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Kitabı oku: «Le Collier de la Reine, Tome II», sayfa 23

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Chapitre XCII
Dernier espoir perdu

À la façon dont Jeanne avait engagé l'affaire, il devenait impossible, on le voit, de découvrir la vérité.

Convaincue irrécusablement, par vingt témoignages émanant de personnes dignes de foi, du détournement des diamants, Jeanne n'avait pu se décider à passer pour une voleuse vulgaire. Il lui fallait la honte de quelqu'un à côté de la sienne. Elle se persuadait que le bruit du scandale de Versailles couvrirait si bien son crime, à elle, comtesse de La Motte, que fût-elle condamnée, l'arrêt frapperait la reine avant tout le monde.

Son calcul avait donc échoué. La reine, en acceptant franchement le débat sur la double affaire, le cardinal, en subissant son interrogatoire, juges et scandale, enlevaient à leur ennemie l'auréole d'innocence qu'elle s'était plu à dorer de toutes ses hypocrites réserves.

Mais, chose étrange! le public allait voir se dérouler devant lui un procès dans lequel personne ne serait innocent, même ceux qu'absoudrait la justice.

Après des confrontations sans nombre, dans lesquelles le cardinal fut constamment calme et poli, même avec Jeanne, dans lesquelles Jeanne se montra violente et nuisible à tous, l'opinion publique en général, et celle des juges en particulier, se trouva formée irrévocablement.

Tous les incidents étaient devenus à peu près impossibles, toutes les révélations étaient épuisées. Jeanne s'aperçut qu'elle n'avait produit aucun effet sur ses juges.

Elle résuma donc dans le silence du cachot toutes ses forces, toutes ses espérances.

De tout ce qui entourait ou servait monsieur de Breteuil, le conseil venait à Jeanne de ménager la reine et charger sans pitié le cardinal.

De tout ce qui touchait le cardinal, famille puissante, juges partiaux pour la cause populaire, clergé fécond en ressources, le conseil venait à madame de La Motte de dire toute la vérité, de démasquer les intrigues de cour, et de pousser le bruit à un tel point qu'il s'ensuivît un étourdissement mortel aux têtes couronnées.

Ce parti cherchait à intimider Jeanne, il lui représentait encore ce qu'elle savait trop bien, que la majorité des juges penchait pour le cardinal, qu'elle se briserait sans utilité dans la lutte, et il ajoutait que peut-être, à moitié perdue qu'elle était, il valait mieux se laisser condamner pour l'affaire des diamants que de soulever les crimes de lèse-majesté, limon sanglant endormi au fond des codes féodaux, et qu'on n'appelait jamais à la surface d'un procès sans y faire monter aussi la mort.

Ce parti semblait sûr de la victoire. Il l'était. L'enthousiasme du peuple se manifestait avec celui en faveur du cardinal. Les hommes admiraient sa patience et les femmes sa discrétion. Les hommes s'indignaient qu'il eût été si lâchement trompé; les femmes ne le voulaient pas croire. Pour une quantité de gens, Oliva toute vivante, avec sa ressemblance et ses aveux, n'exista jamais, ou si elle existait, c'est que la reine l'avait inventée exprès pour la circonstance.

Jeanne réfléchissait à tout cela. Ses avocats eux-mêmes l'abandonnaient, ses juges ne dissimulaient pas leur répulsion; les Rohan la chargeaient vigoureusement; l'opinion publique la dédaignait. Elle résolut de frapper un dernier coup pour donner de l'inquiétude à ses juges, de la crainte aux amis du cardinal, du ressort à la haine publique contre Marie-Antoinette.

Son moyen devait être celui-ci, quant à la cour.

Faire croire qu'elle avait continuellement ménagé la reine et qu'elle allait tout dévoiler si on la poussait à bout.

Quant au cardinal, il fallait faire croire qu'elle ne gardait le silence que pour imiter sa délicatesse; mais que, du moment où il parlerait, affranchie par cet exemple, elle parlerait aussi, et que tous deux ils découvriraient à la fois leur innocence et la vérité.

Ce n'était là, réellement, qu'un résumé de sa conduite pendant l'instruction du procès. Mais, il faut le dire, tout mets connu peut se rajeunir, grâce à des assaisonnements nouveaux. Voici ce qu'imagina la comtesse pour rafraîchir ses deux stratagèmes.

Elle écrivit une lettre à la reine, une lettre dont les termes seuls révèlent le caractère et la portée.

