Kitabı oku: «Le vicomte de Bragelonne, Tome III.», sayfa 22
Malicorne avait tout prévu. Une poignée et deux charnières, achetées d'avance, furent posées à cette feuille de bois.
Un de ces petits escaliers tournants, comme on commençait à en poser dans les entresols, fut acheté tout fait par l'industrieux Malicorne, et payé deux mille livres.
Il était plus haut qu'il n'était besoin; mais le charpentier en supprima des degrés, et il se trouva d'exacte mesure.
Cet escalier, destiné à recevoir un si illustre poids, fut accroché au mur par deux crampons seulement.
Quant à sa base, elle fut arrêtée dans le parquet même du comte par deux fiches vissées: le roi et tout son conseil eussent pu monter et descendre cet escalier sans aucune crainte.
Tout marteau frappait sur un coussinet d'étoupes, toute lime mordait, le manche enveloppé de laine, la lame trempée d'huile.
D'ailleurs, le travail le plus bruyant avait été fait pendant la nuit et pendant la matinée, c'est-à-dire en l'absence de La Vallière et de Madame.
Quand, vers deux heures, la Cour rentra au Palais-Royal, et que La Vallière remonta dans sa chambre, tout était en place, et pas la moindre parcelle de sciure, pas le plus petit copeau ne venaient attester la violation de domicile.
Seulement, de Saint-Aignan, qui avait voulu aider de son mieux dans ce travail, avait déchiré ses doigts et sa chemise, et dépensé beaucoup de sueur au service de son roi.
La paume de ses mains, surtout, était toute garnie d'ampoules.
Ces ampoules venaient de ce qu'il avait tenu l'échelle à
Malicorne.
Il avait, en outre, apporté un à un les cinq morceaux de l'escalier, formés chacun de deux marches.
Enfin, nous pouvons le dire, le roi, s'il l'eût vu si ardent à l'oeuvre, le roi lui eût juré reconnaissance éternelle.
Comme l'avait prévu Malicorne, l'homme des mesures exactes, l'ouvrier eut terminé toutes ses opérations en vingt-quatre heures.
Il reçut vingt-quatre louis et partit comblé de joie; c'était autant qu'il gagnait d'ordinaire en six mois.
Nul n'avait le plus petit soupçon de ce qui s'était passé sous l'appartement de Mlle de La Vallière.
Mais, le soir du second jour, au moment où La Vallière venait de quitter le cercle de Madame et rentrait chez elle, un léger craquement retentit au fond de la chambre.
Étonnée, elle regarda d'où venait le bruit. Le bruit recommença.
– Qui est là? demanda-t-elle avec un accent d'effroi.
– Moi, répondit la voix si connue du roi.
– Vous!.. vous! s'écria la jeune fille qui se crut un instant sous l'empire d'un songe. Mais où cela, vous?.. vous, Sire?
– Ici, répliqua le roi en dépliant une des feuilles du paravent, et en apparaissant comme une ombre au fond de l'appartement.
La Vallière poussa un cri et tomba toute frissonnante sur un fauteuil.
Chapitre CLXXIV – L'apparition
La Vallière se remit promptement de sa surprise; à force d'être respectueux, le roi lui rendait par sa présence plus de confiance que son apparition ne lui en avait ôté.
Mais, comme il vit surtout que ce qui inquiétait La Vallière, c'était la façon dont il avait pénétré chez elle, il lui expliqua le système de l'escalier caché par le paravent, se défendant surtout d'être une apparition surnaturelle.
– Oh! Sire, lui dit La Vallière en secouant sa blonde tête avec un charmant sourire, présent ou absent, vous n'apparaissez pas moins à mon esprit dans un moment que dans l'autre.
– Ce qui veut dire, Louise?
– Oh! ce que vous savez bien, Sire: c'est qu'il n'est pas un instant où la pauvre fille dont vous avez surpris le secret à Fontainebleau, et que vous êtes venu reprendre au pied de la croix, ne pense à vous.
– Louise, vous me comblez de joie et de bonheur.
