Читайте только на Литрес

Kitap dosya olarak indirilemez ancak uygulamamız üzerinden veya online olarak web sitemizden okunabilir.

Kitabı oku: «Le vicomte de Bragelonne, Tome III.», sayfa 10

Yazı tipi:

Chapitre CXLIX – Madame et de Guiche

Nous avons vu que le comte de Guiche était sorti de la salle le jour où Louis XIV avait offert avec tant de galanterie à La Vallière les merveilleux bracelets gagnés à la loterie.

Le comte se promena quelque temps hors du palais l'esprit dévoré par mille soupçons et mille inquiétudes.

Puis on le vit guettant sur la terrasse, en face des quinconces, le départ de Madame.

Une grosse demi-heure s'écoula. Seul, à ce moment, le comte ne pouvait avoir de bien divertissantes idées.

Il tira ses tablettes de sa poche, et se décida, après mille hésitations à écrire ces mots:

«Madame, je vous supplie de m'accorder un moment d'entretien. Ne vous alarmez pas de cette demande qui n'a rien d'étranger au profond respect avec lequel je suis, etc., etc.»

Il signait cette singulière supplique pliée en billet d'amour, quand il vit sortir du château plusieurs femmes, puis des hommes, presque tout le cercle de la reine, enfin.

Il vit La Vallière elle-même, puis Montalais causant avec

Malicorne.

Il vit jusqu'au dernier des conviés qui tout à l'heure peuplaient le cabinet de la reine mère.

Madame n'était point passée; il fallait cependant qu'elle traversât cette cour pour rentrer chez elle, et, de la terrasse, de Guiche plongeait dans cette cour.

Enfin, il vit Madame sortir avec deux pages qui portaient des flambeaux. Elle marchait vite, et, arrivée à sa porte, elle cria.

– Pages, qu'on aille s'informer de M. le comte de Guiche. Il doit me rendre compte d'une commission. S'il est libre, qu'on le prie de passer chez moi.

De Guiche demeura muet et caché dans son ombre; mais, sitôt que Madame fut rentrée, il s'élança de la terrasse en bas les degrés; il prit l'air le plus indifférent pour se faire rencontrer par les pages, qui couraient déjà vers son logement.

«Ah! Madame me fait chercher!» se dit-il tout ému.

Et il serra son billet, désormais inutile.

– Comte, dit un des pages en l'apercevant, nous sommes heureux de vous rencontrer.

– Qu'y a-t-il, messieurs?

– Un ordre de Madame.

– Un ordre de Madame? fit de Guiche d'un air surpris.

– Oui, comte, Son Altesse Royale vous demande; vous lui devez, nous a-t elle dit, compte d'une commission. Êtes-vous libre?

– Je suis tout entier aux ordres de Son Altesse Royale.

– Veuillez donc nous suivre.

Monté chez la princesse, de Guiche la trouva pâle et agitée.

À la porte se tenait Montalais, un peu inquiète de ce qui se passait dans l'esprit de sa maîtresse.

De Guiche parut.

– Ah! c'est vous, monsieur de Guiche, dit Madame; entrez, je vous prie… Mademoiselle de Montalais, votre service est fini.

Montalais, encore plus intriguée, salua et sortit.

Les deux interlocuteurs restèrent seuls.

Le comte avait tout l'avantage: c'était Madame qui l'avait appelé à un rendez-vous. Mais, cet avantage, comment était-il possible au comte d'en user? C'était une personne si fantasque que Madame! c'était un caractère si mobile que celui de Son Altesse Royale!

Elle le fit bien voir; car abordant soudain la conversation:

– Eh bien! dit-elle, n'avez-vous rien à me dire?

Il crut qu'elle avait deviné sa pensée; il crut; ceux qui aiment sont ainsi faits; ils sont crédules et aveugles comme des poètes ou des prophètes; il crut qu'elle savait le désir qu'il avait de la voir, et le sujet de ce désir.

– Oui, bien, madame, dit-il, et je trouve cela fort étrange.

