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Kitabı oku: «Le Collier de la Reine, Tome II», sayfa 7

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– Quatorze cent mille livres qui tiennent là-dedans, car ce collier vaut quatorze cent mille livres argent réel, et les joailliers le paieraient ce prix encore aujourd'hui.

Étrange destinée qui permet à la petite Jeanne de Valois, mendiante et obscure, de toucher de sa main la main d'une reine, la première du monde, et de posséder dans ses mains aussi, pour une heure il est vrai, quatorze cent mille livres, une somme qui ne marche jamais seule en ce monde, et que l'on fait toujours escorter par des gardiens armés ou par des garanties qui ne peuvent être moindres en France que celles d'un cardinal et d'une reine.

«Tout cela dans mes dix doigts!.. Comme c'est lourd et comme c'est léger!

«Pour emporter en or, précieux métal, l'équivalent de cet écrin, j'aurais besoin de deux chevaux; pour l'emporter en billets de caisse… et les billets de caisse sont-ils toujours payés? ne faut-il pas signer, contrôler? Et puis un billet, c'est du papier: le feu, l'air, l'eau le détruisent. Un billet de caisse n'a pas de cours dans tous les pays; il trahit son origine, il décèle le nom de son auteur, le nom de son porteur. Un billet de caisse après un certain temps perd une partie de sa valeur ou sa valeur entière. Les diamants, au contraire, sont la dure matière qui résiste à tout, et que tout homme connaît, apprécie, admire et achète, à Londres, à Berlin, à Madrid, au Brésil même. Tous comprennent un diamant, un diamant surtout de la taille et de l'eau qu'on trouve dans ceux-ci! Qu'ils sont beaux! Qu'ils sont admirables! Quel ensemble et quel détail! Chacun d'eux détaché vaut peut-être plus, proportions gardées, qu'ils ne valent tous ensemble!

«Mais à quoi vais-je penser, dit-elle, tout à coup; vite prenons le parti soit d'aller trouver le cardinal, soit de rendre le collier à Bœhmer, ainsi que m'en a chargé la reine.»

Elle se leva, tenant toujours dans sa main les diamants qui s'échauffaient et resplendissaient.

«Ils vont donc rentrer chez le froid bijoutier, qui les pèsera et les polira de sa brosse. Eux qui pouvaient briller sur le sein de Marie-Antoinette… Bœhmer se récriera d'abord, puis se rassurera en songeant qu'il a le bénéfice et conserve la marchandise. Ah! j'oubliais! dans quelle forme faut-il que je fasse rédiger le reçu du joaillier? C'est grave; oui, il y a dans cette rédaction beaucoup de diplomatie à faire. Il faut que l'écrit n'engage, ni Bœhmer, ni la reine, ni le cardinal, ni moi.

«Je ne rédigerai jamais seule un pareil acte. J'ai besoin d'un conseil.

«Le cardinal… Oh! non. Si le cardinal m'aimait plus ou s'il était plus riche et qu'il me donnât les diamants…»

Elle s'assit sur son sofa, les diamants roulés autour de sa main, la tête brûlante, pleine de pensées confuses et qui parfois l'épouvantaient et qu'elle repoussait avec une énergie fiévreuse.

Soudain son œil devint plus calme, plus fixe, plus arrêté sur une image de pensée uniforme; elle ne s'aperçut pas que les minutes passaient, que tout prenait en elle un aplomb désormais inébranlable; que pareille à ces nageurs qui ont posé le pied dans la vase des fleuves, chaque mouvement qu'elle faisait pour se dégager la plongeait plus avant. Une heure se passa dans cette muette et profonde contemplation d'un but mystérieux.

Après quoi elle se leva lentement, pâlie comme la prêtresse par l'inspiration, et sonna sa femme de chambre.

Il était deux heures du matin.

– Trouvez-moi un fiacre, dit-elle, ou une brouette s'il n'y a plus de voiture.

La servante trouva un fiacre qui dormait dans la vieille rue du Temple.

Madame de La Motte monta seule et renvoya sa camériste.

Dix minutes après, le fiacre s'arrêtait à la porte du pamphlétaire Réteau de Villette.