La Vallière sourit tristement et continua:
– Mais, Sire, avez-vous réfléchi que votre ingénieuse invention ne pouvait nous être d'aucune utilité?
– Et pourquoi cela? Dites, j'attends.
– Parce que cette chambre où je loge, Sire, n'est point à l'abri des recherches, il s'en faut; Madame peut y venir par hasard; à chaque instant du jour, mes compagnes y viennent; fermer ma porte en dedans, c'est me dénoncer aussi clairement que si j'écrivais dessus: «N'entrez pas, le roi est ici!» Et, tenez, Sire, en ce moment même, rien n'empêche que la porte ne s'ouvre, et que Votre Majesté, surprise, ne soit vue près de moi.
– C'est alors, dit en riant le roi, que je serais véritablement pris pour un fantôme, car nul ne peut dire par où je suis venu ici. Or, il n'y a que les fantômes qui passent à travers les murs ou à travers les plafonds.
– Oh! Sire, quelle aventure! songez-y bien, Sire, quel scandale! Jamais rien de pareil n'aurait été dit sur les filles d'honneur, pauvres créatures que la méchanceté n'épargne guère, cependant.
– Et vous concluez de tout cela, ma chère Louise?.. Voyons, dites, expliquez-vous!
– Qu'il faut, hélas! pardonnez-moi, c'est un mot bien dur…
Louis sourit.
– Voyons, dit-il.
– Qu'il faut que Votre Majesté supprime l'escalier, machinations et surprises; car le mal d'être pris ici, songez-y, Sire, serait plus grand que le bonheur de s'y voir.
– Eh bien! chère Louise, répondit le roi avec amour, au lieu de supprimer cet escalier par lequel je monte, il est un moyen plus simple auquel vous n'avez point pensé.
– Un moyen… encore?..
– Oui, encore. Oh! vous ne m'aimez pas comme je vous aime,
Louise, puisque je suis plus inventif que vous.
Elle le regarda. Louis lui tendit la main, qu'elle serra doucement.
– Vous dites, continua le roi, que je serai surpris en venant où chacun peut entrer à son aise?
– Tenez, Sire, au moment même où vous en parlez, j'en tremble.
– Soit, mais vous ne seriez pas surprise, vous, en descendant cet escalier pour venir dans les chambres qui sont au-dessous.
– Sire, Sire, que dites-vous là? s'écria La Vallière effrayée.
– Vous me comprenez mal, Louise, puisque, à mon premier mot, vous prenez cette grande colère; d'abord, savez-vous à qui appartiennent ces chambres?
– Mais à M. le comte de Guiche.
– Non pas, à M. de Saint-Aignan.
– Vrai! s'écria La Vallière.
Et ce mot, échappé du coeur joyeux de la jeune fille, fit luire comme un éclair de doux présage dans le coeur épanoui du roi.
– Oui, à de Saint-Aignan, à notre ami, dit-il.
– Mais, Sire, reprit La Vallière, je ne puis pas plus aller chez M. de Saint Aignan que chez M. le comte de Guiche, hasarda l'ange redevenu femme.
– Pourquoi donc ne le pouvez-vous pas, Louise?
– Impossible! impossible!
– Il me semble, Louise, que, sous la sauvegarde du roi, l'on peut tout.
– Sous la sauvegarde du roi? dit-elle avec un regard chargé d'amour.
– Oh! vous croyez à ma parole, n'est-ce pas?
– J'y crois lorsque vous n'y êtes pas, Sire; mais, lorsque vous y êtes, lorsque vous me parlez, lorsque je vous vois, je ne crois plus à rien.
– Que vous faut-il pour vous rassurer, mon Dieu?
– C'est peu respectueux, je le sais, de douter ainsi du roi; mais vous n'êtes pas le roi, pour moi.
– Oh! Dieu merci, je l'espère bien; vous voyez comme je cherche.
Écoutez: la présence d'un tiers vous rassurera-t-elle?
– La présence de M. de Saint-Aignan? oui.
– En vérité, Louise, vous me percez le coeur avec de pareils soupçons.
