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Kitabı oku: «Le Collier de la Reine, Tome II», sayfa 19

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Chapitre LXXXIV
Où il est expliqué pourquoi le baron engraissait

Tandis que la reine décidait du sort de mademoiselle de Taverney à Saint-Denis, Philippe, le cœur déchiré par tout ce qu'il avait appris, par tout ce qu'il venait de découvrir, pressait les préparatifs de son départ.

Un soldat habitué à courir le monde n'est jamais bien long à faire ses malles et à revêtir le manteau de voyage. Mais Philippe avait des motifs plus puissants que tout autre pour s'éloigner rapidement de Versailles: il ne voulait pas être témoin du déshonneur probable et imminent de la reine, son unique passion.

Aussi le vit-on plus ardent que jamais faire seller ses chevaux, charger ses armes, entasser dans sa valise ce qu'il avait de plus familier pour vivre de la vie d'habitude; et quand il eut terminé tout cela, il fit prévenir monsieur de Taverney le père qu'il avait à lui parler.

Le petit vieillard revenait de Versailles, secouant du mieux qu'il pouvait ses mollets grêles qui supportaient un ventre rondelet. Le baron depuis trois à quatre mois engraissait, ce qui lui donnait une fierté facile à comprendre, si l'on songe que le comble de l'obésité devait être en lui le signe d'un parfait contentement.

Or, le parfait contentement de monsieur de Taverney, c'est un mot qui renferme bien des sens.

Le baron revenait donc tout guilleret de sa promenade au château. Il avait le soir pris sa part de tout le scandale du jour. Il avait souri à monsieur de Breteuil contre monsieur de Rohan; à messieurs de Soubise et de Guémenée contre monsieur de Breteuil; à monsieur de Provence contre la reine; à monsieur d'Artois contre monsieur de Provence; à cent personnes contre cent autres personnes; à pas une pour quelqu'un. Il avait ses provisions de méchancetés, de petites infamies. Panier plein, il rentrait heureux.

Lorsqu'il apprit par son valet que son fils désirait lui parler, au lieu d'attendre la visite de Philippe, ce fut lui qui traversa tout un palier pour venir trouver le voyageur.

Il entra, sans se faire annoncer, dans la chambre pleine de ce désordre qui précède un départ.

Philippe ne s'attendait pas à des éclats de sensibilité, lorsque son père apprendrait sa résolution, mais il ne s'attendait pas non plus à trop d'indifférence. En effet, Andrée avait déjà quitté la maison paternelle, c'était une existence de moins à tourmenter; le vieux baron devait sentir du vide, et lorsque ce vide serait complété par l'absence du dernier martyr, le baron, pareil aux enfants à qui l'on prend leur chien et leur oiseau, pourrait bien pleurnicher, ne fût-ce que par égoïsme.

Mais il fut bien étonné, Philippe, quand il entendit le baron s'écrier avec un rire de jubilation:

– Ah! mon Dieu! il part, il part…

Philippe s'arrêta et regarda son père avec stupeur.

– J'en étais sûr, continua le baron; je l'eusse parié. Bien joué, Philippe, bien joué.

– Plaît-il, monsieur? dit le jeune homme; qu'est-ce qui est bien joué, je vous prie?

Le vieillard se mit à chantonner en sautillant sur une jambe et en soutenant son commencement de ventre avec ses deux mains.

Il faisait en même temps force clignements d'yeux à Philippe pour qu'il congédiât son valet de chambre.

Ce que comprenant, Philippe obéit. Le baron poussa Champagne dehors et lui ferma la porte sur les talons. Puis revenant près de son fils:

– Admirable, dit-il à voix basse, admirable!

– Voilà bien des éloges que vous me donnez, monsieur, répondit froidement Philippe, sans que je sache en quoi je les ai mérités…

– Ah! ah! ah! fit le vieillard en se dandinant.

– À moins que toute cette hilarité, monsieur, ne soit causée par mon départ, qui vous débarrasse de moi.

– Oh, oh, oh!.. dit en riant sur une autre note le vieux baron. Là, là, ne te contrains pas devant moi, ce n'est pas la peine; tu sais bien que je ne suis pas ta dupe… Ah, ah, ah!