«Madame,

«Malgré tout ce que ma position a de pénible et de rigoureux, il ne m'est pas échappé une seule plainte. Tous les détours dont on a fait usage pour m'extorquer des aveux n'ont contribué qu'à me fortifier dans la résolution de ne jamais compromettre ma souveraine.

«Cependant, quelque persuadée que je sois que ma constance et ma discrétion doivent me faciliter les moyens de sortir de l'embarras où je me trouve, j'avoue que les efforts de la famille de l'esclave (la reine appelait ainsi le cardinal aux jours de leur réconciliation) me font craindre de devenir sa victime.

«Un long emprisonnement, des confrontations qui ne finissent pas, la honte et le désespoir de me voir accusée d'un crime dont je suis innocente ont affaibli mon courage, et je tremble que ma constance ne succombe à tant de coups portés à la fois.

«Madame peut d'un seul mot mettre fin à cette malheureuse affaire par l'entremise de monsieur de Breteuil, qui peut lui donner, aux yeux du ministre (le roi) la tournure que son intelligence lui suggérera, sans que madame soit compromise en aucune manière. C'est la crainte d'être obligée de tout révéler qui nécessite la démarche que je fais aujourd'hui, persuadée que madame aura égard aux motifs qui me forcent d'y recourir, et qu'elle donnera des ordres pour me tirer de la pénible situation où je me trouve.

«Je suis, avec un profond respect, de madame, la très humble et obéissante servante,

«Comtesse de VALOIS DE LA MOTTE»

Jeanne avait tout calculé, comme on le voit.

Ou cette lettre irait à la reine et l'épouvanterait par la persévérance qu'elle dénotait, après tant de traverses, et alors la reine, qui devait être fatiguée de la lutte, se déciderait à en finir par l'élargissement de Jeanne, puisque sa prison et son procès n'avaient rien amené.

Ou, ce qui était bien plus probable, et ce qui est prouvé par la fin même de la lettre, Jeanne ne comptait en rien sur la lettre, et c'est aisé à démontrer: car lancée ainsi dans le procès, la reine ne pouvait rien arrêter sans se condamner elle-même. Il est donc évident que jamais Jeanne n'avait compté que sa lettre dût être remise à la reine.

Elle savait que tous ses gardiens étaient dévoués au gouverneur de la Bastille, c'est-à-dire à monsieur de Breteuil. Elle savait que tout le monde en France faisait de cette affaire du collier une spéculation toute politique, ce qui n'était pas arrivé depuis les parlements de monsieur de Maupeou. Il était certain que le messager qu'elle chargerait de cette lettre, s'il ne la donnait au gouverneur, la garderait pour lui ou pour les juges de son opinion. Elle avait enfin disposé toutes choses pour que cette lettre, en tombant dans des mains quelconques, y déposât un levain de haine, de défiance et d'irrévérence contre la reine.

En même temps qu'elle écrivait cette lettre à Marie-Antoinette, elle en rédigeait une autre pour le cardinal.

«Je ne puis concevoir, monseigneur, que vous vous obstiniez à ne pas parler clairement. Il me semble que vous n'avez rien de mieux à faire que d'accorder une confiance illimitée à nos juges; notre sort en deviendrait plus heureux. Quant à moi, je suis résolue à me taire si vous ne voulez pas me seconder. Mais que ne parlez-vous? Expliquez toutes les circonstances de cette affaire mystérieuse, et je vous jure de confirmer tout ce que vous aurez avancé; réfléchissez-y bien, monsieur le cardinal, si je prends sur moi de parler la première, et que vous désavouiez ce que je pourrais dire, je suis perdue, je n'échapperai pas à la vengeance de celle qui veut nous sacrifier.

«Mais vous n'avez rien à craindre de semblable de ma part, mon dévouement vous est connu. S'il arrivait qu'elle fût implacable, votre cause serait toujours la mienne; je sacrifierais tout pour vous soustraire aux effets de sa haine, ou notre disgrâce serait commune.

«P. – S. J'ai écrit à elle une lettre qui la décidera, je l'espère, sinon à dire la vérité, du moins à ne pas nous accabler, nous qui n'avons d'autre crime à nous reprocher que notre erreur ou notre silence.»

Cette lettre artificieuse fut remise par elle au cardinal dans leur dernière confrontation au grand parloir de la Bastille et l'on vit le cardinal rougir, pâlir et frissonner en présence d'une semblable audace. Il sortit pour reprendre haleine.

