Читайте только на Литрес

Kitap dosya olarak indirilemez ancak uygulamamız üzerinden veya online olarak web sitemizden okunabilir.

Kitabı oku: «Le vicomte de Bragelonne, Tome III.», sayfa 21

Yazı tipi:

Chapitre CLXXII – Où il est traité de menuiserie et où il est donné quelques détails sur la façon de percer les escaliers

Le conseil donné à Montalais fut communiqué à La Vallière, qui reconnut qu'il manquait de sagesse, et qui, après quelque résistance venant plutôt de sa timidité que de sa froideur, résolut de le mettre à exécution.

Cette histoire, des deux femmes pleurant et emplissant de bruits lamentables la chambre à coucher de Madame, fut le chef-d'oeuvre de Malicorne.

Comme rien n'est aussi vrai que l'invraisemblable, aussi naturel que le romanesque, cette espèce de conte des Mille et Une Nuits réussit parfaitement auprès de Madame.

Elle éloigna d'abord Montalais.

Puis, trois jours, ou plutôt trois nuits après avoir éloigné

Montalais, elle éloigna La Vallière.

On donna une chambre à cette dernière dans les petits appartements mansardés situés au-dessus des appartements des gentilshommes.

Un étage, c'est-à-dire un plancher, séparait les demoiselles des officiers et des gentilshommes.

Un escalier particulier, placé sous la surveillance de

Mme de Navailles, conduisait chez elles.

Pour plus grande sûreté, Mme de Navailles, qui avait entendu parler des tentatives antérieures de Sa Majesté, avait fait griller les fenêtres des chambres et les ouvertures des cheminées.

Il y avait donc toute sûreté pour l'honneur de Mlle de La Vallière, dont la chambre ressemblait plus à une cage qu'à toute autre chose.

Mlle de La Vallière, lorsqu'elle était chez elle, et elle y était souvent, Madame n'utilisant guère ses services depuis qu'elle la savait en sûreté sous le regard de Mme de Navailles, Mlle de La Vallière n'avait donc d'autre distraction que de regarder à travers les grilles de sa fenêtre. Or, un matin qu'elle regardait comme d'habitude, elle aperçut Malicorne à une fenêtre parallèle à la sienne.

Il tenait en main un aplomb de charpentier, lorgnait les bâtiments, et additionnait des formules algébriques sur du papier. Il ne ressemblait pas mal ainsi à ces ingénieurs qui, du coin d'une tranchée, relèvent les angles d'un bastion ou prennent la hauteur des murs d'une forteresse.

La Vallière reconnut Malicorne et le salua.

Malicorne, à son tour, répondit par un grand salut et disparut de la fenêtre.

Elle s'étonna de cette espèce de froideur, peu habituelle au caractère toujours égal de Malicorne; mais elle se souvint que le pauvre garçon avait perdu son emploi pour elle, et qu'il ne devait pas être dans d'excellentes dispositions à son égard, puisque, selon toute probabilité, elle ne serait jamais en position de lui rendre ce qu'il avait perdu.

Elle savait pardonner les offenses, à plus forte raison compatir au malheur.

La Vallière eût demandé conseil à Montalais, si Montalais eût été là; mais Montalais était absente.

C'était l'heure où Montalais faisait sa correspondance.

Tout à coup, La Vallière vit un objet lancé de la fenêtre où avait apparu Malicorne traverser l'espace, passer à travers ses barreaux et rouler sur son parquet.

Elle alla curieusement vers cet objet et le ramassa. C'était une de ces bobines sur lesquelles on dévide la soie.

Seulement, au lieu de soie, un petit papier s'enroulait sur la bobine.

La Vallière le déroula et lut:

«Mademoiselle,

«Je suis inquiet de savoir deux choses:

«La première, de savoir si le parquet de votre appartement est de bois ou de briques.

«La seconde, de savoir encore à quelle distance de la fenêtre est placé votre lit.

«Excusez mon importunité, et veuillez me faire réponse par la même voie qui vous a apporté ma lettre, c'est-à-dire par la voie de la bobine.

«Seulement, au lieu de la jeter dans ma chambre comme je l'ai jetée dans la vôtre, ce qui vous serait plus difficile qu'à moi, ayez tout simplement l'obligeance de la laisser tomber.