La Vallière ne répondit rien, elle regarda seulement Louis de ce clair regard qui pénétrait jusqu'au fond des coeurs, et dit tout bas:
– Hélas! hélas! ce n'est pas de vous que je me défie, ce n'est pas sur vous que portent mes soupçons.
– J'accepte donc, dit le roi en soupirant, et M. de Saint-Aignan, qui a l'heureux privilège de vous rassurer, sera toujours présent à notre entretien, je vous le promets.
– Bien vrai, Sire?
– Foi de gentilhomme! Et vous, de votre côté?..
– Attendez, oh! ce n'est pas tout.
– Encore quelque chose, Louise?
– Oh! certainement; ne vous lassez pas si vite, car nous ne sommes pas au bout, Sire.
– Allons, achevez de me percer le coeur.
– Vous comprenez bien, Sire, que ces entretiens doivent au moins avoir, près de M. de Saint-Aignan lui-même, une sorte de motif raisonnable.
– De motif raisonnable! reprit le roi d'un ton de doux reproche.
– Sans doute. Réfléchissez, Sire.
– Oh! vous avez toutes les délicatesses, et, croyez-le, mon seul désir est de vous égaler sur ce point. Eh bien! Louise, il sera fait comme vous désirez. Nos entretiens auront un objet raisonnable, et j'ai déjà trouvé cet objet.
– De sorte, Sire?.. dit La Vallière en souriant.
– Que, dès demain, si vous voulez…
– Demain?
– Vous voulez dire que c'est trop tard? s'écria le roi en serrant entre ses deux mains la main brûlante de La Vallière.
En ce moment, des pas se firent entendre dans le corridor.
– Sire, Sire, s'écria La Vallière, quelqu'un s'approche, quelqu'un vient, entendez-vous? Sire, Sire, fuyez, je vous en supplie!
Le roi ne fit qu'un bond de sa chaise derrière le paravent.
Il était temps; comme le roi tirait un des feuillets sur lui, le bouton de la porte tourna, et Montalais parut sur le seuil.
Il va sans dire qu'elle entra tout naturellement et sans faire aucune cérémonie.
Elle savait bien, la rusée, que frapper discrètement à cette porte au lieu de la pousser, c'était montrer à La Vallière une défiance désobligeante.
Elle entra donc, et après un rapide coup d'oeil qui lui montra deux chaises fort près l'une de l'autre, elle employa tant de temps à refermer la porte qui se rebellait on ne sait comment, que le roi eut celui de lever la trappe et de redescendre chez de Saint-Aignan.
Un bruit imperceptible pour toute oreille moins fine que la sienne avertit Montalais de la disparition du prince; elle réussit alors à fermer la porte rebelle, et s'approcha de La Vallière.
– Causons, Louise, lui dit-elle, causons sérieusement, vous le voulez bien.
Louise, toute à son émotion, n'entendit pas sans une secrète terreur ce sérieusement, sur lequel Montalais avait appuyé à dessein.
– Mon Dieu! ma chère Aure, murmura-t-elle, qu'y a-t-il donc encore?
– Il y a, chère amie, que Madame se doute de tout.
– De tout quoi?
– Avons-nous besoin de nous expliquer, et ne comprends-tu pas ce que je veux dire? Voyons: tu as dû voir les fluctuations de Madame depuis plusieurs jours; tu as dû voir comme elle t'a prise auprès d'elle, puis congédiée, puis reprise.
– C'est étrange, en effet; mais je suis habituée à ses bizarreries.
– Attends encore. Tu as remarqué ensuite que Madame, après t'avoir exclue de la promenade, hier, t'a fait donner ordre d'assister à cette promenade.
– Si je l'ai remarqué! sans doute.
– Eh bien! il paraît que Madame a maintenant des renseignements suffisants, car elle a été droit au but, n'ayant plus rien à opposer en France à ce torrent qui brise tous les obstacles; tu sais ce que je veux dire par le torrent?
La Vallière cacha son visage entre ses mains.
– Je veux dire, poursuivit Montalais impitoyablement, ce torrent qui a enfoncé la porte des Carmélites de Chaillot, et renversé tous les préjugés de cour, tant à Fontainebleau qu'à Paris.