Chapitre LXI
Le reçu de Bœhmer et la reconnaissance de la reine

Le résultat de cette visite nocturne faite au pamphlétaire Réteau de Villette apparut seulement le lendemain, et voici de quelle façon:

À sept heures du matin, madame de La Motte fit parvenir à la reine une lettre qui contenait le reçu des joailliers. Cette pièce importante était ainsi conçue:

«Nous soussignés, reconnaissons avoir repris en possession le collier de diamants primitivement vendu à la reine moyennant une somme de seize cent mille livres, les diamants n'ayant pas agréé à Sa Majesté, qui nous a dédommagés de nos démarches et de nos déboursés par l'abandon d'une somme de deux cent cinquante mille livres, versée en nos mains.

«Signé: BŒHMER ET BOSSANGE»

La reine, alors tranquille sur l'affaire qui l'avait tourmentée trop longtemps, enferma le reçu dans son chiffonnier et n'y pensa plus.

Mais, par une étrange contradiction, avec ce billet, les joailliers Bœhmer et Bossange reçurent deux jours après la visite du cardinal de Rohan, qui avait conservé, lui, quelques inquiétudes sur le paiement du premier solde convenu entre les vendeurs et la reine.

Monsieur de Rohan trouva Bœhmer dans sa maison du quai de l'école. Depuis le matin, échéance de ce premier terme, s'il y eût eu retard ou refus, l'alarme devait être au camp des joailliers.

Mais tout, au contraire, dans la maison de Bœhmer, respirait le calme, et monsieur de Rohan fut heureux de trouver bon visage aux valets, dos rond et queue frétillante au chien du logis. Bœhmer reçut son client illustre avec l'épanchement de la satisfaction.

– Eh bien! dit le premier, c'était aujourd'hui le terme du paiement. La reine a donc payé?

– Monseigneur, non, répondit Bœhmer. Sa Majesté n'a pu donner d'argent. Vous savez que monsieur de Calonne s'est vu refuser par le roi. Tout le monde en parle.

– Oui, tout le monde en parle, Bœhmer, et c'est justement ce refus qui m'amène.

– Mais, continua le joaillier, Sa Majesté est excellente et de bonne volonté. N'ayant pu payer, elle a garanti la dette, et nous n'en demandons pas davantage.

– Ah! tant mieux, s'écria le cardinal; garanti la dette, dites-vous? c'est très bien; mais… comment?

– De la façon la plus simple et la plus délicate, répliqua le joaillier, d'une façon toute royale.

– Par l'entremise de cette spirituelle comtesse, peut-être?

– Non, monseigneur, non. Madame de La Motte n'a pas même paru, et voilà ce qui nous a beaucoup flattés, monsieur Bossange et moi.

– Pas paru! la comtesse n'a pas paru?.. Croyez bien qu'elle est pour quelque chose cependant dans ceci, monsieur Bœhmer. Toute bonne inspiration doit émaner de la comtesse. Je n'ôte rien à Sa Majesté, vous comprenez.

– Monseigneur va juger si Sa Majesté a été délicate et bonne pour nous. Des bruits s'étaient répandus sur le refus du roi pour l'ordonnancement des cinq cent mille livres; nous autres nous écrivîmes à madame de La Motte.

– Quand cela?

– Hier, monseigneur.

– Que répondit-elle?

– Votre Éminence n'en sait rien? dit Bœhmer avec une imperceptible nuance de respectueuse familiarité.

– Non, voilà trois jours que je n'ai eu l'honneur de voir madame la comtesse, repartit le prince en vrai prince.

– Eh bien! monseigneur, madame de La Motte répondit ce seul mot: Attendez!

– Par écrit?

– Non, monseigneur, de vive voix. Notre lettre priait madame de La Motte de vous demander une audience, et de prévenir la reine que le paiement approchait.

– Le mot attendez était tout naturel, repartit le cardinal.

– Nous attendîmes donc, monseigneur, et hier au soir nous reçûmes de la reine, par un courrier très mystérieux, une lettre.

– Une lettre? À vous, Bœhmer?

– Ou plutôt une reconnaissance en bonne forme, monseigneur.

– Voyons! fit le cardinal.