«Croyez-moi surtout, Mademoiselle, votre bien humble et bien respectueux serviteur,

«Malicorne.

«Écrivez la réponse, s'il vous plaît, sur la lettre même.»

– Ah! le pauvre garçon, s'écria La Vallière, il faut qu'il soit devenu fou.

Et elle dirigea du côté de son correspondant, que l'on entrevoyait dans la pénombre de la chambre, un regard plein d'affectueuse compassion.

Malicorne comprit, et secoua la tête comme pour lui répondre:

«Non, non, je ne suis point fou, soyez tranquille.»

Elle sourit d'un air de doute.

«Non, non, reprit-il du geste, la tête est bonne.»

Et il montra sa tête.

Puis, agitant la main comme un homme qui écrit rapidement:

«Allons, écrivez», mima-t-il avec une sorte de prière.

La Vallière, fût-il fou, ne vit point d'inconvénient à faire ce que Malicorne lui demandait; elle prit un crayon et écrivit: «Bois.»

Puis elle compta dix pas de la fenêtre à son lit, et écrivit encore: «Dix pas.»

Ce qu'ayant fait, elle regarda du côté de Malicorne, lequel la salua et lui fit signe qu'il descendait.

La Vallière comprit que c'était pour recevoir la bobine.

Elle s'approcha de la fenêtre, et, conformément aux instructions de Malicorne, elle la laissa tomber.

Le rouleau courait encore sur les dalles quand Malicorne s'élança, l'atteignit, le ramassa, se mit à l'éplucher comme fait un singe d'une noix, et courut d'abord vers la demeure de M. de Saint- Aignan.

De Saint-Aignan avait choisi ou plutôt sollicité son logement le plus près possible du roi, pareil à ces plantes qui recherchent les rayons du soleil pour se développer plus fructueusement.

Son logement se composait de deux pièces, dans le corps de logis même occupé par Louis XIV.

M. de Saint-Aignan était fier de cette proximité, qui lui donnait l'accès facile chez Sa Majesté, et, de plus, la faveur de quelques rencontres inattendues.

Il s'occupait, au moment où nous parlons de lui, à faire tapisser magnifiquement ces deux pièces, comptant sur l'honneur de quelques visites du roi, car Sa Majesté, depuis la passion qu'elle avait pour La Vallière, avait choisi de Saint-Aignan pour confident, et ne pouvait se passer de lui ni la nuit ni le jour.

Malicorne se fit introduire chez le comte et ne rencontra point de difficultés, parce qu'il était bien vu du roi et que le crédit de l'un est toujours une amorce pour l'autre.

De Saint-Aignan demanda au visiteur s'il était riche de quelque nouvelle.

– D'une grande, répondit celui-ci.

– Ah! ah! fit de Saint-Aignan, curieux comme un favori; laquelle?

– Mlle de La Vallière a déménagé.

– Comment cela? dit de Saint-Aignan en ouvrant de grands yeux.

– Oui.

– Elle logeait chez Madame.

– Précisément. Mais Madame s'est ennuyée du voisinage et l'a installée dans une chambre qui se trouve précisément au-dessus de votre futur appartement.

– Comment, là-haut? s'écria de Saint-Aignan avec surprise et en désignant du doigt l'étage supérieur.

– Non, dit Malicorne, là-bas.

Et il lui montra le corps de bâtiment situé en face.

– Pourquoi dites-vous alors que sa chambre est au-dessus de mon appartement?

– Parce que je suis certain que votre appartement doit tout naturellement être sous la chambre de La Vallière.

De Saint-Aignan, à ces mots, envoya à l'adresse du pauvre Malicorne un de ces regards comme La Vallière lui en avait déjà envoyé un, un quart d'heure auparavant. C'est-à-dire qu'il le crut fou.

– Monsieur, lui dit Malicorne, je demande à répondre à votre pensée.

– Comment! à ma pensée?..

– Sans doute; vous n'avez pas compris, ce me semble parfaitement ce que je voulais dire.

– Je l'avoue.

– Eh bien! vous n'ignorez pas qu'au-dessous des filles d'honneur de Madame sont logés les gentilshommes du roi et de Monsieur.

– Oui, puisque Manicamp, de Wardes et autres y logent.

– Précisément. Eh bien! monsieur, admirez la singularité de la rencontre: les deux chambres destinées à M. de Guiche sont juste les deux chambres situées au-dessous de celles qu'occupent Mlle de Montalais et Mlle de La Vallière.

