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Kitabı oku: «Le Collier de la Reine, Tome II», sayfa 22

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Chapitre XC
Le cabinet du lieutenant de police

Monsieur de Crosne savait de Cagliostro tout ce qu'un habile lieutenant de police peut savoir d'un homme habitant en France, et ce n'est pas peu dire. Il savait tous ses noms passés, tous ses secrets d'alchimiste, de magnétisme et de divination; il savait ses prétentions à l'ubiquité, à la régénération perpétuelle – il le regardait comme un charlatan grand seigneur.

C'était un esprit fort que ce monsieur de Crosne, connaissant toutes les ressources de sa charge, bien en cour, indifférent à la faveur, ne composant pas avec son orgueil; un homme sur qui n'avait pas prise qui voulait.

À celui-là comme à monsieur de Rohan, Cagliostro ne pouvait offrir des louis chauds encore du fourneau hermétique; à celui-là, Cagliostro n'eût pas offert le bout d'un pistolet, comme Balsamo à monsieur de Sartine; à celui-là, Balsamo n'avait plus de Lorenza à redemander, mais Cagliostro avait des comptes à rendre.

Voilà pourquoi le comte, au lieu d'attendre les événements, avait cru devoir demander audience au magistrat.

Monsieur de Crosne sentait l'avantage de sa position et s'apprêtait à en user. Cagliostro sentait l'embarras de la sienne et s'apprêtait à en sortir.

Cette partie d'échecs, jouée à découvert, avait un enjeu que l'un des deux joueurs ne soupçonnait pas, et ce joueur, il faut l'avouer, ce n'était pas monsieur de Crosne.

Celui-ci ne connaissait, nous l'avons dit, de Cagliostro, que le charlatan, il ignorait absolument l'adepte. Aux pierres que sema la philosophie sur le chemin de la monarchie, tant de gens ne se sont heurtés que parce qu'ils ne les voyaient pas.

Monsieur de Crosne attendait de Cagliostro des révélations sur le collier, sur les trafics de madame de La Motte. C'était là son désavantage. Enfin, il avait droit d'interroger, d'emprisonner, c'était là sa supériorité.

Il reçut le comte en homme qui sent son importance, mais qui ne veut manquer de politesse envers personne, pas même envers un phénomène.

Cagliostro se surveilla. Il voulut seulement rester grand seigneur, son unique faiblesse qu'il crût devoir laisser soupçonner.

– Monsieur, lui dit le lieutenant de police, vous m'avez demandé une audience. J'arrive de Versailles exprès pour vous la donner.

– Monsieur, j'avais pensé que vous auriez quelque intérêt à me questionner sur ce qui se passe, et, en homme qui connaît tout votre mérite et toute l'importance de vos fonctions, je suis venu à vous. Me voici.

– Vous questionner? fit le magistrat affectant la surprise; mais sur quoi, monsieur, et en quelle qualité?

– Monsieur, répliqua nettement Cagliostro, vous vous occupez fort de madame de La Motte, de la disparition du collier.

– L'auriez-vous trouvé? demanda monsieur de Crosne, presque railleur.

– Non, dit gravement le comte. Mais si je n'ai pas trouvé le collier, au moins sais-je que madame de La Motte habitait rue Saint-Claude.

– En face de chez vous, monsieur, je le savais aussi, dit le magistrat.

– Alors, monsieur, vous savez ce que faisait madame de La Motte… N'en parlons plus.

– Mais au contraire, dit monsieur de Crosne d'un air indifférent, parlons-en.

– Oh! cela n'avait de sel qu'à propos de la petite Oliva, dit Cagliostro; mais puisque vous savez tout sur madame de La Motte, je n'aurais rien à vous apprendre.

Au nom d'Oliva, monsieur de Crosne tressaillit.

– Que dites-vous d'Oliva? demanda-t-il. Qui est-ce, Oliva?

– Vous ne le savez pas? Ah! monsieur, c'était une curiosité que je serais surpris de vous apprendre. Figurez-vous une fille très jolie, une taille… des yeux bleus, l'ovale du visage parfait; tenez, un genre de beauté qui rappelle un peu celui de Sa Majesté la reine.

– Ah! ah! fit monsieur de Crosne, eh bien?