– Hélas! hélas! murmura La Vallière, toujours voilée par ses doigts, entre lesquels roulaient ses larmes.
– Oh! ne t'afflige pas ainsi, lorsque tu n'es qu'à la moitié de tes peines.
– Mon Dieu! s'écria la jeune fille avec anxiété, qu'y a-t-il donc encore?
– Eh bien! voici le fait. Madame, dénuée d'auxiliaires en France, car elle a usé successivement les deux reines, Monsieur et toute la Cour, Madame s'est souvenue d'une certaine personne qui a sur toi de prétendus droits.
La Vallière devint blanche comme une statue de cire.
– Cette personne, continua Montalais, n'est point à Paris en ce moment.
– Oh! mon Dieu! murmura Louise.
– Cette personne, si je ne me trompe, est en Angleterre.
– Oui, oui, soupira La Vallière à demi brisée.
– N'est-ce pas à la Cour du roi Charles II que se trouve cette personne? Dis.
– Oui.
– Eh bien! ce soir, une lettre est partie du cabinet de Madame pour Saint-James, avec ordre pour le courrier de pousser d'une traite jusqu'à Hampton-Court, qui est, à ce qu'il paraît, une maison royale située à douze milles de Londres!
– Oui, après?
– Or, comme Madame écrit régulièrement à Londres tous les quinze jours, et que le courrier ordinaire avait été expédié à Londres il y a trois jours seulement, j'ai pensé qu'une circonstance grave pouvait seule lui mettre la plume à la main. Madame est paresseuse pour écrire, comme tu sais.
– Oh! oui.
– Cette lettre a donc été écrite, quelque chose me le dit, pour toi.
– Pour moi? répéta la malheureuse jeune fille avec la docilité d'un automate.
– Et moi qui la vis, cette lettre, sur le bureau de Madame avant qu'elle fût cachetée, j'ai cru y lire…
– Tu as cru y lire?..
– Peut-être me suis-je trompée.
– Quoi?.. Voyons.
– Le nom de Bragelonne.
La Vallière se leva, en proie à la plus douloureuse agitation.
– Montalais, dit-elle avec une voix pleine de sanglots, déjà se sont enfuis tous les rêves riants de la jeunesse et de l'innocence. Je n'ai plus rien à te cacher, à toi ni à personne. Ma vie est à découvert, et s'ouvre comme un livre où tout le monde peut lire, depuis le roi jusqu'au premier passant. Aure, ma chère Aure, que faire? Que devenir?
Montalais se rapprocha.
– Dame, consulte-toi, dit-elle.
– Eh bien! je n'aime pas M. de Bragelonne; quand je dis que je ne l'aime pas, comprends-moi: je l'aime comme la plus tendre soeur peut aimer un bon frère; mais ce n'est point cela qu'il me demande, ce n'est point cela que je lui ai promis.
– Enfin, tu aimes le roi, dit Montalais, et c'est une assez bonne excuse.
– Oui, j'aime le roi, murmura sourdement la jeune fille, et j'ai payé assez cher le droit de prononcer ces mots. Eh bien! parle, Montalais; que peux-tu pour moi ou contre moi dans la position où je me trouve?
– Parle-moi plus clairement.
– Que te dirai-je?
– Ainsi, rien de plus particulier?
– Non, fit Louise avec étonnement.
– Bien! Alors, c'est un simple conseil que tu me demandes?
– Oui.
– Relativement à M. Raoul?
– Pas autre chose.
– C'est délicat, répliqua Montalais.
– Non, rien n'est délicat là-dedans. Faut-il que je l'épouse pour lui tenir la promesse faite? faut-il que je continue d'écouter le roi?
– Sais-tu bien que tu me mets dans une position difficile? dit Montalais en souriant. Tu me demandes si tu dois épouser Raoul, dont je suis l'amie, et à qui je fais un mortel déplaisir en me prononçant contre lui. Tu me parles ensuite de ne plus écouter le roi, le roi, dont je suis la sujette, et que j'offenserais en te conseillant d'une certaine façon. Ah! Louise, Louise, tu fais bon marché d'une bien difficile position.