– Eh bien! après?

– Eh bien! après… ces deux chambres sont libres, puisque

M. de Guiche, blessé, est malade à Fontainebleau.

– Je vous jure, mon cher monsieur, que je ne devine pas.

– Ah! si j'avais le bonheur de m'appeler de Saint-Aignan, je devinerais tout de suite, moi.

– Et que feriez-vous?

– Je troquerais immédiatement les chambres que j'occupe ici contre celles que M. de Guiche n'occupe point là-bas.

– Y pensez-vous? fit de Saint-Aignan avec dédain; abandonner le premier poste d'honneur, le voisinage du roi, un privilège accordé seulement aux princes de sang, aux ducs et pairs?.. Mais, mon cher monsieur de Malicorne, permettez-moi de vous dire que vous êtes fou.

– Monsieur, répondit gravement le jeune homme, vous commettez deux erreurs… Je m'appelle Malicorne tout court, et je ne suis pas fou.

Puis, tirant un papier de sa poche:

– Écoutez ceci, dit-il; après quoi, je vous montrerai cela.

– J'écoute, dit de Saint-Aignan.

– Vous savez que Madame veille sur La Vallière comme Argus veillait sur la nymphe Io.

– Je le sais.

– Vous savez que le roi a voulu, mais en vain, parler à la prisonnière, et que ni vous ni moi n'avons réussi à lui procurer cette fortune.

– Vous en savez surtout quelque chose, vous, mon pauvre

Malicorne.

– Eh bien! que supposez-vous qu'il arriverait à celui dont l'imagination rapprocherait les deux amants?

– Oh! le roi ne bornerait pas à peu de chose sa reconnaissance.

– Monsieur de Saint-Aignan!..

– Après?

– Ne seriez-vous pas curieux de tâter un peu de la reconnaissance royale?

– Certes, répondit de Saint-Aignan, une faveur de mon maître, quand j'aurais fait mon devoir, ne saurait que m'être précieuse.

– Alors, regardez ce papier, monsieur le comte.

– Qu'est-ce que ce papier? un plan?

– Celui des deux chambres de M. de Guiche, qui, selon toute probabilité, vont devenir vos deux chambres.

– Oh! non, quoi qu'il arrive.

– Pourquoi cela?

– Parce que mes deux chambres, à moi, sont convoitées par trop de gentilshommes à qui je ne les abandonnerais certes pas: par M. de Roquelaure, par M. de La Ferté, par M. Dangeau.

– Alors, je vous quitte, monsieur le comte, et je vais offrir à l'un de ces messieurs le plan que je vous présentais et les avantages y annexés.

– Mais que ne les gardez-vous pour vous? demanda de Saint-Aignan avec défiance.

– Parce que le roi ne me fera jamais l'honneur de venir ostensiblement chez moi, tandis qu'il ira à merveille chez l'un de ces messieurs.

– Quoi! le roi ira chez l'un de ces messieurs?

– Pardieu! s'il ira? dix fois pour une. Comment! vous me demandez si le roi ira dans un appartement qui le rapprochera de Mlle de La Vallière!

– Beau rapprochement… avec tout un étage entre soi.

Malicorne déplia le petit papier de la bobine.

– Monsieur le comte, dit-il, remarquez, je vous prie, que le plancher de la chambre de Mlle de La Vallière est un simple parquet de bois.

– Eh bien?

– Eh! bien, vous prendrez un ouvrier charpentier qui, enfermé chez vous sans savoir où on le mène, ouvrira votre plafond et, par conséquent, le parquet de Mlle de La Vallière.

– Ah! mon Dieu! s'écria de Saint-Aignan comme ébloui.

– Plaît-il? fit Malicorne.

– Je dis que voilà une idée bien audacieuse, monsieur.

– Elle paraîtra bien mesquine au roi, je vous assure.

– Les amoureux ne réfléchissent point au danger.

– Quel danger craignez-vous, monsieur le comte?

– Mais un percement pareil, c'est un bruit effroyable, tout le château en retentira?

– Oh! monsieur le comte, je suis sûr, moi, que l'ouvrier que je vous désignerai ne fera pas le moindre bruit. Il sciera un quadrilatère de six pieds avec une scie garnie d'étoupe, et nul, même des plus voisins, ne s'apercevra qu'il travaille.