– Eh bien! cette fille vivait mal, cela me faisait peine; elle avait autrefois servi un vieil ami à moi, monsieur de Taverney…

– Le baron qui est mort l'autre jour?

– Précisément, oui, celui qui est mort. Elle avait en outre appartenu à un savant homme que vous ne connaissez pas, monsieur le lieutenant de police, et qui… Mais je fais double route, et je m'aperçois que je commence à vous gêner.

– Monsieur, veuillez continuer, je vous en prie, au contraire. Cette Oliva, disiez-vous?..

– Vivait mal, comme j'ai eu l'honneur de vous le dire. Elle souffrait une quasi-misère, avec certain drôle, son amant pour la voler et la battre: un de vos plus ordinaires gibiers, monsieur, un aigrefin que vous ne devez pas connaître…

– Certain Beausire, peut-être? dit le magistrat, heureux de paraître bien informé.

– Ah! vous le connaissez, c'est surprenant, dit Cagliostro avec admiration. Très bien! monsieur, vous êtes encore plus devin que moi. Or, un jour que le Beausire avait plus battu et plus volé cette fille que de coutume, elle vint se réfugier près de moi et me demanda protection. Je suis bon, je donnai je ne sais quel coin de pavillon dans un de mes hôtels…

– Chez vous!.. Elle était chez vous? s'écria le magistrat surpris.

– Sans doute, répliqua Cagliostro, affectant de s'étonner à son tour. Pourquoi ne l'aurais-je pas abritée chez moi, je suis garçon?

Et il se mit à rire avec une si savante bonhomie que monsieur de Crosne tomba complètement dans le panneau.

– Chez vous! répliqua-t-il; c'est donc pour cela que mes agents ont tant cherché pour la trouver.

– Comment, cherché! dit Cagliostro. On cherchait cette petite? A-t-elle donc fait quelque chose que je ne sache pas?..

– Non, monsieur, non; poursuivez, je vous en conjure.

– Oh! mon Dieu! j'ai fini. Je la logeai chez moi; voilà tout.

– Mais, non, non! monsieur le comte, ce n'est pas tout, puisque vous sembliez tout à l'heure associer à ce nom d'Oliva le nom de madame de La Motte.

– Ah! à cause du voisinage, dit Cagliostro.

– Il y autre chose, monsieur le comte… Vous n'avez pas pour rien dit que madame de La Motte et mademoiselle Oliva étaient voisines.

– Oh! mais cela tient à une circonstance qu'il serait inutile de vous rapporter. Ce n'est pas au premier magistrat du royaume qu'on doit aller conter des billevesées de rentier oisif.

– Vous m'intéressez, monsieur, et plus que vous ne croyez; car cette Oliva que vous dites avoir été logée chez vous, je l'ai trouvée en province.

– Vous l'avez trouvée!

– Avec le monsieur de Beausire…

– Eh bien, je m'en doutais! s'écria Cagliostro. Elle était avec Beausire? Ah! fort bien! fort bien! Réparation soit faite à madame de La Motte.

– Comment! que voulez-vous dire? repartit monsieur de Crosne.

– Je dis, monsieur, qu'après avoir un moment soupçonné madame de La Motte, je lui fais réparation pleine et entière.

– Soupçonné! de quoi?

– Bon Dieu! vous écoutez donc patiemment tous les commérages? Eh bien! sachez qu'au moment où j'avais espoir de corriger cette Oliva, de la rejeter dans le travail et l'honnêteté – je m'occupe de morale, monsieur – , à ce moment là, quelqu'un vint qui me l'enleva.

– Qui vous l'enleva! Chez vous?

– Chez moi.

– C'est étrange!

– N'est-ce pas? Et je me fusse damné pour soutenir que c'était madame de La Motte. À quoi tiennent les jugements du monde!

Monsieur de Crosne se rapprocha de Cagliostro.

– Voyons, dit-il, précisez s'il vous plaît.

– Oh! monsieur, à présent que vous avez trouvé Oliva avec Beausire, rien ne me fera penser à madame de La Motte, ni ses assiduités, ni ses signes, ni ses correspondances.

– Avec Oliva?

– Mais oui.

– Madame de La Motte et Oliva s'entendaient?

– Parfaitement.

