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Kitabı oku: «Le Chevalier de Maison-Rouge», sayfa 26

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XLVIII
La charrette

Aussitôt après qu'il eut obtenu cette permission du curé de Saint-Landry, Maison-Rouge s'élança dans un cabinet entr'ouvert qu'il avait reconnu pour le cabinet de toilette de l'abbé.

Là, en un tour de main, sa barbe et ses moustaches tombèrent sous le rasoir, et ce fut alors seulement que lui-même put voir sa pâleur; elle était effrayante.

Il rentra calme en apparence; il semblait, d'ailleurs, avoir complètement oublié que, malgré la chute de sa barbe et de ses moustaches, il pouvait être reconnu à la Conciergerie.

Il suivit l'abbé, que pendant sa retraite d'un instant deux fonctionnaires étaient venus chercher, et, avec cette audace qui éloigne tout soupçon, avec ce gonflement de la fièvre qui défigure, il entra par la grille donnant à cette époque dans la cour du Palais.

Il était, comme l'abbé Girard, vêtu d'un habit noir, les habits sacerdotaux étant abolis.

Dans le greffe, ils trouvèrent plus de cinquante personnes, soit employés à la prison, soit députés, soit commissaires, se préparant à voir passer la reine, soit en mandataires, soit en curieux.

Son cœur battit si violemment, quand il se trouva en face du guichet, qu'il n'entendit plus les pourparlers de l'abbé avec les gendarmes et le concierge.

Seulement un homme qui tenait à la main des ciseaux et un morceau d'étoffe fraîchement coupé heurta Maison-Rouge sur le seuil.

Maison-Rouge se retourna et reconnut l'exécuteur.

– Que veux-tu, citoyen? demanda Sanson.

Le chevalier essaya de réprimer le frisson qui malgré lui courait dans ses veines.

– Moi? dit-il. Tu le vois bien, citoyen Sanson, j'accompagne le curé de Saint-Landry.

– Ah! bien, répliqua l'exécuteur. Et il se rangea de côté, donnant des ordres à son aide. Pendant ce temps, Maison-Rouge pénétra dans l'intérieur du greffe; puis, du greffe, il passa dans le compartiment où se tenaient les deux gendarmes.

Ces braves gens étaient consternés; aussi digne et fière qu'elle avait été avec les autres, aussi bonne et douce la condamnée avait été avec eux: ils semblaient plutôt ses serviteurs que ses gardiens.

Mais, d'où il était, le chevalier ne pouvait apercevoir la reine: le paravent était fermé. Le paravent s'était ouvert pour donner passage au curé, mais il s'était refermé derrière lui. Lorsque le chevalier entra, la conversation était déjà engagée.

– Monsieur, disait la reine de sa voix stridente et fière, puisque vous avez fait serment à la République, au nom de qui on me met à mort, je ne saurais avoir confiance en vous. Nous n'adorons plus le même Dieu!

– Madame, répondit Girard fort ému de cette dédaigneuse profession de foi, une chrétienne qui va mourir doit mourir sans haine dans le cœur, et elle ne doit pas repousser son Dieu, sous quelque forme qu'il se présente à elle.

Maison-Rouge fit un pas pour entr'ouvrir le paravent, espérant que lorsqu'elle l'apercevrait, que lorsqu'elle saurait la cause qui l'amenait, elle changerait d'avis à l'endroit du curé; mais les deux gendarmes firent un mouvement.

– Mais, dit Maison-Rouge, puisque je suis l'acolyte du curé…

– Puisqu'elle refuse le curé, répondit Duchesne, elle n'a pas besoin de son acolyte.

– Mais elle acceptera peut-être, dit le chevalier en haussant la voix; il est impossible qu'elle n'accepte pas.

Mais Marie-Antoinette était trop entièrement au sentiment qui l'agitait pour entendre et reconnaître la voix du chevalier.

– Allez, monsieur, continua-t-elle s'adressant toujours à Girard, allez et laissez-moi: puisque nous vivons à cette heure en France sous un régime de liberté, je réclame celle de mourir à ma fantaisie.

Girard essaya de résister.

– Laissez-moi, monsieur, dit-elle, je vous dis de me laisser. Girard essaya d'ajouter un mot.

– Je le veux, dit la reine avec un geste de Marie-Thérèse. Girard sortit.

Maison-Rouge essaya de plonger son regard dans l'intervalle du paravent, mais la prisonnière tournait le dos.

