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Kitabı oku: «Le vicomte de Bragelonne, Tome III.», sayfa 11

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Chapitre CLI – Comment de Wardes fut reçu à la cour

Monsieur avait accueilli de Wardes avec cette faveur insigne que le rafraîchissement de l'esprit conseille à tout caractère léger pour la nouveauté qui arrive.

De Wardes, qu'en effet on n'avait pas vu depuis un mois, était du fruit nouveau. Le caresser, c'était d'abord une infidélité à faire aux anciens, et une infidélité a toujours son charme; c'était, de plus, une réparation à lui faire, à lui. Monsieur le traita donc on ne peut plus favorablement.

M. le chevalier de Lorraine, qui craignait fort ce rival, mais qui respectait cette seconde nature, en tout semblable à la sienne, plus le courage, M. le chevalier de Lorraine eut pour de Wardes des caresses plus douces encore que n'en avait eu Monsieur.

De Guiche était là, comme nous l'avons dit, mais se tenait un peu à l'écart, attendant patiemment que toutes ces embrassades fussent terminées.

De Wardes, tout en parlant aux autres, et même à Monsieur, n'avait pas perdu de Guiche de vue; son instinct lui disait qu'il était là pour lui.

Aussi alla-t-il à de Guiche aussitôt qu'il en eut fini avec les autres.

Tous deux échangèrent les compliments les plus courtois; après quoi, de Wardes revint à Monsieur et aux autres gentilshommes.

Au milieu de toutes ces félicitations de bon retour on annonça

Madame.

Madame avait appris l'arrivée de de Wardes. Elle savait tous les détails de son voyage et de son duel avec Buckingham. Elle n'était pas fâchée d'être là aux premières paroles qui devaient être prononcées par celui qu'elle savait son ennemi.

Elle avait deux ou trois dames d'honneur avec elle.

De Wardes fit à Madame les plus gracieux saluts, et annonça tout d'abord, pour commencer les hostilités, qu'il était prêt à donner des nouvelles de M. de Buckingham à ses amis.

C'était une réponse directe à la froideur avec laquelle Madame l'avait accueilli.

L'attaque était vive, Madame sentit le coup sans paraître l'avoir reçu. Elle jeta rapidement les yeux sur Monsieur et sur de Guiche.

Monsieur rougit, de Guiche pâlit.

Madame seule ne changea point de physionomie; mais, comprenant combien cet ennemi pouvait lui susciter de désagréments près des deux personnes qui l'écoutaient, elle se pencha en souriant du côté du voyageur.

Le voyageur parlait d'autre chose.

Madame était brave, imprudente même: toute retraite la jetait en avant. Après le premier serrement de coeur, elle revint au feu.

– Avez-vous beaucoup souffert de vos blessures, monsieur de Wardes? demanda-t-elle; car nous avons appris que vous aviez eu la mauvaise chance d'être blessé.

Ce fut au tour de de Wardes de tressaillir; il se pinça les lèvres.

– Non, madame, dit-il, presque pas.

– Cependant, par cette horrible chaleur…

– L'air de la mer est frais, madame, et puis j'avais une consolation.

– Oh! tant mieux!.. Laquelle?

– Celle de savoir que mon adversaire souffrait plus que moi.

– Ah! il a été blessé plus grièvement que vous? J'ignorais cela, dit la princesse avec une complète insensibilité.

– Oh! madame, vous vous trompez, ou plutôt vous faites semblant de vous tromper à mes paroles. Je ne dis pas que son corps ait plus souffert que moi; mais son coeur était atteint.

De Guiche comprit où tendait la lutte; il hasarda un signe à

Madame; ce signe la suppliait d'abandonner la partie.

Mais elle, sans répondre à de Guiche, sans faire semblant de le voir, et toujours souriante:

– Eh! quoi! demanda-t-elle, M. de Buckingham avait-il donc été touché au coeur? Je ne croyais pas, moi, jusqu'à présent, qu'une blessure au coeur se pût guérir.

– Hélas! madame, répondit gracieusement de Wardes, les femmes croient toutes cela, et c'est ce qui leur donne sur nous la supériorité de la confiance.

– Ma mie, vous comprenez mal, fit le prince impatient. M. de Wardes veut dire que le duc de Buckingham avait été touché au coeur par autre chose que par une épée.