– Ah! mon cher monsieur Malicorne, vous m'étourdissez, vous me bouleversez.

– Je continue, répondit tranquillement Malicorne: dans la chambre dont vous avez percé le plafond, vous entendez bien, n'est-ce pas?

– Oui.

– Vous dresserez un escalier qui permette, soit à Mlle de La Vallière de descendre chez vous, soit au roi de monter chez Mlle de La Vallière.

– Mais cet escalier, on le verra?

– Non, car, de votre côté, il sera caché par une cloison sur laquelle vous étendrez une tapisserie pareille à celle qui garnira le reste de l'appartement; chez Mlle de La Vallière, il disparaîtra sous une trappe qui sera le parquet même, et qui s'ouvrira sous le lit.

– En effet, dit de Saint-Aignan, dont les yeux commencèrent à étinceler.

– Maintenant, monsieur le comte, je n'ai pas besoin de vous faire avouer que le roi viendra souvent dans la chambre où sera établi un pareil escalier. Je crois que M. Dangeau, particulièrement, sera frappé de mon idée, et je vais la lui développer.

– Ah! cher monsieur Malicorne! s'écria de Saint-Aignan, vous oubliez que c'est à moi que vous en avez parlé le premier, et que, par conséquent, j'ai les droits de la priorité.

– Voulez-vous donc la préférence?

– Si je la veux! je crois bien!

– Le fait est, monsieur de Saint-Aignan, que c'est un cordon pour la première promotion que je vous donne là, et peut-être même quelque bon duché.

– C'est, du moins, répondit de Saint-Aignan rouge de plaisir, une occasion de montrer au roi qu'il n'a pas tort de m'appeler quelquefois son ami, occasion, cher monsieur Malicorne, que je vous devrai.

– Vous ne l'oublierez pas un peu? demanda Malicorne en souriant.

– Je m'en ferai gloire, monsieur.

– Moi, monsieur, je ne suis pas l'ami du roi, je suis son serviteur.

– Oui, et, si vous pensez qu'il y a un cordon bleu pour moi dans cet escalier, je pense qu'il y aura bien pour vous un rouleau de lettres de noblesse.

Malicorne s'inclina.

– Il ne s'agit plus, maintenant, que de déménager, dit de Saint-

Aignan.

– Je ne vois pas que le roi s'y oppose; demandez-lui-en la permission.

– À l'instant même je cours chez lui.

– Et moi, je vais me procurer l'ouvrier dont nous avons besoin.

– Quand l'aurai-je?

– Ce soir.

– N'oubliez pas les précautions.

– Je vous l'amène les yeux bandés.

– Et moi, je vous envoie un de mes carrosses.

– Sans armoiries.

– Avec un de mes laquais sans livrée, c'est convenu.

– Très bien, monsieur le comte.

– Mais La Vallière.

– Eh bien?

– Que dira-t-elle en voyant l'opération?

– Je vous assure que cela l'intéressera beaucoup.

– Je le crois.

– Je suis même sûr que, si le roi n'a pas l'audace de monter chez elle, elle aura la curiosité de descendre.

– Espérons, dit de Saint-Aignan.

– Oui, espérons, répéta Malicorne.

– Je m'en vais chez le roi, alors.

– Et vous faites à merveille.

– À quelle heure ce soir mon ouvrier?

– À huit heures.

– Et combien de temps estimez-vous qu'il lui faudra pour scier son quadrilatère?

– Mais deux heures, à peu près; seulement, ensuite, il lui faudra le temps d'achever ce qu'on appelle les raccords. Une nuit et une partie de la journée du lendemain: c'est deux jours qu'il faut compter avec l'escalier.

– Deux jours, c'est bien long.

– Dame! quand on se mêle d'ouvrir une porte sur le paradis, faut- il, au moins, que cette porte soit décente.

– Vous avez raison; à tantôt, cher monsieur Malicorne. Mon déménagement sera prêt pour après-demain au soir.

Chapitre CLXXIII – La promenade aux flambeaux

De Saint-Aignan, ravi de ce qu'il venait d'entendre, enchanté de ce qu'il entrevoyait, prit sa course vers les deux chambres de de Guiche.

