Kitabı oku: «Le Collier de la Reine, Tome II», sayfa 26
– Eh bien! madame?
– Eh bien! monsieur, on ne fait amende honorable qu'en conséquence d'un arrêt qui condamne à une peine infamante. Le bannissement n'est pas, que je sache, une peine infamante dans la loi française?
– Je ne vous ai pas dit, madame, que vous fussiez condamnée au bannissement, dit le greffier avec une tristesse grave.
– Alors! s'écria Jeanne avec explosion, à quoi donc suis-je condamnée?
– C'est ce que vous allez savoir en écoutant l'arrêt, madame, et, pour l'écouter, vous commencerez, s'il vous plaît, par vous mettre à genoux.
– Jamais! jamais!
– Madame, c'est l'article premier de mes instructions.
– Jamais! jamais, vous dis-je!
– Madame, il est écrit que si la condamnée refuse de s'agenouiller…
– Eh bien?
– Eh bien! la force l'y contraindra.
– La force! envers une femme!
– Une femme ne doit pas plus qu'un homme manquer au respect dû au roi et à la justice.
– Et à la reine! n'est-ce pas? cria furieusement Jeanne; car je reconnais bien là-dedans la main d'une femme ennemie!
– Vous avez tort d'accuser la reine, madame; Sa Majesté n'est pour rien dans la rédaction des arrêts de la cour. Allons, madame, je vous en conjure, épargnez-nous la nécessité des violences; à genoux!
– Jamais! jamais! jamais!
Le greffier roula ses papiers, et en tira de sa large poche un fort épais qu'il tenait en réserve dans la prévision de ce qui arrivait.
Et il lut l'ordre formel donné par le procureur général à la force publique de contraindre l'accusée rebelle à s'agenouiller, pour satisfaire à justice.
Jeanne s'arc-bouta dans un angle de la prison, en défiant du regard cette force publique, qu'elle avait cru être les baïonnettes dressées sur l'escalier derrière la porte.
Mais le greffier ne la fit pas ouvrir, cette porte; il fit signe aux deux hommes dont nous avons parlé, lesquels deux hommes s'approchèrent tranquillement comme ces machines de guerre, trapues et inébranlables, qu'on arme contre une muraille dans les sièges.
Un bras de chacun de ces hommes saisit Jeanne sous les épaules et la traîna au milieu de la salle, malgré ses cris et ses hurlements.
Le greffier s'assit impassible et attendit.
Jeanne ne voyait pas que pour se faire ainsi traîner, elle avait dû s'agenouiller aux trois quarts. Un mot du greffier l'en fit s'apercevoir.
– Bien comme cela, dit-il.
Aussitôt le ressort se détendit, Jeanne bondit à deux pieds du sol dans les bras des hommes qui la maintenaient.
– Il est bien inutile que vous criiez ainsi, dit le greffier, car on ne vous entend pas au-dehors, et ensuite vous n'entendrez pas la lecture que je dois vous faire de l'arrêt.
– Permettez que j'entende debout, et j'écouterai en silence, dit Jeanne haletante.
– Toutefois qu'un coupable est puni du fouet, dit le greffier, la punition est infamante et entraîne la génuflexion.
– Le fouet! hurla Jeanne. Le fouet! Ah! misérable! Le fouet, dites-vous?..
Et ses vociférations devinrent telles, qu'elles étourdirent le geôlier, le greffier, les deux aides, et que tous ces hommes, perdant la tête, commencèrent, comme des gens ivres, à vouloir dompter la matière par la matière.
Alors ils se jetèrent sur Jeanne et la terrassèrent; mais elle résista victorieusement. Ils voulurent lui faire plier les jarrets; elle raidit ses muscles comme des lames d'acier.
Elle restait suspendue en l'air dans les mains de ces hommes, et elle agitait ses pieds et ses mains de façon à leur infliger de cruelles blessures.
Ils se partagèrent la besogne: un d'eux lui tint les pieds comme dans un étau; les deux autres l'enlevèrent par les poignets, et ils criaient au greffier:
– Lisez, lisez toujours sa sentence, monsieur le greffier, sans quoi nous n'en finirons jamais avec cette enragée!