L'aide de l'exécuteur croisa le curé; il entrait tenant des cordes à la main.

Les deux gendarmes repoussèrent le chevalier jusqu'à la porte, avant que, ébloui, désespéré, étourdi, il eût pu articuler un cri ou faire un mouvement pour accomplir son dessein.

Il se retrouva donc avec Girard dans le corridor du guichet. Du corridor, on les refoula jusqu'au greffe, où la nouvelle du refus de la reine s'était déjà répandue, et où la fierté autrichienne de Marie-Antoinette était pour quelques-uns le texte de grossières invectives, et pour d'autres un sujet de secrète admiration.

– Allez, dit Richard à l'abbé, retournez chez vous, puisqu'elle vous chasse, et qu'elle meure comme elle voudra.

– Tiens, dit la femme Richard, elle a raison, et je ferais comme elle.

– Et vous auriez tort, citoyenne, dit l'abbé.

– Tais-toi, femme, murmura le concierge en faisant les gros yeux; est-ce que cela te regarde? Allez, l'abbé, allez.

– Non, répéta Girard, non, je l'accompagnerai malgré elle; un mot, ne fût-ce qu'un mot, si elle l'entend, lui rappellera ses devoirs; d'ailleurs, la Commune m'a donné une mission… et je dois obéir à la Commune.

– Soit; mais renvoie ton sacristain, alors, dit brutalement l'adjudant-major commandant la force armée.

C'était un ancien acteur de la Comédie-Française nommé Grammont.

Les yeux du chevalier lancèrent un double éclair, et il plongea machinalement sa main dans sa poitrine.

Girard savait que, sous son gilet, il y avait un poignard. Il l'arrêta d'un regard suppliant.

– Épargnez ma vie, dit-il tout bas; vous voyez que tout est perdu pour vous, ne vous perdez pas avec elle; je lui parlerai de vous en route, je vous le jure; je lui dirai ce que vous avez risqué pour la voir une dernière fois.

Ces mots calmèrent l'effervescence du jeune homme; d'ailleurs, la réaction ordinaire s'opérait, toute son organisation subissait un affaissement étrange. Cet homme d'une volonté héroïque, d'une puissance merveilleuse, était arrivé au bout de sa force et de sa volonté; il flottait irrésolu, ou plutôt fatigué, vaincu, dans une espèce de somnolence qu'on eût prise pour l'avant-courrière de la mort.

– Oui, dit-il, ce devait être ainsi: la croix pour Jésus, l'échafaud pour elle; les dieux et les rois boivent jusqu'à la lie le calice que leur présentent les hommes.

Il résulta de cette pensée toute résignée, tout inerte, que le jeune homme se laissa repousser, sans autre défense qu'une espèce de gémissement involontaire, jusqu'à la porte extérieure et sans faire plus de résistance que n'en faisait Ophélia, dévouée à la mort, lorsqu'elle se voyait emportée par les flots.

Au pied des grilles et aux portes de la Conciergerie, se pressait une de ces foules effrayantes comme on ne peut se les figurer sans les avoir vues au moins une fois.

L'impatience dominait toutes les passions, et toutes les passions parlaient haut leur langage, qui, en se confondant, formait une rumeur immense et prolongée, comme si tout le bruit et toute la population de Paris s'étaient concentrés dans le quartier du palais de justice.

Au-devant de cette foule campait une armée tout entière, avec des canons destinés à protéger la fête et à la rendre sûre à ceux qui venaient en jouir.

On eût en vain essayé de percer ce rempart profond, grossi peu à peu, depuis que la condamnation était connue hors de Paris, par les patriotes des faubourgs.

Maison-Rouge, repoussé hors de la Conciergerie, se trouva naturellement au premier rang des soldats.

Les soldats lui demandèrent qui il était.

Il répondit qu'il était le vicaire de l'abbé Girard; mais que, assermenté comme son curé, il avait, comme son curé, été refusé par la reine.

Les soldats le repoussèrent à leur tour jusqu'au premier rang des spectateurs.

Là, force lui fut de répéter ce qu'il avait dit aux soldats.

Alors, ce cri s'éleva:

– Il la quitte… Il l'a vue… Qu'a-t-elle dit?.. Que fait-elle?.. Est-elle fière toujours?.. Est-elle abattue?.. Pleure-t-elle?..

Le chevalier répondit à toutes ces questions d'une voix à la fois faible, douce et affable, comme si cette voix était la dernière manifestation de la vie suspendue à ses lèvres.