– Elles se voyaient?

– Madame de La Motte avait trouvé moyen de faire sortir chaque nuit Oliva.

– Chaque nuit! En êtes-vous sûr?

– Autant qu'un homme peut l'être de ce qu'il a vu, entendu.

– Oh! monsieur, mais vous me dites là des choses que je paierais mille livres le mot! Quel bonheur pour moi que vous fassiez de l'or!

– Je n'en fais plus, monsieur, c'était trop cher.

– Mais vous êtes l'ami de monsieur de Rohan?

– Je le crois.

– Mais vous devez savoir pour combien cet élément d'intrigues qu'on appelle madame de La Motte entre dans son affaire scandaleuse?

– Non; je veux ignorer cela.

– Mais vous savez peut-être les suites de ces promenades faites par Oliva et madame de La Motte?

– Monsieur, il est des choses que l'homme prudent doit toujours tâcher d'ignorer, repartit sentencieusement Cagliostro.

– Je ne vais plus avoir l'honneur que de vous demander une chose, dit vivement monsieur de Crosne. Avez-vous des preuves que madame de La Motte ait correspondu avec Oliva?

– Cent.

– Lesquelles?

– Des billets de madame de La Motte qu'elle lançait chez Oliva avec une arbalète qu'on trouvera sans doute en son logis. Plusieurs de ces billets, roulés autour d'un morceau de plomb, n'ont pas atteint le but. Ils tombaient dans la rue, mes gens ou moi nous en avons ramassé plusieurs.

– Monsieur, vous les fourniriez à la justice?

– Oh! monsieur, ils sont d'une telle innocence, que je ne m'en ferais pas scrupule, et que je ne croirais pas pour cela mériter un reproche de la part de madame de La Motte.

– Et… les preuves des connivences, des rendez-vous?

– Mille.

– Une seule, je vous prie.

– La meilleure. Il paraît que madame de La Motte avait facilité d'entrer dans ma maison pour voir Oliva, car je l'y ai vue, moi, le jour même où disparut la jeune femme.

– Le jour même?

– Tous mes gens l'ont vue comme moi.

– Ah!.. et que venait-elle faire, si Oliva avait disparu?..

– C'est ce que je me suis demandé d'abord, et je ne me l'expliquais pas. J'avais vu madame de La Motte descendre d'une voiture de poste qui attendait rue du Roi-Doré. Mes gens avaient vu stationner longtemps cette voiture, et ma pensée, je l'avoue, était que madame de La Motte voulait s'attacher Oliva.

– Vous laissiez faire?

– Pourquoi non? C'est une dame charitable et favorisée du sort, cette madame de La Motte. Elle est reçue à la cour. Pourquoi, moi, l'eussé-je empêchée de me débarrasser d'Oliva? J'aurais eu tort, vous le voyez, puisqu'un autre me l'a enlevée pour la perdre encore.

– Ah! dit monsieur de Crosne méditant profondément, mademoiselle Oliva était logée chez vous?

– Oui, monsieur.

– Ah! mademoiselle Oliva et madame de La Motte se connaissaient, se voyaient, sortaient ensemble?

– Oui, monsieur.

– Ah! madame de La Motte a été vue chez vous, le jour de l'enlèvement d'Oliva?

– Oui, monsieur.

– Ah! vous avez pensé que la comtesse voulait s'attacher cette fille?

– Que penser autrement?

– Mais qu'a dit madame de La Motte, quand elle n'a plus trouvé Oliva chez vous?

– Elle m'a paru troublée.

– Vous supposez que c'est ce Beausire qui l'a enlevée?

– Je le suppose uniquement parce que vous me dites qu'il l'a enlevée en effet, sinon je ne soupçonnerais rien. Cet homme-là ne savait pas la demeure d'Oliva. Qui peut la lui avoir apprise?

– Oliva elle-même.

– Je ne crois pas, car au lieu de se faire enlever par lui chez moi, elle se fût enfuie de chez moi chez lui, et je vous prie de croire qu'il ne fût pas entré chez moi, si madame de La Motte ne lui eût fait passer une clef.

– Elle avait une clef?

– On n'en peut pas douter.

– Quel jour l'enleva-t-on, je vous prie? dit monsieur de Crosne, éclairé soudain par le flambeau que lui tendait si habilement Cagliostro.