Philippe se croisa les bras en se demandant si ce vieillard ne devenait pas fou par quelque coin du cerveau.

– Dupe de quoi? dit-il.

– De ton départ, pardieu! Est-ce que tu te figures que j'y crois à ton départ?

– Vous n'y croyez pas?

– Champagne n'est plus ici, je te le répète. Ne te contrains pas davantage; d'ailleurs, j'avoue que tu n'avais pas d'autre parti à prendre, et tu le prends, c'est bien.

– Monsieur, vous me surprenez à un point!..

– Oui, c'est assez surprenant que j'aie deviné cela; mais que veux-tu, Philippe, il n'y a pas d'homme plus curieux que moi, et quand je suis curieux, je cherche; il n'y a pas d'homme plus heureux que moi pour trouver quand je cherche; donc, j'ai trouvé que tu fais semblant de partir, et je t'en félicite.

– Je fais semblant? cria Philippe intrigué.

Le vieillard s'approcha, toucha la poitrine du jeune homme avec ses doigts osseux comme des doigts de squelette, et de plus en plus confidentiel:

– Parole d'honneur, dit-il, sans cet expédient-là, je suis sûr que tout était découvert. Tu prends la chose à temps. Tiens, demain il eût été trop tard. Va-t'en vite, mon enfant, va-t'en vite.

– Monsieur, dit Philippe d'un ton glacé, je vous proteste que je ne comprends pas un mot, un seul à tout ce que vous me faites l'honneur de me dire.

– Où cacheras-tu tes chevaux? continua le vieillard, sans répondre directement; tu as une jument très reconnaissable; prends garde qu'on ne la voie ici quand on te croira en… À propos, où fais-tu semblant d'aller?

– Je passe à Taverney-Maison-Rouge, monsieur.

– Bien… très bien… tu feins d'aller à Maison-Rouge… Personne ne s'en éclaircira… Oh! mais, très bien… Cependant, sois prudent; il y a bien des yeux braqués sur vous deux.

– Sur nous deux!.. Qui?

– Elle est impétueuse, vois-tu, continua le vieillard, elle a des fougues capables de tout perdre. Prends garde! sois plus raisonnable qu'elle…

– Ah çà! mais, en vérité, s'écria Philippe avec une sourde colère, je m'imagine, monsieur, que vous vous divertissez à mes dépens, ce qui n'est pas charitable, je vous jure; ce qui n'est pas bon, car vous m'exposez, chagrin comme je le suis et irrité, à vous manquer de respect.

– Ah bien! oui, le respect; je t'en dispense; tu es assez grand garçon pour faire nos affaires, et tu t'en acquittes si bien que tu m'inspires du respect à moi. Tu es le Géronte, je suis l'Étourdi. Voyons, laisse-moi une adresse à laquelle je puisse te faire parvenir un avis s'il arrivait quelque chose de pressant.

– À Taverney, monsieur, dit Philippe, croyant que le vieillard rentrait enfin dans son bon sens.

– Eh! tu me la donnes belle!.. à Taverney, à quatre-vingts lieues! Tu ne te figures pas que si j'ai un conseil important, pressé, à te faire passer, je m'amuserai à tuer des courriers sur la route de Taverney par vraisemblance? Allons donc, je ne te dis pas de me donner l'adresse de ta maison du parc, parce qu'on pourrait y suivre mes émissaires, ou reconnaître mes livrées, mais choisis une tierce adresse à distance d'un quart d'heure; tu as de l'imagination, que diable! Quand on a fait pour ses amours ce que tu viens de faire, on est homme de ressources, morbleu!

– Une maison du parc, des amours, de l'imagination! monsieur; nous jouons aux énigmes, seulement, vous gardez les mots pour vous.

– Je ne connais pas d'animal plus net et plus discret que toi! s'écria le père avec dépit; je n'en connais pas dont les réserves soient plus blessantes. Ne dirait-on pas que tu as peur d'être trahi par moi? Ce serait bizarre!

– Monsieur! dit Philippe exaspéré.