– Je ne laisserai jamais lire une sentence qui me condamne à l'infamie, cria Jeanne en se débattant avec une force surhumaine. Et joignant l'action à la menace, elle domina la voix du greffier par des rugissements et des cris d'une telle acuité, que pas un mot de ce qu'il lut elle ne l'entendit.
Sa lecture achevée, il replia ses papiers et les remit dans sa poche.
Jeanne croyant qu'il avait fini se tut, et essaya de reprendre des forces pour braver encore ces hommes. Elle fit succéder aux rugissements des éclats de rire plus féroces encore.
– Et, continua le greffier paisiblement comme une fin de formule banale, sera la sentence exécutée sur la place des exécutions, cour de justice du Palais!
– Publiquement! hurla la malheureuse… Oh!..
– Monsieur de Paris, je vous livre cette femme, acheva de dire le greffier en s'adressant à l'homme au tablier de cuir.
– Qui donc est cet homme? fit Jeanne dans un dernier paroxysme d'épouvante et de rage.
– Le bourreau! répondit en s'inclinant le greffier, qui rajustait ses manchettes.
À peine le greffier avait-il achevé ce mot, que les deux exécuteurs s'emparèrent de Jeanne et l'enlevèrent pour la porter du côté de la galerie qu'elle avait aperçue. La défense qu'elle opposa, il faut renoncer à la dépeindre. Cette femme qui, dans la vie ordinaire, s'évanouissait pour une égratignure, supporta pendant près d'une heure les mauvais traitements et les coups des deux exécuteurs; elle fut traînée jusqu'à la porte extérieure sans avoir un moment cessé de pousser les plus effrayantes clameurs.
Au-delà de ce guichet, où les soldats réunis contenaient la foule, la petite cour, dite cour de justice, apparut soudain avec les deux ou trois mille spectateurs que la curiosité y avait convoqués depuis les préparatifs et l'apparition de l'échafaud.
Sur une estrade élevée d'environ huit pieds, un poteau noir, garni d'anneaux de fer, se dressait, surmonté d'un écriteau que le greffier, par ordre sans doute, avait tâché de rendre illisible.
Cette estrade n'avait point de rampe; on y montait par une échelle sans rampe également. La seule balustrade qu'on y remarquât, c'étaient les baïonnettes des archers. Elles en fermaient l'accès comme une grille à pointes reluisantes.
La foule, voyant que les portes du palais s'ouvraient, que les commissaires venaient avec leur baguette, que le greffier marchait, ses papiers à la main, commença son mouvement d'ondulation qui la fait ressembler à la mer.
Partout les cris de: La voilà! la voilà! retentissaient avec des épithètes peu honorables pour la condamnée, et çà et là quelques observations peu charitables pour les juges.
Car Jeanne avait bien raison: elle s'était fait un parti depuis sa condamnation. Tels la méprisaient deux mois avant, qui l'eussent réhabilitée depuis qu'elle s'était posée en antagoniste de la reine.
Mais monsieur de Crosne avait tout prévu. Les premiers rangs de cette salle de spectacle avaient été occupés par un parterre dévoué à ceux qui payaient les frais de spectacle. On remarquait là, auprès des agents à large carrure, les femmes les plus zélées pour le cardinal de Rohan. On avait trouvé le moyen d'utiliser pour la reine les colères éveillées contre la reine. Ceux-là même qui avaient si fort applaudi monsieur de Rohan par antipathie de Marie-Antoinette, venaient siffler ou huer madame de La Motte, assez imprudente pour séparer sa cause d'avec celle du cardinal.
Il résulta qu'à son apparition sur la petite place, les cris furieux de: À bas La Motte! Ho la faussaire! composèrent la majorité et s'exhalèrent des plus vigoureuses poitrines.