Sa réponse était la vérité pure et simple; seulement, cette vérité était un éloge de la fermeté d'Antoinette, et ce qu'il dit avec la simplicité et la foi d'un évangéliste jeta le trouble et le remords dans plus d'un cœur.

Lorsqu'il parla du petit dauphin et de madame Royale, de cette reine sans trône, de cette épouse sans époux, de cette mère sans enfants, de cette femme enfin seule et abandonnée, sans un ami au milieu des bourreaux, plus d'un front, çà et là, se voila de tristesse, plus d'une larme apparut, furtive et brûlante, en des yeux naguère animés de haine.

Onze heures sonnèrent à l'horloge du Palais, toute rumeur cessa à l'instant même. Cent mille personnes comptaient l'heure qui sonnait et à laquelle répondaient les battements de leur cœur.

Puis la vibration de la dernière heure éteinte dans l'espace, il se fit un grand bruit derrière les portes, en même temps qu'une charrette, venant du côté du quai aux Fleurs, fendait la foule du peuple, puis les gardes, et venait se placer au bas des degrés.

Bientôt la reine apparut au haut de l'immense perron. Toutes les passions se concentrèrent dans les yeux; les respirations demeurèrent haletantes et suspendues.

Ses cheveux étaient coupés courts, la plupart avaient blanchi pendant sa captivité, et cette nuance argentée rendait plus délicate encore la pâleur nacrée qui faisait presque céleste, en ce moment suprême, la beauté de la fille des Césars.

Elle était vêtue d'une robe blanche, et ses mains étaient liées derrière son dos.

Lorsqu'elle se montra en haut des marches ayant à sa droite l'abbé Girard, qui l'accompagnait malgré elle, et à sa gauche l'exécuteur, tous deux vêtus de noir, ce fut dans toute cette foule un murmure que Dieu seul, qui lit au fond des cœurs, put comprendre et résumer dans une vérité.

Un homme alors passa entre l'exécuteur et Marie-Antoinette.

C'était Grammont. Il passait ainsi pour lui montrer l'ignoble charrette.

La reine recula malgré elle d'un pas.

– Montez, dit Grammont. Tout le monde entendit ce mot, car l'émotion tenait tout murmure suspendu aux lèvres des spectateurs. Alors on vit le sang monter aux joues de la reine et gagner la racine de ses cheveux; puis presque aussitôt son visage redevint d'une pâleur mortelle. Ses lèvres blêmissantes s'entr'ouvrirent.

– Pourquoi une charrette à moi, dit-elle, quand le roi a été à l'échafaud dans sa voiture?

L'abbé Girard lui dit alors tout bas quelques mots. Sans doute il combattait chez la condamnée ce dernier cri de l'orgueil royal.

La reine se tut et chancela.

Sanson avança les deux bras pour la soutenir: mais elle se redressa avant même qu'il l'eût touchée.

Elle descendit les escaliers, tandis que l'aide affermissait un marchepied de bois derrière la charrette.

La reine y monta, l'abbé monta derrière elle.

Sanson les fit asseoir tous deux.

Lorsque la charrette commença à s'ébranler, il se fit un grand mouvement dans le peuple. Mais, en même temps, comme les soldats ignoraient dans quelle intention était accompli le mouvement, ils réunirent tous leurs efforts pour repousser la foule; il se fit, en conséquence, un grand espace vide entre la charrette et les premiers rangs.

Dans cet espace retentit un hurlement lugubre.

La reine tressaillit et se leva tout debout, regardant autour d'elle.

Elle vit alors son chien, perdu depuis deux mois; son chien, qui n'avait pu pénétrer avec elle dans la Conciergerie, qui, malgré les cris, les coups, les bourrades, s'élançait vers la charrette; mais presque aussitôt le pauvre Black, exténué, maigre, brisé, disparut sous les pieds des chevaux.

La reine le suivit des yeux; elle ne pouvait parler, car sa voix était couverte par le bruit; elle ne pouvait le montrer du doigt, car ses mains étaient liées; d'ailleurs, eût-elle pu le montrer, eût-on pu l'entendre, elle l'eût sans doute demandé inutilement.

Mais, après l'avoir perdu un instant des yeux, elle le revit.

Il était au bras d'un pâle jeune homme qui dominait la foule, debout sur un canon, et qui, grandi par une exaltation indicible, la saluait en lui montrant le ciel.

Marie-Antoinette aussi regarda le ciel et sourit doucement.

