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Kitabı oku: «Le vicomte de Bragelonne, Tome III.», sayfa 29

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Chapitre CLXXXVI – La vaisselle et les diamants de Madame de Bellière

À peine Fouquet eut-il congédié Vanel, qu'il réfléchit un moment.

– On ne saurait trop faire, dit-il, pour la femme que l'on a aimée. Marguerite désire être procureuse, pourquoi ne lui pas faire ce plaisir? Maintenant que la conscience la plus scrupuleuse ne saurait rien me reprocher, pensons à la femme qui m'aime. Mme de Bellière doit être là.

Il indiqua du doigt la porte secrète.

S'étant enfermé, il ouvrit le couloir souterrain et se dirigea rapidement vers la communication établie entre la maison de Vincennes et sa maison à lui.

Il avait négligé d'avertir son amie avec la sonnette, bien assuré qu'elle ne manquait jamais au rendez-vous.

En effet, la marquise était arrivée. Elle attendait. Le bruit que fit le surintendant l'avertit; elle accourut pour recevoir par- dessous la porte le billet qu'il lui passa.

«Venez, marquise, on vous attend pour souper.»

Heureuse et active, Mme de Bellière gagna son carrosse dans l'avenue de Vincennes, et elle vint tendre sa main sur le perron à Gourville, qui, pour mieux plaire au maître, guettait son arrivée dans la cour.

Elle n'avait pas vu entrer, fumants et blancs d'écume, les chevaux noirs de Fouquet, qui ramenaient à Saint-Mandé Pélisson et l'orfèvre lui-même à qui Mme de Bellière avait vendu sa vaisselle et ses joyaux.

– Oh! oh! s'écrièrent tous les convives; on peut dire cela sans crainte d'une femme qui a les plus beaux diamants de Paris.

– Eh bien? dit tout bas Fouquet à Pélisson.

– Eh bien! j'ai enfin compris, répliqua celui-ci, et vous avez bien fait.

– C'est heureux, fit en souriant le surintendant.

– Monseigneur est servi, cria majestueusement Vatel.

Le flot des convives se précipita moins lentement qu'il n'est d'usage dans les fêtes ministérielles vers la salle à manger, où les attendait un magnifique spectacle.

Sur les buffets, sur les dressoirs, sur la table, au milieu des fleurs et des lumières, brillait à éblouir la vaisselle d'or et d'argent la plus riche qu'on pût voir; c'était un reste de ces vieilles magnificences que les artistes florentins, amenés par les Médicis, avaient sculptées, ciselées fondues pour les dressoirs de fleurs, quand il y avait de l'or en France; ces merveilles cachées, enfouies pendant les guerres civiles, avaient reparu timidement dans les intermittences de cette guerre de bon goût qu'on appelait la Fronde; alors que seigneurs, se battant contre seigneurs, se tuaient mais ne se pillaient pas. Toute cette vaisselle était marquée aux armes de Mme de Bellière.

– Tiens, s'écria La Fontaine, un P. et un B.

Mais ce qu'il y avait de plus curieux, c'était le couvert de la marquise, à la place que lui avait assignée Fouquet; près de lui s'élevait une pyramide de diamants, de saphirs, d'émeraudes, de camées antiques; la sardoine gravée par les vieux Grecs de l'Asie Mineure avec ses montures d'or de Mysie, les curieuses mosaïques de la vieille Alexandrie montées en argent, les bracelets massifs de l'Égypte de Cléopâtre jonchaient un vaste plat de Palissy, supporté sur un trépied de bronze doré, sculpté par Benvenuto.

La marquise pâlit en voyant ce qu'elle ne comptait jamais revoir. Un profond silence, précurseur des émotions vives, occupait la salle engourdie et inquiète.

Fouquet ne fit pas même un signe pour chasser tous les valets chamarrés qui couraient, abeilles pressées, autour des vastes buffets et des tables d'office.

– Messieurs, dit-il, cette vaisselle que vous voyez appartenait à Mme de Bellière, qui, un jour, voyant un de ses amis dans la gêne, envoya tout cet or et tout cet argent chez l'orfèvre avec cette masse de joyaux qui se dressent là devant elle. Cette belle action d'une amie devait être comprise par des amis tels que vous. Heureux l'homme qui se voit aimé ainsi! Buvons à la santé de Mme de Bellière.