Il arriva aussi que ceux qui tentèrent d'exprimer leur pitié pour Jeanne ou leur indignation contre l'arrêt qui la frappait furent pris pour des ennemis du cardinal par les dames de la Halle, pour des ennemis de la reine par les agents, et maltraités en cette double qualité par les deux sexes intéressés à soutenir l'avilissement de la condamnée. Jeanne était à bout de ses forces, mais non de sa rage; elle cessa de crier, parce que ses cris se perdaient dans l'ensemble des bruits et de la lutte. Mais de sa voix nette, vibrante, métallique, elle lança quelques mots qui firent tomber comme par enchantement tous les murmures.
– Savez-vous qui je suis? dit-elle. Savez-vous que je suis du sang de vos rois? Savez-vous qu'on frappe en moi, non pas une coupable, mais une rivale; non pas seulement une rivale, mais une complice?
Ici elle fut interrompue par des clameurs lancées à point par les plus intelligents employés de monsieur de Crosne.
Mais elle avait soulevé, sinon l'intérêt, du moins la curiosité: la curiosité du peuple est une soif qui veut être assouvie. Le silence que Jeanne remarqua lui prouva qu'on voulait l'écouter.
– Oui, répéta-t-elle, une complice! On punit en moi celle qui savait les secrets de…
– Prenez garde! lui dit à l'oreille le greffier.
Elle se retourna. Le bourreau tenait un fouet à la main.
À cette vue, Jeanne oublia son discours, sa haine, son désir de capter la multitude; elle ne vit plus que l'infamie, elle ne craignit plus que la douleur.
– Grâce! grâce! cria-t-elle avec une voix déchirante.
Une immense huée couvrit sa prière. Jeanne se cramponna, saisie de vertige, aux genoux de l'exécuteur, et réussit à lui saisir la main.
Mais il leva l'autre bras, et laissa retomber le fouet mollement sur les épaules de la comtesse.
Chose inouïe, cette femme, que la douleur physique eût terrassée, assouplie, domptée peut-être, se redressa quand elle vit qu'on la ménageait; se précipitant sur l'aide, elle essaya de le renverser pour le jeter hors de l'échafaud dans la place. Tout à coup elle recula.
Cet homme tenait à la main un fer rouge qu'il venait de retirer d'un brasier ardent. Il levait, disons-nous, ce fer, et la chaleur dévorante qu'il exhalait fit bondir Jeanne en arrière avec un hurlement sauvage.
– Marquée! s'écria-t-elle, marquée!
Tout le peuple répondit à son cri par un cri terrible.
– Oui! oui! rugirent ces trois mille bouches.
– Au secours! au secours! dit Jeanne éperdue, en essayant de rompre les cordes dont on venait de lui garrotter les mains.
En même temps le bourreau déchirait, ne pouvant l'ouvrir, la robe de la comtesse; et tandis qu'il écartait d'une main tremblante l'étoffe en lambeaux, il essayait de prendre le fer ardent que lui offrait son aide.
Mais Jeanne se ruait sur cet homme, le faisant toujours reculer, car il n'osait la toucher; en sorte que le bourreau, désespérant de prendre l'outil sinistre, commençait à écouter si dans les rangs de la foule surgirait quelque anathème contre lui. L'amour-propre le préoccupait.
La foule, palpitante et commençant à admirer la vigoureuse défense de cette femme, frémissait d'une sourde impatience; le greffier avait descendu l'échelle; les soldats regardaient le spectacle: c'était un désordre, une confusion qui présentaient un aspect menaçant.
– Finissez-en! cria une voix partie du premier rang de la foule.
Voix impérieuse, que sans doute reconnut le bourreau, car, renversant Jeanne par un élan vigoureux, il la plia en deux et lui courba la tête avec sa main gauche.
Elle se releva, plus ardente que le fer dont on la menaçait, et, d'une voix qui domina tout le tumulte de la place, toutes les imprécations des maladroits bourreaux:
– Lâches Français! s'écria-t-elle, vous ne me défendez pas! Vous me laissez torturer!
– Taisez-vous! cria le greffier.
– Taisez-vous! cria le commissaire.
– Me taire!.. Ah! bien oui! redit Jeanne, que me fera-t-on? Oui, je subis cette honte, c'est ma faute.
– Ah! ah! ah! cria la foule se méprenant au sens de cet aveu.
– Taisez-vous! réitéra le greffier.