– L'affaire des bracelets, s'écria-t-elle vivement, n'est-ce pas?

– Oui, madame.

– Vous croyez le roi amoureux? Dites.

De Guiche la regarda longuement; elle baissa les yeux sous ce regard qui allait jusqu'au coeur.

– Je crois, dit-il, que le roi peut avoir eu le dessein de tourmenter quelqu'un ici; le roi, sans cela, ne se montrerait pas empressé comme il est; il ne risquerait pas de compromettre de gaieté de coeur une jeune fille jusqu'alors inattaquable.

– Bon! cette effrontée? dit hautement la princesse.

– Je puis affirmer à Votre Altesse Royale, dit de Guiche avec une fermeté respectueuse, que Mlle de La Vallière est aimée d'un homme qu'il convient de respecter, car c'est un galant homme.

– Oh! Bragelonne, peut-être?

– Mon ami. Oui, madame.

– Eh bien! quand il serait votre ami, qu'importe au roi?

– Le roi sait que Bragelonne est fiancé à Mlle de La Vallière; et, comme Raoul a servi le roi bravement, le roi n'ira pas causer un malheur irréparable.

Madame se mit à rire avec des éclats qui firent sur de Guiche une douloureuse impression.

– Je vous répète, madame, que je ne crois pas le roi amoureux de La Vallière, et la preuve que je ne le crois pas, c'est que je voulais vous demander de qui Sa Majesté peut chercher à piquer l'amour-propre dans cette circonstance. Vous qui connaissez toute la Cour, vous m'aiderez à trouver d'autant plus assurément, que, dit-on partout, Votre Altesse Royale est fort intime avec le roi.

Madame se mordit les lèvres, et, faute de bonnes raisons, elle détourna la conversation.

– Prouvez-moi, dit-elle en attachant sur lui un de ces regards dans lesquels l'âme semble passer tout entière, prouvez-moi que vous cherchiez à m'interroger, moi qui vous ai appelé.

De Guiche tira gravement de ses tablettes ce qu'il avait écrit, et le montra.

– Sympathie, dit-elle.

– Oui, fit le comte avec une insurmontable tendresse, oui, sympathie; mais, moi, je vous ai expliqué comment et pourquoi je vous cherchais; vous, madame, vous êtes encore à me dire pourquoi vous me mandiez près de vous.

– C'est vrai.

Et elle hésita.

– Ces bracelets me feront perdre la tête, dit-elle tout à coup.

– Vous vous attendiez à ce que le roi dût vous les offrir? répliqua de Guiche.

– Pourquoi pas?

– Mais avant vous, madame, avant vous sa belle soeur, le roi n'avait-il pas la reine?

– Avant La Vallière, s'écria la princesse, ulcérée, n'avait-il pas moi? n'avait-il pas toute la Cour?

– Je vous assure, madame, dit respectueusement le comte, que si l'on vous entendait parler ainsi, que si l'on voyait vos yeux rouges, et, Dieu me pardonne! cette larme qui monte à vos cils; oh! oui! tout le monde dirait que Votre Altesse Royale est jalouse.

– Jalouse! dit la princesse avec hauteur; jalouse de La Vallière?

Elle s'attendait à faire plier de Guiche avec ce geste hautain et ce ton superbe.

– Jalouse de La Vallière, oui, madame, répéta-t-il bravement.

– Je crois, monsieur, balbutia-t-elle, que vous vous permettez de m'insulter?

– Je ne le crois pas, madame, répliqua le comte un peu agité, mais résolu à dompter cette fougueuse colère.

– Sortez! dit la princesse au comble de l'exaspération, tant le sang-froid et le respect muet de de Guiche lui tournaient à fiel et à rage.

De Guiche recula d'un pas, fit sa révérence avec lenteur, se releva blanc comme ses manchettes, et, d'une voix légèrement altérée:

– Ce n'était pas la peine que je m'empressasse, dit-il, pour subir cette injuste disgrâce.