– Vous ne m'avez pas comprise, Aure, dit La Vallière blessée du ton légèrement railleur qu'avait pris Montalais: si je parle d'épouser M. de Bragelonne, c'est que je puis l'épouser sans lui faire aucun déplaisir; mais, par la même raison, si j'écoute le roi, faut-il le faire usurpateur d'un bien fort médiocre, c'est vrai, mais auquel l'amour prête une certaine apparence de valeur? Ce que je te demande donc, c'est de m'enseigner un moyen de me dégager honorablement, soit d'un côté, soit de l'autre, ou plutôt je te demande de quel côté je puis me dégager le plus honorablement.
– Ma chère Louise, répondit Montalais après un silence, je ne suis pas un des sept sages de la Grèce et je n'ai point de règles de conduite parfaitement invariables; mais, en échange, j'ai quelque expérience, et je puis te dire que jamais une femme ne demande un conseil du genre de celui que tu me demandes sans être fortement embarrassée. Or, tu as fait une promesse solennelle, tu as de l'honneur; si donc tu es embarrassée, ayant pris un tel engagement, ce n'est pas le conseil d'une étrangère, tout est étranger pour un coeur plein d'amour, ce n'est pas, dis-je, mon conseil qui te tirera d'embarras. Je ne te le donnerai donc point, d'autant plus qu'à ta place je serais encore plus embarrassée après le conseil qu'auparavant. Tout ce que je puis faire, c'est de te répéter ce que je t'ai déjà dit: veux-tu que je t'aide?
– Oh! oui.
– Eh bien! c'est tout… Dis-moi en quoi tu veux que je t'aide; dis-moi pour qui et contre qui. De cette façon nous ne ferons point d'école.
– Mais, d'abord, toi, dit La Vallière en pressant la main de sa compagne, pour qui ou contre qui te déclares-tu?
– Pour toi, si tu es véritablement mon amie…
– N'es-tu pas la confidente de Madame?
– Raison de plus pour t'être utile; si je ne savais rien de ce côté-là, je ne pourrais pas t'aider, et tu ne tirerais, par conséquent, aucun profit de ma connaissance. Les amitiés vivent de ces sortes de bénéfices mutuels.
– Il en résulte que tu resteras en même temps l'amie de Madame?
– Évidemment. T'en plains-tu?
– Non, dit La Vallière rêveuse, car cette franchise cynique lui paraissait une offense faite à la femme et un tort fait à l'amie.
– À la bonne heure, dit Montalais; car, en ce cas, tu serais bien sotte.
– Donc, tu me serviras?
– Avec dévouement, surtout si tu me sers de même.
– On dirait que tu ne connais pas mon coeur, dit La Vallière en regardant Montalais avec de grands yeux étonnés.
– Dame! c'est que, depuis que nous sommes à la Cour, ma chère
Louise, nous sommes bien changées.
– Comment, cela!
– C'est bien simple: étais-tu la seconde reine de France, là-bas, à Blois?
La Vallière baissa la tête et se mit à pleurer.
Montalais la regarda d'une façon indéfinissable et on l'entendit murmurer ces mots:
– Pauvre fille!
Puis, se reprenant.
– Pauvre roi! dit-elle.
Elle baisa Louise au front et regagna son appartement, où l'attendait Malicorne.
Chapitre CLXXV – Le portrait
Dans cette maladie qu'on appelle l'amour, les accès se suivent à des intervalles toujours plus rapprochés dès que le mal débute.
Plus tard, les accès s'éloignent les uns des autres, au fur et à mesure que la guérison arrive.
Cela posé, comme axiome en général et comme tête de chapitre en particulier, continuons notre récit.
Le lendemain, jour fixé par le roi pour le premier entretien chez de Saint-Aignan, La Vallière, en ouvrant son paravent, trouva sur le parquet un billet écrit de la main du roi.
Ce billet avait passé de l'étage inférieur au supérieur par la fente du parquet. Nulle main indiscrète, nul regard curieux ne pouvait monter où montait ce simple papier.