Une immense acclamation couvrit ses paroles et fit tomber muette, pâmée sur son siège, la pauvre femme, qui venait de perdre ses sens, pareille aux oiseaux de la Grèce qui traversaient le ciel au-dessus de l'arène à Olympie.

– Et puis, ajouta Pélisson, que toute vertu touchait, que toute beauté charmait, buvons un peu aussi à celui qui inspira la belle action de Madame; car un pareil homme doit être digne d'être aimé.

Ce fut le tour de la marquise. Elle se leva pâle et souriante, tendit son verre avec une main défaillante dont les doigts tremblants frottèrent les doigts de Fouquet, tandis que ses yeux mourants encore allaient chercher tout l'amour qui brûlait dans ce généreux coeur.

Commencé de cette héroïque façon, le souper devint promptement une fête; nul ne s'occupa plus d'avoir de l'esprit, personne n'en manqua.

La Fontaine oublia son vin de Gorgny, et permit à Vatel de le réconcilier avec les vins du Rhône et ceux d'Espagne.

L'abbé Fouquet devint si bon, que Gourville lui dit:

– Prenez garde, monsieur l'abbé! si vous êtes aussi tendre, on vous mangera.

Les heures s'écoulèrent ainsi joyeuses et secouant des roses sur les convives. Contre son ordinaire, le surintendant ne quitta pas la table avant les dernières largesses du dessert.

Il souriait à la plupart de ses amis, ivre comme on l'est quand on a enivré le coeur avant la tête, et, pour la première fois, il venait de regarder l'horloge.

Soudain une voiture roula dans la cour, et on l'entendit, chose étrange! au milieu du bruit et des chansons.

Fouquet dressa l'oreille, puis il tourna les yeux vers l'antichambre. Il lui sembla qu'un pas y retentissait, et que ce pas, au lieu de fouler le sol, pesait sur son coeur.

Instinctivement son pied quitta le pied que Mme de Bellière appuyait sur le sien depuis deux heures.

– M. d'Herblay, évêque de Vannes, cria l'huissier.

Et la figure sombre et pensive d'Aramis apparut sur le seuil, entre les débris de deux guirlandes dont une flamme de lampe venait de rompre les fils.

Chapitre CLXXXVII – La quittance de M. de Mazarin

Fouquet eût poussé un cri de joie en apercevant un ami nouveau, si l'air glacé, le regard distrait d'Aramis ne lui eussent rendu toute sa réserve.

– Est-ce que vous nous aidez à prendre le dessert? demanda-t-il cependant; est-ce que vous ne vous effraierez pas un peu de tout ce bruit que font nos folies?

– Monseigneur, répliqua respectueusement Aramis, je commencerai par m'excuser près de vous de troubler votre joyeuse réunion; puis je vous demanderai, après le plaisir, un moment d'audience pour les affaires.

Comme ce mot affaires avait fait dresser l'oreille à quelques épicuriens, Fouquet se leva.

– Les affaires toujours, dit-il, monsieur d'Herblay; trop heureux sommes nous quand les affaires n'arrivent qu'à la fin du repas.

Et, ce disant, il prit la main de Mme de Bellière, qui le considérait avec une sorte d'inquiétude; il la conduisit dans le plus voisin salon, après l'avoir confiée aux plus raisonnables de la compagnie.

Quant à lui, prenant Aramis par le bras, il se dirigea vers son cabinet.

Aramis, une fois là, oublia le respect de l'étiquette. Il s'assit:

– Devinez, dit-il, qui j'ai vu ce soir?

– Mon cher chevalier, toutes les fois que vous commencez de la sorte, je suis sûr de m'entendre annoncer quelque chose de désagréable.

– Cette fois encore, vous ne vous serez pas trompé, mon cher ami, répliqua Aramis.

– Ne me faites pas languir, ajouta flegmatiquement Fouquet.

– Eh bien! j'ai vu Mme de Chevreuse.

– La vieille duchesse?

– Oui.

