Venez, venez sur ce fauteuil, je vous en prie!
– Non, monseigneur, non, murmura Bathilde, non c'est à vos pieds que je dois être, car je viens vous demander une grâce.
– Une grâce? Et laquelle?
– Voyez d'abord qui je suis, monseigneur, dit Bathilde et ensuite peut-être oserai-je parler. Et elle tendit la lettre, sur laquelle reposait son seul espoir, au duc d'Orléans.
Le régent prit la lettre, regardant tour à tour le papier et la jeune fille, et, s'approchant d'une bougie qui brûlait sur la cheminée, reconnut sa propre écriture, reporta de nouveau ses yeux sur la jeune fille, et lut ce qui suit:
«Madame, votre mari est mort pour la France et pour moi; ni la France ni moi ne pouvons vous rendre votre mari; mais souvenez-vous que si jamais vous aviez besoin de quelque chose, nous sommes tous les deux vos débiteurs.
Votre affectionné,
Philippe d'Orléans.»
– Je reconnais parfaitement cette lettre pour être de moi, mademoiselle, dit le régent; mais, à la honte de ma mémoire, je vous en demande pardon, je ne me rappelle plus à qui elle a été écrite.
– Voyez l'adresse, monseigneur, dit Bathilde un peu rassurée par l'expression de parfaite bienveillance peinte sur le visage du duc.
– Clarice du Rocher!.. s'écria le régent. Oui en effet, je me rappelle maintenant. J'ai écrit cette lettre d'Espagne, après la mort d'Albert, qui a été tué à la bataille d'Almanza; j'ai écrit cette lettre à sa veuve. Comment cette lettre se trouve-t-elle entre vos mains, mademoiselle?
– Hélas! monseigneur, je suis la fille d'Albert et de Clarice.
– Vous, mademoiselle! s'écria le régent, vous! Et qu'est devenue votre mère?
– Elle est morte, monseigneur.
– Depuis longtemps?
– Depuis près de quatorze ans.
– Mais heureuse, sans doute, et sans avoir besoin de rien?
– Au désespoir, monseigneur, et manquant de tout.
– Mais comment ne s'est-elle pas adressée à moi?
– Votre Altesse était encore en Espagne.
– Ô mon Dieu! que me dites-vous là! Continuez, mademoiselle, car vous ne pouvez vous imaginer combien ce que vous me dites m'intéresse. Pauvre Clarice, pauvre Albert! Ils s'aimaient tant, je me le rappelle! Elle n'aura pu lui survivre. Savez-vous que votre père m'avait sauvé la vie à Nerwinde, mademoiselle, savez-vous cela?
– Oui, monseigneur, je le savais, et voilà ce qui m'a donné le courage de me présenter devant vous.
– Mais vous, pauvre enfant, vous, pauvre orpheline, qu'êtes-vous devenue alors?
– Moi, monseigneur, j'ai été recueillie par un ami de notre famille, par un pauvre écrivain nommé Jean Buvat.
– Jean Buvat! s'écria le régent; mais attendez donc! je connais ce nom-là, moi. Jean Buvat! mais c'est ce pauvre diable de copiste qui a découvert toute la conspiration et qui m'a fait il y a quelques jours ses réclamations en personne… Une place à la Bibliothèque, n'est-ce pas? un arriéré dû?
– C'est cela même, monseigneur.
– Mademoiselle, reprit le régent, il paraît que tout ce qui vous entoure est destiné à me sauver. Me voilà deux fois votre débiteur. Vous m'avez dit que vous aviez une grâce à me demander; parlez donc hardiment, je vous écoute.
– Ô mon Dieu! dit Bathilde, donnez-moi la force!
– C'est donc une chose bien importante et bien difficile que celle que vous souhaitez!
– Monseigneur, dit Bathilde, c'est la vie d'un homme qui a mérité la mort.
– S'agirait-il du chevalier d'Harmental? demanda le régent.
– Hélas! monseigneur, c'est Votre Altesse qui l'a dit.
Le front du régent devint pensif, tandis que Bathilde, en voyant l'impression produite par cette demande, sentait son cœur se serrer et ses genoux fléchir.
