Kitabı oku: «Le Collier de la Reine, Tome II», sayfa 20
Chapitre LXXXVI
Après le dragon, la vipère
Il est temps pour nous de revenir à ces personnages de notre histoire que la nécessité et l'intrigue, aussi bien que la vérité historique, ont relégués au deuxième plan.
Oliva se préparait à fuir, pour le compte de Jeanne, quand Beausire, prévenu par un avis anonyme, Beausire, haletant après la reprise de Nicole, se trouva conduit jusque dans ses bras, et l'enleva de chez Cagliostro, tandis que monsieur Réteau de Villette attendait vainement au bout de la rue du Roi-Doré.
Pour trouver les heureux amants, que monsieur de Crosne avait tant d'intérêt à découvrir, madame de La Motte, qui se sentait dupée, mit en campagne tout ce qu'elle eut de gens affidés.
Elle aimait mieux, on le conçoit, veiller elle-même sur son secret, que d'en laisser le maniement à d'autres, et pour la bonne gestion de l'affaire qu'elle préparait, il était indispensable que Nicole fût introuvable.
Il est impossible de dépeindre les angoisses qu'elle eut à subir quand chacun de ses émissaires lui annonça, en revenant, que les recherches étaient inutiles.
En ce moment même, elle recevait, cachée, ordres sur ordres de paraître chez la reine, et de venir répondre de sa conduite au sujet du collier.
Nuitamment, voilée, elle partit pour Bar-sur-Aube, où elle avait un pied-à-terre, et y étant arrivée par des chemins de traverse sans avoir été reconnue, elle prit le temps d'envisager sa position sous son véritable jour.
Elle gagnait ainsi deux ou trois jours, face à face avec elle-même, et se donnait le temps, et avec le temps la force de soutenir, par une solide fortification intérieure, l'édifice de ses calomnies.
Deux jours de solitude pour cette âme profonde, c'était la lutte au bout de laquelle seraient domptés le corps et l'esprit, après laquelle la conscience obéissante ne se retournerait plus, instrument dangereux contre la coupable, après laquelle le sang aurait pris l'habitude de circuler autour du cœur sans monter au visage pour y révéler la honte ou la surprise.
La reine, le roi, qui la faisaient chercher, n'apprirent son installation à Bar-sur-Aube qu'au moment où elle était déjà préparée à faire la guerre. Ils envoyèrent un exprès pour l'amener. Ce fut alors qu'elle apprit l'arrestation du cardinal.
Toute autre qu'elle eût été terrassée par cette vigoureuse offensive, mais Jeanne n'avait plus rien à ménager. Qu'était une question de liberté dans la balance, auprès des questions de vie ou de mort qui s'y entassaient chaque jour?
En apprenant la prison du cardinal et l'éclat qu'avait fait Marie-Antoinette:
«La reine a brûlé ses vaisseaux, calcula-t-elle froidement; impossible à elle de revenir sur le passé. En refusant de transiger avec le cardinal et de payer les bijoutiers, elle joue quitte ou double. Cela prouve qu'elle compte sans moi, et qu'elle ne soupçonne pas les forces que j'ai à ma disposition.»
Voilà de quelles pièces était faite l'armure que portait Jeanne, lorsqu'un homme, moitié exempt, moitié messager, se présenta tout à coup devant elle, et lui annonça qu'il était chargé de la ramener à la cour.
Le messager chargé de l'amener à la cour voulait la conduire directement chez le roi; mais Jeanne, avec cette habileté qu'on lui connaît:
– Monsieur, dit-elle, vous aimez la reine, n'est-ce pas?
– En doutez-vous, madame la comtesse? repartit le messager.
– Eh bien! au nom de cet amour loyal et du respect que vous avez pour la reine, je vous adjure de me conduire chez la reine d'abord.
L'officier voulut faire des objections.
– Vous savez assurément de quoi il s'agit mieux que moi, repartit la comtesse. Voilà pourquoi vous comprendrez qu'un entretien secret de la reine avec moi est indispensable.
Le messager, tout pétri des idées calomnieuses qui empestaient l'air de Versailles depuis plusieurs mois, crut réellement rendre un service à la reine en menant madame de La Motte auprès d'elle avant de la montrer au roi.
Qu'on se figure la hauteur, l'orgueil, la conscience altière de la reine mise en présence de ce démon qu'elle ne connaissait pas encore, mais dont elle soupçonnait la perfide influence sur ses affaires.