Lui qui, un quart d'heure auparavant, n'eût pas donné ses deux chambres pour un million, il était prêt à acheter, pour un million, si on le lui eût demandé, les deux bienheureuses chambres qu'il convoitait maintenant.

Mais il n'y rencontra pas tant d'exigences. M. de Guiche ne savait pas encore où il devait loger, et, d'ailleurs, était trop souffrant toujours pour s'occuper de son logement.

De Saint-Aignan eut donc les deux chambres de de Guiche. De son côté, M. Dangeau eut les deux chambres de de Saint-Aignan, moyennant un pot-de-vin de six mille livres à l'intendant du comte, et crut avoir fait une affaire d'or.

Les deux chambres de Dangeau devinrent le futur logement de de Guiche.

Le tout, sans que nous puissions affirmer bien sûrement que, dans ce déménagement général, ce sont ces deux chambres que de Guiche habitera.

Quant à M. Dangeau, il était si transporté de joie, qu'il ne se donna même pas la peine de supposer que de Saint-Aignan avait un intérêt supérieur à déménager.

Une heure après cette nouvelle résolution prise par de Saint- Aignan, de Saint-Aignan était donc en possession des deux chambres. Dix minutes après que de Saint-Aignan était en possession des deux chambres, Malicorne entrait chez de Saint- Aignan escorté des tapissiers.

Pendant ce temps le roi demandait de Saint-Aignan; on courait chez de Saint-Aignan, et l'on trouvait Dangeau; Dangeau renvoyait chez de Guiche, et l'on trouvait enfin de Saint-Aignan.

Mais il y avait retard, de sorte que le roi avait déjà donné deux ou trois mouvements d'impatience lorsque de Saint-Aignan entra tout essoufflé chez son maître.

– Tu m'abandonnes donc aussi, toi? lui dit Louis XIV, de ce ton lamentable dont César avait dû, dix-huit cents ans auparavant, dire le Tu quoque.

– Sire, dit de Saint-Aignan, je n'abandonne pas le roi, tout au contraire; seulement, je m'occupe de mon déménagement.

– De quel déménagement? Je croyais ton déménagement terminé depuis trois jours.

– Oui, Sire. Mais je me trouve mal où je suis, et je passe dans le corps de logis en face.

– Quand je te disais que, toi aussi, tu m'abandonnais! s'écria le roi. Oh! mais cela passe les bornes. Ainsi je n'avais qu'une femme dont mon coeur se souciât, toute ma famille se ligue pour me l'arracher. J'avais un ami à qui je confiais mes peines et qui m'aidait à en supporter le poids, cet ami se lasse de mes plaintes et me quitte sans même me demander congé.

De Saint-Aignan se mit à rire.

Le roi devina qu'il y avait quelque mystère dans ce manque de respect.

– Qu'y a-t-il? s'écria le roi plein d'espoir.

– Il y a, Sire, que cet ami, que le roi calomnie, va essayer de rendre à son roi le bonheur qu'il a perdu.

– Tu vas me faire voir La Vallière? fit Louis XIV.

– Sire, je n'en réponds pas encore, mais…

– Mais?..

– Mais je l'espère.

– Oh! comment? comment? Dis-moi cela, de Saint-Aignan. Je veux connaître ton projet, je veux t'y aider de tout mon pouvoir.

– Sire, répondit de Saint-Aignan, je ne sais pas encore bien moi- même comment je vais m'y prendre pour arriver à ce but; mais j'ai tout lieu de croire que, dès demain…

– Demain, dis-tu?

– Oui, Sire.

– Oh! quel bonheur! Mais pourquoi déménages-tu?

– Pour vous servir mieux.

– Et en quoi, étant déménagé, me peux-tu mieux servir?

– Savez-vous où sont situées les deux chambres que l'on destinait au comte de Guiche.

– Oui.

– Alors, vous savez où je vais.

– Sans doute; mais cela ne m'avance à rien.

– Comment! vous ne comprenez pas, Sire, qu'au-dessus de ce logement sont deux chambres?

– Lesquelles?

– L'une, celle de Mlle de Montalais, et l'autre…

– L'autre, c'est celle de La Vallière, de Saint-Aignan?

– Allons donc, Sire.

– Oh! de Saint-Aignan, c'est vrai, oui, c'est vrai. De Saint- Aignan, c'est une heureuse idée, une idée d'ami, de poète; en me rapprochant d'elle, lorsque l'univers m'en sépare, tu vaux mieux pour moi que Pylade pour Oreste, que Patrocle pour Achille.