– Oui, ma faute, continua Jeanne se tordant toujours, car si j'avais voulu parler…
– Taisez-vous! crièrent en rugissant greffiers, commissaires et bourreaux.
– Si j'avais voulu dire tout ce que je sais sur la reine, eh bien!.. je serais pendue; je ne serais pas déshonorée.
Elle n'en put dire davantage; car le commissaire s'élança sur l'échafaud, suivi d'agents qui bâillonnèrent la misérable, et la livrèrent toute palpitante, toute meurtrie, le visage gonflé, livide, sanglant, aux deux exécuteurs, dont l'un avait de nouveau courbé sa victime; en même temps, il saisit le fer que son aide réussit à lui donner.
Mais Jeanne profita, comme une couleuvre, de l'insuffisance de cette main qui lui serrait la nuque; elle bondit une dernière fois, et se retournant avec une joie frénétique, offrit sa poitrine au bourreau en le regardant d'un œil provocateur; de sorte que l'instrument fatal, qui descendait sur son épaule, la vint frapper au sein droit, imprima son sillon fumeux et dévorant dans la chair vive, en arrachant à la victime, malgré le bâillon, un de ces hurlements qui n'ont d'équivalent dans aucune des intonations que puisse reproduire la voix humaine.
Jeanne s'affaissa sous la douleur, sous la honte. Elle était vaincue. Ses lèvres ne laissèrent plus échapper un son, ses membres n'eurent plus un tressaillement; elle était bien évanouie, cette fois.
Le bourreau l'emporta, pliée en deux, sur son épaule, et descendit avec elle, d'un pas incertain, l'échelle d'ignominie.
Quant au peuple, muet aussi, soit qu'il approuvât, soit qu'il fût consterné, il ne s'écoula par les quatre issues de la place qu'après avoir vu se refermer sur Jeanne les portes de la Conciergerie; après avoir vu l'échafaud se démolir lentement, pièce à pièce; après s'être assuré qu'il n'y avait pas d'épilogue au drame effrayant dont le parlement venait de lui offrir la représentation.
Les agents surveillèrent jusqu'aux dernières impressions des assistants; leurs premières injonctions avaient été si nettement articulées, que c'eût été folie d'opposer quelque objection à leur logique armée de gourdins et de menottes.
L'objection, s'il s'en produisit, fut calme et tout intérieure. Peu à peu, la place reprit son calme ordinaire; seulement, à l'extrémité du pont, quand toute cette cohue fut dissipée, deux hommes, jeunes et irréfléchis, qui se retiraient comme les autres, eurent ensemble le dialogue suivant:
– Est-ce que c'est bien madame de La Motte que le bourreau a marquée; le croyez-vous, Maximilien?
– On le dit, mais je ne le crois pas… répliqua le plus grand des deux interlocuteurs.
– Vous êtes bien d'avis, n'est-ce pas, que ce n'est pas elle? ajouta l'autre, un petit homme à la mine basse, à l'œil rond et lumineux comme l'œil des oiseaux de nuit, à la chevelure courte et graisseuse; non, n'est-ce pas, ce n'est point madame de La Motte qu'ils ont marquée? Les suppôts de ces tyrans ont ménagé leur complice. Ils ont trouvé, pour décharger d'accusation Marie-Antoinette, une demoiselle Oliva qui s'avouât prostituée; ils auront pu trouver une fausse madame de La Motte qui s'avouât faussaire. Vous me direz qu'il y a la marque. Bah! comédie payée au bourreau, payée à la victime! C'est plus cher, voilà tout.
Le compagnon de cet homme écoutait en balançant sa tête. Il souriait sans répondre.
– Que me répondez-vous, dit le petit vilain homme; est-ce que vous ne m'approuvez pas?
– C'est beaucoup faire que d'accepter d'être marquée au sein, répliqua-t-il; la comédie dont vous parlez ne me paraît pas prouvée. Vous êtes plus médecin que moi et vous aurez dû sentir la chair brûlée. Souvenir désagréable, je l'avoue.