– Ou son ombre?

– Non pas. Une vieille louve.

– Sans dents?

– C'est possible, mais non pas sans griffes.

– Eh bien! pourquoi m'en voudrait-elle? Je ne suis pas avare avec les femmes qui ne sont pas prudes. C'est là une qualité que prise toujours même la femme qui n'ose plus provoquer l'amour.

– Mme de Chevreuse le sait bien, que vous n'êtes pas avare, puisqu'elle veut vous arracher de l'argent.

– Bon! sous quel prétexte?

– Ah! les prétextes ne lui manquent jamais. Voici le sien.

– J'écoute.

– Il paraîtrait que la duchesse possède plusieurs lettres de

M. de Mazarin.

– Cela ne m'étonne pas, le prélat était galant.

– Oui; mais ces lettres n'auraient pas de rapport avec les amours du prélat. Elles traitent, dit-on, d'affaires de finances.

– C'est moins intéressant.

– Vous ne soupçonnez pas un peu ce que je veux dire?

– Pas du tout.

– N'auriez-vous jamais entendu parler d'une accusation de détournement de fonds?

– Cent fois! mille fois! Depuis que je suis aux affaires, mon cher d'Herblay, je n'ai jamais entendu parler que de cela. C'est comme vous, évêque, lorsqu'on vous reproche votre impiété; vous, mousquetaire, votre poltronnerie; ce qu'on reproche perpétuellement au ministre des Finances, c'est de voler les finances.

– Bien; mais précisons, car M. de Mazarin précise, à ce que dit la duchesse.

– Voyons ce qu'il précise.

– Quelque chose comme une somme de treize millions dont vous seriez fort empêché, vous, de préciser l'emploi.

– Treize millions! dit le surintendant en s'allongeant dans son fauteuil pour mieux lever la tête vers le plafond. Treize millions… Ah! dame! je les cherche, voyez-vous, parmi tous ceux qu'on m'accuse d'avoir volés.

– Ne riez pas, mon cher monsieur, c'est grave. Il est certain que la duchesse a les lettres, et que les lettres doivent être bonnes, attendu qu'elle voulait les vendre cinq cent mille livres.

– On peut avoir une fort jolie calomnie pour ce prix-là, répondit

Fouquet. Eh! mais je sais ce que vous voulez dire.

Fouquet se mit à rire de bon coeur.

– Tant mieux! fit Aramis peu rassuré.

– L'histoire de ces treize millions me revient. Oui, c'est cela; je les tiens.

– Vous me faites grand plaisir. Voyons un peu.

– Imaginez-vous, mon cher, que le signor Mazarin, Dieu ait son âme! fit un jour ce bénéfice de treize millions sur une concession de terres en litige dans la Valteline; il les biffa sur le registre des recettes, me les fit envoyer, et se les fit donner par moi, pour frais de guerre.

– Bien. Alors la destination est justifiée.

– Non pas; le cardinal les fit placer sous mon nom, et m'envoya une décharge.

– Vous avez cette décharge?

– Parbleu! dit Fouquet en se levant tranquillement pour aller aux tiroirs de son vaste bureau d'ébène incrusté de nacre et d'or.

– Ce que j'admire en vous, dit Aramis charmé, c'est votre mémoire d'abord, puis votre sang-froid, et enfin l'ordre parfait qui règne dans votre administration, à vous, le poète par excellence.

– Oui, dit Fouquet, j'ai de l'ordre par esprit de paresse, pour m'épargner de chercher. Ainsi, je sais que le reçu de Mazarin est dans le troisième tiroir, lettre M.; j'ouvre ce tiroir et je mets immédiatement la main sur le papier qu'il me faut. La nuit, sans bougie, je le trouverais.

Et il palpa d'une main sûre la liasse de papiers entassés dans le tiroir ouvert.

– Il y a plus, continua-t-il, je me rappelle ce papier comme si je le voyais; il est fort, un peu rugueux, doré sur tranche; Mazarin avait fait un pâté d'encre sur le chiffre de la date. Eh bien! fit-il, voilà le papier qui sent qu'on s'occupe de lui et qu'il est nécessaire, il se cache et se révolte.