Le chevalier de Maison-Rouge poussa un gémissement, comme si ce sourire lui avait fait une blessure au cœur, et, comme la charrette tournait vers le pont au Change, il retomba dans la foule et disparut.

XLIX
L'échafaud

Sur la place de la Révolution, adossés à un réverbère, deux hommes attendaient.

Ce qu'ils attendaient avec la foule, dont une partie s'était portée à la place du Palais, dont une autre partie s'était portée à la place de la Révolution, dont le reste s'était répandu, tumultueuse et pressée, sur tout le chemin qui séparait ces deux places, c'est que la reine arrivât jusqu'à l'instrument du supplice, qui, usé par la pluie et le soleil, usé par la main du bourreau, usé, chose horrible! par le contact des victimes, dominait avec une fierté sinistre toutes ces têtes subjacentes, comme une reine domine son peuple.

Ces deux hommes, aux bras entrelacés, aux lèvres pâles, aux sourcils froncés, parlant bas et par saccades, c'étaient Lorin et Maurice.

Perdus parmi les spectateurs, et cependant de manière à faire envie à tous, ils continuaient à voix basse une conversation qui n'était pas la moins intéressante de toutes ces conversations serpentant dans les groupes qui, pareils à une chaîne électrique, s'agitaient, mer vivante, depuis le pont au Change jusqu'au pont de la Révolution.

L'idée que nous avons exprimée à propos de l'échafaud dominant toutes les têtes les avait frappés tous deux.

– Vois, disait Maurice, comme le monstre hideux lève ses bras rouges; ne dirait-on pas qu'il nous appelle et qu'il sourit par son guichet comme par une bouche effroyable?

– Ah! ma foi, dit Lorin, je ne suis pas, je l'avoue, de cette école de poésie qui voit tout en rouge. Je les vois en rose, moi, et, au pied de cette hideuse machine, je chanterais et j'espérerais encore. Dum spiro, spero.

– Tu espères quand on tue les femmes?

– Ah! Maurice, dit Lorin, fils de la Révolution, ne renie pas ta mère. Ah! Maurice, demeure un bon et loyal patriote. Maurice, celle qui va mourir, ce n'est pas une femme comme toutes les autres femmes; celle qui va mourir, c'est le mauvais génie de la France.

– Oh! ce n'est pas elle que je regrette; ce n'est pas elle que je pleure! s'écria Maurice.

– Oui, je comprends, c'est Geneviève.

– Ah! dit Maurice, vois-tu, il y a une pensée qui me rend fou: c'est que Geneviève est aux mains des pourvoyeurs de guillotine qu'on appelle Hébert et Fouquier-Tinville; aux mains des hommes qui ont envoyé ici la pauvre Héloïse et qui y envoient la fière Marie-Antoinette.

– Eh bien, dit Lorin, voilà justement ce qui fait que j'espère, moi: quand la colère du peuple aura fait ce large repas de deux tyrans, elle sera rassasiée, pour quelque temps du moins, comme le boa qui met trois mois à digérer ce qu'il dévore. Alors elle n'engloutira plus personne, et, comme disent les prophètes du faubourg, alors les plus petits morceaux lui feront peur.

– Lorin, Lorin, dit Maurice, moi, je suis plus positif que toi, et je te le dis tout bas, prêt à te le répéter tout haut: Lorin, je hais la reine nouvelle, celle qui me paraît destinée à succéder à l'Autrichienne qu'elle va détruire. C'est une triste reine que celle dont la pourpre est faite d'un sang quotidien, et qui a Sanson pour premier ministre.

– Bah! nous lui échapperons!

– Je n'en crois rien, dit Maurice en secouant la tête; tu vois que, pour n'être pas arrêtés chez nous, nous n'avons d'autre ressource que de demeurer dans la rue.

– Bah! nous pouvons quitter Paris, rien ne nous en empêche. Ne nous plaignons donc pas. Mon oncle nous attend à Saint-Omer; argent, passeport, rien ne nous manque. Et ce n'est pas un gendarme qui nous arrêterait; qu'en penses-tu? Nous restons parce que nous le voulons bien.

– Non, ce que tu dis là n'est pas juste, excellent ami, cœur dévoué que tu es… Tu restes parce que je veux rester.

– Et tu veux rester pour retrouver Geneviève. Eh bien, quoi de plus simple, de plus juste et de plus naturel? Tu penses qu'elle est en prison, c'est plus que probable. Tu veux veiller sur elle, et, pour cela, il ne faut pas quitter Paris.