– Affaire d'argent, vous ai-je dit: on paie une condamnée qui serait marquée pour toute autre chose, on la paie pour dire trois à quatre phrases pompeuses, et puis on la bâillonne quand elle est près de renoncer…
– Là, là, là, dit flegmatiquement celui qu'on avait appelé Maximilien, je ne vous suivrai point sur ce terrain-là, c'est peu solide.
– Hum! fit l'autre. Alors, vous ferez comme les autres badauds; vous finirez par dire que vous avez vu marquer madame de La Motte; voilà de vos caprices. Tout à l'heure ce n'est pas ainsi que vous vous exprimiez, car positivement vous m'avez dit: Je ne crois pas que ce soit madame de La Motte qu'on ait marquée.
– Non, je ne le crois pas encore, reprit le jeune homme en souriant, mais ce n'est pas non plus une de ces condamnées que vous dites.
– Alors, qui est-ce, voyons, quelle est la personne qui a été flétrie, là, sur la place, au lieu de madame de La Motte?
– C'est la reine! dit le jeune homme d'une voix aiguë à son sinistre compagnon, et il ponctua ces mots de son indéfinissable sourire.
L'autre recula en riant aux éclats et en applaudissant à cette plaisanterie, puis regardant autour de lui:
– Adieu, Robespierre, dit-il.
– Adieu, Marat, répondit l'autre.
Et ils se séparèrent.
Chapitre XCVIII
Le mariage
Le jour même de cette exécution, à midi, le roi sortit de son cabinet, à Versailles, et on l'entendit congédier monsieur de Provence avec ces mots prononcés rudement:
– Monsieur, j'assiste aujourd'hui à une messe de mariage. Ne me parlez point ménage et mauvais ménage, je vous prie; ce serait un mauvais augure pour les nouveaux époux, que j'aime et que je protégerai.
Le comte de Provence fronça le sourcil en souriant, salua profondément son frère et rentra dans ses appartements.
Le roi, poursuivant sa route au milieu de ses courtisans répandus dans les galeries, sourit aux uns et regarda fièrement les autres, selon qu'il les avait vus favorables ou opposés dans l'affaire que le parlement venait de juger.
Il parvint ainsi jusqu'au salon carré, dans lequel se tenait la reine toute parée, dans le cercle de ses dames d'honneur et de ses gentilshommes.
Marie-Antoinette, pâle sous son rouge, écoutait avec une attention affectée les douces questions que madame de Lamballe et monsieur de Calonne lui adressaient sur sa santé.
Mais, souvent à la dérobée, elle regardait vers la porte, cherchant comme quelqu'un qui brûle de voir et se détournant comme quelqu'un qui tremble d'avoir vu.
– Le roi! cria un des huissiers de la chambre. Et dans un flot de broderies, de dentelles et de lumière, elle vit entrer Louis XVI, dont le premier regard au seuil du salon fut pour elle.
Marie-Antoinette se leva et fit trois pas au-devant du roi, qui lui baisa gracieusement la main.
– Vous êtes belle aujourd'hui, belle à miracle, madame! dit-il.
Elle sourit tristement, et, encore une fois, chercha d'un œil vague au milieu de la foule ce point inconnu que nous avons dit qu'elle cherchait.
– Nos jeunes époux ne sont-ils pas là? demanda le roi. Midi va sonner, ce me semble.
– Sire, répondit la reine avec un effort tellement violent que son rouge se gerça sur ses joues et tomba par places, monsieur de Charny seul est arrivé; il attend, dans la galerie, que Votre Majesté lui ordonne d'entrer.
– Charny!.. dit le roi sans remarquer le silence expressif qui avait succédé aux paroles de la reine; Charny est là? Qu'il vienne! qu'il vienne!
Quelques gentilshommes se détachèrent pour aller au-devant de monsieur de Charny.
La reine appuya nerveusement ses doigts sur son cœur et se rassit, tournant le dos à la porte.
– Vraiment, c'est qu'il est midi, répéta le roi, la mariée devrait être ici.