Et le surintendant regarda dans le tiroir.

– C'est étrange, dit Fouquet.

– Votre mémoire vous fait défaut, mon cher monsieur, cherchez dans une autre liasse.

Fouquet prit la liasse et la parcourut encore une fois; puis il pâlit.

– Ne vous obstinez pas à celle-ci, dit Aramis, cherchez ailleurs.

– Inutile, inutile, jamais je n'ai fait une erreur; nul que moi n'arrange ces sortes de papiers; nul n'ouvre ce tiroir, auquel, vous voyez, j'ai fait faire un secret dont personne que moi ne connaît le chiffre.

– Que concluez-vous alors? dit Aramis agité.

– Que le reçu de Mazarin m'a été volé. Mme de Chevreuse avait raison, chevalier; j'ai détourné les deniers publics; j'ai volé treize millions dans les coffres de l'État; je suis un voleur, monsieur d'Herblay.

– Monsieur! monsieur! ne vous irritez pas, ne vous exaltez pas!

– Pourquoi ne pas m'exalter, chevalier? La cause en vaut la peine. Un bon procès, un bon jugement, et votre ami M. le surintendant peut suivre à Montfaucon son collègue Enguerrand de Marigny, son prédécesseur Samblançay.

– Oh! fit Aramis en souriant, pas si vite.

– Comment, pas si vite! Que supposez-vous donc que Mme de Chevreuse aura fait de ces lettres; car vous les avez refusées, n'est-ce pas?

– Oh! oui, refusé net. Je suppose qu'elle les sera allée vendre à

M. Colbert.

– Eh bien! voyez-vous?

– J'ai dit que je supposais, je pourrais dire que j'en suis sûr; car je l'ai fait suivre, et, en me quittant, elle est rentrée chez elle, puis elle est sortie par une porte de derrière et s'est rendue à la maison de l'intendant, rue Croix des-Petits-Champs.

– Procès alors, scandale et déshonneur, le tout tombant comme tombe la foudre, aveuglément, brutalement, impitoyablement.

Aramis s'approcha de Fouquet, qui frémissait dans son fauteuil, auprès des tiroirs ouverts; il lui posa la main sur l'épaule, et, d'un ton affectueux:

– N'oubliez jamais, dit-il, que la position de M. Fouquet ne se peut comparer à celle de Samblançay ou de Marigny.

– Et pourquoi, mon Dieu?

– Parce que le procès de ces ministres s'est fait, parfait, et que l'arrêt a été exécuté; tandis qu'à votre égard il ne peut en arriver de même.

– Encore un coup, pourquoi? Dans tous les temps, un concessionnaire est un criminel.

– Les criminels qui savent trouver un lieu d'asile ne sont jamais en danger.

– Me sauver? fuir?

– Je ne vous parle pas de cela, et vous oubliez que ces sortes de procès sont évoqués par le Parlement, instruits par le procureur général, et que vous êtes procureur général. Vous voyez bien qu'à moins de vouloir vous condamner vous-même…

– Oh! s'écria tout à coup Fouquet en frappant la table de son poing.

– Eh bien! quoi? qu'y a-t-il?

– Il y a que je ne suis plus procureur général.

Aramis, à son tour, pâlit de manière à paraître livide; il serra ses doigts, qui craquèrent les uns sur les autres, et, d'un oeil hagard qui foudroya Fouquet:

– Vous n'êtes plus procureur général? dit-il en scandant chaque syllabe.

– Non.

– Depuis quand?

– Depuis quatre ou cinq heures.

– Prenez garde, interrompit froidement Aramis, je crois que vous n'êtes pas en possession de votre bon sens, mon ami; remettez- vous.

– Je vous dis, reprit Fouquet, que tantôt quelqu'un est venu, de la part de mes amis, m'offrir quatorze cent mille livres de ma charge, et que j'ai vendu ma charge.

Aramis demeura interdit; sa figure intelligente et railleuse prit un caractère de morne effroi qui fit plus d'effet sur le surintendant que tous les cris et tous les discours du monde.

– Vous aviez donc bien besoin d'argent? dit-il enfin.

– Oui, pour acquitter une dette d'honneur.