– Ah! bien! bien! s'écria Madame. Ah! c'est une plaisanterie de

M. de Wardes; fort bien; seulement je voudrais savoir si

M. de Buckingham goûterait cette plaisanterie. En vérité, c'est bien dommage qu'il ne soit point là, monsieur de Wardes.

Un éclair passa dans les yeux du jeune homme.

– Oh! dit-il les dents serrées, je le voudrais aussi, moi.

De Guiche ne bougea pas.

Madame semblait attendre qu'il vînt à son secours.

Monsieur hésitait.

Le chevalier de Lorraine s'avança et prit la parole.

– Madame, dit-il, de Wardes sait bien que, pour un Buckingham, être touché au coeur n'est pas chose nouvelle, et que ce qu'il a dit s'est vu déjà.

– Au lieu d'un allié, deux ennemis, murmura Madame, deux ennemis ligués, acharnés!

Et elle changea la conversation.

Changer de conversation est, on le sait, un droit des princes, que l'étiquette ordonne de respecter.

Le reste de l'entretien fut donc modéré; les principaux acteurs avaient fini leurs rôles.

Madame se retira de bonne heure, et Monsieur, qui voulait l'interroger, lui donna la main.

Le chevalier craignait trop que la bonne intelligence ne s'établît entre les deux époux pour les laisser tranquillement ensemble.

Il s'achemina donc vers l'appartement de Monsieur pour le surprendre à son retour, et détruire avec trois mots toutes les bonnes impressions que Madame aurait pu semer dans son coeur. De Guiche fit un pas vers de Wardes, que beaucoup de gens entouraient.

Il lui indiquait ainsi le désir de causer avec lui. De Wardes lui fit, des yeux et de la tête, signe qu'il le comprenait.

Ce signe, pour les étrangers, n'avait rien que d'amical.

Alors de Guiche put se retourner et attendre.

Il n'attendit pas longtemps. De Wardes, débarrassé de ses interlocuteurs, s'approcha de de Guiche, et tous deux, après un nouveau salut, se mirent à marcher côte à côte.

– Vous avez fait un bon retour, mon cher de Wardes? dit le comte.

– Excellent, comme vous voyez.

– Et vous avez toujours l'esprit très gai?

– Plus que jamais.

– C'est un grand bonheur.

– Que voulez-vous! tout est si bouffon dans ce monde, tout est si grotesque autour de nous!

– Vous avez raison.

– Ah! vous êtes donc de mon avis?

– Parbleu! Et vous nous apportez des nouvelles de là-bas?

– Non, ma foi! j'en viens chercher ici.

– Parlez. Vous avez cependant vu du monde à Boulogne, un de nos amis, et il n'y a pas si longtemps de cela.

– Du monde… de… de nos amis?..

– Vous avez la mémoire courte.

– Ah! c'est vrai: Bragelonne?

– Justement.

– Qui allait en mission près du roi Charles?

– C'est cela. Eh bien! ne vous a-t-il pas dit, ou ne lui avez- vous pas dit?..

– Je ne sais trop ce que je lui ai dit, je vous l'avoue, mais ce que je ne lui ai pas dit, je le sais.

De Wardes était la finesse même. Il sentait parfaitement, à l'attitude de de Guiche, attitude pleine de froideur, de dignité, que la conversation prenait une mauvaise tournure. Il résolut de se laisser aller à la conversation et de se tenir sur ses gardes.

– Qu'est-ce donc, s'il vous plaît, que cette chose que vous ne lui avez pas dite? demanda de Guiche.

– Eh bien! la chose concernant La Vallière.

– La Vallière… Qu'est-ce que cela? et quelle est cette chose si étrange que vous l'avez sue là-bas, vous, tandis que Bragelonne, qui était ici, ne l'a pas sue, lui?

– Est-ce sérieusement que vous me faites cette question?

– On ne peut plus sérieusement.

– Quoi! vous, homme de cour, vous, vivant chez Madame, vous, le commensal de la maison, vous, l'ami de Monsieur, vous, le favori de notre belle princesse?

De Guiche rougit de colère.

– De quelle princesse parlez-vous? demanda-t-il.