– Oh! monsieur, pour cela je ne me tromperai pas, c'était la propre veille de la Saint-Louis.

– C'est cela! s'écria le lieutenant de police, c'est cela! monsieur, vous venez de rendre un service signalé à l'État.

– J'en suis bien heureux, monsieur.

– Et vous en serez remercié comme il convient.

– Par ma conscience d'abord, dit le comte.

Monsieur de Crosne le salua.

– Puis-je compter sur la consignation de ces preuves dont nous parlions? dit-il.

– Je suis, monsieur, pour obéir à la justice en toutes choses.

– Eh bien! monsieur, je retiendrai votre parole; à l'honneur de vous revoir.

Et il congédia Cagliostro, qui dit en sortant:

– Ah! comtesse, ah! vipère, tu as voulu m'accuser; je crois que tu as mordu sur la lime; gare à tes dents!

Chapitre XCI
Les interrogatoires

Pendant que monsieur de Crosne causait ainsi avec Cagliostro, monsieur de Breteuil se présentait à la Bastille, de la part du roi, pour interroger monsieur de Rohan.

Entre ces deux ennemis l'entrevue pouvait être orageuse. Monsieur de Breteuil connaissait la fierté de monsieur de Rohan: il avait tiré de lui une vengeance assez terrible pour se tenir désormais à des procédés de politesse. Il fut plus que poli. Monsieur de Rohan refusa de répondre.

Le garde des Sceaux insista; mais monsieur de Rohan déclara qu'il s'en rapportait aux mesures que prendraient le parlement et ses juges.

Monsieur de Breteuil dut se retirer devant l'inébranlable volonté de l'accusé.

Il fit appeler chez lui madame de La Motte occupée à rédiger des mémoires; elle obéit avec empressement.

Monsieur de Breteuil lui expliqua nettement sa situation, qu'elle connaissait mieux que personne. Elle répondit qu'elle avait des preuves de son innocence, qu'elle fournirait quand besoin serait. Monsieur de Breteuil lui fit observer que rien n'était plus urgent.

Toute la fable que Jeanne avait composée, elle la débita; c'étaient toujours les mêmes insinuations contre tout le monde, la même affirmation que les faux reprochés émanaient elle ne savait d'où.

Elle aussi déclara que le parlement étant saisi de cette affaire, elle ne dirait rien d'absolument vrai qu'en présence de monsieur le cardinal, et d'après les charges qu'il ferait peser sur elle.

Monsieur de Breteuil alors lui déclara que le cardinal faisait tout peser sur elle.

– Tout? dit Jeanne, même le vol?

– Même le vol.

– Veuillez faire répondre à monsieur le cardinal, dit froidement Jeanne, que je l'engage à ne pas soutenir plus longtemps un mauvais système de défense.

Et ce fut tout. Mais monsieur de Breteuil n'était pas satisfait. Il lui fallait quelques détails intimes. Il lui fallait, pour sa logique, l'énoncé des causes qui avaient amené le cardinal à tant de témérités envers la reine, la reine à tant de colère contre le cardinal.

Il lui fallait l'explication de tous les procès-verbaux recueillis par monsieur le comte de Provence, et passés à l'état de bruit public.

Le garde des Sceaux était homme d'esprit, il savait agir sur le caractère d'une femme; il promit tout à madame de La Motte si elle accusait nettement quelqu'un.

– Prenez garde, lui dit-il, en ne disant rien, vous accusez la reine; si vous persistez en cela, prenez garde, vous serez condamnée comme coupable de lèse-majesté: c'est la honte, c'est la hart!

– Je n'accuse pas la reine, dit Jeanne; mais pourquoi m'accuse-t-on?

– Accusez alors quelqu'un, dit l'inflexible Breteuil; vous n'avez que ce moyen de vous débarrasser vous-même.

Elle se renferma dans un prudent silence, et cette première entrevue d'elle et du garde des Sceaux n'eut aucun résultat.

Cependant, le bruit se répandait que des preuves avaient surgi, que les diamants s'étaient vendus en Angleterre, où monsieur de Villette fut arrêté par les agents de monsieur de Vergennes.