Et il raconta en peu de mots à Aramis la générosité de Mme de Bellière et la façon dont il avait cru devoir payer cette générosité.

– Voilà un beau trait, dit Aramis. Cela vous coûte?

– Tout justement les quatorze cent mille livres de ma charge.

– Que vous avez reçues comme cela tout de suite, sans réfléchir?

Ô imprudent ami!

– Je ne les ai pas reçues, mais je les recevrai demain.

– Ce n'est donc pas fait encore?

– Il faut que ce soit fait puisque j'ai donné à l'orfèvre, pour midi, un bon sur ma caisse, où l'argent de l'acquéreur entrera de six à sept heures.

– Dieu soit loué! s'écria Aramis en battant des mains, rien n'est achevé, puisque vous n'avez pas été payé.

– Mais l'orfèvre?

– Vous recevrez de moi les quatorze cent mille livres à midi moins un quart.

– Un moment, un moment! c'est ce matin, à six heures, que je signe.

– Oh! je vous réponds que vous ne signerez pas.

– J'ai donné ma parole, chevalier.

– Si vous l'avez donnée, vous la reprendrez, voilà tout.

– Oh! que me dites-vous là? s'écria Fouquet avec un accent profondément loyal. Reprendre une parole quand on est Fouquet!

Aramis répondit au regard sévère du ministre par un regard courroucé.

– Monsieur, dit-il, je crois avoir mérité d'être appelé un honnête homme, n'est-ce pas? Sous la casaque du soldat, j'ai risqué cinq cents fois ma vie; sous l'habit du prêtre, j'ai rendu de plus grands services encore, à Dieu, à l'État ou à mes amis. Une parole vaut ce que vaut l'homme qui la donne. Elle est, quand il la tient, de l'or pur; elle est un fer tranchant quand il ne veut pas la tenir. Il se défend alors avec cette parole comme avec une arme d'honneur, attendu que, lorsqu'il ne tient pas cette parole, cet homme d'honneur, c'est qu'il est en danger de mort, c'est qu'il court plus de risques que son adversaire n'a de bénéfices à faire. Alors, monsieur, on en appelle à Dieu et à son droit.

Fouquet baissa la tête:

– Je suis, dit-il, un pauvre Breton opiniâtre et vulgaire; mon esprit admire et craint le vôtre. Je ne dis pas que je tiens ma parole par vertu; je la tiens, si vous voulez, par routine; mais, enfin, les hommes du commun sont assez simples pour admirer cette routine; c'est ma seule vertu, laissez-m'en les honneurs.

– Alors vous signerez demain la vente de cette charge, qui vous défendait contre tous vos ennemis?

– Je signerai.

– Vous vous livrerez pieds et poings liés pour un faux-semblant d'honneur qui dédaigneraient les plus scrupuleux casuistes?

– Je signerai.

Aramis poussa un profond soupir, regarda tout autour de lui avec l'impatience d'un homme qui voudrait briser quelque chose.

– Nous avons encore un moyen, dit-il, et j'espère que vous ne me refuserez pas de l'employer, celui-là.

– Assurément non, s'il est loyal… comme tout ce que vous proposez, cher ami.

– Je ne sache rien de plus loyal qu'une renonciation de votre acquéreur. Est-ce votre ami?

– Certes… Mais…

– Mais… si vous me permettez de traiter l'affaire, je ne désespère point.

– Oh! je vous laisserai absolument maître.

– Avec qui avez-vous traité? Quel homme est-ce?

– Je ne sais pas si vous connaissez le Parlement?

– En grande partie. C'est un président quelconque?

– Non; un simple conseiller.

– Ah! ah!

– Qui s'appelle Vanel.

Aramis devint pourpre.

– Vanel! s'écria-t-il en se relevant; Vanel! le mari de

Marguerite Vanel?

– Précisément.

– De votre ancienne maîtresse?

– Oui, mon cher; elle a désiré d'être Mme la procureuse générale. Je lui devais bien cela, au pauvre Vanel, et j'y gagne puisque c'est encore faire plaisir à sa femme.

Aramis vint droit à Fouquet et lui prit la main.