Qu'on se représente Marie-Antoinette, veuve encore inconsolée de son amour qui avait succombé au scandale, Marie-Antoinette, écrasée par l'injure d'une accusation qu'elle ne pouvait réfuter, qu'on se la représente, après tant de souffrances, se disposant à mettre le pied sur la tête du serpent qui l'a mordue!
Le dédain suprême, la colère mal contenue, la haine de femme à femme, le sentiment d'une supériorité incomparable de position, voilà quelles étaient les armes des adversaires. La reine commença par faire entrer comme témoins deux de ses femmes, œil baissé, lèvres closes, révérence lente et solennelle; un cœur plein de mystères, un esprit plein d'idées, le désespoir pour dernier moteur, voilà quel était le second champion. Madame de La Motte, dès qu'elle aperçut les deux femmes:
– Bon! dit-elle, voilà deux témoins qu'on renverra tout à l'heure.
– Ah! vous voilà enfin, madame! s'écria la reine; on vous trouve enfin!
Jeanne s'inclina une deuxième fois.
– Vous vous cachez donc? dit la reine avec impatience.
– Me cacher! non, madame, répliqua Jeanne d'une voix douce et à peine timbrée, comme si l'émotion produite par la majesté royale en altérait seule la sonorité ordinaire; je ne me cachais pas; si je me fusse cachée, on ne m'eût point trouvée.
– Vous vous êtes enfuie, cependant? Appelons cela comme il vous plaira.
– C'est-à-dire que j'ai quitté Paris, oui, madame.
– Sans ma permission?
– Je craignais que Sa Majesté ne m'accordât pas le petit congé dont j'avais besoin pour arranger mes affaires à Bar-sur-Aube, où j'étais depuis six jours, quand l'ordre de Sa Majesté m'y vint chercher. D'ailleurs, il faut le dire, je ne me croyais pas tellement nécessaire à Votre Majesté, que je fusse obligée de la prévenir pour faire une absence de huit jours.
– Eh! vous avez raison, madame; pourquoi avez-vous craint mon refus d'un congé? Quel congé avez-vous à me demander? Quel congé ai-je à vous accorder? Est-ce que vous occupez une charge ici?
Il y eut trop de mépris sur ces derniers mots. Jeanne, blessée, mais retenant son sang comme les chats-tigres piqués par la flèche:
– Madame, dit-elle humblement, je n'ai pas de charge à la cour, c'est vrai; mais Votre Majesté m'honorait d'une confiance si précieuse que je me regardais comme engagée bien plus auprès d'elle par la reconnaissance que d'autres ne le sont par le devoir.
Jeanne avait cherché longtemps, elle avait trouvé le mot confiance et elle appuyait dessus.
– Cette confiance, répéta la reine, plus écrasante encore de mépris que dans sa première apostrophe, nous en allons régler le compte. Avez-vous vu le roi?
– Non, madame.
– Vous le verrez.
Jeanne salua.
– Ce sera un grand honneur pour moi, dit-elle.
La reine chercha un peu de calme pour commencer ses questions avec avantage.
Jeanne profita de ce répit pour dire:
– Mais, mon Dieu! madame, comme Votre Majesté se montre sévère à mon égard. Je suis toute tremblante.
– Vous n'êtes pas au bout, dit brusquement la reine; savez-vous que monsieur de Rohan est à la Bastille?
– On me l'a dit, madame.
– Vous devinez bien pourquoi?
Jeanne regarda fixement la reine, et se tournant vers les femmes dont la présence semblait la gêner, répondit:
– Je ne le sais pas, madame.
– Vous savez, cependant, que vous m'avez parlé d'un collier, n'est-ce pas?
– D'un collier de diamants; oui, madame.
– Et que vous m'avez proposé, de la part du cardinal, un accommodement pour payer ce collier?
– C'est vrai, madame.
– Ai-je accepté ou refusé cet accommodement?
– Votre Majesté a refusé.
– Ah! fit la reine avec une satisfaction mêlée de surprise.
– Sa Majesté a même donné un acompte de deux cent mille livres, ajouta Jeanne.
– Bien… et après?
– Après, Sa Majesté ne pouvant payer, parce que monsieur de Calonne lui avait refusé de l'argent, a renvoyé l'écrin aux joailliers Bœhmer et Bossange.
– Par qui renvoyé?
– Par moi.
– Et vous, qu'avez-vous fait?
– Moi, dit lentement Jeanne, qui sentait tout le poids des paroles qu'elle allait prononcer; moi, j'ai donné les diamants à monsieur le cardinal.