– Mais je n'en connais qu'une, mon cher. Je parle de Madame. Est- ce que vous avez une autre princesse au coeur? Voyons.

De Guiche allait se lancer; mais il vit la feinte.

Une querelle était imminente entre les deux jeunes gens. De Wardes voulait seulement la querelle au nom de Madame, tandis que de Guiche ne l'acceptait qu'au nom de La Vallière. C'était, à partir de ce moment, un jeu de feintes, et qui devait durer jusqu'à ce que l'un d'eux fût touché.

De Guiche reprit donc tout son sang-froid.

– Il n'est pas le moins du monde question de Madame dans tout ceci, mon cher de Wardes, dit de Guiche, mais de ce que vous disiez là, à l'instant même.

– Et que disais-je?

– Que vous aviez caché à Bragelonne certaines choses.

– Que vous savez aussi bien que moi, répliqua de Wardes.

– Non, d'honneur!

– Allons donc!

– Si vous me le dites, je le saurai; mais non autrement, je vous jure!

– Comment! j'arrive de là-bas, de soixante lieues; vous n'avez pas bougé d'ici; vous avez vu de vos yeux, vous, ce que la renommée m'a rapporté là-bas, elle, et je vous entends me dire sérieusement que vous ne savez pas? oh! comte, vous n'êtes pas charitable.

– Ce sera comme il vous plaira, de Wardes; mais, je vous le répète, je ne sais rien.

– Vous faites le discret, c'est prudent.

– Ainsi, vous ne me direz rien, pas plus à moi qu'à Bragelonne?

– Vous faites la sourde oreille, je suis bien convaincu que

Madame ne serait pas si maîtresse d'elle-même que vous.

«Ah! double hypocrite, murmura de Guiche, te voilà revenu sur ton terrain.»

– Eh bien! alors, continua de Wardes, puisqu'il nous est si difficile de nous entendre sur La Vallière et Bragelonne, causons de vos affaires personnelles.

– Mais, dit de Guiche, je n'ai point d'affaires personnelles, moi. Vous n'avez rien dit de moi, je suppose, à Bragelonne, que vous ne puissiez me redire, à moi?

– Non. Mais, comprenez-vous, de Guiche? c'est qu'autant je suis ignorant sur certaines choses, autant je suis ferré sur d'autres. S'il s'agissait, par exemple, de vous parler des relations de M. de Buckingham à Paris, comme j'ai fait le voyage avec le duc, je pourrais vous dire les choses les plus intéressantes. Voulez- vous que je vous les dise?

De Guiche passa sa main sur son front moite de sueur.

– Mais, non, dit-il, cent fois non, je n'ai point de curiosité pour ce qui ne me regarde pas. M. de Buckingham n'est pour moi qu'une simple connaissance, tandis que Raoul est un ami intime. Je n'ai donc aucune curiosité de savoir ce qui est arrivé à M. de Buckingham, tandis que j'ai tout intérêt à savoir ce qui est arrivé à Raoul.

– À Paris?

– Oui, à Paris ou à Boulogne. Vous comprenez, moi, je suis présent: si quelque événement advient, je suis là pour y faire face; tandis que Raoul est absent et n'a que moi pour le représenter; donc, les affaires de Raoul avant les miennes.

– Mais Raoul reviendra.

– Oui, après sa mission. En attendant, vous comprenez, il ne peut courir de mauvais bruits sur lui sans que je les examine.

– D'autant plus qu'il y restera quelque temps, à Londres, dit de Wardes en ricanant.

– Vous croyez? demanda naïvement de Guiche.

– Parbleu! croyez-vous qu'on l'a envoyé à Londres pour qu'il ne fasse qu'y aller et en revenir? Non pas; on l'a envoyé à Londres pour qu'il y reste.

– Ah! comte, dit de Guiche en saisissant avec force la main de de Wardes, voici un soupçon bien fâcheux pour Bragelonne, et qui justifie à merveille ce qu'il m'a écrit de Boulogne.

De Wardes redevint froid; l'amour de la raillerie l'avait poussé en avant, et il avait, par son imprudence, donné prise sur lui.

– Eh bien! voyons, qu'a-t-il écrit? demanda-t-il.

– Que vous lui aviez glissé quelques insinuations perfides contre La Vallière et que vous aviez paru rire de sa grande confiance dans cette jeune fille.