Quant à la lettre pour la reine, elle fut remise à l'instant même par la comtesse à l'abbé Lekel, aumônier de la Bastille, qui avait accompagné le cardinal au parloir, et dévoué aux intérêts des Rohan.

– Monsieur, lui dit-elle, vous pouvez, en vous chargeant de ce message, faire changer le sort de monsieur de Rohan et le mien. Prenez connaissance de ce qu'il renferme. Vous êtes un homme obligé au secret par vos devoirs. Vous vous convaincrez que j'ai frappé à la seule porte où nous puissions, monsieur le cardinal et moi, demander secours.

L'aumônier refusa.

– Vous ne voyez que moi d'ecclésiastique, répliqua-t-il. Sa Majesté croira que vous lui avez écrit d'après mes conseils et que vous m'avez tout avoué; je ne puis consentir à me perdre.

– Eh bien! dit Jeanne, désespérant du succès de sa ruse, mais voulant contraindre le cardinal par l'intimidation, dites à monsieur de Rohan qu'il me reste un moyen de prouver mon innocence, c'est de faire lire les lettres qu'il écrivait à la reine. Ce moyen, je répugnais à en user; mais, dans notre intérêt commun, je m'y résoudrai.

En voyant l'aumônier épouvanté par ces menaces, elle essaya une dernière fois de lui mettre dans les mains sa terrible lettre à la reine.

«S'il prend la lettre, se disait-elle, je suis sauvée, parce que alors, en pleine audience, je lui demanderai ce qu'il en a fait, et s'il l'a remise à la reine et sommée d'y faire réponse; s'il ne l'a pas remise, la reine est perdue; l'hésitation des Rohan aura prouvé son crime et mon innocence.»

Mais l'abbé Lekel eut-il à peine la lettre dans les mains, qu'il la rendit comme si elle le brûlait.

– Faites attention, dit Jeanne pâle de colère, que vous ne risquez rien, car j'ai caché la lettre de la reine dans une enveloppe adressée à madame de Misery.

– Raison de plus! s'écria l'abbé, deux personnes sauraient le secret. Double motif de ressentiment pour la reine. Non, non, je refuse.

Et il repoussa les doigts de la comtesse.

– Remarquez, dit-elle, que vous me réduisez à faire usage des lettres de monsieur de Rohan.

– Soit, repartit l'abbé, faites-en usage, madame.

– Mais, reprit Jeanne tremblante de fureur, comme je vous déclare que la preuve d'une correspondance secrète avec Sa Majesté fait tomber sur un échafaud la tête du cardinal, vous êtes libre de dire: Soit! Je vous aurai averti.

La porte s'ouvrit en ce moment, et le cardinal reparut, superbe et courroucé, sur le seuil:

– Faites tomber sur un échafaud la tête d'un Rohan, madame, répondit-il, ce ne sera pas la première fois que la Bastille aura vu ce spectacle. Mais, puisqu'il en est ainsi, je vous déclare, moi, que je ne reprocherai rien à l'échafaud sur lequel roulera ma tête, pourvu que je voie celui sur lequel vous serez flétrie comme voleuse et faussaire! Venez, l'abbé, venez!

Il tourna le dos à Jeanne, après ces paroles foudroyantes, et sortant avec l'aumônier, laissa dans la rage et le désespoir cette malheureuse créature, qui ne pouvait faire un mouvement sans se prendre de plus en plus dans la fange mortelle où bientôt elle allait plonger tout entière.

Chapitre XCIII
Le baptême du petit Beausire

Madame de La Motte s'était fourvoyée dans chacun de ses calculs. Cagliostro ne se trompa dans aucun.

À peine à la Bastille, il s'aperçut que le prétexte lui était donné enfin de travailler ouvertement à la ruine de cette monarchie que, depuis tant d'années, il sapait sourdement avec l'illuminisme et les travaux occultes.

Sûr de n'être en rien convaincu, victime arrivée au dénouement le plus favorable à ses vues, il tint religieusement sa promesse envers tout le monde.

Il prépara les matériaux de cette fameuse lettre de Londres, qui, paraissant un mois après l'époque où nous sommes arrivés, fut le premier coup de bélier appliqué sur les murs de la vieille Bastille, la première hostilité de la révolution, le premier choc matériel qui précéda celui du 14 juillet 1789.