– Oh! je vous la montrerais, si nous ne nous étions juré, mon associé et moi, de ne la faire voir à personne.

– Et pourquoi?

– Parce que cette réserve nous est imposée par la reine elle-même, monseigneur; jugez-en, Sa Majesté nous recommande le secret.

– Ah! c'est différent, vous êtes très heureux, vous messieurs les bijoutiers, d'avoir des lettres de la reine.

– Pour treize cent cinquante mille livres, monseigneur, dit le joaillier en ricanant, on peut avoir…

– Dix millions, et cent millions ne paient pas de certaines choses, monsieur, repartit sévèrement le prélat. Enfin, vous êtes bien garantis?

– Autant que possible, monseigneur.

– La reine reconnaît la dette?

– Bien et dûment.

– Et s'engage à payer…

– Dans trois mois cinq cent mille livres; le reste dans le semestre.

– Et… les intérêts?

– Oh! monseigneur, un mot de Sa Majesté les garantit. Faisons, ajoute Sa Majesté avec bonté, faisons cette affaire entre nous; entre nous, Votre Excellence comprend bien la recommandation; vous n'aurez pas lieu de vous en repentir. Et elle signe! Dès à présent, voyez-vous, monseigneur, c'est pour mon associé comme pour moi une affaire d'honneur.

– Me voilà quitte envers vous, monsieur Bœhmer, dit le cardinal charmé; à bientôt une autre affaire.

– Quand Votre Excellence daignera nous honorer de sa confiance.

– Mais remarquez encore en ceci la main de cette aimable comtesse…

– Nous sommes bien reconnaissants à madame de La Motte, monseigneur, et nous sommes convenus, monsieur Bossange et moi, de reconnaître ses bontés, quand le collier, payé intégralement, nous aura été remis en argent comptant.

– Chut! chut! fit le cardinal, vous ne m'avez pas compris.

Et il regagna son carrosse, escorté par les respects de toute la maison.

On peut maintenant lever le masque. Pour personne le voile n'est resté sur la statue. Ce que Jeanne de La Motte a fait contre sa bienfaitrice, chacun l'a compris en la voyant emprunter la plume du pamphlétaire Réteau de Villette. Plus d'inquiétude chez les joailliers, plus de scrupules chez la reine, plus de doute chez le cardinal. Trois mois sont donnés à la perpétration du vol et du crime; dans ces trois mois, les fruits sinistres auront mûri assez pour que la main scélérate les cueille.

Jeanne retourna chez monsieur de Rohan, qui lui demanda comment s'y était prise la reine pour assoupir ainsi les exigences des joailliers.

Madame de La Motte répondit que la reine avait fait aux joailliers une confidence; que le secret était recommandé; qu'une reine qui paie a déjà trop besoin de se cacher, mais qu'elle s'y trouve bien autrement forcée encore quand elle demande du crédit.

Le cardinal convint qu'elle avait raison, et en même temps il demanda si on se souvenait encore de ses bonnes intentions.

Jeanne fit un tel tableau de la reconnaissance de la reine, que monsieur de Rohan fut enthousiasmé bien plus comme galant que comme sujet; bien plus dans son orgueil que dans son dévouement.

Jeanne, en menant cette conversation à son but, avait résolu de rentrer paisiblement chez elle, de s'aboucher avec un marchand de pierreries, de vendre pour cent mille écus de diamants, et de gagner l'Angleterre ou la Russie, pays libres, dans lesquels elle vivrait richement avec cette somme pendant cinq à six années, au bout desquelles, sans pouvoir être inquiétée, elle commencerait à vendre avantageusement, en détail, le reste des diamants.

Mais tout ne réussit pas à ses souhaits. Aux premiers diamants qu'elle fit voir à deux experts, la surprise des Argus et leurs réserves effrayèrent la vendeuse. L'un offrait des sommes méprisables, l'autre s'extasiait devant les pierres en disant qu'il n'en avait jamais vu de semblables, sinon dans le collier de Bœhmer.

Jeanne s'arrêta. Un pas de plus elle était trahie. Elle comprit que l'imprudence en pareil cas, c'était la ruine, que la ruine c'était un pilori et une prison perpétuelle. Serrant les diamants dans la plus profonde de ses cachettes, elle résolut de se munir d'armes défensives si solides, d'armes offensives si acérées, qu'en cas de guerre, ceux-là fussent vaincus d'avance qui se présenteraient au combat.