– Oui, j'ai fait tout cela, dit de Wardes, et j'étais prêt, en le faisant, à m'entendre dire par le vicomte de Bragelonne ce que dit un homme à un autre homme lorsque ce dernier le mécontente. Ainsi, par exemple, si je vous cherchais une querelle, à vous, je vous dirais que Madame, après avoir distingué M. de Buckingham, passe en ce moment pour n'avoir renvoyé le beau duc qu'à votre profit.

– Oh! cela ne me blesserait pas le moins du monde, cher de Wardes, dit de Guiche en souriant malgré le frisson qui courait dans ses veines comme une injection de feu. Peste! une telle faveur, c'est du miel.

– D'accord; mais, si je voulais absolument une querelle avec vous, je chercherais un démenti, et je vous parlerais de certain bosquet où vous vous rencontrâtes avec cette illustre princesse, de certaines génuflexions, de certains baisemains, et vous qui êtes un homme secret, vous, vif et pointilleux…

– Eh bien! non, je vous jure, dit de Guiche en l'interrompant avec le sourire sur les lèvres, quoiqu'il fût porté à croire qu'il allait mourir, non, je vous jure que cela ne me toucherait pas, que je ne vous donnerais aucun démenti. Que voulez-vous, très cher comte, je suis ainsi fait; pour les choses qui me regardent, je suis de glace. Ah! c'est bien autre chose lorsqu'il s'agit d'un ami absent, d'un ami qui, en partant, nous a confié ses intérêts; oh! pour cet ami, voyez-vous, de Wardes, je suis tout de feu!

– Je vous comprends, monsieur de Guiche; mais, vous avez beau

dire, il ne peut être question entre nous, à cette heure, ni de

Bragelonne, ni de cette jeune fille sans importance qu'on appelle

La Vallière.

En ce moment, quelques jeunes gens de la Cour traversaient le salon, et, ayant déjà entendu les paroles qui venaient d'être prononcées, étaient à même d'entendre celles qui allaient suivre.

De Wardes s'en aperçut et continua tout haut:

– Oh! si La Vallière était une coquette comme Madame, dont les agaceries, très innocentes, je le veux bien, ont d'abord fait renvoyer M. de Buckingham en Angleterre, et ensuite vous ont fait exiler, vous, car, enfin, vous vous y êtes laissé prendre à ses agaceries, n'est-ce pas, monsieur?

Les gentilshommes s'approchèrent, de Saint-Aignan en tête,

Manicamp après.

– Eh! mon cher, que voulez-vous? dit de Guiche en riant, je suis un fat, moi, tout le monde sait cela. J'ai pris au sérieux une plaisanterie, et je me suis fait exiler. Mais j'ai vu mon erreur, j'ai courbé ma vanité aux pieds de qui de droit, et j'ai obtenu mon rappel en faisant amende honorable et en me promettant à moi- même de me guérir de ce défaut, et, vous le voyez, j'en suis si bien guéri, que je ris maintenant de ce qui, il y a quatre jours, me brisait le coeur. Mais, lui, Raoul, il est aimé; il ne rit pas des bruits qui peuvent troubler son bonheur, des bruits dont vous vous êtes fait l'interprète quand vous saviez cependant, comte, comme moi, comme ces messieurs, comme tout le monde, que ces bruits n'étaient qu'une calomnie.

– Une calomnie! s'écria de Wardes, furieux de se voir poussé dans le piège par le sang-froid de de Guiche.

– Mais oui, une calomnie. Dame! voici sa lettre, dans laquelle il me dit que vous avez mal parlé de Mlle de La Vallière, et où il me demande si ce que vous avez dit de cette jeune fille est vrai. Voulez-vous que je fasse juges ces messieurs, de Wardes?

Et, avec le plus grand sang-froid, de Guiche lut tout haut le paragraphe de la lettre qui concernait La Vallière.

– Et, maintenant, continua de Guiche, il est bien constaté pour moi que vous avez voulu blesser le repos de ce cher Bragelonne, et que vos propos étaient malicieux.