– À monsieur le cardinal! s'écria la reine, et pourquoi s'il vous plaît, au lieu de les remettre aux joailliers?
– Parce que, madame, monsieur de Rohan s'étant intéressé à cette affaire, qui plaisait à Votre Majesté, je l'eusse blessé en ne lui fournissant point l'occasion de la terminer lui-même.
– Mais comment se fait-il que vous ayez tiré un reçu des joailliers?
– Parce que monsieur de Rohan m'a remis ce reçu.
– Mais cette lettre que vous avez, dit-on, remise aux joailliers comme venant de moi?
– Monsieur de Rohan m'a priée de la remettre.
– C'est donc en tout et toujours monsieur de Rohan qui s'est mêlé de cela! s'écria la reine.
– Je ne sais ce que Votre Majesté veut dire, répliqua Jeanne d'un air distrait, ni de quoi monsieur de Rohan s'est mêlé.
– Je dis que le reçu des joailliers, remis ou envoyé par moi à vous, est faux!
– Faux! dit Jeanne avec candeur; oh! madame!
– Je dis que la prétendue lettre d'acceptation du collier, signée, dit-on, de moi, est fausse!
– Oh! s'écria Jeanne plus étonnée en apparence encore que la première fois.
– Je dis enfin, poursuivit la reine, que vous avez besoin d'être confrontée avec monsieur de Rohan pour nous faire éclaircir cette affaire.
– Confrontée! dit Jeanne. Mais, madame, quel besoin de me confronter avec monsieur le cardinal?
– Lui-même le demandait.
– Lui?
– Il vous cherchait partout.
– Mais, madame, c'est impossible.
– Il voulait vous prouver, disait-il, que vous l'aviez trompé.
– Oh! pour cela, madame, je demande la confrontation.
– Elle aura lieu, madame, croyez-le bien. Ainsi, vous niez savoir où est le collier?
– Comment le saurais-je?
– Vous niez avoir aidé monsieur le cardinal dans certaines intrigues?..
– Votre Majesté a tout droit de me disgracier; mais de m'offenser, aucun. Je suis une Valois, madame.
– Monsieur le cardinal a soutenu devant le roi des calomnies qu'il espère faire reposer sur des bases sérieuses.
– Je ne comprends pas.
– Le cardinal a déclaré m'avoir écrit.
Jeanne regarda la reine en face et ne répliqua rien.
– M'entendez-vous? dit la reine.
– J'entends, oui, Votre Majesté.
– Et que répondez-vous?
– Je répondrai quand on m'aura confrontée avec monsieur le cardinal.
– Jusque-là, si vous savez la vérité, aidez-nous!
– La vérité, madame, c'est que Votre Majesté m'accable sans sujet et me maltraite sans raison.
– Ce n'est pas une réponse, cela.
– Je n'en ferai cependant pas d'autre ici, madame.
Et Jeanne regarda les deux femmes encore une fois.
La reine comprit, mais elle ne céda pas. La curiosité ne put l'emporter sur le respect humain. Dans les réticences de Jeanne, dans son attitude à la fois humble et insolente perçait l'assurance qui résulte d'un secret acquis. Ce secret, peut-être la reine l'eût-elle acheté par la douceur.
Elle repoussa ce moyen comme indigne d'elle.
– Monsieur de Rohan a été mis à la Bastille pour avoir trop voulu parler, dit Marie-Antoinette, prenez garde, madame, d'encourir le même sort pour avoir voulu vous taire.
Jeanne enfonça ses ongles dans ses mains, mais elle sourit.
– À une conscience pure, dit-elle, qu'importe la persécution; la Bastille me convaincra-t-elle d'un crime que je n'ai pas commis?
La reine regarda Jeanne avec un œil courroucé.
– Parlerez-vous? dit-elle.
– Je n'ai rien à dire, madame, sinon à vous.
– À moi? Eh bien! est-ce que ce n'est pas à moi que vous parlez?
– Pas à vous seule.
– Ah! nous y voilà, s'écria la reine; vous voulez le huis clos. Vous craignez le scandale de l'aveu public après m'avoir infligé le scandale du soupçon public.
Jeanne se redressa.
– N'en parlons plus, dit-elle; ce que j'en faisais, c'était pour vous.
– Quelle insolence!
– Je subis respectueusement les injures de ma reine, dit Jeanne sans changer de couleur.
– Vous coucherez à la Bastille ce soir, madame de La Motte.