Dans cette lettre où Cagliostro, après avoir ruiné roi, reine, cardinal, agioteurs publics, ruinait monsieur de Breteuil, personnification de la tyrannie ministérielle, notre démolisseur s'exprimait ainsi:

«Oui, je le répète libre après l'avoir dit captif, il n'est pas de crime qui ne soit expié par six mois de Bastille. Quelqu'un me demande si je retournerai jamais en France? Assurément, ai-je répondu, pourvu que la Bastille soit devenue une promenade publique. Dieu le veuille! Vous avez tout ce qu'il faut pour être heureux, vous autres Français: sol fécond, doux climat, bon cœur, gaieté charmante, du génie et des grâces propres à tout; sans égaux dans l'art de plaire, sans maîtres dans les autres, il ne vous manque, mes bons amis, qu'un petit point: c'est d'être sûrs de coucher dans vos lits quand vous êtes irréprochables.»

Cagliostro avait tenu sa parole aussi à Oliva. Celle-ci, de son côté, fut religieusement fidèle. Il ne lui échappa point un mot qui compromît son protecteur. Elle n'eut d'autre aveu funeste que pour madame de La Motte, et posa d'une façon nette et irrécusable sa participation innocente à une mystification adressée, selon elle, à un gentilhomme inconnu qu'on lui avait désigné sous le nom de Louis.

Pendant le temps qui s'était écoulé pour les captifs sous les verrous et dans les interrogatoires, Oliva n'avait pas revu son cher Beausire, mais elle n'était cependant point abandonnée tout à fait de lui, et, comme on va le voir, elle avait de son amant le souvenir que désirait Didon quand elle disait en rêvant: Ah! s'il m'était donné de voir jouer sur mes genoux un petit Ascagne!

Au mois de mai de l'année 1786, un homme attendait au milieu des pauvres sur les degrés du portail de Saint-Paul, rue Saint-Antoine. Il était inquiet, haletant, il regardait, sans pouvoir en détacher les yeux, dans la direction de la Bastille.

Auprès de lui vint se placer un homme à longue barbe, un des serviteurs allemands de Cagliostro, celui que Balsamo employait comme chambellan dans ses mystérieuses réceptions de l'ancienne maison de la rue Saint-Claude.

Cet homme arrêta la fougue impatiente de Beausire, et lui dit tout bas:

– Attendez, attendez, ils viendront.

– Ah! s'écria l'homme inquiet, c'est vous!

Et comme le ils viendront ne satisfaisait point, à ce qu'il paraît, l'homme inquiet, qui continuait à gesticuler plus que de raison, l'Allemand lui dit à l'oreille:

– Monsieur Beausire, vous allez tant faire de bruit que la police nous verra… Mon maître vous avait promis des nouvelles, je vous en donne.

– Donnez! donnez, mon ami!

– Plus bas. La mère et l'enfant se portent bien.

– Oh! oh! s'écria Beausire dans un transport de joie impossible à décrire, elle est accouchée! elle est sauvée!

– Oui, monsieur; mais tirez à l'écart, je vous prie.

– D'une fille?

– Non, monsieur, d'un garçon.

– Tant mieux! Oh! mon ami, que je suis heureux, que je suis heureux. Remerciez bien votre maître; dites-lui bien que ma vie, que tout ce que j'ai est à lui…

– Oui, monsieur Beausire, oui, je lui dirai cela quand je le verrai.

– Mon ami, pourquoi me disiez-vous tout à l'heure?.. Mais prenez donc ces deux louis.

– Monsieur, je n'accepte rien que de mon maître.

– Ah! pardon, je ne voulais pas vous offenser.

– Je le crois, monsieur. Mais vous me disiez?

– Ah! je vous demandais pourquoi, tout à l'heure, vous vous êtes écrié: Ils viendront? Qui viendra, s'il vous plaît?

– Je voulais parler du chirurgien de la Bastille et de la dame Chopin, sage-femme, qui ont accouché mademoiselle Oliva.

– Ils viendront ici? Pourquoi?

– Pour faire baptiser l'enfant.

– Je vais voir mon enfant! s'écria Beausire en bondissant comme un convulsionnaire. Vous dites que je vais voir le fils d'Oliva! ici, tout à l'heure?..

– Ici, tout à l'heure; mais modérez-vous, je vous en supplie; autrement, les deux ou trois agents de monsieur de Crosne, que je devine être cachés sous les haillons de ces mendiants, vous découvriront et devineront que vous avez eu communication avec le prisonnier de la Bastille. Vous vous perdrez et vous compromettrez mon maître.