Louvoyer entre les désirs du cardinal, qui chercherait toujours à savoir, entre les indiscrétions de la reine, qui se vanterait toujours d'avoir refusé, c'était un danger terrible. Un mot échangé entre la reine et le cardinal, et tout se découvrait. Jeanne se réconforta en songeant que le cardinal, amoureux de la reine, avait comme tous les amoureux un bandeau sur le front, et par conséquent tomberait dans tous les pièges que la ruse lui tendrait sous une ombre d'amour.

Mais ce piège, il fallait qu'une main habile le présentât de façon à y prendre les deux intéressés. Il fallait que si la reine découvrait le vol, elle n'osât se plaindre, que si le cardinal découvrait la fourbe, il se sentît perdu. C'était un coup de maître à jouer contre deux adversaires qui, d'avance, avaient toute la galerie pour eux.

Jeanne ne recula pas. Elle était de ces natures intrépides qui poussent le mal jusqu'à l'héroïsme, le bien jusqu'au mal. Une seule pensée la préoccupa dès ce moment, celle d'empêcher une entrevue du cardinal et de la reine.

Tant qu'elle, Jeanne, serait entre eux, rien n'était perdu; si, en arrière d'elle, ils échangeaient un mot, ce mot ruinait chez Jeanne la fortune de l'avenir, échafaudée sur l'innocuité du passé.

«Ils ne se verront plus, dit-elle. Jamais.

«Cependant, objectait-elle, le cardinal voudra revoir la reine; il y tentera.

«N'attendons pas, pensa la rusée, qu'il y tente; inspirons-lui-en l'idée. Qu'il veuille la voir; qu'il la demande; qu'il se compromette en le demandant.

«Oui, mais s'il n'y a que lui de compromis?»

Et cette pensée la jetait dans une perplexité douloureuse.

«Lui seul étant compromis, la reine avait son recours; elle parle si haut, la reine; elle sait si bien arracher un masque aux fourbes!

«Que faire? Pour que la reine ne puisse accuser, il faut qu'elle ne puisse ouvrir la bouche; pour fermer cette bouche noble et courageuse, il faut en comprimer les ressorts par l'initiative d'une accusation.

«Celui-là n'ose, devant un tribunal, accuser son valet d'avoir volé, qui peut être convaincu par son valet d'un crime aussi déshonorant que le vol. Que monsieur de Rohan soit compromis par rapport à la reine, il est presque sûr que la reine sera compromise quant à monsieur de Rohan.

«Mais que le hasard n'aille pas rapprocher ces deux êtres intéressés à découvrir le secret.»

Jeanne recula tout d'abord devant l'énormité du rocher qu'elle suspendait sur sa tête. Vivre ainsi, haletante, effarée, sous la menace d'une pareille chute.

Oui, mais comment échapper à cette angoisse? Par la fuite! par l'exil, par le transport en pays étranger des diamants du collier de la reine.

S'enfuir! chose aisée. Une bonne chaise se procure en dix heures; l'espace d'un de ces bons sommeils de Marie-Antoinette; l'intervalle que met le cardinal entre un souper avec des amis et son lever du lendemain. Que la grande route se développe devant Jeanne; qu'elle offre ses pavés infinis aux pieds brûlants des chevaux, cela suffit. Jeanne sera libre, saine, sauve en dix heures.

Mais quel scandale! quelle honte! Disparue quoique libre; en sûreté quoique proscrite; Jeanne n'est plus une femme de qualité, c'est une voleuse, une contumace, que la justice n'atteint pas, mais qu'elle désigne, que le fer du bourreau ne brûle pas, elle est trop loin, mais que l'opinion dévore et broie.

Non. Elle ne s'enfuira pas. Le comble de l'audace et le comble de l'habileté sont comme les deux sommets de l'Atlas, qui ressemblent aux jumeaux de la terre. L'un mène à l'autre; l'un vaut l'autre. Qui voit l'un, voit l'autre.