Le premier assaut que Jeanne eut à soutenir fut terrible. Confrontée avec le Réteau, qu'elle devait croire son allié jusqu'à la mort, elle l'entendit avec terreur avouer humblement qu'il était un faussaire, qu'il avait écrit un reçu des diamants, une lettre de la reine, falsifiant à la fois les signatures des joailliers et celle de Sa Majesté.

Interrogé par quel motif il avait commis ces crimes, il répondit que c'était sur la demande de madame de La Motte.

Éperdue, furieuse, elle nia, elle se défendit comme une lionne; elle prétendit n'avoir jamais vu, ni connu, ce monsieur Réteau de Villette.

Mais là encore elle reçut deux rudes secousses; deux témoignages l'écrasèrent.

Le premier était celui d'un cocher de fiacre, trouvé par monsieur de Crosne, qui déclarait avoir mené, au jour et à l'heure cités par Réteau, une dame vêtue de telle façon, rue Montmartre.

Cette dame, s'entourant de tant de mystères, qui pouvait-elle être, prise par le cocher dans le quartier du marais, sinon madame de La Motte qui habitait rue Saint-Claude.

Et quant à la familiarité qui existait entre ces deux complices, comment la nier quand un témoin affirmait avoir vu, la veille de la Saint-Louis, sur le siège d'une chaise de poste d'où était sortie madame de La Motte, monsieur Réteau de Villette, reconnaissable à sa mine pâle et inquiète.

Le témoin était un des principaux serviteurs de monsieur de Cagliostro.

Ce nom fit bondir Jeanne et la poussa aux extrêmes. Elle se répandit en accusations contre Cagliostro, qu'elle déclarait avoir, par ses sortilèges et ses charmes, fasciné l'esprit du cardinal de Rohan, auquel il inspirait ainsi des idées coupables contre la Majesté royale.

Là était le premier chaînon de l'accusation adultère.

Monsieur de Rohan se défendit en défendant Cagliostro. Il nia si opiniâtrement, que Jeanne, exaspérée, articula, pour la première fois, cette accusation d'un amour insensé du cardinal pour la reine.

Monsieur de Cagliostro demanda aussitôt et obtint d'être incarcéré pour répondre de son innocence à tout le monde. Accusateurs et juges s'enflammant, comme il arrive au premier souffle de la vérité, l'opinion publique prit immédiatement fait et cause pour le cardinal et Cagliostro contre la reine.

Ce fut alors que cette infortunée princesse, pour faire comprendre sa persévérance à suivre le procès, laissa publier les rapports faits au roi sur les promenades nocturnes, et en appelant à monsieur de Crosne, le somma de déclarer ce qu'il savait.

Le coup, habilement calculé, tomba sur Jeanne et faillit l'anéantir à jamais.

L'interrogateur, en plein conseil d'instruction, somma monsieur de Rohan de déclarer ce qu'il savait de ces promenades dans les jardins de Versailles.

Le cardinal répliqua qu'il ne savait pas mentir, et qu'il en appelait au témoignage de madame de La Motte.

Celle-ci nia qu'il y eût jamais eu de promenades faites de son aveu ou à sa connaissance.

Elle déclara menteurs les procès-verbaux et relations qui la dénonçaient comme ayant paru aux jardins, soit en compagnie de la reine, soit en la compagnie du cardinal.

Cette déclaration innocentait Marie-Antoinette, s'il eût été possible de croire aux paroles d'une femme accusée de faux et de vol. Mais, venant de cette part, la justification semblait être un acte de complaisance, et la reine ne supporta pas d'être justifiée de la sorte.

Aussi, quand Jeanne cria le plus fort qu'elle n'avait jamais paru de nuit dans le jardin de Versailles, et que jamais elle n'avait rien vu ou su des affaires particulières à la reine et au cardinal, à ce moment Oliva parut, vivant témoignage qui fit changer l'opinion et détruisit tout l'échafaudage de mensonges entassés par la comtesse.

Comment ne fut-elle pas ensevelie sous les ruines? Comment se releva-t-elle plus haineuse et plus terrible? Nous n'expliquons pas seulement ce phénomène par sa volonté, nous l'expliquons par la fatale influence qui s'attachait à la reine.