Comme le roi prononçait ces paroles, monsieur de Charny parut à l'entrée du salon; il entendit les derniers mots du roi, et répondit aussitôt:
– Que Votre Majesté veuille bien excuser le retard involontaire de mademoiselle de Taverney; depuis la mort de son père, elle n'a pas quitté le lit. C'est aujourd'hui qu'elle se lève pour la première fois, et elle serait déjà rendue aux ordres du roi sans un évanouissement qui vient de la prendre.
– Cette chère enfant aimait tant son père! dit tout haut le roi; mais comme elle trouve un bon mari, nous espérons qu'elle se consolera.
La reine écouta, ou plutôt elle entendit sans faire un mouvement. Quiconque l'eût suivie des yeux tandis que Charny parlait, eût vu le sang se retirer, comme un niveau qui baisse, de son front à son cœur.
Le roi, remarquant l'affluence de noblesse et de clergé qui remplissait le salon, leva tout à coup la tête.
– Monsieur de Breteuil, dit-il, avez-vous expédié cet ordre de bannissement pour Cagliostro?
– Oui, sire, répliqua humblement le ministre.
Un souffle d'oiseau qui dort eût troublé le silence de l'assemblée.
– Et cette La Motte, qui se dit de Valois, continua le roi d'une voix forte, est-ce qu'on ne la marque pas aujourd'hui?
– En ce moment, sire, répliqua le garde des Sceaux, ce doit être fait.
L'œil de la reine étincela. Un murmure qui voulait être approbatif circula dans le salon.
– Cela contrariera monsieur le cardinal, de savoir qu'on a marqué sa complice, poursuivit Louis XVI avec une ténacité de rigueur qu'on n'avait jamais reconnue en lui avant cette affaire.
Et sur ce mot sa complice, adressé à un accusé que le parlement venait d'absoudre, sur ce mot qui flétrissait l'idole des Parisiens, sur ce mot qui condamnait comme voleur et faussaire un des premiers princes de l'église, un des premiers princes français, le roi, comme s'il eût envoyé un défi solennel au clergé, aux nobles, aux parlements, au peuple, pour soutenir l'honneur de sa femme, le roi promena autour de lui un œil flamboyant de cette colère et de cette majesté que nul n'avait senties en France depuis que les yeux de Louis XIV s'étaient fermés pour l'éternel sommeil.
Pas un murmure, pas une parole d'assentiment n'accueillirent cette vengeance que le roi tirait de tous ceux qui avaient conspiré à déshonorer la monarchie. Alors il s'approcha de la reine qui lui tendait les deux mains avec l'effusion d'une reconnaissance profonde.
À ce moment parurent à l'extrémité de la galerie mademoiselle de Taverney, blanche d'habits comme une fiancée, blanche de visage comme un spectre, et Philippe de Taverney, son frère, qui lui donnait la main.
Andrée s'avançait à pas rapides, les regards troublés, le sein haletant; elle ne voyait pas, elle n'entendait pas; la main de son frère lui donnait la force, le courage, et lui imprimait la direction.
La foule des courtisans sourit sur le passage de la fiancée. Toutes les femmes prirent place derrière la reine, tous les hommes se rangèrent derrière le roi.
Le bailli de Suffren, tenant par la main Olivier de Charny, vint au-devant d'Andrée et de son frère, les salua et se confondit dans le groupe des amis particuliers et des parents.
Philippe continua son chemin sans que son œil eût rencontré celui d'Olivier, sans que la pression de ses doigts avertît Andrée qu'elle devait lever la tête.
Parvenu en face du roi, il serra la main de sa sœur, et celle-ci, comme une morte galvanisée, ouvrit ses grands yeux et vit Louis XVI qui lui souriait avec bonté.
Elle salua au milieu du murmure des assistants, qui applaudissaient ainsi à sa beauté.
– Mademoiselle, dit le roi en lui prenant la main, vous avez dû attendre la fin de votre deuil pour épouser monsieur de Charny; peut-être, si je ne vous eusse demandé de hâter le mariage, votre futur époux, malgré son impatience, vous eût-il permis de prendre encore un mois de délai; car vous souffrez, dit-on, et j'en suis affligé; mais je me dois d'assurer le bonheur des bons gentilshommes qui me servent comme monsieur de Charny; si vous ne l'eussiez épousé aujourd'hui, je n'assistais pas à votre mariage, partant demain pour voyager en France avec la reine. Ainsi, j'aurai le plaisir de signer votre contrat aujourd'hui, et de vous voir mariée dans ma chapelle. Saluez la reine, mademoiselle, et remerciez-la; car Sa Majesté a été toute bonne pour vous.