C'était une des idées de Malicorne. Voyant combien de Saint-Aignan allait devenir utile au roi par son logement, il n'avait pas voulu que le courtisan devînt encore indispensable comme messager, et il s'était, de son autorité privée, réservé ce dernier poste.
La Vallière lut avidement ce billet qui lui fixait deux heures de l'après-midi pour le moment du rendez-vous, et qui lui indiquait le moyen de lever la plaque parquetée.
– Faites-vous belle, ajoutait le post-scriptum de la lettre.
Ces derniers mots étonnèrent la jeune fille, mais en même temps ils la rassurèrent.
L'heure marchait lentement. Elle finit cependant par arriver.
Aussi ponctuelle que la prêtresse Héro, Louise leva la trappe au dernier coup de deux heures, et trouva sur les premiers degrés le roi, qui l'attendait respectueusement pour lui donner la main.
Cette délicate déférence la toucha sensiblement.
Au bas de l'escalier, les deux amants trouvèrent le comte qui, avec un sourire et une révérence du meilleur goût, fit à La Vallière ses remerciements sur l'honneur qu'il recevait d'elle.
Puis, se tournant vers le roi:
– Sire, dit-il, notre homme est arrivé.
La Vallière, inquiète, regarda Louis.
– Mademoiselle, dit le roi, si je vous ai priée de me faire l'honneur de descendre ici, c'est par intérêt. J'ai fait demander un excellent peintre qui saisit parfaitement les ressemblances, et je désire que vous l'autorisiez à vous peindre. D'ailleurs, si vous l'exigiez absolument, le portrait resterait chez vous.
La Vallière rougit.
– Vous le voyez, lui dit le roi, nous ne serons plus trois seulement: nous voilà quatre. Eh! mon Dieu! du moment que nous ne serons pas seuls, nous serons tant que vous voudrez.
La Vallière serra doucement le bout des doigts de son royal amant.
– Passons dans la chambre voisine, s'il plaît à Votre Majesté, dit de Saint Aignan.
Il ouvrit la porte et fit passer ses hôtes.
Le roi marchait derrière La Vallière et dévorait des yeux son cou blanc comme de la nacre, sur lequel s'enroulaient les anneaux serrés et crépus des cheveux argentés de la jeune fille.
La Vallière était vêtue d'une étoffe de soie épaisse de couleur gris perle glacée de rose; une parure de jais faisait valoir la blancheur de sa peau; ses mains fines et diaphanes froissaient un bouquet de pensées, de roses du Bengale et de clématites au feuillage finement découpé, au-dessus desquelles s'élevait, comme une coupe à verser des parfums, une tulipe de Harlem aux tons gris et violets, pure et merveilleuse espèce, qui avait coûté cinq ans de combinaisons au jardinier et cinq mille livres au roi.
Ce bouquet, Louis l'avait mis dans la main de La Vallière en la saluant.
Dans cette chambre, dont de Saint-Aignan venait d'ouvrir la porte, se tenait un jeune homme vêtu d'un habit de velours léger avec de beaux yeux noirs et de grands cheveux bruns.
C'était le peintre.
Sa toile était toute prête, sa palette faite.
Il s'inclina devant Mlle de La Vallière avec cette grave curiosité de l'artiste qui étudie son modèle, salua le roi discrètement, comme s'il ne le connaissait pas, et comme il eût, par conséquent, salué un autre gentilhomme.
Puis, conduisant Mlle de La Vallière jusqu'au siège préparé pour elle, il l'invita à s'asseoir.
La jeune fille se posa gracieusement et avec abandon, les mains occupées, les jambes étendues sur des coussins, et, pour que ses regards n'eussent rien de vague ou rien d'affecté, le peintre la pria de se choisir une occupation.
Alors Louis XIV, en souriant, vint s'asseoir sur les coussins aux pieds de sa maîtresse.