– Soit, madame. Mais avant de me coucher, selon mon habitude, je prierai Dieu pour qu'il conserve l'honneur et la joie à Votre Majesté, répliqua l'accusée.
La reine, se levant furieuse, passa dans la chambre voisine, en repoussant les portes avec violence.
– Après avoir vaincu le dragon, dit-elle, j'écraserai bien la vipère!
«Je sais son jeu par cœur, pensa Jeanne, je crois que j'ai gagné.»
Chapitre LXXXVII
Comment il se fit que monsieur de Beausire en croyant chasser le lièvre fut chassé lui-même par les agents de monsieur de Crosne
Madame de La Motte fut incarcérée comme l'avait voulu la reine.
Aucune compensation ne parut plus agréable au roi, qui haïssait instinctivement cette femme. Le procès s'instruisit sur l'affaire du collier avec toute la rage que peuvent mettre des marchands ruinés qui espèrent se tirer d'embarras, des accusés qui veulent se tirer de l'accusation, et des juges populaires qui ont dans les mains l'honneur et la vie d'une reine, sans compter l'amour-propre ou l'esprit de parti.
Ce ne fut qu'un cri par toute la France. Aux nuances de ce cri la reine put reconnaître et compter ses partisans ou ses ennemis.
Depuis qu'il était incarcéré, monsieur de Rohan demandait instamment à être confronté avec madame de La Motte. Cette satisfaction lui fut accordée. Le prince vivait à la Bastille comme un grand seigneur, dans une maison qu'il avait louée. Hormis la liberté, tout lui était accordé sur sa demande.
Ce procès avait pris dès l'abord des proportions mesquines, eu égard à la qualité des personnes incriminées. Aussi s'étonnait-on qu'un Rohan pût être inculpé pour vol. Aussi, les officiers et le gouverneur de la Bastille témoignaient-ils au cardinal toute la déférence, tout le respect dus au malheur. Pour eux ce n'était pas un accusé, mais un homme en disgrâce.
Ce fut bien autre chose encore lorsqu'il fut répandu dans le public que monsieur de Rohan tombait victime des intrigues de la cour. Ce ne fut plus pour le prince de la sympathie, ce fut de l'enthousiasme.
Et monsieur de Rohan, l'un des premiers parmi les nobles de ce royaume, ne comprenait pas que l'amour du peuple lui venait uniquement de ce qu'il était persécuté par plus noble que lui. Monsieur de Rohan, dernière victime du despotisme, était de fait l'un des premiers révolutionnaires de France.
Son entretien avec madame de La Motte fut signalé par un incident remarquable. La comtesse, à qui l'on permettait de parler bas toutes les fois qu'il s'agissait de la reine, réussit à dire au cardinal:
– Éloignez tout le monde, et je vous donnerai les éclaircissements que vous demandez.
Alors monsieur de Rohan désira d'être seul, et de l'interroger à voix basse.
On le lui refusa; mais on laissa son conseil s'entretenir avec la comtesse.
Quant au collier, elle répondit qu'elle ignorait ce qu'il était devenu, mais qu'on aurait bien pu le lui donner à elle.
Et comme le conseil se récriait, étourdi de l'audace de cette femme, elle lui demanda si le service qu'elle avait rendu à la reine et au cardinal ne valait pas un million?
L'avocat répéta ces mots au cardinal, sur quoi celui-ci pâlit, baissa la tête et devina qu'il était tombé dans le piège de cet infernal oiseleur.
Mais s'il pensait déjà, lui, à étouffer le bruit de cette affaire qui perdait la reine, ses ennemis, ses amis le poussaient à ne pas interrompre les hostilités.
On lui objectait que son honneur était en jeu; qu'il s'agissait d'un vol; que sans arrêt du parlement l'innocence n'était pas prouvée.
Or, pour prouver cette innocence, il fallait prouver les rapports du cardinal avec la reine, et prouver par conséquent le crime de celle-ci.
À cette réflexion, Jeanne répliqua qu'elle n'accuserait jamais la reine, non plus que le cardinal; mais que si on persévérait à la rendre responsable du collier, ce qu'elle ne voulait pas faire elle le ferait, c'est-à-dire qu'elle prouverait que reine et cardinal avaient intérêt à l'accuser de mensonge.
Lorsque ces conclusions furent communiquées au cardinal, le prince témoigna tout son mépris pour celle qui parlait de le sacrifier ainsi. Il ajouta qu'il comprenait jusqu'à un certain point la conduite de Jeanne, mais qu'il ne comprenait pas du tout celle de la reine.