Et il tourna le dos sans précipitation.

Il n'avait pas fait cinq pas, que Madame s'élança comme une tigresse après lui, le saisit par la manche, et, le retournant:

– Ce que vous affectez de respect, dit-elle en tremblant de fureur, est plus insultant que l'insulte. Voyons, insultez-moi, mais au moins parlez!

– Et vous, madame, dit le comte doucement en tirant son épée, percez-moi le coeur, mais ne me faites pas mourir à petit feu.

Au regard qu'il arrêta sur elle, regard empreint d'amour, de résolution, de désespoir même, elle comprit qu'un homme, si calme en apparence, se passerait l'épée dans la poitrine si elle ajoutait un mot.

Elle lui arracha le fer d'entre les mains, et, serrant son bras avec un délire qui pouvait passer pour de la tendresse:

– Comte, dit-elle, ménagez-moi. Vous voyez que je souffre, et vous n'avez aucune pitié.

Les larmes, dernière crise de cet accès, étouffèrent sa voix. De Guiche, la voyant pleurer, la prit dans ses bras et la porta jusqu'à son fauteuil; un moment encore, elle suffoquait.

– Pourquoi, murmura-t-il à ses genoux, ne m'avouez-vous pas vos peines? Aimez-vous quelqu'un? Dites-le-moi? J'en mourrai, mais après que je vous aurai soulagée, consolée, servie même.

– Oh! vous m'aimez ainsi! répliqua-t-elle vaincue.

– Je vous aime à ce point, oui, madame.

Et elle lui donna ses deux mains.

– J'aime, en effet, murmura-t-elle si bas que nul n'eût pu l'entendre.

Lui l'entendit.

– Le roi? dit-il.

Elle secoua doucement la tête, et son sourire fut comme ces éclaircies de nuages par lesquelles, après la tempête, on croit voir le paradis s'ouvrir.

– Mais, ajouta-t-elle, il y a d'autres passions dans un coeur bien né. L'amour, c'est la poésie; mais la vie de ce coeur, c'est l'orgueil. Comte, je suis née sur le trône, je suis fière et jalouse de mon rang. Pourquoi le roi rapproche-t-il de lui des indignités?

– Encore! fit le comte; voilà que vous maltraitez cette pauvre fille qui sera la femme de mon ami.

– Vous êtes assez simple pour croire cela, vous?

– Si je ne le croyais pas, dit-il fort pâle, Bragelonne serait prévenu demain; oui, si je supposais que cette pauvre La Vallière eût oublié les serments qu'elle a faits à Raoul. Mais non, ce serait une lâcheté de trahir le secret d'une femme; ce serait un crime de troubler le repos d'un ami.

– Vous croyez, dit la princesse avec un sauvage éclat de rire, que l'ignorance est du bonheur?

– Je le crois, répliqua-t-il.

– Prouvez! prouvez donc! dit-elle vivement.

– C'est facile: madame, on dit dans toute la Cour que le roi vous aimait et que vous aimiez le roi.

– Eh bien? fit-elle en respirant péniblement.

– Eh bien! admettez que Raoul, mon ami, fût venu me dire: «Oui, le roi aime Madame; oui, le roi a touché le coeur de Madame», j'eusse peut-être tué Raoul!

– Il eût fallu, dit la princesse avec cette obstination des femmes qui se sentent imprenables, que M. de Bragelonne eût eu des preuves pour vous parler ainsi.

– Toujours est-il, répondit de Guiche en soupirant, que, n'ayant pas été averti, je n'ai rien approfondi, et qu'aujourd'hui mon ignorance m'a sauvé la vie.

– Vous pousseriez jusqu'à l'égoïsme et la froideur, dit Madame, que vous laisseriez ce malheureux jeune homme continuer d'aimer La Vallière?

– Jusqu'au jour où La Vallière me sera révélée coupable, oui, madame.

– Mais les bracelets?

– Eh! madame, puisque vous vous attendiez à les recevoir du roi, qu'eussé-je pu dire?