De sorte qu'elle, penchée en arrière, adossée au fauteuil, ses fleurs à la main, de sorte que lui, les yeux levés vers elle et la dévorant du regard, ils formaient un groupe charmant que l'artiste contempla plusieurs minutes avec satisfaction, tandis que, de son côté, de Saint-Aignan le contemplait avec envie.
Le peintre esquissa rapidement; puis, sous les premiers coups du pinceau, on vit sortir du fond gris cette molle et poétique figure aux yeux doux, aux joues roses encadrées dans des cheveux d'un pur argent.
Cependant les deux amants parlaient peu et se regardaient beaucoup; parfois leurs yeux devenaient si languissants, que le peintre était forcé d'interrompre son ouvrage pour ne pas représenter une Érycine au lieu d'une La Vallière.
C'est alors que de Saint-Aignan revenait à la rescousse; il récitait des vers ou disait quelques-unes de ces historiettes comme Patru les racontait, comme Tallemant des Réaux les racontait si bien.
Ou bien La Vallière était fatiguée, et l'on se reposait.
Aussitôt un plateau de porcelaine de Chine, chargé des plus beaux fruits que l'on avait pu trouver, aussitôt le vin de Xérès, distillant ses topazes dans l'argent ciselé, servaient d'accessoires à ce tableau, dont le peintre ne devait retracer que la plus éphémère figure.
Louis s'enivrait d'amour; La Vallière, de bonheur; de Saint-
Aignan, d'ambition.
Le peintre se composait des souvenirs pour sa vieillesse.
Deux heures s'écoulèrent ainsi; puis, quatre heures ayant sonné,
La Vallière se leva, et fit un signe au roi.
Louis se leva, s'approcha du tableau, et adressa quelques compliments flatteurs à l'artiste.
De Saint-Aignan vantait la ressemblance, déjà assurée, à ce qu'il prétendait.
La Vallière, à son tour, remercia le peintre en rougissant, et passa dans la chambre voisine, où le roi la suivit, après avoir appelé de Saint-Aignan.
– À demain, n'est-ce pas? dit-il à La Vallière.
– Mais, Sire, songez-vous que l'on viendra certainement chez moi, qu'on ne m'y trouvera pas?
– Eh bien?
– Alors, que deviendrai-je?
– Vous êtes bien craintive, Louise!
– Mais, enfin, si Madame me faisait demander?
– Oh! répliqua le roi, est-ce qu'un jour n'arrivera pas où vous me direz vous-même de tout braver pour ne plus vous quitter?
– Ce jour-là, Sire, je serais une insensée et vous ne devriez pas me croire.
– À demain, Louise.
La Vallière poussa un soupir; puis, sans force contre la demande royale:
– Puisque vous le voulez, Sire, à demain, répéta-t-elle.
Et, à ces mots, elle monta légèrement les degrés et disparut aux yeux de son amant.
– Eh bien! Sire?.. demanda de Saint-Aignan lorsqu'elle fut partie.
– Eh bien! de Saint-Aignan, hier, je me croyais le plus heureux des hommes.
– Et Votre Majesté, aujourd'hui, dit en souriant le comte, s'en croirait-elle par hasard le plus malheureux?
– Non, mais cet amour est une soif inextinguible; en vain je bois, en vain je dévore les gouttes d'eau que ton industrie me procure: plus je bois, plus j'ai soif.
– Sire, c'est un peu votre faute, et Votre Majesté s'est fait la position telle qu'elle est.
– Tu as raison.
– Donc, en pareil cas, Sire, le moyen d'être heureux, c'est de se croire satisfait et d'attendre.
– Attendre! Tu connais donc ce mot-là, toi, attendre?
– Là, Sire, là! ne vous désolez point. J'ai déjà cherché, je chercherai encore.
Le roi secoua la tête d'un air désespéré.
– Et quoi! Sire, vous n'êtes plus content déjà?
– Eh! si fait, mon cher de Saint-Aignan; mais trouve, mon Dieu! trouve.
– Sire, je m'engage à chercher, voilà tout ce que je puis dire.
Le roi voulut revoir encore le portrait, ne pouvant revoir l'original. Il indiqua quelques changements au peintre, et sortit.