Ces mots, rapportés à Marie-Antoinette et commentés, l'irritaient et la faisaient bondir. Elle voulut qu'un interrogatoire particulier fût dirigé sur les parties mystérieuses de ce procès. Le grand grief des entrevues nocturnes apparut alors, développé dans son plus large jour par les calomniateurs et les faiseurs de nouvelles.
Mais ce fut alors que la malheureuse reine se trouva menacée. Jeanne affirmait ne pas connaître ce dont on lui parlait, et cela devant les gens de la reine; mais vis-à-vis des gens du cardinal, elle n'était pas aussi discrète, et répétait toujours:
– Qu'on me laisse tranquille, sinon, je parlerai.
Ces réticences, ces modesties l'avaient posée en héroïne, et embrouillaient si bien le procès, que les plus braves éplucheurs de dossiers frémissaient en consultant les pièces, et que nul juge instructeur n'osait poursuivre les interrogatoires de la comtesse.
Le cardinal fut-il plus faible, plus franc? Avoua-t-il à quelque ami ce qu'il appelait son secret d'amour? On ne le sait; on ne doit pas le croire, car c'était un noble cœur, bien dévoué, que celui du prince. Mais si loyal qu'il eût été dans son silence, le bruit se répandit de son colloque avec la reine. Tout ce que le comte de Provence avait dit, tout ce que Charny et Philippe avaient su ou vu, tous ces arcanes inintelligibles pour tout autre qu'un prétendant comme le frère du roi, ou des rivaux d'amour comme Philippe et Charny, tout le mystère de ces amours si calomniées et si chastes s'évapora comme un parfum, et fondu dans la vulgaire atmosphère, perdit l'arôme illustre de son origine.
On pense si la reine trouva de chauds défenseurs, si monsieur de Rohan trouva de zélés champions.
La question n'était plus celle-ci: la reine a-t-elle volé ou non un collier de diamants?
Question assez déshonorante en elle-même, pourtant; mais cela ne suffisait même plus. La question était: la reine a-t-elle dû laisser voler le collier par quelqu'un qui avait pénétré le secret de ses amours adultères?
Voilà comment madame de La Motte était parvenue à tourner la difficulté. Voilà comment la reine se trouvait engagée dans une voie sans autre issue que le déshonneur.
Elle ne se laissa pas abattre, elle résolut de lutter; le roi la soutint.
Le ministère aussi la soutint et de toutes ses forces. La reine se rappela que monsieur de Rohan était un homme honnête, incapable de vouloir perdre une femme. Elle se rappela son assurance quand il jurait avoir été admis aux rendez-vous de Versailles.
Elle conclut que le cardinal n'était pas son ennemi direct, et qu'il n'avait comme elle qu'un intérêt d'honneur dans la question.
On dirigea dès lors tout l'effort du procès sur la comtesse, et l'on chercha activement les traces du collier perdu.
La reine, acceptant le débat sur l'accusation de faiblesse adultère, rejetait sur Jeanne la foudroyante accusation du vol frauduleux.
Tout parlait contre la comtesse, ses antécédents, sa première misère, son élévation étrange; la noblesse n'acceptait pas cette princesse de hasard, le peuple ne pouvait la revendiquer; le peuple hait d'instinct les aventuriers, il ne leur pardonne pas même le succès.
Jeanne s'aperçut qu'elle avait fait fausse route, et que la reine, en subissant l'accusation, en ne cédant pas à la crainte du bruit, engageait le cardinal à l'imiter; que les deux loyautés finiraient par s'entendre et par trouver la lumière, et que, même si elles succombaient, ce serait dans une chute si terrible qu'elles broieraient sous elles la pauvre petite Valois, princesse d'un million volé, qu'elle n'avait même plus sous la main pour corrompre ses juges.
On en était là quand un nouvel épisode se produisit, qui changea la face des choses.
Monsieur de Beausire et mademoiselle Oliva vivaient heureux et riches dans le fond d'une maison de campagne, quand, un jour, monsieur, qui avait laissé madame au logis pour s'en aller chasser, tomba dans la société de deux des agents que monsieur de Crosne éparpillait par toute la France pour obtenir un dénouement à cette intrigue.
Les deux amants ignoraient tout ce qui se passait à Paris; ils ne songeaient guère qu'à eux-mêmes. Mademoiselle Oliva engraissait comme une belette dans un grenier, et monsieur Beausire, avec le bonheur, avait perdu cette inquiète curiosité, signe distinctif des oiseaux voleurs comme des hommes de proie, caractère que la nature a donné aux uns et aux autres pour leur conservation.