Jeanne résolut de payer d'audace et de rester. Elle résolut cela surtout quand elle eut entrevu la possibilité de créer, entre le cardinal et la reine, une solidarité de terreur pour le jour où l'un ou l'autre voudrait s'apercevoir qu'un vol avait été commis dans leur intimité.

Jeanne s'était demandé combien, en deux ans, rapporterait la faveur de la reine et l'amour du cardinal; elle avait évalué le revenu de ces deux bonheurs à cinq ou six cent mille livres, après lesquelles le dégoût, la disgrâce, l'abandon, viendraient faire expier la faveur, la vogue et l'engouement.

«Je gagne à mon plan sept à huit cent mille livres», se dit la comtesse.

On verra comment cette âme profonde fraya la route tortueuse qui devait aboutir à la honte pour elle, au désespoir pour les autres.

«Rester à Paris, résuma la comtesse, faire ferme en assistant à tout le jeu des deux acteurs; ne leur laisser jouer que le rôle utile à mes intérêts; choisir parmi les bons moments un moment favorable pour la fuite; que ce soit une commission donnée par la reine; que ce soit une véritable disgrâce qu'on saisirait au bond.

«Empêcher le cardinal de jamais communiquer avec Marie-Antoinette.

«Voilà surtout la difficulté, puisque monsieur de Rohan est amoureux, qu'il est prince, qu'il a droit d'entrer chez Sa Majesté plusieurs fois l'année, et que la reine, coquette, avide d'hommages, reconnaissante d'ailleurs envers le cardinal, ne se sauvera pas si on la recherche.

«Ce moyen de séparer les deux augustes personnages, les événements le fourniront. On aidera les événements.

«Rien ne serait aussi bon, aussi adroit que d'exciter chez la reine l'orgueil qui couronne la chasteté. Nul doute qu'une avance un peu vive du cardinal ne blesse la femme fine et susceptible. Les natures semblables à celles de la reine aiment les hommages, mais redoutent et repoussent les attaques.

«Oui, le moyen est infaillible. En conseillant à monsieur de Rohan de se déclarer librement, on opérera sur l'esprit de Marie-Antoinette un mouvement de dégoût, d'antipathie, qui éloignera pour jamais, non pas le prince de la princesse, mais l'homme de la femme, le mâle de la femelle. Par cette raison, l'on aura pris des armes contre le cardinal, dont on paralysera toutes les manœuvres au grand jour des hostilités.

«Soit. Mais encore une fois, si l'on rend le cardinal antipathique à la reine, on n'agit que sur le cardinal: on laisse rayonner la vertu de la reine, c'est-à-dire qu'on affranchit cette princesse, et qu'on lui donne cette liberté de langage qui facilite toute accusation et lui donne le poids de l'autorité.

«Ce qu'il faut, c'est une preuve contre monsieur de Rohan et contre la reine; c'est une épée à double tranchant qui blesse à droite et à gauche, qui blesse en sortant du fourreau, qui blesse en coupant le fourreau lui-même.

«Ce qu'il faut, c'est une accusation qui fasse pâlir la reine, qui fasse rougir le cardinal, qui, accréditée, lave de tout soupçon étranger Jeanne, confidente des deux principaux coupables. Ce qu'il faut, c'est une combinaison derrière laquelle, retranchée en temps et lieu, Jeanne puisse dire: Ne m'accusez pas ou je vous accuse, ne me perdez pas ou je vous perds. Laissez-moi la fortune, je vous laisserai l'honneur.

«Cela vaut qu'on le cherche, pensa la perfide comtesse, et je le chercherai. Mon temps m'est payé à partir d'aujourd'hui.»

En effet, madame de La Motte s'enfonça dans de bons coussins, s'approcha de sa fenêtre, brûlée par le doux soleil, et en présence de Dieu, avec le flambeau de Dieu, elle chercha.

Chapitre LXII
La prisonnière

Pendant ces agitations de la comtesse, pendant sa rêverie, une scène d'un autre ordre se passait dans la rue Saint-Claude, en face de la maison habitée par Jeanne.

Monsieur de Cagliostro, on se le rappelle, avait logé dans l'ancien hôtel de Balsamo la fugitive Oliva, poursuivie par la police de monsieur de Crosne.