De Wardes regarda autour de lui pour savoir s'il aurait appui quelque part; mais, à cette idée que de Wardes avait insulté, soit directement, soit indirectement, celle qui était l'idole du jour, chacun secoua la tête, et de Wardes ne vit que des hommes prêts à lui donner tort.

– Messieurs, dit de Guiche devinant d'instinct le sentiment général, notre discussion avec M. de Wardes porte sur un sujet si délicat, qu'il est important que personne n'en entende plus que vous n'en avez entendu. Gardez donc les portes, je vous prie, et laissez-nous achever cette conversation entre nous, comme il convient à deux gentilshommes dont l'un a donné à l'autre un démenti.

– Messieurs! messieurs! s'écrièrent les assistants.

– Trouvez-vous que j'avais tort de défendre Mlle de La Vallière? dit de Guiche. En ce cas, je passe condamnation et je retire les paroles blessantes que j'ai pu dire contre M. de Wardes.

– Peste! dit de Saint-Aignan, non pas!.. Mlle de La Vallière est un ange.

– La vertu, la pureté en personne, dit Manicamp.

– Vous voyez, monsieur de Wardes, dit de Guiche, je ne suis point le seul qui prenne la défense de la pauvre enfant. Messieurs, une seconde fois, je vous supplie de nous laisser. Vous voyez qu'il est impossible d'être plus calme que nous ne le sommes.

Les courtisans ne demandaient pas mieux que de s'éloigner; les uns allèrent à une porte, les autres à l'autre.

Les deux jeunes gens restèrent seuls.

– Bien joué, dit de Wardes au comte.

– N'est-ce pas? répondit celui-ci.

– Que voulez-vous? je me suis rouillé en province, mon cher, tandis que vous, ce que vous avez gagné de puissance sur vous-même me confond, comte; on acquiert toujours quelque chose dans la société des femmes; acceptez donc tous mes compliments.

– Je les accepte.

– Et je les retournerai à Madame.

– Oh! maintenant, mon cher monsieur de Wardes, parlons-en aussi haut qu'il vous plaira.

– Ne m'en défiez pas.

– Oh! je vous en défie! Vous êtes connu pour un méchant homme; si vous faites cela, vous passerez pour un lâche, et Monsieur vous fera pendre ce soir à l'espagnolette de sa fenêtre. Parlez, mon cher de Wardes, parlez.

– Je suis battu.

– Oui, mais pas encore autant qu'il convient.

– Je vois que vous ne seriez pas fâché de me battre à plate couture.

– Non, mieux encore.

– Diable! c'est que, pour le moment, mon cher comte, vous tombez mal; après celle que je viens de jouer, une partie ne peut me convenir. J'ai perdu trop de sang à Boulogne: au moindre effort mes blessures se rouvriraient, et, en vérité, vous auriez de moi trop bon marché.

– C'est vrai, dit de Guiche, et cependant, vous avez, en arrivant, fait montre de votre belle mine et de vos bons bras.

– Oui, les bras vont encore, c'est vrai; mais les jambes sont faibles, et puis je n'ai pas tenu le fleuret depuis ce diable de duel; et vous, j'en réponds, vous vous escrimez tous les jours pour mettre à bonne fin votre petit guet-apens.

– Sur l'honneur, monsieur, répondit de Guiche, voici une demi- année que je n'ai fait d'exercice.

– Non, voyez-vous, comte, toute réflexion faite, je ne me battrai pas, pas avec vous, du moins. J'attendrai Bragelonne, puisque vous dites que c'est Bragelonne qui m'en veut.

– Oh! que non pas, vous n'attendrez pas Bragelonne, s'écria de Guiche hors de lui; car, vous l'avez dit, Bragelonne peut tarder à revenir, et, en attendant, votre méchant esprit fera son oeuvre.

– Cependant, j'aurai une excuse. Prenez garde!

– Je vous donne huit jours pour achever de vous rétablir.

– C'est déjà mieux. Dans huit jours, nous verrons.

– Oui, oui, je comprends: en huit jours, on peut échapper à l'ennemi. Non, non, pas un.

– Vous êtes fou, monsieur, dit de Wardes en faisant un pas de retraite.

– Et vous, vous êtes un misérable. Si vous ne vous battez pas de bonne grâce…

– Eh bien?

– Je vous dénonce au roi comme ayant refusé de vous battre après avoir insulté La Vallière.