– Oh! s'écria Beausire avec la religion du respect et de la reconnaissance, plutôt mourir que de prononcer une syllabe qui nuise à mon bienfaiteur. J'étoufferai, s'il le faut, mais je ne dirai plus rien. Ils ne viennent pas!..

– Patience.

Beausire se rapprocha de l'Allemand.

– Est-elle un peu heureuse, là-bas? demanda-t-il en joignant les mains.

– Parfaitement heureuse, répondit l'autre. Oh! voici un fiacre qui vient.

– Oui, oui.

– Il s'arrête…

– Il y a du blanc, de la dentelle…

– La tavaïolle4 de l'enfant.

– Mon Dieu!

Et Beausire fut obligé de s'appuyer sur une colonne pour ne pas chanceler, quand il vit sortir du fiacre la sage-femme, le chirurgien et un porte-clefs de la Bastille, faisant l'office de témoins dans cette rencontre.

Au passage de ces trois personnes, les pauvres s'émurent et nasillèrent leurs lamentables réclamations.

On vit alors, chose étrange, le parrain et la marraine passer en coudoyant ces misérables, tandis qu'un étranger leur distribuait sa monnaie et ses écus en pleurant de joie.

Puis, le petit cortège étant entré dans l'église, Beausire entra derrière et vint, avec les prêtres et les fidèles curieux, chercher la meilleure place de la sacristie où allait s'accomplir le sacrement du baptême.

Le prêtre reconnaissant la sage-femme et le chirurgien, qui plusieurs fois déjà avaient eu recours à son ministère pour des circonstances pareilles, leur fit un petit salut amical, accompagné d'un sourire.

Beausire salua et sourit avec le prêtre.

La porte de la sacristie se ferma alors, et le prêtre, prenant sa plume, commença d'écrire sur son registre les phrases sacramentelles qui constituent l'acte d'enregistrement.

Lorsqu'il en vint à demander le nom et les prénoms de l'enfant:

– C'est un garçon, dit le chirurgien, voilà tout ce que je sais.

Et quatre éclats de rire ponctuèrent ce mot, qui ne parut pas assez respectueux à Beausire.

– Il a bien un nom quelconque, fût-ce un nom de saint, ajouta le prêtre.

– Oui, la demoiselle a voulu qu'on l'appelât Toussaint.

– Ils y sont tous, alors! répliqua le prêtre en riant de son jeu de mots, ce qui emplit la sacristie d'une hilarité nouvelle.

Beausire commençait à perdre patience, mais la sage influence de l'Allemand le maintenait encore. Il se contint.

– Eh bien! dit le prêtre, avec ce prénom-là, avec tous saints pour patrons, on peut se passer de père. Écrivons: «Aujourd'hui, nous a été présenté un enfant du sexe masculin, né hier, à la Bastille, fils de Nicole-Oliva Legay et de… père inconnu.»

Beausire s'élança furieux aux côtés du prêtre, et lui retenant le poignet avec force:

– Toussaint a un père, s'écria-t-il, comme il a une mère! Il a un tendre père qui ne reniera point son sang. Écrivez, je vous prie, que Toussaint, né hier, de la demoiselle Nicole-Oliva Legay, est fils de Jean-Baptiste Toussaint de Beausire, ici présent!

Qu'on juge de la stupéfaction du prêtre, de celle du parrain et de la marraine! La plume tomba des mains du premier, l'enfant faillit tomber des bras de la sage-femme.

Beausire le reçut dans les siens, et, le couvrant de baisers avides, il laissa tomber sur le front du pauvre petit le premier baptême, le plus sacré en ce monde après celui qui vient de Dieu, le baptême des larmes paternelles.

Les assistants, malgré leur habitude des scènes dramatiques et le scepticisme ordinaire aux voltairiens de cette époque, furent attendris. Le prêtre seul garda son sang-froid et révoqua en doute cette paternité; peut-être était-il contrarié d'avoir à recommencer ses écritures.

Mais Beausire devina la difficulté; il déposa sur les fonts baptismaux trois louis d'or, qui, bien mieux que ses larmes, établirent son droit de père et firent briller sa bonne foi.

Le prêtre salua, ramassa les soixante-douze livres, et biffa les deux phrases qu'il venait d'écrire en goguenardant sur son registre.