– Vous savez, dit-il avec sang-froid, le nom du nouvel amant de

Mme Vanel?

– Ah! elle a un nouvel amant? Je l'ignorais; et, ma foi, non, je ne sais pas comment il se nomme.

– Il se nomme M. Jean-Baptiste Colbert; il est intendant des finances; il demeure rue Croix-des-Petits-Champs, là où Mme de Chevreuse est allée, ce soir avec les lettres de Mazarin qu'elle veut vendre.

– Mon Dieu! murmura Fouquet en essuyant son front ruisselant de sueur, mon Dieu!

– Vous commencez à comprendre, n'est-ce pas?

– Que je suis perdu, oui.

– Trouvez-vous que cela vaille la peine de tenir un peu moins que

Régulus à sa parole?

– Non, dit Fouquet.

– Les gens entêtés, murmura Aramis, s'arrangent toujours de façon qu'on les admire.

Fouquet lui tendit la main.

À ce moment, une riche horloge d'écaille, à figures d'or, placée sur une console en face de la cheminée, sonna six heures du matin.

Une porte cria dans le vestibule.

– M. Vanel, vint dire Gourville à la porte du cabinet, demande si

Monseigneur peut le recevoir.

Fouquet détourna ses yeux des yeux d'Aramis et répondit:

– Faites entrer M. Vanel.

Chapitre CLXXXVIII – La minute de M. Colbert

Vanel, entrant à ce moment de la conversation n'était rien autre chose pour Aramis et Fouquet que le point qui termine une phrase.

Mais, pour Vanel qui arrivait, la présence d'Aramis dans le cabinet de Fouquet devait avoir une bien autre signification.

Aussi l'acheteur, à son premier pas dans la chambre, arrêta-t-il sur cette physionomie, à la fois si fine et si ferme de l'évêque de Vannes, un regard étonné qui devint bientôt scrutateur.

Quant à Fouquet, véritable homme politique, c'est-à-dire maître de lui-même, il avait déjà, par la force de sa volonté, fait disparaître de son visage les traces de l'émotion causée par la révélation d'Aramis.

Ce n'était donc plus un homme abattu par le malheur et réduit aux expédients; il avait redressé la tête et allongé la main pour faire entrer Vanel.

Il était premier ministre, il était chez lui.

Aramis connaissait le surintendant. Toute la délicatesse de son coeur, toute la largeur de son esprit n'avaient rien qui pût l'étonner. Il se borna donc, momentanément, quitte à reprendre plus tard une part active dans la conversation, au rôle difficile de l'homme qui regarde et qui écoute pour apprendre et pour comprendre.

Vanel était visiblement ému. Il s'avança jusqu'au milieu du cabinet, saluant tout et tous.

– Je viens… dit-il.

Fouquet fit un signe de tête.

– Vous êtes exact, monsieur Vanel, dit-il.

– En affaires, monseigneur, répondit Vanel, je crois que l'exactitude est une vertu.

– Oui, monsieur.

– Pardon, interrompit Aramis, en désignant du doigt Vanel et s'adressant à Fouquet; pardon, c'est Monsieur qui se présente pour acheter une charge, n'est-ce pas?

– C'est moi, répondit Vanel, étonné du ton de suprême hauteur avec lequel Aramis avait fait la question. Mais comment dois-je appeler celui qui me fait l'honneur?..

– Appelez-moi monseigneur, répondit sèchement Aramis.

Vanel s'inclina.

– Allons, allons, messieurs, dit Fouquet, trêve de cérémonies; venons au fait.

– Monseigneur le voit, dit Vanel, j'attends son bon plaisir.

– C'est moi qui, au contraire, attendais, répondit Fouquet.

– Qu'attendait monseigneur?

– Je pensais que vous aviez peut-être quelque chose à me dire.

«Oh! oh! murmura Vanel en lui-même, il a réfléchi, je suis perdu!»

Mais, reprenant courage:

– Non, monseigneur, rien, absolument rien que ce que je vous ai dit hier et que je suis prêt à vous répéter.

– Voyons, franchement, monsieur Vanel, le marché n'est-il pas un peu lourd pour vous, dites?