– Ah! fit de Wardes, vous êtes dangereusement perfide, monsieur l'honnête homme.

– Rien de plus dangereux que la perfidie de celui qui marche toujours loyalement.

– Rendez-moi mes jambes, alors, ou faites-vous saigner à blanc pour égaliser nos chances.

– Non pas, j'ai mieux que cela.

– Dites.

– Nous monterons à cheval tous deux et nous échangerons trois coups de pistolet. Vous tirez de première force. Je vous ai vu abattre des hirondelles, à balle et au galop. Ne dites pas non, je vous ai vu.

– Je crois que vous avez raison, dit de Wardes; et, comme cela, il est possible que je vous tue.

– En vérité, vous me rendriez service.

– Je ferai de mon mieux.

– Est-ce dit?

– Votre main.

– La voici… À une condition, pourtant.

– Laquelle?

– Vous me jurez de ne rien dire ou faire dire au roi?

– Rien, je vous le jure.

– Je vais chercher mon cheval.

– Et moi le mien.

– Où irons-nous?

– Dans la plaine; je sais un endroit excellent.

– Partons-nous ensemble?

– Pourquoi pas?

Et tous deux, s'acheminant vers les écuries, passèrent sous les fenêtres de Madame, doucement éclairées; une ombre grandissait derrière les rideaux de dentelle.

– Voilà pourtant une femme, dit de Wardes en souriant, qui ne se doute pas que nous allons à la mort pour elle.

Chapitre CLII – Le combat

De Wardes choisit son cheval, et de Guiche le sien.

Puis chacun le sella lui-même avec une selle à fontes.

De Wardes n'avait point de pistolets. De Guiche en avait deux paires. Il les alla chercher chez lui, les chargea, et donna le choix à de Wardes.

De Wardes choisit des pistolets dont il s'était vingt fois servi, les mêmes avec lesquels de Guiche lui avait vu tuer les hirondelles au vol.

– Vous ne vous étonnerez point, dit-il, que je prenne toutes mes précautions. Vos armes vous sont connues. Je ne fais, par conséquent, qu'égaliser les chances.

– L'observation était inutile, répondit de Guiche, et vous êtes dans votre droit.

– Maintenant, dit de Wardes, je vous prie de vouloir bien m'aider à monter à cheval, car j'y éprouve encore une certaine difficulté.

– Alors, il fallait prendre le parti à pied.

– Non, une fois en selle, je vaux mon homme.

– C'est bien, n'en parlons plus.

Et de Guiche aida de Wardes à monter à cheval.

– Maintenant, continua le jeune homme, dans notre ardeur à nous exterminer, nous n'avons pas pris garde à une chose.

– À laquelle?

– C'est qu'il fait nuit, et qu'il faudra nous tuer à tâtons.

– Soit, ce sera toujours le même résultat.

– Cependant, il faut prendre garde à une autre circonstance, qui est que les honnêtes gens ne se vont point battre sans compagnons.

– Oh! s'écria de Guiche, vous êtes aussi désireux que moi de bien faire les choses.

– Oui; mais je ne veux point que l'on puisse dire que vous m'avez assassiné, pas plus que, dans le cas où je vous tuerais, je ne veux être accusé d'un crime.

– A-t-on dit pareille chose de votre duel avec M. de Buckingham? dit de Guiche. Il s'est cependant accompli dans les mêmes conditions où le nôtre va s'accomplir.

– Bon! Il faisait encore jour et nous étions dans l'eau jusqu'aux cuisses; d'ailleurs, bon nombre de spectateurs étaient rangés sur le rivage et nous regardaient.

De Guiche réfléchit un instant; mais cette pensée qui s'était déjà présentée à son esprit s'y raffermit, que de Wardes voulait avoir des témoins pour ramener la conversation sur Madame et donner un tour nouveau au combat.

Il ne répliqua donc rien, et, comme de Wardes l'interrogea une dernière fois du regard, il lui répondit par un signe de tête qui voulait dire que le mieux était de s'en tenir où l'on en était.

Les deux adversaires se mirent, en conséquence, en chemin et sortirent du château par cette porte que nous connaissons pour avoir vu tout près d'elle Montalais et Malicorne.