– Seulement, monsieur, dit-il, comme la déclaration de monsieur le chirurgien de la Bastille et de la dame Chopin avait été formelle, vous voudrez bien écrire vous-même et certifier que vous vous déclarez le père de cet enfant.

– Moi! s'écria Beausire au comble de la joie; mais je l'écrirais de mon sang!

Et il saisit la plume avec enthousiasme.

– Prenez garde, lui dit tout bas le porte-clefs Guyon, qui n'avait pas oublié son rôle d'homme scrupuleux. Je crois, mon cher monsieur, que votre nom sonne mal en de certains endroits; il y a danger à l'écrire sur des registres publics, avec une date qui donne à la fois la preuve de votre présence et de votre commerce avec une accusée.

– Merci de votre conseil, l'ami, répliqua Beausire avec fierté; il sent son honnête homme et vaut les deux louis d'or que je vous offre; mais renier le fils de ma femme…

– Elle est votre femme? s'écria le chirurgien.

– Légitime! s'écria le prêtre.

– Que Dieu lui rende la liberté, dit Beausire en tremblant de plaisir, et le lendemain Nicole Legay s'appellera de Beausire, comme son fils et comme moi.

– En attendant, vous vous risquez, répéta Guyon; je crois qu'on vous cherche.

– Ce ne sera pas moi qui vous trahirai, dit le chirurgien.

– Ni moi, dit la sage-femme.

– Ni moi, fit le prêtre.

– Et quand on me trahirait, continua Beausire avec l'exaltation des martyrs, je souffrirai jusqu'à la roue pour avoir la consolation de reconnaître mon fils.

– S'il était roué, dit tout bas à la sage-femme monsieur Guyon, qui se piquait de repartie, ce ne serait pas pour s'être dit le père du petit Toussaint.

Et sur cette plaisanterie qui fit sourire dame Chopin, il fut procédé dans les formes à l'enregistrement et à la reconnaissance du jeune Beausire.

Beausire écrivit sa déclaration dans des termes magnifiques, mais un peu verbeux, comme sont les relations de tout exploit dont s'enorgueillit l'auteur.

Il la relut, la ponctua, la parapha, et fit parapher par les quatre personnes présentes.

Puis, ayant tout lu et vérifié de nouveau, il embrassa son fils, dûment baptisé, lui glissa une dizaine de louis sous sa tavaïolle, lui suspendit une bague au col, présent destiné à l'accouchée, et, fier comme Xénophon pendant sa fameuse retraite, il ouvrit la porte de la sacristie, décidé à ne pas user du moindre stratagème pour échapper aux sbires, s'il en trouvait d'assez dénaturés pour le saisir en ce moment.

Les groupes de mendiants n'avaient pas quitté l'église. Beausire, s'il eût pu les regarder avec des yeux plus fermes, eût peut-être reconnu parmi eux ce fameux Positif, auteur de sa disgrâce; mais rien ne bougea. La nouvelle distribution que fit Beausire fut reçue avec des: Dieu vous garde! sans mesure, et l'heureux père s'échappa de Saint-Paul avec toutes les apparences d'un gentilhomme vénéré, choyé, béni et caressé des pauvres de sa paroisse.

Quant aux témoins du baptême, ils se retirèrent de leur côté et regagnèrent leur fiacre, émerveillés de cette aventure.

Beausire les guetta du coin de la rue Culture-Sainte-Catherine, les vit monter en voiture, envoya deux ou trois baisers palpitants à son fils, et quand son cœur se fut assez complètement épanché, quand le fiacre eut disparu à ses yeux, il songea qu'il ne fallait tenter ni Dieu ni la police, et gagna un lieu d'asile connu de lui seul, de Cagliostro et de monsieur de Crosne.

C'est-à-dire que monsieur de Crosne, lui aussi, avait tenu parole à Cagliostro et n'avait pas fait inquiéter Beausire.

Lorsque l'enfant rentra dans la Bastille et que la dame Chopin eut appris à Oliva tant d'aventures surprenantes, celle-ci, passant à son plus gros doigt la bague de Beausire, se prit à pleurer aussi, et, ayant embrassé son enfant à qui déjà on cherchait une nourrice:

– Non, dit-elle, autrefois monsieur Gilbert, élève de monsieur Rousseau, prétendait que toute bonne mère doit nourrir son enfant, je nourrirai mon fils; je veux être au moins une bonne mère, ce sera toujours cela.

4.Linge fin orné de dentelles.
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28 eylül 2017
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