– Sire, dit de Saint-Aignan avec un sourire, je doute que, si Votre Majesté connaissait mes projets dans toute leur étendue, elle continuât à me donner des qualifications si pompeuses. Ah! Sire, j'en connais de plus triviales que certains puritains de la Cour ne manqueront pas de m'appliquer quand ils sauront ce que je compte faire pour Votre Majesté.

– De Saint-Aignan, je meurs d'impatience; de Saint-Aignan, je dessèche; de Saint-Aignan, je n'attendrai jamais jusqu'à demain… Demain! mais, demain, c'est une éternité.

– Et cependant, Sire, s'il vous plaît, vous allez sortir tout à l'heure et distraire cette impatience par une bonne promenade.

– Avec toi, soit: nous causerons de tes projets, nous parlerons d'elle.

– Non pas, Sire, je reste.

– Avec qui sortirai-je, alors?

– Avec les dames.

– Ah! ma foi, non, de Saint-Aignan.

– Sire, il le faut.

– Non, non! mille fois non! Non, je ne m'exposerai plus à ce supplice horrible d'être à deux pas d'elle, de la voir, d'effleurer sa robe en passant et de ne rien lui dire. Non, je renonce à ce supplice que tu crois un bonheur et qui n'est qu'une torture qui brûle mes yeux, qui dévore mes mains, qui broie mon coeur; la voir en présence de tous les étrangers et ne pas lui dire que je l'aime, quand tout mon être lui révèle cet amour et me trahit devant tous. Non, je me suis juré à moi-même que je ne le ferais plus, et je tiendrai mon serment.

– Cependant, Sire, écoutez bien ceci.

– Je n'écoute rien, de Saint-Aignan.

– En ce cas, je continue. Il est urgent, Sire, comprenez-vous bien, urgent, de toute urgence, que Madame et ses filles d'honneur soient absentes deux heures de votre domicile.

– Tu me confonds, de Saint-Aignan.

– Il est dur pour moi de commander à mon roi; mais dans cette circonstance, je commande, Sire: il me faut une chasse ou une promenade.

– Mais cette promenade, cette chasse, ce serait un caprice, une bizarrerie! En manifestant de pareilles impatiences, je découvre à toute ma Cour un coeur qui ne s'appartient plus à lui-même. Ne dit-on pas déjà trop que je rêve la conquête du monde, mais qu'auparavant je devrais commencer par faire la conquête de moi- même?

– Ceux qui disent cela, Sire, sont des impertinents et des factieux; mais, quels qu'ils soient, si Votre Majesté préfère les écouter, je n'ai plus rien à dire. Alors, le jour de demain se recule à des époques indéterminées.

– De Saint-Aignan, je sortirai ce soir… Ce soir, j'irai coucher à Saint-Germain aux flambeaux; j'y déjeunerai demain et serai de retour à Paris vers les trois heures. Est-ce cela?

– Tout à fait.

– Alors je partirai ce soir pour huit heures.

– Votre Majesté a deviné la minute.

– Et tu ne veux rien me dire?

– C'est-à-dire que je ne puis rien vous dire. L'industrie est pour quelque chose dans ce monde, Sire; cependant le hasard y joue un si grand rôle, que j'ai l'habitude de lui laisser toujours la part la plus étroite, certain qu'il s'arrangera de manière à prendre toujours la plus large.

– Allons, je m'abandonne à toi.

– Et vous avez raison.

Réconforté de la sorte, le roi s'en alla tout droit chez Madame, où il annonça la promenade projetée.

Madame crut à l'instant même voir, dans cette partie improvisée, un complot du roi pour entretenir La Vallière, soit sur la route, à la faveur de l'obscurité, soit autrement; mais elle se garda bien de rien manifester à son beau-frère, et accepta l'invitation le sourire sur les lèvres.

Elle donna, tout haut, des ordres pour que ses filles d'honneur la suivissent, se réservant de faire le soir ce qui lui paraîtrait le plus propre à contrarier les amours de Sa Majesté.