La nuit, comme pour combattre la chaleur de la journée, avait amassé tous les nuages qu'elle poussait silencieusement et lourdement de l'ouest à l'est. Ce dôme, sans éclaircies et sans tonnerres apparents, pesait de tout son poids sur la terre et commençait à se trouer sous les efforts du vent, comme une immense toile détachée d'un lambris.

Les gouttes d'eau tombaient tièdes et larges sur la terre, où elles aggloméraient la poussière en globules roulants.

En même temps, des haies qui aspiraient l'orage, des fleurs altérées, des arbres échevelés, s'exhalaient mille odeurs aromatiques qui ramenaient au cerveau les souvenirs doux, les idées de jeunesse, de vie éternelle, de bonheur et d'amour.

– La terre sent bien bon, dit de Wardes; c'est une coquetterie de sa part pour nous attirer à elle.

– À propos, répliqua de Guiche, il m'est venu plusieurs idées et je veux vous les soumettre.

– Relatives?

– Relatives à notre combat.

– En effet, il est temps, ce me semble, que nous nous en occupions.

– Sera-ce un combat ordinaire et réglé selon la coutume?

– Voyons notre coutume?

– Nous mettrons pied à terre dans une bonne plaine, nous attacherons nos chevaux au premier objet venu, nous nous joindrons sans armes, puis nous nous éloignerons de cent cinquante pas chacun pour revenir l'un sur l'autre.

– Bon! c'est ainsi que je tuai le pauvre Follivent, voici trois semaines, à la Saint-Denis.

– Pardon, vous oubliez un détail.

– Lequel?

– Dans votre duel avec Follivent, vous marchâtes à pied l'un sur l'autre, l'épée aux dents et le pistolet au poing.

– C'est vrai.

– Cette fois, au contraire, comme je ne puis pas marcher, vous l'avouez vous-même, nous remontons à cheval et nous nous choquons, le premier qui veut tirer tire.

– C'est ce qu'il y a de mieux, sans doute, mais il fait nuit; il faut compter plus de coups perdus qu'il n'y en aurait dans le jour.

– Soit! Chacun pourra tirer trois coups, les deux qui seront tout chargés, et un troisième de recharge.

– À merveille! où notre combat aura-t-il lieu?

– Avez-vous quelque préférence?

– Non.

– Vous voyez ce petit bois qui s'étend devant nous?

– Le bois Rochin? Parfaitement.

– Vous le connaissez?

– À merveille.

– Vous savez, alors, qu'il a une clairière à son centre?

– Oui.

– Gagnons cette clairière.

– Soit!

– C'est une espèce de champ clos naturel, avec toutes sortes de chemins, de faux fuyants, de sentiers, de fossés, de tournants, d'allées; nous serons là à merveille.

– Je le veux, si vous le voulez. Nous sommes arrivés, je crois?

– Oui. Voyez le bel espace dans le rond-point. Le peu de clarté qui tombe des étoiles, comme dit Corneille, se concentre en cette place; les limites naturelles sont le bois qui circuite avec ses barrières.

– Soit! Faites comme vous dites.

– Terminons les conditions, alors.

– Voici les miennes; si vous avez quelque chose contre, vous le direz.

– J'écoute.

– Cheval tué oblige son maître à combattre à pied.

– C'est incontestable, puisque nous n'avons pas de chevaux de rechange.

– Mais n'oblige pas l'adversaire à descendre de son cheval.

– L'adversaire sera libre d'agir comme bon lui semblera.

– Les adversaires, s'étant joints une fois, peuvent ne se plus quitter, et, par conséquent, tirer l'un sur l'autre à bout portant.

– Accepté.

– Trois charges sans plus, n'est-ce pas?

– C'est suffisant, je crois. Voici de la poudre et des balles pour vos pistolets; mesurez trois charges, prenez trois balles; j'en ferai autant, puis nous répandrons le reste de la poudre et nous jetterons le reste des balles.

– Et nous jurons sur le Christ, n'est-ce pas, ajouta de Wardes, que nous n'avons plus sur nous ni poudre ni balles?

– C'est convenu; moi, je le jure.

De Guiche étendit la main vers le ciel.

De Wardes l'imita.