L'argument était vigoureux; la princesse en fut écrasée. Elle ne se releva plus dès ce moment.

Mais, comme elle avait l'âme pleine de noblesse, comme elle avait l'esprit ardent d'intelligence, elle comprit toute la délicatesse de de Guiche.

Elle lut clairement dans son coeur qu'il soupçonnait le roi d'aimer La Vallière, et ne voulait pas user de cet expédient vulgaire, qui consiste à ruiner un rival dans l'esprit d'une femme, en donnant à celle-ci l'assurance, la certitude que ce rival courtise une autre femme.

Elle devina qu'il soupçonnait La Vallière, et que, pour lui laisser le temps de se convertir, pour ne pas la faire perdre à jamais, il se réservait une démarche directe ou quelques observations plus nettes.

Elle lut en un mot tant de grandeur réelle, tant de générosité dans le coeur de son amant, qu'elle sentit s'embraser le sien au contact d'une flamme aussi pure.

De Guiche, en restant, malgré la crainte de déplaire, un homme de conséquence et de dévouement, grandissait à l'état de héros, et la réduisait à l'état de femme jalouse et mesquine.

Elle l'en aima si tendrement, qu'elle ne put s'empêcher de lui en donner un témoignage.

– Voilà bien des paroles perdues, dit-elle en lui prenant la main. Soupçons, inquiétudes, défiances, douleurs, je crois que nous avons prononcé tous ces noms.

– Hélas! oui, madame.

– Effacez-les de votre coeur comme je les chasse du mien. Comte, que cette La Vallière aime le roi ou ne l'aime pas, que le roi aime ou n'aime pas La Vallière, faisons, à partir de ce moment, une distinction dans nos deux rôles. Vous ouvrez de grands yeux; je gage que vous ne me comprenez pas?

– Vous êtes si vive, madame, que je tremble toujours de vous déplaire.

– Voyez comme il tremble, le bel effrayé! dit-elle avec un enjouement plein de charme. Oui, monsieur, j'ai deux rôles à jouer. Je suis la soeur du roi, la belle-soeur de sa femme. À ce titre, ne faut-il pas que je m'occupe des intrigues du ménage? Votre avis?

– Le moins possible, madame.

– D'accord, mais c'est une question de dignité; ensuite je suis la femme de Monsieur.

De Guiche soupira.

– Ce qui, dit-elle tendrement, doit vous exhorter à me parler toujours avec le plus souverain respect.

– Oh! s'écria-t-il en tombant à ses pieds, qu'il baisa comme ceux d'une divinité.

– Vraiment, murmura-t-elle, je crois que j'ai encore un autre rôle. Je l'oubliais.

– Lequel? lequel?

– Je suis femme, dit-elle plus bas encore. J'aime.

Il se releva. Elle lui ouvrit ses bras; leurs lèvres se touchèrent.

Un pas retentit derrière la tapisserie. Montalais heurta.

– Qu'y a-t-il, mademoiselle? dit Madame.

– On cherche M. de Guiche, répondit Montalais, qui eut tout le temps de voir le désordre des acteurs de ces quatre rôles, car constamment de Guiche avait héroïquement aussi joué le sien.

Chapitre CL – Montalais et Malicorne

Montalais avait raison. M. de Guiche, appelé partout, était fort exposé, par la multiplication même des affaires, à ne répondre nulle part.

Aussi, telle est la force des situations faibles, que Madame, malgré son orgueil blessé, malgré sa colère intérieure, ne put rien reprocher, momentanément, du moins, à Montalais, qui venait de violer si audacieusement la consigne quasi royale qui l'avait éloignée.

De Guiche aussi perdit la tête, ou, plutôt, disons-le, de Guiche avait perdu la tête avant l'arrivée de Montalais; car à peine eut- il entendu la voix de la jeune fille, que, sans prendre congé de Madame, comme la plus simple politesse l'exigeait même entre égaux, il s'enfuit le coeur brûlant, la tête folle, laissant la princesse une main levée et lui faisant un geste d'adieu. C'est que de Guiche pouvait dire, comme le dit Chérubin cent ans plus tard, qu'il emportait aux lèvres du bonheur pour une éternité.