Puis, lorsqu'elle fut seule et que le pauvre amant qui avait donné cet ordre pût croire que Mlle de La Vallière serait de la promenade, au moment peut-être où il se repaissait en idée de ce triste bonheur des amants persécutés, qui est de réaliser, par la seule vue, toutes les joies de la possession interdite, en ce moment même, Madame au milieu de ses filles d'honneur, disait:

– J'aurai assez de deux demoiselles ce soir: Mlle de Tonnay-

Charente et Mlle de Montalais.

La Vallière avait prévu le coup, et, par conséquent, s'y attendait; mais la persécution l'avait rendue forte. Elle ne donna point à Madame la joie de voir sur son visage l'impression du coup qu'elle recevait au coeur.

Au contraire, souriant avec cette ineffable douceur qui donnait un caractère angélique à sa physionomie:

– Ainsi, madame, me voilà libre ce soir? dit-elle.

– Oui, sans doute.

– J'en profiterai pour avancer cette tapisserie que Son Altesse a bien voulu remarquer, et que, d'avance, j'ai eu l'honneur de lui offrir.

Et, ayant fait une respectueuse révérence, elle se retira chez elle.

Mlles de Montalais et de Tonnay-Charente en firent autant.

Le bruit de la promenade sortit avec elles de la chambre de Madame et se répandit par tout le château. Dix minutes après, Malicorne savait la résolution de Madame et faisait passer sous la porte de Montalais un billet conçu en ces termes:

«Il faut que L. V. passe la nuit avec Madame.»

Montalais, selon les conventions faites, commença par brûler le papier, puis se mit à réfléchir.

Montalais était une fille de ressources, et elle eut bientôt arrêté son plan.

À l'heure où elle devait se rendre chez Madame, c'est-à-dire vers cinq heures, elle traversa le préau tout courant, et, arrivée à dix pas d'un groupe d'officiers, poussa un cri, tomba gracieusement sur un genou, se releva et continua son chemin, mais en boitant.

Les gentilshommes accoururent à elle pour la soutenir. Montalais s'était donné une entorse.

Elle n'en voulut pas moins, fidèle à son devoir, continuer son ascension chez Madame.

– Qu'y a-t-il, et pourquoi boitez-vous? lui demanda celle-ci; je vous prenais pour La Vallière.

Montalais raconta comment, en courant pour venir plus vite, elle s'était tordu le pied.

Madame parut la plaindre et voulut faire venir, à l'instant même, un chirurgien.

Mais elle, assurant que l'accident n'avait rien de grave:

– Madame, dit-elle, je m'afflige seulement de manquer à mon service, et j'eusse voulu prier Mlle de La Vallière de me remplacer près de Votre Altesse…

Madame fronça le sourcil.

– Mais je n'en ai rien fait, continua Montalais.

– Et pourquoi n'en avez-vous rien fait? demanda Madame.

– Parce que la pauvre La Vallière paraissait si heureuse d'avoir sa liberté pour un soir et pour une nuit, que je ne me suis pas senti le courage de la mettre en service à ma place.

– Comment, elle est joyeuse à ce point? demanda Madame frappée de ces paroles.

– C'est-à-dire qu'elle en est folle; elle chantait, elle toujours si mélancolique. Au reste, Votre Altesse sait qu'elle déteste le monde, et que son caractère contient un grain de sauvagerie.

«Oh! oh! pensa Madame, cette grande gaieté ne me paraît pas naturelle, à moi.»

– Elle a déjà fait ses préparatifs, continua Montalais pour dîner chez elle, en tête à tête avec un de ses livres chéris. Et puis, d'ailleurs, Votre Altesse a six autres demoiselles qui seront bien heureuses de l'accompagner; aussi n'ai-je pas même fait ma proposition à Mlle de La Vallière.

Madame se tut.

– Ai-je bien fait? continua Montalais avec un léger serrement de coeur, en voyant si mal réussir cette ruse de guerre sur laquelle elle avait si complètement compté, qu'elle n'avait pas cru nécessaire d'en chercher une autre. Madame m'approuve? continua-t- elle.

Madame pensait que, pendant la nuit, le roi pourrait bien quitter Saint-Germain, et que, comme on ne comptait que quatre lieues et demie de Paris à Saint-Germain il pourrait bien être en une heure à Paris.

– Dites-moi, fit-elle, en vous sachant blessée, La Vallière vous a au moins offert sa compagnie?