– C'est bon! c'est bon! garde tes secrets pour toi; garde le secret de ta maison louée à l'ancienne louveterie.

– J'ai loué la louveterie, moi?

– Garde le secret des promenades nocturnes faites par toi entre deux adorables amies.

– Moi!.. je me suis promené, murmura Philippe, pâlissant.

– Garde le secret de ces baisers éclos comme le miel sous les fleurs et la rosée.

– Monsieur! rugit Philippe ivre de jalousie furieuse; monsieur! vous tairez-vous?

– C'est bon, te dis-je encore, tout ce que tu as fait, je l'ai su, t'ai-je dit? T'es-tu douté que je le savais? Mordieu! cela devrait te donner de la confiance. Ton intimité avec la reine, tes entreprises favorisées, tes excursions dans les bains d'Apollon, mon Dieu! mais c'est notre vie et notre fortune à tous. N'aie donc pas peur de moi, Philippe… Confie-toi donc à moi.

– Monsieur, vous me faites horreur! s'écria Philippe en cachant son visage dans ses mains.

Et en effet, c'était bien de l'horreur qu'il éprouvait, ce malheureux Philippe, pour l'homme qui mettait à nu ses plaies, et non content de les avoir dénudées, les agrandissait, les déchirait avec une sorte de rage. C'était bien de l'horreur qu'il éprouvait pour l'homme qui lui attribuait tout le bonheur d'un autre, et qui, croyant le caresser, le flagellait avec le bonheur d'un rival.

Tout ce que le père avait appris, tout ce qu'il avait deviné, tout ce que les malveillants mettaient sur le compte de monsieur de Rohan, les mieux informés sur le compte de Charny, le baron, lui, le rapportait à son fils. Pour lui c'était Philippe que la reine aimait, et poussait peu à peu dans l'ombre aux plus hauts échelons du favoritisme. Voilà le parfait contentement qui depuis quelques semaines engraissait le ventre de monsieur de Taverney.

Quand Philippe eut découvert ce nouveau bourbier d'infamie, il frissonna de s'y voir plonger par le seul être qui eût dû faire cause commune avec lui pour l'honneur; mais le coup avait été tellement violent, qu'il demeura étourdi, muet, pendant que le baron caquetait avec plus de verve que jamais.

– Vois, lui disait-il, tu as fait là un chef-d'œuvre, tu as dépisté tout le monde; ce soir cinquante yeux m'ont dit: C'est Rohan. Cent m'ont dit: C'est Charny. Deux cents m'ont dit: C'est Rohan et Charny! Pas un, entends-tu bien, pas un n'a dit: C'est Taverney. Je te répète que tu as fait un chef-d'œuvre, c'est bien le moins que je t'en fasse mes compliments… Du reste, à toi comme à elle, cela fait honneur, mon cher. À elle, parce qu'elle t'a pris; à toi, parce que tu la tiens.

Au moment où Philippe, rendu furieux par ce dernier trait, foudroyait d'un regard dévorant l'impitoyable vieillard, d'un regard prélude de la tempête, le bruit d'un carrosse retentit dans la cour de l'hôtel, et certaines rumeurs, certaines allées et venues d'un caractère étrange, appelèrent au-dehors l'attention de Philippe.

On entendit Champagne s'écrier:

– Mademoiselle! c'est mademoiselle!

Et plusieurs voix répétèrent.

– Mademoiselle!..

– Comment, mademoiselle? dit Taverney. Quelle demoiselle est-ce là?

– C'est ma sœur! murmura Philippe, saisi d'étonnement lorsqu'il reconnut Andrée qui descendait de carrosse, éclairée par le flambeau du suisse.

– Votre sœur! répéta le vieillard… Andrée?.. est-ce possible?

Et Champagne arrivant pour confirmer ce qu'avait annonce Philippe:

– Monsieur, dit-il à Philippe, mademoiselle votre sœur est dans le boudoir auprès du grand salon; elle attend monsieur pour lui parler.

– Allons au-devant d'elle, s'écria le baron.

– C'est à moi qu'elle veut avoir affaire, dit Philippe en saluant le vieillard; j'irai le premier, s'il vous plait.