Montalais trouva donc les deux amants fort en désordre: il y avait désordre chez celui qui s'enfuyait, désordre chez celle qui restait.

Aussi la jeune fille murmura, tout en jetant un regard interrogateur autour d'elle:

– Je crois que, cette fois, j'en sais autant que la femme la plus curieuse peut désirer en savoir.

Madame fut tellement embarrassée de ce regard inquisiteur, que, comme si elle eût entendu l'aparté de Montalais, elle ne dit pas un seul mot à sa fille d'honneur, et, baissant les yeux, rentra dans sa chambre à coucher.

Ce que voyant, Montalais écouta.

Alors elle entendit Madame qui fermait les verrous de sa chambre.

De ce moment elle comprit qu'elle avait sa nuit à elle, et, faisant du côté de cette porte qui venait de se fermer un geste assez irrespectueux, lequel voulait dire: «Bonne nuit, princesse!» elle descendit retrouver Malicorne, fort occupé pour le moment à suivre de l'oeil un courrier tout poudreux qui sortait de chez le comte de Guiche.

Montalais comprit que Malicorne accomplissait quelque oeuvre d'importance; elle le laissa tendre les yeux, allonger le cou, et, quand Malicorne en fut revenu à sa position naturelle, elle lui frappa seulement sur l'épaule.

– Eh bien! dit Montalais, quoi de nouveau?

– M. de Guiche aime Madame, dit Malicorne.

– Belle nouvelle! Je sais quelque chose de plus frais, moi.

– Et que savez-vous?

– C'est que Madame aime M. de Guiche.

– L'un était la conséquence de l'autre.

– Pas toujours, mon beau monsieur.

– Cet axiome serait-il à mon adresse?

– Les personnes présentes sont toujours exceptées.

– Merci, fit Malicorne. Et de l'autre côté? continua-t-il en interrogeant.

– Le roi a voulu ce soir, après la loterie, voir Mlle de La

Vallière.

– Eh bien! il l'a vue?

– Non pas.

– Comment, non pas?

– La porte était fermée.

– De sorte que?..

– De sorte que le roi s'en est retourné tout penaud comme un simple voleur qui a oublié ses outils.

– Bien.

– Et du troisième côté? demanda Montalais.

– Le courrier qui arrive à M. de Guiche est envoyé par

M. de Bragelonne.

– Bon! fit Montalais en frappant dans ses mains.

– Pourquoi, bon?

– Parce que voilà de l'occupation. Si nous nous ennuyons maintenant, nous aurons du malheur.

– Il importe de se diviser la besogne, fit Malicorne, afin de ne point faire confusion.

– Rien de plus simple, répliqua Montalais. Trois intrigues un peu bien chauffées, un peu bien menées, donnent, l'une dans l'autre, et au bas chiffre, trois billets par jour.

– Oh! s'écria Malicorne en haussant les épaules, vous n'y pensez pas, ma chère, trois billets en un jour, c'est bon pour des sentiments bourgeois. Un mousquetaire en service, une petite fille au couvent, échangeant le billet quotidiennement par le haut de l'échelle ou par le trou fait au mur. En un billet tient toute la poésie de ces pauvres petits coeurs-là. Mais chez nous… Oh! que vous connaissez peu le Tendre royal, ma chère.

– Voyons, concluez, dit Montalais impatientée. On peut venir.

– Conclure! Je n'en suis qu'à la narration. J'ai encore trois points.

– En vérité, il me fera mourir, avec son flegme de Flamand! s'écria Montalais.

– Et vous, vous me ferez perdre la tête avec vos vivacités d'Italienne. Je vous disais donc que nos amoureux s'écriront des volumes, mais où voulez vous en venir?

– À ceci, qu'aucune de nos dames ne peut garder les lettres qu'elle recevra.