Mademoiselle Oliva, fort inquiète, avait accepté avec joie cette occasion de fuir à la fois la police et Beausire; elle vivait donc, retirée, cachée, tremblante, dans cette demeure mystérieuse, qui avait abrité tant de drames terribles, plus terribles, hélas! que l'aventure tragi-comique de mademoiselle Nicole Legay.

Cagliostro l'avait comblée de soins et de prévenances: il semblait doux à la jeune femme d'être protégée par ce grand seigneur, qui ne demandait rien, mais qui semblait espérer beaucoup.

Seulement qu'espérait-il? voilà ce que se demandait inutilement la recluse.

Pour mademoiselle Oliva, monsieur de Cagliostro, cet homme qui avait dompté Beausire, et triomphé des agents de police, était un dieu sauveur. C'était aussi un amant bien épris, puisqu'il respectait.

Car l'amour-propre d'Oliva ne lui permettait pas de croire que Cagliostro eût sur elle d'autre vue que d'en faire un jour sa maîtresse.

C'est une vertu, pour les femmes qui n'en ont plus, que de croire qu'on puisse les aimer respectueusement. Ce cœur est bien flétri, bien aride, bien mort, qui ne compte plus sur l'amour et sur le respect qui suit l'amour.

Oliva se mit donc à faire des châteaux en Espagne du fond de son manoir de la rue Saint-Claude, châteaux chimériques où ce pauvre Beausire, faut-il l'avouer, trouvait bien rarement sa place.

Quand le matin, parée de tous les agréments dont Cagliostro avait meublé ses cabinets de toilette, elle jouait à la grande dame, et repassait les nuances du rôle de Célimène, elle ne vivait que pour cette heure du jour à laquelle Cagliostro venait deux fois la semaine s'informer si elle supportait facilement la vie.

Alors, dans son beau salon, au milieu d'un luxe réel et d'un luxe intelligent, la petite créature enivrée s'avouait à elle-même que tout dans sa vie passée avait été déception, erreur, que contrairement à l'assertion du moraliste: La vertu fait le bonheur, c'était le bonheur qui fait immanquablement la vertu.

Malheureusement il manquait dans la composition de ce bonheur un élément indispensable, pour que le bonheur durât.

Oliva était heureuse, mais Oliva s'ennuyait.

Livres, tableaux, instruments de musique ne l'avaient pas distraite suffisamment. Les livres n'étaient pas assez libres, ou ceux qui l'étaient avaient été lus trop vite. Les tableaux sont toujours la même chose quand on les a regardés une fois – c'est Oliva qui juge et non pas nous – , et les instruments de musique n'ont qu'un cri, et jamais une voix pour la main ignorante qui les sollicite.

Il faut le dire, Oliva ne tarda pas à s'ennuyer cruellement de son bonheur, et souvent elle eut des regrets mouillés de larmes pour ces bonnes petites matinées passées à la fenêtre de la rue Dauphine, alors que, magnétisant la rue de ses regards, elle faisait lever la tête à tous les passants.

Et quelles douces promenades dans le quartier Saint-Germain, quand la mule coquette, élevant sur ses talons de deux pouces un pied d'une cambrure voluptueuse, chaque pas de la belle marcheuse était un triomphe, et arrachait aux admirateurs un petit cri, soit de crainte lorsqu'elle glissait, soit de désir quand après le pied se montrait la jambe.

Voilà ce que pensait Nicole enfermée. Il est vrai que les agents de monsieur le lieutenant de police étaient gens redoutables, il est vrai que l'hôpital, dans lequel les femmes s'éteignent dans une captivité sordide, ne valait pas l'emprisonnement éphémère et splendide de la rue Saint-Claude. Mais à quoi servirait-il d'être femme et d'avoir le droit de caprice, si l'on ne s'insurgeait pas parfois contre le bien, pour le changer en mal, au moins en rêve?

Et puis tout devient bientôt noir à qui s'ennuie. Nicole regretta Beausire, après avoir regretté sa liberté. Avouons que rien ne change dans le monde des femmes, depuis le temps où les filles de Judas s'en allaient, la veille d'un mariage d'amour, pleurer leur virginité sur la montagne.