Au même instant, un second carrosse entra bruyamment dans la cour.

– Qui diable! vient encore, murmura le baron… c'est la soirée aux aventures.

– Monsieur le comte Olivier de Charny! cria la voix du suisse aux valets de pied.

– Conduisez monsieur le comte au salon, dit Philippe à Champagne, monsieur le baron le recevra. Moi je vais au boudoir parier à ma sœur.

Les deux hommes descendirent lentement l'escalier.

«Que vient faire ici le comte?» se demandait Philippe.

«Qu'est venue faire ici Andrée?» pensait le baron.

Chapitre LXXXV
Le père et la fiancée

Le salon de l'hôtel était situé dans le premier corps de logis, au rez-de-chaussée. À sa gauche était le boudoir, avec une sortie sur l'escalier, conduisant à l'appartement d'Andrée.

À sa droite, un autre petit salon par lequel on entrait dans le grand. Philippe arriva le premier dans le boudoir où attendait sa sœur. Il avait, une fois dans le vestibule, doublé le pas pour être plus tôt dans les bras de cette compagne chérie.

Aussitôt qu'il eut ouvert la double porte du boudoir, Andrée vint le prendre à son col et l'embrassa d'un air joyeux auquel n'était plus habitué, depuis longtemps, ce triste amant, ce malheureux frère.

– Bonté du ciel! que t'arrive-t-il donc? demanda le jeune homme à Andrée.

– Quelque chose d'heureux! oh! de bien heureux! mon frère.

– Et tu reviens pour me l'annoncer?

– Je reviens pour toujours! s'écria Andrée avec un transport de bonheur qui fit de son exclamation un cri éclatant.

– Plus bas, petite sœur, plus bas, dit Philippe; les lambris de cette maison ne sont plus habitués à la joie, et de plus, il y a là, dans ce salon à côté, ou il va s'y trouver, quelqu'un qui l'entendrait.

– Quelqu'un, fit Andrée; qui donc?

– Écoute, répliqua Philippe.

– Monsieur le comte de Charny! annonça le valet de pied en introduisant Olivier du petit salon dans le grand.

– Lui! lui! s'écria Andrée en redoublant ses caresses à son frère. Oh! je sais bien ce qu'il vient faire ici, va.

– Tu le sais!

– Tiens! je le sais si bien que je m'aperçois du désordre de ma toilette, et que, comme je prévois le moment où je devrai à mon tour entrer dans ce salon pour y entendre de mes oreilles ce que vient dire monsieur de Charny…

– Parlez-vous sérieusement, ma chère Andrée?

– Écoute, écoute, Philippe, et laisse-moi monter jusqu'à mon appartement. La reine m'a ramenée un peu vite, je vais changer mon négligé de couvent contre une toilette… de fiancée.

Et sur ce mot qu'elle articula bas à Philippe en l'accompagnant d'un baiser joyeux, Andrée, légère et emportée, disparut par l'escalier qui montait à son appartement.

Philippe resta seul et appliqua sa joue sur la porte qui communiquait du boudoir au salon; il écouta.

Le comte de Charny était entré. Il arpentait lentement le vaste parquet et semblait plutôt méditer qu'attendre.

Monsieur de Taverney le père entra à son tour et vint saluer le comte avec une politesse recherchée, bien que contrainte.

– À quoi, dit-il enfin, dois-je l'honneur de cette visite imprévue, monsieur le comte? en tout cas, croyez qu'elle me comble de joie.

– Je suis venu, monsieur, en cérémonie, comme vous le voyez, et je vous prie de m'excuser si je n'ai point amené avec moi mon oncle, monsieur le bailli de Suffren, ainsi que j'aurais dû le faire.

– Comment, balbutia le baron, mais je vous excuse, mon cher monsieur de Charny.

– Cela était de convenance, je le sais, pour la demande que je me prépare à vous présenter.

– Une demande? dit le baron.

– J'ai l'honneur, reprit Charny d'une voix que dominait l'émotion, de vous demander la main de mademoiselle Andrée de Taverney, votre fille.