– Sans aucun doute.

– Que M. de Guiche n'osera pas garder les siennes non plus.

– C'est probable.

– Eh bien! je garderai tout cela, moi.

– Voilà justement ce qui est impossible, dit Malicorne.

– Et pourquoi cela?

– Parce que vous n'êtes pas chez vous; que votre chambre est commune à La Vallière et à vous; que l'on pratique assez volontiers des visites et des fouilles dans une chambre de fille d'honneur; que je crains fort la reine, jalouse comme une Espagnole, la reine mère, jalouse comme deux Espagnoles, et, enfin, Madame jalouse comme dix Espagnoles.

– Vous oubliez quelqu'un.

– Qui?

– Monsieur.

– Je ne parlais que pour les femmes. Numérotons donc. Monsieur,

№ 1.

– № 2, de Guiche.

– № 3, le vicomte de Bragelonne.

– № 4, et le roi.

– Le roi?

– Certainement, le roi, qui sera non seulement plus jaloux, mais encore plus puissant que tout le monde. Ah! ma chère!

– Après?

– Dans quel guêpier vous êtes-vous fourrée!

– Pas encore assez avant, si vous voulez m'y suivre.

– Certainement que je vous y suivrai. Cependant…

– Cependant?..

– Tandis qu'il en est temps encore, je crois qu'il serait prudent de retourner en arrière.

– Et moi, au contraire, je crois que le plus prudent est de nous mettre du premier coup à la tête de toutes ces intrigues-là.

– Vous n'y suffirez pas.

– Avec vous, j'en mènerais dix. C'est mon élément, voyez-vous. J'étais faite pour vivre à la Cour, comme la salamandre est faite pour vivre dans les flammes.

– Votre comparaison ne me rassure pas le moins du monde, chère amie. J'ai entendu dire à des savants fort savants, d'abord qu'il n'y a pas de salamandres, et qu'y en eût-il, elles seraient parfaitement grillées, elles seraient parfaitement rôties en sortant du feu.

– Vos savants peuvent être fort savants en affaires de salamandres. Or, vos savants ne vous diront point ceci, que je vous dis, moi: Aure de Montalais est appelée à être, avant un mois, le premier diplomate de la Cour de France!

– Soit, mais à la condition que j'en serai le deuxième.

– C'est dit: alliance offensive et défensive, bien entendu.

– Seulement, défiez-vous des lettres.

– Je vous les remettrai au fur et à mesure qu'on me les remettra.

– Que dirons-nous au roi, de Madame?

– Que Madame aime toujours le roi.

– Que dirons-nous à Madame, du roi?

– Qu'elle aurait le plus grand tort de ne pas le ménager.

– Que dirons-nous à La Vallière, de Madame?

– Tout ce que nous voudrons: La Vallière est à nous.

– À nous?

– Doublement.

– Comment cela?

– Par le vicomte de Bragelonne, d'abord.

– Expliquez-vous.

– Vous n'oubliez pas, je l'espère, que M. de Bragelonne a écrit beaucoup de lettres à Mlle de La Vallière?

– Je n'oublie rien.

– Ces lettres, c'est moi qui les recevais, c'est moi qui les cachais.

– Et, par conséquent, c'est vous qui les avez?

– Toujours.

– Où cela? ici?

– Oh! que non pas. Je les ai à Blois, dans la petite chambre que vous savez.

– Petite chambre chérie, petite chambre amoureuse, antichambre du palais que je vous ferai habiter un jour. Mais, pardon, vous dites que toutes ces lettres sont dans cette petite chambre?

– Oui.

– Ne les mettiez-vous pas dans un coffret?

– Sans doute, dans le même coffret où je mettais les lettres que je recevais de vous, et où je déposais les miennes quand vos affaires ou vos plaisirs vous empêchaient de venir au rendez-vous.

– Ah! fort bien, dit Malicorne.

– Pourquoi cette satisfaction?

– Parce que je vois la possibilité de ne pas courir à Blois après les lettres. Je les ai ici.