Beausire, disons-nous, était sorti ce jour-là pour chasser le lièvre. Il trouva un vol de perdrix qui lui fit traverser une route. Voilà comment, en cherchant autre chose que ce qu'il eût dû chercher, il trouva ce qu'il ne cherchait pas.
Les agents cherchaient aussi Oliva, et ils trouvèrent Beausire. Ce sont là les caprices ordinaires de la chasse.
Un de ces limiers était homme d'esprit. Quand il eut bien reconnu Beausire, au lieu de l'arrêter tout brutalement, ce qui n'eût rien rapporté, il fit le projet suivant avec son compagnon.
– Beausire chasse; il est donc assez libre et assez riche; il a peut-être cinq à six louis dans sa poche, mais il est possible qu'il ait deux ou trois cents louis à son domicile. Laissons-le rentrer à ce domicile: pénétrons-y et mettons-le à rançon. Beausire, rendu à Paris, ne nous rapportera que cent livres, comme toute prise ordinaire; encore nous grondera-t-on d'avoir encombré la prison pour un personnage peu considérable. Faisons de Beausire une spéculation personnelle.
Ils se mirent à chasser la perdrix comme monsieur Beausire, le lièvre comme monsieur Beausire, et appuyant les chiens quand c'était un lièvre, et rabattant dans la luzerne quand c'était à la perdrix, ils ne quittèrent pas leur homme d'une semelle.
Beausire, voyant les étrangers qui se mêlaient de sa chasse, fut d'abord très étonné, et puis très courroucé. Il était devenu jaloux de son gibier, comme tout bon gentillâtre; mais il était aussi ombrageux à l'endroit des nouvelles connaissances. Au lieu d'interroger lui-même ces acolytes que le hasard lui donnait, il poussa droit à un garde qu'il apercevait dans la plaine, et le chargea d'aller demander à ces messieurs pourquoi ils chassaient sur cette terre.
Le garde répliqua qu'il ne connaissait pas ces messieurs pour être du pays, et il ajouta que son désir était de les interrompre dans leur chasse, ce qu'il fit. Mais les deux étrangers répliquèrent qu'ils chassaient avec leur ami, le monsieur là-bas.
Ils désignaient ainsi Beausire. Le garde les conduisit à lui, malgré tout le chagrin que cette confrontation causait au gentilhomme chasseur.
– Monsieur de Linville, dit-il, ces messieurs prétendent qu'ils chassent avec vous.
– Avec moi! s'écria Beausire irrité, ah! par exemple!
– Tiens! lui dit l'un des agents tout bas, vous vous appelez donc aussi monsieur de Linville, mon cher Beausire?
Beausire tressaillit, lui qui cachait si bien son nom dans ce pays.
Il regarda l'agent, puis son compagnon, en homme effaré, crut reconnaître vaguement ces figures, et afin de ne pas envenimer les choses, il congédia le garde en prenant sur lui la chasse de ces messieurs.
– Vous les connaissez donc? fit le garde.
– Oui, nous venons de nous reconnaître, répliqua un des agents.
Alors Beausire se trouva en présence des deux chasseurs, bien embarrassé de leur parler sans se compromettre.
– Offrez-nous à déjeuner, Beausire, dit le plus adroit des agents, chez vous.
– Chez moi! mais… s'écria Beausire.
– Vous ne nous ferez pas cette impolitesse, Beausire.
Beausire avait perdu la tête; il se laissa conduire bien plutôt qu'il ne conduisit.
Les agents, dès qu'ils aperçurent la petite maison, en louèrent l'élégance, la position, les arbres et la perspective, comme des gens de goût devaient le faire, et, en réalité, Beausire avait choisi un endroit charmant pour y poser le nid de ses amours.
C'était un vallon boisé coupé par une petite rivière; la maison s'élevait sur un talus au levant. Une guérite, sorte de clocheton sans cloche, servait d'observatoire à Beausire pour dominer la campagne, aux jours de spleen, alors que ses idées roses se fanaient et qu'il voyait des alguazils dans chaque laboureur penché sur la charrue.
D'un seul côté, cette habitation était visible et riante; des autres, elle disparaissait sous les bois et les plis du terrain.
– Comme on est bien caché là-dedans! lui dit un agent avec admiration.
Beausire frémit de la plaisanterie, et entra le premier dans sa maison, aux aboiements des chiens de cour.
Les agents l'y suivirent avec force cérémonies.