Le baron fit un soubresaut sur son fauteuil. Il ouvrit des yeux étincelants qui semblaient dévorer chacune des paroles que venait de prononcer le comte de Charny.

– Ma fille!.. murmura-t-il, vous me demandez Andrée en mariage!

– Oui, monsieur le baron; à moins que mademoiselle de Taverney ne sente quelque répugnance pour cette union.

«Ah çà! mais, pensa le vieillard, la faveur de Philippe est-elle déjà si éclatante que l'un de ses rivaux en veuille profiter en épousant sa sœur? Ma foi! c'est pas mal joué non plus, monsieur de Charny.»

Et tout haut, avec un sourire:

– Cette recherche est tellement honorable pour notre maison, monsieur le comte, dit-il, que j'y accède avec bien de la joie, quant à ce qui me regarde, et comme je tiens à ce que vous emportiez d'ici un consentement complet, je ferai prévenir ma fille.

– Monsieur, interrompit le comte avec froideur, vous prenez là, je pense, un soin inutile. La reine a bien voulu consulter mademoiselle de Taverney à cet égard, et la réponse de mademoiselle votre fille m'a été favorable.

– Ah! fit le baron, de plus en plus émerveillé, c'est la reine…

– Qui a pris la peine de se transporter à Saint-Denis, oui, monsieur.

Le baron se leva.

– Il ne me reste plus qu'à vous donner connaissance, monsieur le comte, dit-il, de ce qui concerne la situation de mademoiselle de Taverney. J'ai là-haut les titres de fortune de sa mère. Vous n'épousez pas une fille riche, monsieur le comte, et avant de rien conclure…

– Inutile, monsieur le baron, dit sèchement Charny. Je suis riche pour deux, et mademoiselle de Taverney n'est pas de ces femmes qu'on marchande. Mais cette question que vous vouliez traiter pour votre compte, monsieur le baron, il m'est indispensable de la traiter pour le mien.

Il achevait à peine ces mots, que la porte du boudoir s'ouvrit, et que parut Philippe, pâle, défait, une main dans sa veste, et l'autre convulsivement fermée.

Charny le salua cérémonieusement, et reçut un salut pareil.

– Monsieur, dit Philippe, mon père avait raison de vous proposer un entretien sur les comptes de famille; nous avons tous deux des éclaircissements à vous donner. Tandis que monsieur le baron va monter chez lui pour chercher les papiers dont il vous parlait, j'aurai l'honneur de traiter la question avec vous plus en détail.

Et Philippe, avec un regard empreint d'une irrécusable autorité, congédia le baron, qui sortit mal à son aise, prévoyant quelque traverse.

Philippe accompagna le baron jusqu'à la porte de sortie du petit salon, pour être sûr que cette pièce demeurerait vide. Il alla regarder de même dans le boudoir, et assuré de n'être entendu de personne, sinon par celui auquel il s'adressait:

– Monsieur de Charny, dit-il en se croisant les bras en face du comte, comment se fait-il que vous osiez venir demander ma sœur en mariage?

Olivier recula et rougit.

– Est-ce, continua Philippe, pour cacher mieux vos amours avec cette femme que vous poursuivez, avec cette femme qui vous aime? Est-ce pour que vous voyant marié, on ne puisse dire que vous avez une maîtresse?

– En vérité, monsieur… dit Charny chancelant, atterré.

– Est-ce, ajouta Philippe, pour que, devenu l'époux d'une femme qui approchera votre maîtresse à toute heure, vous ayez plus de facilité à la voir, cette maîtresse adorée?

– Monsieur, vous passez les bornes!

– C'est peut-être, et je crois plutôt cela, continua Philippe en se rapprochant de Charny; c'est sans doute pour que, devenu votre beau-frère, je ne révèle pas ce que je sais de vos amours passées.

– Ce que vous savez! s'écria Charny épouvanté, prenez garde, prenez garde!

– Oui, dit Philippe en s'animant, la maison du louvetier, louée par vous; vos promenades mystérieuses dans le parc de Versailles… la nuit… vos mains pressées, vos soupirs, et surtout ce tendre échange de regards à la petite porte du parc…

– Monsieur, au nom du ciel! monsieur, vous ne savez rien; dites que vous ne savez rien.