– Certes, monseigneur, quinze cent mille livres, c'est une somme importante.

– Si importante, dit Fouquet, que j'avais réfléchi…

– Vous aviez réfléchi, monseigneur? s'écria vivement Vanel.

– Oui, que vous n'êtes peut-être pas encore en mesure d'acheter.

– Oh! monseigneur!..

– Tranquillisez-vous, monsieur Vanel, je ne vous blâmerai pas d'un manque de parole qui tiendra évidemment à votre impuissance.

– Si fait, monseigneur, vous me blâmeriez, et vous auriez raison, dit Vanel; car c'est d'un imprudent ou d'un fou de prendre des engagements qu'il ne peut pas tenir, et j'ai toujours regardé une chose convenue comme une chose faite.

Fouquet rougit. Aramis fit un hum! d'impatience.

– Il ne faudrait pas cependant vous exagérer ces idées-là, monsieur, dit le surintendant; car l'esprit de l'homme est variable et plein de petits caprices fort excusables, fort respectables même parfois; et tel a désiré hier, qui aujourd'hui se repent.

Vanel sentit une sueur froide couler de son front sur ses joues.

– Monseigneur!.. balbutia-t-il.

Quant à Aramis, heureux de voir le surintendant se poser avec tant de netteté dans le débat, il s'accouda au marbre d'une console, et commença de jouer avec un petit couteau d'or à manche de malachite.

Fouquet prit son temps; puis, après un moment de silence:

– Tenez, mon cher monsieur Vanel, dit-il, je vais vous expliquer la situation.

Vanel frémit.

– Vous êtes un galant homme, continua Fouquet, et comme moi, vous comprendrez.

Vanel chancela.

– Je voulais vendre hier.

– Monseigneur avait fait plus que de vouloir vendre, monseigneur avait vendu.

– Eh bien, soit! mais aujourd'hui, je vous demande comme une faveur de me rendre la parole que vous aviez reçue de moi.

– Cette parole, je l'ai reçue, dit Vanel, comme un inflexible écho.

– Je le sais. Voilà pourquoi je vous supplie, monsieur Vanel, entendez vous? je vous supplie de me la rendre…

Fouquet s'arrêta. Ce mot: je vous supplie, dont il ne voyait pas l'effet immédiat, ce mot venait de lui déchirer la gorge au passage.

Aramis, toujours jouant avec son couteau, fixait sur Vanel des regards qui semblaient vouloir pénétrer jusqu'au fond de son âme.

Vanel s'inclina.

– Monseigneur, dit-il, je suis bien ému de l'honneur que vous me faites de me consulter sur un fait accompli; mais…

– Ne dites pas de mais, cher monsieur Vanel.

– Hélas! monseigneur, songez donc que j'ai apporté l'argent; je veux dire la somme.

Et il ouvrit un gros portefeuille.

– Tenez, monseigneur, dit-il, voilà le contrat de la vente que je viens de faire d'une terre de ma femme. Le bon est autorisé, revêtu des signatures nécessaires, payable à vue; c'est de l'argent comptant; l'affaire est faite en un mot.

– Mon cher monsieur Vanel, il n'est point d'affaire en ce monde, si importante qu'elle soit, qui ne se remette pour obliger…

– Certes… murmura gauchement Vanel.

– Pour obliger un homme dont on se fera ainsi l'ami, continua

Fouquet.

– Certes, monseigneur.

– D'autant plus légitimement l'ami, monsieur Vanel, que le service rendu aura été plus considérable. Eh bien! voyons, monsieur, que décidez-vous?

Vanel garda le silence.

Pendant ce temps, Aramis avait résumé ses observations.

Le visage étroit de Vanel, ses orbites enfoncées, ses sourcils ronds comme des arcades, avaient décelé à l'évêque de Vannes un type d'avare et d'ambitieux. Battre en brèche une passion par une autre, telle était la méthode d'Aramis. Il vit Fouquet vaincu, démoralisé; il se jeta dans la lutte avec des armes nouvelles.

– Pardon, dit-il, monseigneur; vous oubliez de faire comprendre à M. Vanel et que ses intérêts sont diamétralement opposés à cette renonciation de la vente.