Nous en sommes arrivé à un jour de deuil et d'agacement dans lequel Oliva, privée de toute société, de toute vue, depuis deux semaines, entrait dans la plus triste période du mal d'ennui.

Ayant tout épuisé, n'osant se montrer aux fenêtres ni sortir, elle commençait à perdre l'appétit de l'estomac, mais non celui de l'imagination, lequel redoublait, au contraire, au fur et à mesure que l'autre diminuait.

C'est à ce moment d'agitation morale, qu'elle reçut la visite, inattendue ce jour-là, de Cagliostro.

Il entra comme il en avait l'habitude, par la porte basse de l'hôtel, et vint, par le petit jardin nouvellement tracé dans les cours, heurter aux volets de l'appartement occupé par Oliva.

Quatre coups, frappés à intervalles convenus entre eux, étaient le signal arrêté d'avance pour que la jeune femme tirât le verrou qu'elle avait cru devoir demander comme sûreté entre elle et un visiteur muni de clefs.

Oliva ne pensait pas que les précautions fussent inutiles pour bien conserver une vertu qu'en certaines occasions elle trouvait pesante.

Au signal donné par Cagliostro, elle ouvrit ses verrous avec une rapidité qui témoignait de son besoin d'avoir une conférence.

Vive comme une grisette parisienne, elle s'élança au-devant des pas du noble geôlier, pour le caresser, et d'une voix irritée, rauque, saccadée:

– Monsieur, s'écria-t-elle, je m'ennuie, sachez cela.

Cagliostro la regarda avec un léger mouvement de tête.

– Vous vous ennuyez, dit-il en refermant la porte, hélas! ma chère enfant, c'est un vilain mal.

– Je me déplais ici. J'y meurs.

– Vraiment!

– Oui, j'ai de mauvaises pensées.

– Là! là! fit le comte, en la calmant comme il eût calmé un épagneul, si vous n'êtes pas bien chez moi, ne m'en veuillez pas trop. Gardez toute votre colère pour monsieur le lieutenant de police, qui est votre ennemi.

– Vous m'exaspérez avec votre sang-froid, monsieur, dit Oliva. J'aime mieux de bonnes colères que des douceurs pareilles; vous trouvez le moyen de me calmer, et cela me rend folle de rage.

– Avouez, mademoiselle, que vous êtes injuste, répondit Cagliostro en s'asseyant loin d'elle, avec cette affectation de respect ou d'indifférence qui lui réussissait si bien auprès d'Oliva.

– Vous en parlez bien à votre aise, vous, dit-elle; vous allez, vous venez, vous respirez; votre vie se compose d'une quantité de plaisirs que vous choisissez; moi, je végète dans l'espace que vous m'avez limité; je ne respire pas, je tremble. Je vous préviens, monsieur, que votre assistance m'est inutile, si elle ne m'empêche pas de mourir.

– Mourir! vous! dit le comte en souriant, allons donc!

– Je vous dis que vous vous conduisez fort mal envers moi, vous oubliez que j'aime profondément, passionnément quelqu'un.

– Monsieur Beausire?

– Oui, Beausire. Je l'aime, vous dis-je. Je ne vous l'ai jamais caché, je suppose. Vous n'avez pas été vous figurer que j'oublierais mon cher Beausire?

– Je l'ai si peu supposé, mademoiselle, que je me suis mis en quatre pour avoir de ses nouvelles, et que je vous en apporte.

– Ah! fit Oliva.

– Monsieur de Beausire, continua Cagliostro, est un charmant garçon.

– Parbleu! fit Oliva qui ne voyait pas où on la menait.

– Jeune et joli.

– N'est-ce pas?

– Plein d'imagination.

– De feu… un peu brutal pour moi. Mais… qui aime bien, châtie bien.

– Vous parlez d'or. Vous avez autant de cœur que d'esprit, et d'esprit que de beauté: et moi qui sais cela, moi qui m'intéresse à tout amour de ce monde – c'est une manie – , j'ai songé à vous rapprocher de monsieur de Beausire.

– Ce n'était pas votre idée, il y a un mois, dit Oliva en souriant d'un air contraint.