– Et maintenant, mon cher comte, dit-il, laissez-moi vous dire que je ne suis dupe de rien. Vous êtes, ou vous serez l'amant de Madame. J'ai pénétré le secret, vous avez peur que je ne l'ébruite; vous voulez me tuer pour vous assurer le silence, c'est tout simple, et, à votre place, j'en ferais autant.

De Guiche baissa la tête.

– Seulement, continua de Wardes triomphant, était-ce bien la peine, dites-moi, de me jeter encore dans les bras cette mauvaise affaire de Bragelonne? Prenez garde, mon cher ami, en acculant le sanglier, on l'enrage; en forçant le renard, on lui donne la férocité du jaguar. Il en résulte que, mis aux abois par vous, je me défends jusqu'à la mort.

– C'est votre droit.

– Oui, mais, prenez garde, je ferai bien du mal; ainsi, pour commencer, vous devinez bien, n'est-ce pas, que je n'ai point fait la sottise de cadenasser mon secret, ou plutôt votre secret dans mon coeur? Il y a un ami, un ami spirituel, vous le connaissez, qui est entré en participation de mon secret; ainsi, comprenez bien que, si vous me tuez, ma mort n'aura pas servi à grand-chose; tandis qu'au contraire, si je vous tue, dame! tout est possible, vous comprenez.

De Guiche frissonna.

– Si je vous tue, continua de Wardes, vous aurez attaché à Madame deux ennemis qui travailleront à qui mieux mieux à la ruiner.

– Oh! monsieur, s'écria de Guiche furieux, ne comptez pas ainsi sur ma mort; de ces deux ennemis, j'espère bien tuer l'un tout de suite, et l'autre à la première occasion.

De Wardes ne répondit que par un éclat de rire tellement diabolique, qu'un homme superstitieux s'en fût effrayé.

Mais de Guiche n'était point impressionnable à ce point.

– Je crois, dit-il, que tout est réglé, monsieur de Wardes; ainsi, prenez du champ, je vous prie, à moins que vous ne préfériez que ce soit moi.

– Non pas, dit de Wardes, enchanté de vous épargner une peine.

Et, mettant son cheval au galop, il traversa la clairière dans toute son étendue, et alla prendre son poste au point de la circonférence du carrefour qui faisait face à celui où de Guiche s'était arrêté.

De Guiche demeura immobile.

À la distance de cent pas à peu près, les deux adversaires étaient absolument invisibles l'un à l'autre, perdus qu'ils étaient dans l'ombre épaisse des ormes et des châtaigniers.

Une minute s'écoula au milieu du plus profond silence.

Au bout de cette minute, chacun, au sein de l'ombre où il était caché, entendit le double cliquetis du chien résonnant dans la batterie.

De Guiche, suivant la tactique ordinaire, mit son cheval au galop, persuadé qu'il trouverait une double garantie de sûreté dans l'ondulation du mouvement et dans la vitesse de la course.

Cette course se dirigea en droite ligne sur le point qu'à son avis devait occuper son adversaire.

À la moitié du chemin, il s'attendait à rencontrer de Wardes: il se trompait.

Il continua sa course, présumant que de Wardes l'attendait immobile.

Mais au deux tiers de la clairière, il vit le carrefour s'illuminer tout à coup, et une balle coupa en sifflant la plume qui s'arrondissait sur son chapeau.

Presque en même temps, et comme si le feu du premier coup eût servi à éclairer l'autre, un second coup retentit, et une seconde balle vint trouer la tête du cheval de de Guiche, un peu au- dessous de l'oreille.

L'animal tomba.

Ces deux coups, venant d'une direction tout opposée à celle dans laquelle il s'attendait à trouver de Wardes, frappèrent de Guiche de surprise; mais, comme c'était un homme d'un grand sang-froid, il calcula sa chute, mais non pas si bien, cependant, que le bout de sa botte ne se trouvât pris sous son cheval.

Heureusement, dans son agonie, l'animal fit un mouvement, et de Guiche put dégager sa jambe moins pressée.

De Guiche se releva, se tâta; il n'était point blessé.

Du moment où il avait senti le cheval faiblir, il avait placé ses deux pistolets dans les fontes, de peur que la chute ne fît partir un des deux coups et même tous les deux, ce qui l'eût désarmé inutilement.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
560 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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