– Est-il votre parent? votre allié? votre ami?
– Il est ma vie! il est mon âme! monseigneur; je l'aime!
– Mais savez-vous, si je fais grâce à lui, qu'il faut que je fasse grâce à tout le monde, et qu'il y a dans tout cela de plus grands coupables encore que lui?
– Grâce de la vie seulement, monseigneur! Qu'il ne meure pas, c'est tout ce que je vous demande.
– Mais si je commue sa peine en une prison perpétuelle, vous ne le verrez plus.
Bathilde se sentit prête à mourir et, étendant la main, se soutint au dossier d'un fauteuil.
– Que deviendrez-vous alors? continua le régent.
– Moi, dit Bathilde, j'entrerai dans un couvent, où je prierai pendant le reste de ma vie pour vous, monseigneur, et pour lui.
– Cela ne se peut pas, dit le régent.
– Pourquoi donc, monseigneur?
– Parce qu'aujourd'hui même, il y a une heure, on m'a demandé votre main, et que je l'ai promise.
– Ma main, monseigneur? vous avez promis ma main? et à qui donc, mon Dieu!
– Lisez, dit le régent en prenant une lettre sur son bureau et en la présentant tout ouverte à la jeune fille.
– Raoul! s'écria Bathilde; l'écriture de Raoul! Ô mon Dieu! Qu'est-ce que cela veut dire?
– Lisez, reprit le régent.
Et Bathilde, d'une voix altérée, lut la lettre suivante:
«Monseigneur,
J'ai mérité la mort, je le sais, et ne viens point vous demander la vie. Je suis prêt à mourir au jour fixé, à l'heure dite; mais il dépend de Votre Altesse de me rendre cette mort plus douce, et je viens la supplier à genoux de m'accorder cette faveur.
J'aime une jeune fille que j'eusse épousée si j'eusse vécu. Permettez qu'elle soit ma femme quand je vais mourir. Au moment où je la quitte pour toujours, où je la laisse seule et isolée au milieu du monde, que j'aie au moins la consolation de lui laisser pour sauvegarde mon nom et ma fortune.
En sortant de l'église, monseigneur, je marcherai à l'échafaud.
C'est mon dernier vœu, c'est mon seul désir; ne refusez pas la prière d'un mourant.
Raoul d'Harmental.»
– Oh! monseigneur, monseigneur, dit Bathilde en éclatant en sanglots, vous voyez, tandis que je pensais à lui, il pensait à moi! N'ai-je pas raison de l'aimer quand il m'aime tant!
– Oui, dit le régent, et je lui accorde sa demande: elle est juste. Puisse cette grâce, comme il le dit, adoucir ses derniers moments!
– Monseigneur, monseigneur, s'écria la jeune fille, est-ce tout ce que vous lui accordez?
– Vous voyez, dit le Régent, que lui-même se rend justice et ne demande pas autre chose.
– Oh! c'est bien cruel! c'est bien affreux! Le revoir pour le perdre à l'instant même. Monseigneur, monseigneur, sa vie! je vous en supplie, et que je ne le revoie jamais! J'aime mieux cela.
– Mademoiselle, dit le régent d'un ton qui ne permettait pas de réplique, et en écrivant quelques lignes sur un papier qu'il cacheta de son sceau, voici une lettre pour monsieur de Launay, le gouverneur de la Bastille, elle contient mes instructions à l'égard du condamné. Mon capitaine des gardes va monter en voiture avec vous et veillera de ma part à ce que ces instructions soient suivies.
– Oh! sa vie, monseigneur, sa vie! au nom du ciel, je vous en supplie à genoux!
Le régent, sonna; un valet de chambre ouvrit la porte.
– Appelez monsieur le marquis de Lafare, dit le régent.
– Oh! monseigneur, vous êtes bien cruel! dit Bathilde en se relevant. Alors, permettez-moi donc de mourir avec lui. Du moins nous ne serons pas séparés, même sur l'échafaud. Du moins nous ne nous quitterons pas, même dans la tombe!