Oliva confrontée avec le cardinal, quel coup terrible! Monsieur de Rohan s'apercevant enfin qu'il avait été joué d'une manière infâme! Cet homme plein de délicatesses et de nobles passions, découvrant qu'une aventurière, associée à une friponne, l'avaient conduit à mépriser tout haut la reine de France, une femme qu'il aimait et qui n'était pas coupable!

L'effet de cette apparition sur monsieur de Rohan serait, à notre gré, la scène la plus dramatique et la plus importante de cette affaire, si nous n'allions, en nous rapprochant de l'histoire, tomber dans la fange, le sang et l'horreur.

Quand monsieur de Rohan vit Oliva, cette reine de carrefour, et qu'il se rappela la rose, la main serrée et les bains d'Apollon, il pâlit, et eût répandu tout son sang aux pieds de Marie-Antoinette, s'il l'eût vue à côté de l'autre en ce moment.

Que de pardons, que de remords s'élancèrent de son âme pour aller avec ses larmes purifier le dernier degré de ce trône où un jour il avait répandu son mépris avec le regret d'un amour dédaigné.

Mais cette consolation même lui était interdite; mais il ne pouvait accepter l'identité d'Oliva sans avouer qu'il aimait la véritable reine; mais l'aveu de son erreur était une accusation, une souillure. Il laissa Jeanne nier tout. Il se tut.

Et lorsque monsieur de Breteuil voulut, avec monsieur de Crosne, forcer Jeanne à s'expliquer plus longuement:

– Le meilleur moyen, dit-elle, de prouver que la reine n'a pas été promener dans le parc la nuit, c'est de montrer une femme qui ressemble à la reine, et qui prétend avoir été dans le parc. On la montre; c'est bien.

Cette infâme insinuation eut du succès. Elle infirmait encore une fois la vérité.

Mais comme Oliva, dans son inquiétude ingénue, donnait tous les détails et toutes les preuves, comme elle n'omettait rien, comme elle se faisait bien mieux croire que la comtesse, Jeanne eut recours à un moyen désespéré; elle avoua.

Elle avoua qu'elle avait mené le cardinal à Versailles; que Son Excellence voulait à tout prix voir la reine, lui donner l'assurance de son respectueux attachement; elle avoua, parce qu'elle sentit derrière elle tout un parti qu'elle n'avait pas si elle se renfermait dans la négative; elle avoua, parce qu'en accusant la reine, c'était se donner pour auxiliaires tous les ennemis de la reine, et ils étaient nombreux.

Alors, pour la dixième fois dans cet infernal procès, les rôles changèrent: le cardinal joua celui d'une dupe, Oliva celui d'une prostituée sans poésie et sans sens, Jeanne celui d'une intrigante; elle n'en pouvait choisir de meilleur.

Mais comme, pour faire réussir ce plan ignoble, il fallait que la reine jouât aussi un rôle, on lui donna le plus odieux, le plus abject, le plus compromettant pour la dignité royale, celui d'une coquette étourdie, d'une grisette qui trame des mystifications. Marie-Antoinette devint Dorimène conspirant avec Frosine contre monsieur Jourdain, cardinal.

Jeanne déclara que ces promenades étaient faites de l'aveu de Marie-Antoinette qui, cachée derrière une charmille, écoutait en riant à en mourir les discours passionnés de l'amoureux monsieur de Rohan.

Voilà ce que choisit pour son dernier retranchement cette voleuse qui ne savait plus où cacher son vol; ce fut le manteau royal fait de l'honneur de Marie-Thérèse et de Marie Leckzinska.

La reine succomba sous cette dernière accusation, car elle n'en pouvait prouver la fausseté. Elle ne le pouvait, parce que, poussée à bout, Jeanne déclara qu'elle publierait toutes les lettres d'amour écrites par monsieur de Rohan à la reine, et qu'en effet elle possédait ces lettres brûlantes d'une passion insensée.

Elle ne le pouvait, parce que mademoiselle Oliva, qui affirmait avoir été poussée par Jeanne dans le parc de Versailles, n'avait pas la preuve que quelqu'un écoutât ou n'écoutât pas derrière les charmilles.

Enfin la reine ne pouvait prouver son innocence, parce que trop de gens avaient intérêt à prendre ces mensonges infâmes pour la vérité.

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12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
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