En même temps, il mena lui-même Andrée à Marie-Antoinette.
Celle-ci s'était dressée les genoux tremblants, les mains glacées. Elle n'osa point lever ses yeux, et vit seulement quelque chose de blanc qui s'approchait et s'inclinait devant elle.
C'était la robe de mariage d'Andrée.
Le roi rendit aussitôt la main de la fiancée à Philippe, donna la sienne à Marie-Antoinette, et d'une voix haute:
– À la chapelle, messieurs, dit-il.
Toute cette foule passa silencieusement derrière Leurs Majestés pour aller prendre ses places.
La messe commença aussitôt. La reine l'écouta courbée sur son prie-Dieu, la tête ensevelie dans ses mains. Elle pria de toute son âme, de toutes ses forces; elle envoya vers le ciel des vœux si ardents que le souffle de ses lèvres dévora la trace de ses larmes.
Monsieur de Charny, pâle et beau, sentant sur lui le poids de tous les regards, fut calme et brave comme il avait été à son bord, au milieu des tourbillons de flammes et des ouragans de la mitraille anglaise; seulement il souffrit bien plus.
Philippe, l'œil attaché sur sa sœur, qu'il voyait tressaillir et chanceler, semblait prêt à lui porter secours d'un mot, d'un geste de consolation ou d'amitié.
Mais Andrée ne se démentit pas, demeura la tête haute, respirant à chaque minute son flacon de sels, mourante et vacillante comme la flamme d'une cire, mais debout et persévérant à vivre par la force de sa volonté.
Celle-ci n'adressa point de prières au ciel, celle-ci ne fit point de vœux pour l'avenir, elle n'avait rien à espérer, rien à craindre; elle n'était rien aux hommes, rien à Dieu.
Quand le prêtre parlait, quand la cloche sacrée tintait, quand s'accomplissait autour d'elle le mystère divin:
«Suis-je seulement une chrétienne, moi? se disait Andrée. Suis-je un être comme les autres, une créature pareille aux autres? M'as-tu faite pour la pitié, toi qu'on appelle Dieu souverain, arbitre de toutes choses? Toi qu'on dit juste par excellence et qui m'as toujours punie sans que j'eusse jamais péché! Toi qu'on dit le Dieu de paix et d'amour, et à qui je dois de vivre dans le trouble, les colères, les vengeances sanglantes! Toi à qui je dois d'avoir pour mon plus mortel ennemi le seul homme que j'eusse aimé!
«Non, continua-t-elle, non, les choses de ce monde et les lois de Dieu ne me regardent pas! Sans doute ai-je été maudite avant de naître, et mise en naissant hors la loi de l'humanité.»
Puis, revenant à son passé douloureux:
– Étrange! étrange! murmurait-elle. Il y a là, près de moi, un homme dont le nom seul prononcé me faisait mourir de bonheur. Si cet homme fût venu me demander pour moi-même, j'eusse été forcée de me rouler à ses pieds, de lui demander pardon pour ma faute d'autrefois, pour votre faute, mon Dieu! Et cet homme que j'adorais m'eût peut-être repoussée. Voilà qu'aujourd'hui cet homme m'épouse, et c'est lui qui viendra me demander pardon à genoux! Étrange! oh! oui, oui, bien étrange!
À ce moment, la voix de l'officiant frappa son oreille. Elle disait:
– Jacques-Olivier de Charny, prenez-vous pour épouse Marie-Andrée de Taverney?
– Oui, répondit d'une voix ferme Olivier.
– Et vous, Marie-Andrée de Taverney, prenez-vous pour époux Jacques-Olivier de Charny?
– Oui!.. répondit Andrée avec une intonation presque sauvage qui fit frissonner la reine et tressaillir plus d'une femme dans l'auditoire.