– Monsieur de Lafare, dit le régent, accompagnez mademoiselle à la Bastille. Voici une lettre pour monsieur de Launay; vous en prendrez connaissance avec lui, et vous veillerez à ce que les ordres qu'elle renferme soient exécutés de point en point.
Puis, sans écouter le dernier cri de désespoir de Bathilde, le duc d'Orléans ouvrit la porte d'un cabinet et disparut.
Chapitre 48
Lafare entraîna la jeune fille presque mourante et la fit monter dans une des voitures tout attelées qui attendaient toujours dans la cour du Palais-Royal. Cette voiture partit aussitôt au galop, prenant par la rue de Cléry et par les boulevards le chemin de la Bastille.
Pendant toute la route, Bathilde ne dit pas un mot. Elle était muette, froide et inanimée comme une statue. Ses yeux étaient fixes et sans larmes. Seulement, en arrivant en face de la forteresse elle tressaillit; il lui semblait avoir vu s'élever dans l'ombre, à la place même où avait été exécuté le chevalier de Rohan, quelque chose comme un échafaud. Un peu plus loin la sentinelle cria: Qui vive! Puis on entendit la voiture rouler sur le pont-levis. Les herses se levèrent, la porte s'ouvrit, et le carrosse s'arrêta à la porte de l'escalier qui conduisait chez le gouverneur.
Un valet de pied sans livrée vint ouvrir la portière et Lafare aida Bathilde à descendre. À peine si elle pouvait se soutenir; toute sa force morale s'était évanouie du moment où l'espoir l'avait quittée. Lafare et le valet de pied furent presque obligés de la porter au premier étage. Monsieur de Launay soupait. On fit entrer Bathilde dans un salon, tandis qu'on introduisait immédiatement Lafare près du gouverneur.
Dix minutes à peu près s'écoulèrent pendant lesquelles Bathilde demeura anéantie sur le fauteuil où elle s'était laissée tomber en entrant. La pauvre enfant n'avait qu'une idée, c'était celle de cette séparation éternelle qui l'attendait; la pauvre enfant ne voyait qu'une chose, c'était son amant montant sur l'échafaud.
Au bout de dix minutes, Lafare rentra avec le gouverneur. Bathilde leva machinalement la tête et les regarda d'un œil égaré. Lafare alors s'approcha d'elle, et lui offrant le bras:
– Mademoiselle, dit-il, l'église est préparée, et le prêtre vous y attend.
Bathilde, sans répondre, se leva pâle et glacée; puis comme elle sentit que les jambes lui manquaient, elle s'appuya sur le bras qui lui était offert. Monsieur de Launay marchait le premier, éclairé par deux hommes qui portaient des torches.
Au moment où Bathilde entrait par une des portes latérales, elle aperçut, entrant par l'autre porte, le chevalier d'Harmental, accompagné de son côté par Valef et par Pompadour. C'étaient les témoins de l'époux, comme monsieur de Launay et Lafare étaient les témoins de l'épouse. Chaque porte était gardée par deux gardes françaises, l'arme au bras et immobiles comme des statues.
Les deux amants s'avancèrent au-devant l'un de l'autre, Bathilde pâle et mourante, Raoul calme et souriant. Arrivés en face de l'autel, le chevalier prit la main de la jeune fille et la conduisit aux deux sièges qui étaient préparés; et là tous deux tombèrent à genoux sans s'être dit une seule parole.
L'autel était éclairé par quatre cierges seulement, qui jetaient dans cette chapelle, déjà naturellement sombre et si peuplée encore de sombres souvenirs, une lueur funèbre qui donnait à la cérémonie quelque chose d'un office mortuaire. Le prêtre commença la messe. C'était un beau vieillard à cheveux blancs, dont la figure mélancolique indiquait que ses fonctions journalières laissaient de profondes traces dans son âme. En effet, il était chapelain de la Bastille depuis vingt-cinq ans, et depuis vingt-cinq ans il avait entendu de bien tristes confessions et vu de bien lamentables spectacles.