– Je ne sais rien! s'écria Philippe avec une sanglante ironie. Comment ne saurais-je rien, moi qui étais caché dans les broussailles derrière la porte des bains d'Apollon, quand vous êtes sorti donnant le bras à la reine.

Charny fit deux pas, comme un homme frappé à mort qui cherche un appui autour de lui.

Philippe le regarda avec un farouche silence. Il le laissait souffrir, il le laissait expier par ce tourment passager les heures d'ineffables délices qu'il venait de lui reprocher.

Charny se releva de son affaissement.

– Eh bien! monsieur, dit-il à Philippe, même après ce que vous venez de me dire, je vous demande, à vous, la main de mademoiselle de Taverney. Si ne n'étais qu'un lâche calculateur, comme vous le supposiez il y a un moment, si je me mariais pour moi, je serais tellement misérable, que j'aurais peur de l'homme qui tient mon secret et celui de la reine. Mais il faut que la reine soit sauvée, monsieur, il le faut.

– En quoi la reine est-elle perdue, dit Philippe, parce que monsieur de Taverney l'a vue serrer le bras de monsieur de Charny, et lever au ciel des yeux humides de bonheur? En quoi la reine est-elle perdue, parce que je sais qu'elle vous aime? Oh! ce n'est pas une raison de sacrifier ma sœur, monsieur, et je ne la laisserai pas sacrifier.

– Monsieur, répondit Olivier, savez-vous pourquoi la reine est perdue si ce mariage ne se fait pas? C'est que ce matin même, tandis qu'on arrêtait monsieur de Rohan, le roi m'a surpris aux genoux de la reine.

– Mon Dieu!

– Et que la reine, interrogée par son roi jaloux, a répondu que je m'agenouillais pour lui demander la main de votre sœur. Voilà pourquoi, monsieur, si je n'épouse pas votre sœur, la reine est perdue. Comprenez-vous, maintenant?

Un double bruit coupa la phrase d'Olivier: un cri et un soupir. Ils partaient tous deux l'un du boudoir, l'autre du petit salon.

Olivier courut au soupir; il vit dans le boudoir Andrée de Taverney vêtue de blanc comme une fiancée. Elle avait tout entendu et venait de s'évanouir.

Philippe courut au cri dans le petit salon. Il aperçut le corps du baron de Taverney, que cette révélation de l'amour de la reine pour Charny venait de foudroyer sur la ruine de toutes ses espérances.

Le baron, frappé d'apoplexie, avait rendu le dernier soupir.

La prédiction de Cagliostro était accomplie.

Philippe, qui comprenait tout, même la honte de cette mort, abandonna silencieusement le cadavre, et revint au salon, vers Charny, qui contemplait en tremblant, et sans oser y toucher, cette belle jeune fille froide et inanimée.

Les deux portes ouvertes laissaient voir ces deux corps parallèlement, symétriquement posés, pour ainsi dire, à l'endroit où les avait frappés le coup de la révélation.

Philippe, les yeux gonflés, le cœur bouillant, eut le courage de prendre la parole pour dire à monsieur de Charny:

– Monsieur le baron de Taverney vient de mourir. Après lui, je suis le chef de ma famille. Si mademoiselle de Taverney survit, je vous la donne en mariage.

Charny regarda le cadavre du baron avec horreur, le corps d'Andrée avec désespoir. Philippe arrachait à deux mains ses cheveux, et lança vers le ciel une exclamation qui dut émouvoir le cœur de Dieu sur son trône éternel.

– Comte de Charny, dit-il après avoir calmé en lui la tempête, je prends cet engagement au nom de ma sœur qui ne m'entend pas: elle donnera son bonheur à une reine, et moi peut-être un jour serai-je assez heureux pour lui donner ma vie. Adieu, monsieur de Charny; adieu, mon beau-frère.

Et, saluant Olivier qui ne savait comment s'éloigner sans passer près d'une des victimes, Philippe releva Andrée, la réchauffa dans ses bras, et livra ainsi passage au comte, qui disparut par le boudoir.

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Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
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