Maurice poussa un soupir; il était évident que sa pensée divergeait.

– Te rappelles-tu la mort de Louis XVI? dit-il. Je me vois encore pâle d'émotion et d'orgueil. J'étais un des chefs de cette foule dans les plis de laquelle je me cache aujourd'hui. J'étais plus grand au pied de cet échafaud que ne l'avait jamais été le roi qui montait dessus. Quel changement, Lorin! et lorsqu'on pense que neuf mois ont suffi pour amener cette terrible réaction!

– Neuf mois d'amour, Maurice!.. Amour, tu perdis Troie!

Maurice soupira; sa pensée vagabonde prenait une autre route et envisageait un autre horizon.

– Ce pauvre Maison-Rouge, murmura-t-il, voilà un triste jour pour lui.

– Hélas! dit Lorin, ce que je vois de plus triste dans les révolutions, Maurice, veux-tu que je te le dise?

– Oui.

– C'est que l'on a souvent pour ennemis des gens qu'on voudrait avoir pour amis, et pour amis des gens…

– J'ai peine à croire une chose, interrompit Maurice.

– Laquelle?

– C'est qu'il n'inventera pas quelque projet, fût-il insensé, pour sauver la reine.

– Un homme plus fort que cent mille?

– Je te dis: fût-il insensé… Moi, je sais que, pour sauver Geneviève… Lorin fronça le sourcil.

– Je te le redis, Maurice, reprit-il, tu t'égares; non, même s'il fallait que tu sauvasses Geneviève, tu ne deviendrais pas mauvais citoyen. Mais assez là-dessus, Maurice, on nous écoute. Tiens, voici les têtes qui ondulent; tiens, voici le valet du citoyen Sanson qui se lève de dessus son panier, et qui regarde au loin. L'Autrichienne arrive.

En effet, comme pour accompagner cette ondulation qu'avait remarquée Lorin, un frémissement prolongé et croissant envahissait la foule. C'était comme une de ces rafales qui commencent par siffler et qui finissent par mugir.

Maurice, élevant encore sa grande taille à l'aide des poteaux du réverbère, regarda vers la rue Saint-Honoré.

– Oui, dit-il en frissonnant, la voilà! En effet, on commençait à voir apparaître une autre machine presque aussi hideuse que la guillotine, c'était la charrette. À droite et à gauche reluisaient les armes de l'escorte, et devant elle Grammont répondait avec les flamboiements de son sabre aux cris poussés par quelques fanatiques. Mais, à mesure que la charrette s'avançait, ces cris s'éteignaient subitement sous le regard froid et sombre de la condamnée. Jamais physionomie n'imposa plus énergiquement le respect; jamais Marie-Antoinette n'avait été plus grande et plus reine. Elle poussa l'orgueil de son courage jusqu'à imprimer aux assistants des idées de terreur. Indifférente aux exhortations de l'abbé Girard, qui l'avait accompagnée malgré elle, son front n'oscillait ni à droite ni à gauche; la pensée vivante au fond de son cerveau semblait immuable comme son regard; le mouvement saccadé de la charrette sur le pavé inégal faisait, par sa violence même, ressortir la rigidité de son maintien; on eût dit une de ces statues de marbre qui cheminent sur un chariot; seulement, la statue royale avait l'œil lumineux, et ses cheveux s'agitaient au vent. Un silence pareil à celui du désert s'abattit soudain sur les trois cent mille spectateurs de cette scène, que le ciel voyait pour la première fois à la clarté de son soleil. Bientôt, de l'endroit où se tenaient Maurice et Lorin, on entendit crier l'essieu de la charrette et souffler les chevaux des gardes. La charrette s'arrêta au pied de l'échafaud.

La reine, qui, sans doute, ne songeait pas à ce moment, se réveilla et comprit: elle étendit son regard hautain sur la foule, et le même jeune homme pâle qu'elle avait vu debout sur un canon lui apparut de nouveau debout sur une borne.

De cette borne, il lui envoya le même salut respectueux qu'il lui avait déjà adressé au moment où elle sortait de la Conciergerie; puis aussitôt il sauta à bas de la borne.

Plusieurs personnes le virent, et, comme il était vêtu de noir, de là le bruit se répandit qu'un prêtre avait attendu Marie-Antoinette afin de lui envoyer l'absolution au moment où elle monterait sur l'échafaud. Au reste, personne n'inquiéta le chevalier. Il y a dans les moments suprêmes un suprême respect pour certaines choses.