– Oh! elle ne connaît pas encore mon accident; mais, le connût- elle, je ne lui demanderai certes rien qui la dérange de ses projets. Je crois qu'elle veut réaliser seule, ce soir, la partie de plaisir du feu roi, quand il disait à M. de Saint-Mars: «Ennuyons-nous, monsieur de Saint-Mars, ennuyons-nous bien.»

Madame était convaincue que quelque mystère amoureux était caché sous cette soif de solitude. Ce mystère devait être le retour nocturne de Louis. Il n'y avait plus à en douter, La Vallière était prévenue de ce retour, de là cette joie de rester au Palais- Royal.

C'était tout un plan combiné d'avance.

– Je ne serai pas leur dupe, dit Madame.

Et elle prit un parti décisif.

– Mademoiselle de Montalais, dit-elle, veuillez prévenir votre amie, mademoiselle de La Vallière, que je suis au désespoir de troubler ses projets de solitude; mais, au lieu de s'ennuyer seule chez elle, comme elle le désirait, elle viendra s'ennuyer avec nous à Saint-Germain.

– Ah! pauvre La Vallière, fit Montalais d'un air dolent, mais avec l'allégresse dans le coeur. Oh! madame, est-ce qu'il n'y aurait pas moyen que Votre Altesse…

– Assez, dit Madame, je le veux! Je préfère la société de Mlle La Baume Le Blanc à toutes les autres sociétés. Allez, envoyez-la-moi et soignez votre jambe.

Montalais ne se fit pas répéter l'ordre. Elle rentra, écrivit sa réponse à Malicorne, et la glissa sous le tapis. «On ira», disait cette réponse. Une Spartiate n'eût pas écrit plus laconiquement.

«De cette façon, pensait Madame, pendant la route, je la surveille, pendant la nuit, elle couche près de moi, et bien adroite est Sa Majesté si elle échange un seul mot avec Mlle de La Vallière.

La Vallière reçut l'ordre de partir avec la même douceur indifférente qu'elle avait reçu l'ordre de rester.

Seulement, intérieurement, sa joie fut vive, et elle regarda ce changement de résolution de la princesse comme une consolation que lui envoyait la Providence.

Moins pénétrante que Madame, elle mettait tout sur le compte du hasard.

Tandis que tout le monde, à l'exception des disgraciés, des malades et des gens ayant des entorses, se dirigeait vers Saint- Germain, Malicorne faisait entrer son ouvrier dans un carrosse de M. de Saint-Aignan et le conduisait dans la chambre correspondant à la chambre de La Vallière.

Cet homme se mit à l'oeuvre, alléché par la splendide récompense qui lui avait été promise.

Comme on avait fait prendre chez les ingénieurs de la maison du roi tous les outils les plus excellents, entre autres une de ces scies aux morsures invincibles qui vont tailler dans l'eau les madriers de chêne durs comme du fer, l'ouvrage avança rapidement, et un morceau carré du plafond, choisi entre deux solives, tomba dans les bras de Saint-Aignan, de Malicorne, de l'ouvrier et d'un valet de confiance, personnage mis au monde pour tout voir, tout entendre et ne rien répéter.

Seulement, en vertu d'un nouveau plan indiqué par Malicorne, l'ouverture fut pratiquée dans l'angle.

Voici pourquoi.

Comme il n'y avait pas de cabinet de toilette dans la chambre de La Vallière, La Vallière avait demandé et obtenu, le matin même, un grand paravent destiné à remplacer une cloison.

Le paravent avait été accordé.

Il suffisait parfaitement pour cacher l'ouverture, qui d'ailleurs, serait dissimulée par tous les artifices de l'ébénisterie.

Le trou pratiqué, l'ouvrier se glissa entre les solives et se trouva dans la chambre de La Vallière.

Arrivé là, il scia carrément le plancher, et, avec les feuilles mêmes du parquet, il confectionna une trappe s'adaptant si parfaitement à l'ouverture, que l'oeil le plus exercé n'y pouvait voir que les interstices obligés d'une soudure de parquet.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
560 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
Metin
Ortalama puan 5, 1 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 5, 1 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 5, 1 oylamaya göre
Ses
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin PDF
Ortalama puan 5, 1 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 3,8, 4 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin PDF
Ortalama puan 5, 1 oylamaya göre
Metin PDF
Ortalama puan 5, 1 oylamaya göre