– Vous avez rapporté le coffret?

– Il m'était cher, venant de vous.

– Prenez-y garde, au moins; le coffret contient des originaux qui auront un grand prix plus tard.

– Je le sais parbleu bien! et voilà justement pourquoi je ris, et de tout mon coeur même.

– Maintenant, un dernier mot.

– Pourquoi donc un dernier?

– Avons-nous besoin d'auxiliaires?

– D'aucun.

– Valets, servantes?

– Mauvais, détestable! Vous donnerez les lettres, vous les recevrez. Oh! pas de fierté; sans quoi, M. Malicorne et Mlle Aure, ne faisant pas leurs affaires eux-mêmes, devront se résoudre à les voir faire par d'autres.

– Vous avez raison; mais que se passe-t-il chez M. de Guiche?

– Rien; il ouvre sa fenêtre.

– Disparaissons.

Et tous deux disparurent; la conjuration était nouée.

La fenêtre qui venait de s'ouvrir était, en effet, celle du comte de Guiche.

Mais, comme eussent pu le penser les ignorants, ce n'était pas seulement pour tâcher de voir l'ombre de Madame à travers ses rideaux qu'il se mettait à cette fenêtre, et sa préoccupation n'était pas toute amoureuse.

Il venait, comme nous l'avons dit, de recevoir un courrier; ce courrier lui avait été envoyé par de Bragelonne. De Bragelonne avait écrit à de Guiche.

Celui-ci avait lu et relu la lettre, laquelle lui avait fait une profonde impression.

– Étrange! étrange! murmurait-il. Par quels moyens puissants la destinée entraîne-t-elle donc les gens à leur but?

Et, quittant la fenêtre pour se rapprocher de la lumière, il relut une troisième fois cette lettre, dont les lignes brûlaient à la fois son esprit et ses yeux.

«Calais.

«Mon cher comte,

J'ai trouvé à Calais M. de Wardes, qui a été blessé grièvement dans une affaire avec M. de Buckingham.

C'est un homme brave, comme vous savez, que de Wardes, mais haineux et méchant.

Il m'a entretenu de vous, pour qui, dit-il, son coeur a beaucoup de penchant; de Madame, qu'il trouve belle et aimable.

Il a deviné votre amour pour la personne que vous savez.

Il m'a aussi entretenu d'une personne que j'aime, et m'a témoigné le plus vif intérêt en me plaignant fort, le tout avec des obscurités qui m'ont effrayé d'abord, mais que j'ai fini par prendre pour les résultats de ses habitudes de mystère.

Voici le fait:

Il aurait reçu des nouvelles de la Cour. Vous comprenez que ce n'est que par M. de Lorraine.

On s'entretient, disent ses nouvelles, d'un changement survenu dans l'affection du roi.

Vous savez qui cela regarde.

Ensuite, disaient encore ses nouvelles, on parle d'une fille d'honneur qui donne sujet à la médisance.

Ces phrases vagues ne m'ont point permis de dormir. J'ai déploré depuis hier que mon caractère droit et faible, malgré une certaine obstination, m'ait laissé sans réplique à ces insinuations.

En un mot, M. de Wardes partait pour Paris; je n'ai point retardé son départ avec des explications; et puis il me paraissait dur, je l'avoue, de mettre à la question un homme dont les blessures sont à peine fermées.

Bref, il est parti à petites journées, parti pour assister, dit- il, au curieux spectacle que la Cour ne peut manquer d'offrir sous peu de temps.

Il a ajouté à ces paroles certaines félicitations, puis certaines condoléances. Je n'ai pas plus compris les unes que les autres. J'étais étourdi par mes pensées et par une défiance envers cet homme, défiance, vous le savez mieux que personne, que je n'ai jamais pu surmonter.

Mais, lui parti, mon esprit s'est ouvert.

Il est impossible qu'un caractère comme celui de de Wardes n'ait pas infiltré quelque peu de sa méchanceté dans les rapports que nous avons eus ensemble.