La reine descendit avec précaution les trois degrés du marchepied; elle était soutenue par Sanson, qui, jusqu'au dernier moment, tout en accomplissant la tâche à laquelle il semblait lui-même condamné, lui témoigna les plus grands égards.

Pendant qu'elle marchait vers les degrés de l'échafaud, quelques chevaux se cabrèrent, quelques gardes à pied, quelques soldats, semblèrent osciller et perdre l'équilibre; puis on vit comme une ombre se glisser sous l'échafaud; mais le calme se rétablit presque à l'instant même: personne ne voulait quitter sa place dans ce moment solennel, personne ne voulait perdre le moindre détail du grand drame qui allait s'accomplir; tous les yeux se portèrent vers la condamnée.

La reine était déjà sur la plate-forme de l'échafaud. Le prêtre lui parlait toujours; un aide la poussait doucement par derrière; un autre dénouait le fichu qui couvrait ses épaules.

Marie-Antoinette sentit cette main infâme qui effleurait son cou, elle fit un brusque mouvement et marcha sur le pied de Sanson, qui, sans qu'elle le vît, était occupé à l'attacher à la planche fatale.

Sanson retira son pied.

– Excusez-moi, monsieur, dit la reine, je ne l'ai point fait exprès. Ce furent les dernières paroles que prononça la fille des Césars, la reine de France, la veuve de Louis XVI.

Le quart après midi sonna à l'horloge des Tuileries; en même temps que lui Marie-Antoinette tombait dans l'éternité.

Un cri terrible, un cri qui résumait toutes les patiences: joie, épouvante, deuil, espoir, triomphe, expiation, couvrit comme un ouragan un autre cri faible et lamentable qui, au même moment, retentissait sous l'échafaud.

Les gendarmes l'entendirent pourtant, si faible qu'il fût; ils firent quelques pas en avant; la foule, moins serrée, s'épandit comme un fleuve dont on élargit la digue, renversa la haie, dispersa les gardes, et vint comme une marée battre les pieds de l'échafaud, qui en fut ébranlé.

Chacun voulait voir de près les restes de la royauté, que l'on croyait à tout jamais détruite en France.

Mais les gendarmes cherchaient autre chose: ils cherchaient cette ombre qui avait dépassé leurs lignes, et qui s'était glissée sous l'échafaud.

Deux d'entre eux revinrent, amenant par le collet un jeune homme dont la main pressait sur son cœur un mouchoir teint de sang.

Il était suivi par un petit chien épagneul qui hurlait lamentablement.

– À mort l'aristocrate! à mort le ci-devant! crièrent quelques hommes du peuple en désignant le jeune homme; il a trempé son mouchoir dans le sang de l'Autrichienne: à mort!

– Grand Dieu! dit Maurice à Lorin, le reconnais-tu? le reconnais-tu?

– À mort le royaliste! répétèrent les forcenés; ôtez-lui ce mouchoir dont il veut se faire une relique: arrachez, arrachez!

Un sourire orgueilleux erra sur les lèvres du jeune homme; il arracha sa chemise, découvrit sa poitrine, et laissa tomber son mouchoir.

– Messieurs, dit-il, ce sang n'est pas celui de la reine, mais bien le mien; laissez-moi mourir tranquillement. Et une blessure profonde et reluisante apparut béante sous sa mamelle gauche. La foule jeta un cri et recula.

Alors le jeune homme s'affaissa lentement et tomba sur ses genoux en regardant l'échafaud comme un martyr regarde l'autel.

– Maison-Rouge! murmura Lorin à l'oreille de Maurice.

– Adieu! murmura le jeune homme en baissant la tête avec un divin sourire; adieu, ou plutôt au revoir! Et il expira au milieu des gardes stupéfaits.

– Il y a encore cela à faire, Lorin, dit Maurice, avant de devenir mauvais citoyen.

Le petit chien tournait autour du cadavre, effaré et hurlant.

– Tiens! c'est Black, dit un homme qui tenait un gros bâton à la main; tiens! c'est Black; viens ici, mon petit vieux.

Le chien s'avança vers celui qui l'appelait; mais à peine fut-il à sa portée, que l'homme leva son bâton et lui écrasa la tête en éclatant de rire.

– Oh! le misérable! s'écria Maurice.

– Silence! murmura Lorin en l'arrêtant, silence, ou nous sommes perdus… c'est Simon.

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27 eylül 2017
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