– Écoutez donc, ma chère enfant, tout galant homme qui voit une jolie personne cherche à lui plaire quand il est libre comme je le suis. Cependant, vous m'avouerez que si je vous ai fait un doigt de cour, cela n'a pas duré longtemps, hein?

– C'est vrai, répliqua Oliva du même ton; un quart d'heure au plus.

– C'était bien naturel que je me désistasse, voyant combien vous aimiez monsieur de Beausire.

– Oh! ne vous moquez pas de moi.

– Non, sur l'honneur! vous m'avez résisté si bien.

– Oh! n'est-ce pas? s'écria Oliva, enchantée d'avoir été prise en flagrant délit de résistance. Oui, avouez que j'ai résisté.

– C'était la suite de votre amour, dit flegmatiquement Cagliostro.

– Mais le vôtre, à vous, riposta Oliva, il n'était guère tenace, alors.

– Je ne suis ni assez vieux, ni assez laid, ni assez sot, ni assez pauvre, pour supporter ou les refus, ou les chances d'une défaite, mademoiselle; vous eussiez toujours préféré monsieur de Beausire à moi, je l'ai senti et j'ai pris mon parti.

– Oh! que non pas, dit la coquette; non pas! Cette fameuse association que vous m'avez proposée, vous savez bien, ce droit de me donner le bras, de me visiter, de me courtiser en tout bien tout honneur, est-ce que ce n'était point un petit reste d'espoir?

Et en disant ces mots, la perfide brûlait de ses yeux trop longtemps oisifs le visiteur, qui était venu se prendre au piège.

– Je l'avoue, répondit Cagliostro, vous êtes d'une pénétration à laquelle rien ne résiste.

Et il feignit de baisser les yeux pour n'être pas dévoré par le double jet de flamme qui jaillissait des regards d'Oliva.

– Revenons à Beausire, dit-elle, piquée de l'immobilité du comte; que fait-il, où est-il, ce cher ami?

Alors Cagliostro, la regardant avec un reste de timidité:

– Je disais que j'eusse voulu vous réunir à lui, continua-t-il.

– Non, vous ne disiez pas cela, murmura-t-elle avec dédain; mais puisque vous me le dites, je le prends pour dit. Continuez. Pourquoi ne l'avez-vous pas amené, c'eût été charitable. Il est libre, lui…

– Parce que, répondit Cagliostro, sans s'étonner de cette ironie, monsieur de Beausire, qui est comme vous, qui a trop d'esprit, s'est fait aussi une petite affaire avec la police.

– Aussi! s'écria Oliva en pâlissant; car cette fois elle sentait le tuf de la vérité.

– Aussi, répéta poliment Cagliostro.

– Qu'a-t-il fait?.. balbutia la jeune femme.

– Une charmante espièglerie, un tour de passe infiniment ingénieux; j'appelle cela une drôlerie; mais les gens moroses, monsieur de Crosne, par exemple, vous savez combien il est lourd, ce monsieur de Crosne; eh bien! ils appellent cela un vol.

– Un vol! s'écria Oliva épouvantée; mon Dieu!

– Un joli vol, par exemple; ce qui prouve combien ce pauvre Beausire a le goût des belles choses.

– Monsieur… monsieur… il est arrêté?

– Non, mais il est signalé.

– Vous me jurez qu'il n'est point arrêté, qu'il ne court aucun risque?

– Je puis bien vous jurer qu'il n'est point arrêté; mais, quant au second point, vous n'aurez pas ma parole. Vous sentez bien, ma chère enfant, que lorsqu'on est signalé, on est suivi, ou recherché du moins, et qu'avec sa figure, avec sa tournure, avec toutes ses qualités bien connues, monsieur de Beausire, s'il se montrait, serait tout de suite dépisté par les limiers. Songez donc un peu à ce coup de filet que ferait monsieur de Crosne. Prendre vous par monsieur de Beausire, et monsieur de Beausire par vous.

– Oh! oui, oui, il faut qu'il se cache! Pauvre garçon! Je vais me cacher aussi. Faites-moi fuir hors de France, monsieur. Tâchez de me rendre ce service; parce qu'ici, voyez-vous, enfermée, étouffée, je ne résisterais pas au désir de faire un jour où l'autre quelque imprudence.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
420 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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