Il est donc impossible que dans toutes les paroles mystérieuses que M. de Wardes m'a dites, il n'y ait point un sens mystérieux dont je puisse me faire l'application à moi ou à qui savez.

Forcé que j'étais de partir promptement pour obéir au roi, je n'ai point eu l'idée de courir après M. de Wardes pour obtenir l'explication de ses réticences; mais je vous expédie un courrier et vous écris cette lettre, qui vous exposera tous mes doutes. Vous, c'est moi: j'ai pensé, vous agirez.

M. de Wardes arrivera sous peu: sachez ce qu'il a voulu dire, si déjà vous ne le savez.

Au reste M. de Wardes a prétendu que M. de Buckingham avait quitté Paris, comblé par Madame; c'est une affaire qui m'eût immédiatement mis l'épée à la main sans la nécessité où je crois me trouver de faire passer le service du roi avant toute querelle.

Brûlez cette lettre, que vous remet Olivain.

Qui dit Olivain, dit la sûreté même.

Veuillez, je vous prie, mon cher comte, me rappeler au souvenir de

Mlle de La Vallière, dont je baise respectueusement les mains.

Vous, je vous embrasse.

Vicomte de Bragelonne.

P. – S. – Si quelque chose de grave survenait, tout doit se prévoir, cher ami, expédiez-moi un courrier avec ce seul mot: «Venez», et je serai à Paris, trente-six heures après votre lettre reçue.

De Guiche soupira, replia la lettre une troisième fois, et, au lieu de la brûler, comme le lui avait recommandé Raoul, il la remit dans sa poche.

Il avait besoin de la lire et de la relire encore.

– Quel trouble et quelle confiance à la fois, murmura le comte; toute l'âme de Raoul est dans cette lettre; il y oublie le comte de La Fère, et il y parle de son respect pour Louise! Il m'avertit pour moi, il me supplie pour lui. Ah! continua de Guiche avec un geste menaçant, vous vous mêlez de mes affaires, monsieur de Wardes? Eh bien! je vais m'occuper des vôtres. Quant à toi, mon pauvre Raoul, ton coeur me laisse un dépôt; je veillerai sur lui, ne crains rien.

Cette promesse faite, de Guiche fit prier Malicorne de passer chez lui sans retard, s'il était possible.

Malicorne se rendit à l'invitation avec une vivacité qui était le premier résultat de sa conversation avec Montalais.

Plus de Guiche, qui se croyait couvert, questionna Malicorne, plus celui-ci, qui travaillait à l'ombre, devina son interrogateur.

Il s'ensuivit que, après un quart d'heure de conversation, pendant lequel de Guiche crut découvrir toute la vérité sur La Vallière et sur le roi, il n'apprit absolument rien que ce qu'il avait vu de ses yeux; tandis que Malicorne apprit ou devina, comme on voudra, que Raoul avait de la défiance à distance et que de Guiche allait veiller sur le trésor des Hespérides.

Malicorne accepta d'être le dragon.

De Guiche crut avoir tout fait pour son ami et ne s'occupa plus que de soi.

On annonça le lendemain au soir le retour de de Wardes, et sa première apparition chez le roi.

Après sa visite, le convalescent devait se rendre chez Monsieur.

De Guiche se rendit chez Monsieur avant l'heure.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
560 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
Metin
Средний рейтинг 0 на основе 0 оценок
Metin
Средний рейтинг 0 на основе 0 оценок
Metin
Средний рейтинг 0 на основе 0 оценок
Metin PDF
Средний рейтинг 5 на основе 1 оценок
Metin
Средний рейтинг 3,8 на основе 4 оценок
Metin
Средний рейтинг 0 на основе 0 оценок
Metin
Средний рейтинг 0 на основе 0 оценок
Metin
Средний рейтинг 0 на основе 0 оценок
Metin PDF
Средний рейтинг 5 на основе 1 оценок
Metin PDF
Средний рейтинг 5 на основе 1 оценок