Au moment de bénir les époux, il leur adressa quelques paroles selon l'habitude consacrée; mais, au lieu de parler à l'époux de ses devoirs de mari, à l'épouse de ses devoirs de mère; au lieu d'ouvrir devant eux l'avenir de la vie, il leur parla de la paix du ciel, de la miséricorde divine et de la résurrection éternelle. Bathilde se sentait suffoquer. Raoul vit qu'elle allait éclater en sanglots, il lui prit la main et la regarda avec une si triste et si profonde résignation, que la pauvre enfant fit un dernier effort, étouffant ses larmes, qu'elle sentait retomber une à une sur son cœur. Au moment de la bénédiction, elle pencha sa tête sur l'épaule de Raoul. Le prêtre crut qu'elle s'évanouissait, et s'arrêta.
– Achevez, achevez, mon père, murmura Bathilde.
Et le prêtre prononça les paroles sacramentelles, auxquelles tous deux répondirent par un oui dans lequel semblaient s'être réunies toutes les forces de leur âme.
La cérémonie terminée, d'Harmental demanda à M. de Launay s'il lui était permis de demeurer avec sa femme pendant le peu d'heures qu'il lui restait à vivre; M. de Launay répondit qu'il n'y voyait pas d'inconvénient, et qu'on allait le reconduire à sa chambre. Alors Raoul embrassa Valef et Pompadour, les remercia d'avoir bien voulu servir de témoins à son funèbre mariage, serra la main à Lafare, rendit grâces à monsieur de Launay des bontés qu'il avait eues pour lui pendant son séjour à la Bastille, et jetant son bras autour de la taille de Bathilde qui, à chaque instant, menaçait de tomber de toute sa hauteur sur les dalles de l'église, l'entraîna vers la porte par laquelle il était entré. Là ils retrouvèrent les deux hommes armés de torches, qui les précédèrent et les conduisirent jusqu'à la porte de la chambre de d'Harmental. Un guichetier attendait, qui ouvrit cette porte.
Raoul et Bathilde entrèrent, puis la porte se referma, et les deux époux se trouvèrent seuls.
Alors Bathilde, qui jusque-là avait contenu ses larmes, ne put résister plus longtemps à sa douleur, un cri déchirant s'échappa de sa poitrine, et elle tomba, en se tordant les bras et en éclatant en sanglots, sur un fauteuil où sans doute, pendant ses trois semaines de captivité, d'Harmental avait bien souvent pensé à elle. Raoul se jeta à ses genoux et voulut la consoler, mais lui-même était trop ému de cette douleur si profonde pour trouver autre chose que des larmes à mêler aux larmes de Bathilde. Ce cœur de fer se fondit à son tour, et Bathilde sentit à la fois sur ses lèvres les pleurs et les baisers de son amant.
Ils étaient depuis une demi-heure à peine ensemble qu'ils entendirent des pas qui s'approchaient de la porte, et qu'une clef tourna dans la serrure. Bathilde tressaillit et serra convulsivement d'Harmental contre son cœur. Raoul comprit quelle crainte affreuse venait de lui traverser l'esprit et la rassura. Ce ne pouvait être encore celui qu'elle craignait de voir, puisque l'exécution était fixée pour huit heures du matin, et que onze heures venaient de sonner. En effet, ce fut monsieur de Launay qui parut.
– Monsieur le chevalier, dit le gouverneur, ayez la bonté de me suivre.
– Seul? demanda d'Harmental en serrant à son tour Bathilde entre ses bras.
– Non, avec madame, reprit le gouverneur.
– Oh! ensemble, ensemble! entends-tu Raoul? s'écria Bathilde. Oh! où l'on voudra, pourvu que ce soit ensemble! Nous voici, monsieur, nous voici!
Raoul serra une dernière fois Bathilde dans ses bras, lui donna un dernier baiser au front, et, rappelant tout son orgueil, il suivit monsieur de Launay avec un visage sur lequel il ne restait plus la moindre trace de l'émotion terrible qu'il venait d'éprouver.
Tous trois suivirent pendant quelque temps des corridors éclairés seulement par quelques lanternes rares, puis ils descendirent un escalier en spirale et se trouvèrent à la porte d'une tour. Cette porte donnait sur un préau entouré de hautes murailles et qui servait de promenade aux prisonniers qui n'étaient point au secret. Dans cette cour était une voiture attelée de deux chevaux, sur l'un desquels était un postillon, et l'on voyait reluire dans l'ombre les cuirasses d'une douzaine de mousquetaires.