Alors Charny passa l'anneau d'or au doigt de sa femme, et cet anneau glissa sans qu'Andrée eût senti la main qui le lui offrait.
Bientôt le roi se leva. La messe était finie. Tous les courtisans vinrent saluer dans la galerie les deux époux.
Monsieur de Suffren avait pris en revenant la main de sa nièce; il lui promettait, au nom d'Olivier, le bonheur qu'elle méritait d'avoir.
Andrée remercia le bailli sans se dérider un seul moment, et pria seulement son oncle de la conduire promptement au roi, pour qu'elle le remerciât, car elle se sentait faible.
En même temps, une pâleur effrayante envahit son visage.
Charny la vit de loin, sans oser s'approcher d'elle.
Le bailli traversa le grand salon, mena Andrée au roi, qui la baisa sur le front et lui dit:
– Madame la comtesse, passez chez la reine; Sa Majesté veut vous faire son présent de noces.
Puis, sur ces mots qu'il croyait être pleins de gracieuseté, le roi se retira suivi de toute la cour, laissant la nouvelle mariée éperdue, désespérée, au bras de Philippe.
Oh! murmura-t-elle, c'en est trop! c'en est trop, Philippe! Il me semblait pourtant avoir assez supporté!..
– Courage, dit tout bas Philippe; encore cette épreuve, ma sœur.
– Non, non, répondit Andrée, je ne le pourrais pas. Les forces d'une femme sont limitées; peut-être ferai-je ce qu'on me demande; mais, songez-y, Philippe, si elle me parle, si elle me complimente, j'en mourrai!
– Vous mourrez s'il le faut, ma chère sœur, dit le jeune homme, et alors vous serez plus heureuse que moi, car je voudrais être mort!
Il prononça ces mots d'un accent tellement sombre et douloureux, qu'Andrée, comme si elle eût été déchirée par un aiguillon, s'élança en avant et pénétra chez la reine.
Olivier la vit passer; il se rangea le long des tapisseries pour ne point effleurer sa robe au passage.
Il demeura seul dans le salon avec Philippe, baissant la tête comme son beau-frère, et attendant le résultat de cet entretien que la reine allait avoir avec Andrée.
Celle-ci trouva Marie-Antoinette dans son grand cabinet.
Malgré la saison, au mois de juin, la reine s'était fait allumer du feu; elle était assise dans son fauteuil, la tête renversée en arrière, les yeux fermés, les mains jointes comme une morte.
Elle grelottait.
Madame de Misery, qui avait introduit Andrée, tira les portières, ferma les portes et sortit de l'appartement.
Andrée, debout, tremblante d'émotion et de colère, tremblante aussi de faiblesse, attendait les yeux baissés qu'une parole vînt à son cœur. Elle attendait la voix de la reine comme le condamné attend la hache qui doit lui trancher la vie.
Assurément, si Marie-Antoinette eût ouvert la bouche en ce moment, Andrée, brisée comme elle l'était, eût succombé avant de comprendre ou de répondre.
Une minute, un siècle de cette épouvantable souffrance, s'écoula avant que la reine eût fait un mouvement.
Enfin elle se leva en s'appuyant les deux mains sur les bras de son fauteuil, et prit sur la table un papier, que ses doigts vacillants laissèrent échapper plusieurs fois.
Puis, marchant comme une ombre, sans qu'on entendît d'autre bruit que le froissement de sa robe sur le tapis, elle vint, le bras étendu vers Andrée, et lui remit le papier sans prononcer une parole.
Entre ces deux cœurs, la parole était superflue: la reine n'avait pas besoin de provoquer l'intelligence d'Andrée; Andrée ne pouvait douter un moment de la grandeur d'âme de la reine.
Toute autre eût supposé que Marie-Antoinette lui offrait un riche douaire, ou la signature d'un acte de propriété, ou le brevet de quelque charge à la cour.
Andrée devina que le papier contenait autre chose. Elle le prit, et sans bouger de la place qu'elle occupait, elle se mit à le lire.
Le bras de Marie-Antoinette retomba. Ses yeux se levèrent lentement sur Andrée.