Derrière lui, de Saint-Aignan congédia l'artiste.
Chevalets, couleurs et peintre n'étaient pas disparus, que
Malicorne montra sa tête entre les deux portières.
De Saint-Aignan le reçut à bras ouverts, et cependant avec une certaine tristesse. Le nuage qui avait passé sur le soleil royal voilait, à son tour, le satellite fidèle.
Malicorne vit, du premier coup d'oeil, ce crêpe étendu sur le visage de de Saint-Aignan.
– Oh! monsieur le comte, dit-il, comme vous voilà noir!
– J'en ai bien le sujet, ma foi! mon cher monsieur Malicorne; croiriez vous que le roi n'est pas content?
– Pas content de son escalier?
– Oh! non, au contraire, l'escalier a plu beaucoup.
– C'est donc la décoration des chambres qui n'est pas selon son goût?
– Oh! pour cela, il n'y a pas seulement songé. Non, ce qui a déplu au roi…
– Je vais vous le dire, monsieur le comte: c'est d'être venu, lui quatrième, à un rendez-vous d'amour. Comment, monsieur le comte, vous n'avez pas deviné cela, vous?
– Mais comment l'eussé-je deviné, cher monsieur Malicorne, quand je n'ai fait que suivre à la lettre les instructions du roi?
– En vérité, Sa Majesté a voulu, à toute force, vous voir près d'elle?
– Positivement.
– Et Sa Majesté a voulu avoir, en outre, M. le peintre que j'ai rencontré en bas?
– Exigé, monsieur Malicorne, exigé!
– Alors, je le comprends, pardieu! bien, que Sa Majesté ait été mécontente.
– Mécontente de ce que l'on a ponctuellement obéi à ses ordres?
Je ne vous comprends plus.
Malicorne se gratta l'oreille.
– À quelle heure, demanda-t-il, le roi avait-il dit qu'il se rendrait chez vous?
– À deux heures.
– Et vous étiez chez vous à attendre le roi?
– Dès une heure et demie.
– Ah! vraiment!
– Peste! il eût fait beau me voir inexact devant le roi.
Malicorne, malgré le respect qu'il portait à de Saint-Aignan, ne put s'empêcher de hausser les épaules.
– Et ce peintre, fit-il, le roi l'avait-il demandé aussi pour deux heures?
– Non, mais moi, je le tenais ici dès midi. Mieux vaut, vous comprenez, qu'un peintre attende deux heures, que le roi une minute.
Malicorne se mit à rire silencieusement.
– Voyons, cher monsieur Malicorne, dit Saint-Aignan, riez moins de moi et parlez davantage.
– Vous l'exigez?
– Je vous en supplie.
– Eh bien! monsieur le comte, si vous voulez que le roi soit un peu plus content la première fois qu'il viendra…
– Il vient demain.
– Eh bien! si vous voulez que le roi soit un peu plus content demain…
– Ventre-saint-gris! comme disait son aïeul, si je le veux! je le crois bien!
– Eh bien! demain, au moment où arrivera le roi, ayez affaire dehors, mais pour une chose qui ne peut se remettre, pour une chose indispensable.
– Oh! oh!
– Pendant vingt minutes.
– Laisser le roi seul pendant vingt minutes? s'écria de Saint-
Aignan effrayé.
– Allons, mettons que je n'ai rien dit, fit Malicorne, tirant vers la porte.
– Si fait, si fait, cher monsieur Malicorne; au contraire, achevez, je commence à comprendre. Et le peintre, le peintre?
– Oh! le peintre, lui, il faut qu'il soit en retard d'une demi- heure.
– Une demi-heure, vous croyez?
– Oui, je crois.
– Mon cher monsieur, je ferai comme vous dites.
– Et je crois que vous vous en trouverez bien; me permettez-vous de venir m'informer un peu demain?
– Certes.
– J'ai bien l'honneur d'être votre serviteur respectueux, monsieur de Saint Aignan.
Et Malicorne sortit à reculons.
«Décidément ce garçon-là a plus d'esprit que moi», se dit de
Saint-Aignan entraîné par sa conviction.