Une même lueur d'espoir traversa en même temps le cœur des deux amants. Bathilde avait demandé au régent de commuer la mort de Raoul en une prison perpétuelle. Peut-être le régent lui avait-il accordé cette grâce. Cette voiture tout attelée pour conduire sans doute le condamné dans quelque prison d'État, ce peloton de mousquetaires destinés sans doute à les escorter, tout cela donnait à cette supposition un caractère de réalité. Tous deux se regardèrent en même temps, et en même temps levèrent les yeux au ciel pour remercier Dieu du bonheur inespéré qu'il leur accordait. Pendant ce temps, monsieur de Launay avait fait signe à la voiture de s'approcher, le postillon avait obéi, la portière s'était ouverte et le gouverneur, la tête découverte, tendait la main à Bathilde pour l'aider à monter, Bathilde hésita un instant, se retournant avec inquiétude pour voir si l'on n'entraînait pas Raoul d'un autre côté mais elle vit que Raoul s'apprêtait à la suivre, et elle monta sans résistance. Un instant après, Raoul était près d'elle. Aussitôt la portière se referma sur eux; la voiture s'ébranla, l'escorte piétina aux portières. On passa sous le guichet puis sur le pont-levis, et enfin on se retrouva hors de la Bastille.
Les deux époux se jetèrent dans les bras l'un de l'autre; il n'y avait plus de doute, le régent faisait à d'Harmental grâce de la vie, et de plus, c'était évident, il consentait à ne point le séparer de Bathilde. Or, c'était ce que Bathilde et d'Harmental n'eussent jamais osé rêver. Cette vie de réclusion, supplice pour tout autre, était pour eux une existence de délices, un paradis d'amour: ils se verraient sans cesse, et ne se quitteraient jamais! Qu'auraient-ils pu désirer de plus, même lorsque, maîtres de leur sort, ils rêvaient un même avenir? Une seule idée triste traversa en même temps leur esprit, et tous deux, avec cette spontanéité du cœur qui ne se rencontre que dans les gens qui s'aiment, prononcèrent le nom de Buvat.
En ce moment, la voiture s'arrêta. Dans une semblable circonstance tout était pour les pauvres amants un sujet de crainte. Tous deux tremblèrent d'avoir trop espéré et tressaillirent de terreur. Presque aussitôt la portière s'ouvrit: c'était le postillon.
– Que veux-tu? lui demanda d'Harmental.
– Dame! notre maître, dit le postillon, je voudrais savoir où il faudrait vous conduire, moi.
– Comment! où il faut me conduire! s'écria d'Harmental. N'as-tu pas d'ordres?
– J'ai l'ordre de vous mener dans le bois de Vincennes entre le château et Nogent-sur-Marne, et nous y voilà!
– Et notre escorte? demanda le chevalier, qu'est-elle devenue?
– Votre escorte? elle nous a laissés à la barrière.
– Ô mon Dieu, mon Dieu! s'écria d'Harmental, tandis que Bathilde, haletante d'espoir, joignait les mains en silence; ô mon Dieu! est-ce possible?
Et le chevalier sauta en bas de la voiture, regarda avidement autour de lui, tendit les bras à Bathilde qui s'élança à son tour; puis tous deux jetèrent ensemble un cri de joie et de reconnaissance.
Ils étaient libres comme l'air qu'ils respiraient!
Seulement le régent avait donné l'ordre de conduire le chevalier juste à l'endroit où ce dernier avait enlevé Bourguignon, croyant l'enlever lui même.
C'était la seule vengeance que se fût réservée Philippe le Débonnaire.
Quatre ans après cet événement, Buvat, réintégré dans sa place et payé de son arriéré, avait la satisfaction de mettre la plume à la main d'un beau garçon de trois ans. C'était le fils de Raoul et de Bathilde.
Les deux premiers noms qu'écrivit l'enfant furent ceux d'Albert du Rocher et de Clarice Gray.
Le troisième fut celui de Philippe d'Orléans, régent de France.