Vanel regarda l'évêque avec étonnement; il ne s'attendait pas à trouver là un auxiliaire. Fouquet aussi s'arrêta pour écouter l'évêque.

– Ainsi, continua Aramis, M. Vanel a vendu pour acheter votre charge, monseigneur, une terre de Mme sa femme; eh bien! c'est une affaire, cela; on ne déplace pas comme il l'a fait quinze cent mille livres sans de notables pertes, sans de graves embarras.

– C'est vrai, dit Vanel, à qui Aramis, avec ses lumineux regards, arrachait la vérité du fond du coeur.

– Des embarras, poursuivit Aramis, se résolvent en dépenses, et, quand on fait une dépense d'argent, les dépenses d'argent se cotent au № 1, parmi les charges.

– Oui, oui, dit Fouquet, qui commençait à comprendre les intentions d'Aramis.

Vanel resta muet: il avait compris.

Aramis remarqua cette froideur et cette abstention.

«Bon! se dit-il, laide face, tu fais le discret jusqu'à ce que tu connaisses la somme; mais, ne crains rien, je vais t'envoyer une telle volée d'écus, que tu capituleras.»

– Il faut tout de suite offrir à M. Vanel cent mille écus, dit

Fouquet emporté par sa générosité.

La somme était belle. Un prince se fût contenté d'un pareil pot- de-vin. Cent mille écus, à cette époque, étaient la dot d'une fille de roi.

Vanel ne bougea pas.

«C'est un coquin, pensa l'évêque; il lui faut les cinq cent mille livres toutes rondes.» Et il fit un signe à Fouquet.

– Vous semblez avoir dépensé plus que cela, cher monsieur Vanel, dit le surintendant. Oh! l'argent est hors de prix. Oui, vous aurez fait un sacrifice en vendant cette terre. Eh bien! où avais- je la tête? C'est un bon de cinq cent mille livres que je vais vous signer. Encore serai-je bien votre obligé de tout mon coeur.

Vanel n'eut pas un éclat de joie ou de désir. Sa physionomie resta impassible, et pas un muscle de son visage ne bougea.

Aramis envoya un regard désespéré à Fouquet. Puis, s'avançant vers Vanel, il le prit par le haut de son pourpoint avec le geste familier aux hommes d'une grande importance.

– Monsieur Vanel, dit-il ce n'est pas la gêne, ce n'est pas le déplacement d'argent, ce n'est pas la vente de votre terre qui vous occupent; c'est une plus haute idée. Je la comprends. Notez bien mes paroles.

– Oui, monseigneur.

Et le malheureux commençait à trembler; le feu des yeux du prélat le dévorait.

– Je vous offre donc, moi, au nom du surintendant, non pas trois cent mille livres, non pas cinq cent mille, mais un million. Un million, entendez-vous?

Et il le secoua nerveusement.

– Un million! répéta Vanel tout pâle.

– Un million, c'est-à-dire, par le temps qui court, soixante-six mille livres de revenu.

– Allons, monsieur, dit Fouquet, cela ne se refuse pas.

Répondez donc; acceptez-vous?

– Impossible… murmura Vanel.

Aramis pinça ses lèvres, et quelque chose comme un nuage blanc passa sur sa physionomie.

On devinait la foudre derrière ce nuage. Il ne lâchait point

Vanel.

– Vous avez acheté la charge quinze cent mille livres, n'est-ce pas? Eh bien! on vous donnera ces quinze cent mille livres; vous aurez gagné un million et demi à venir visiter M. Fouquet et à lui toucher la main. Honneur et profit tout à la fois, monsieur Vanel.

– Je ne puis, répondit Vanel sourdement.

– Bien! répondit Aramis, qui avait tellement serré le pourpoint qu'au moment où il le lâcha Vanel fut renvoyé en arrière par la commotion; bien! on voit assez clairement ce que vous êtes venu faire ici.

– Oui, on le voit, dit Fouquet.

– Mais… dit Vanel en essayant de se redresser devant la faiblesse de ces deux hommes d'honneur.

– Le coquin élève la voix, je pense! dit Aramis avec un ton d'empereur.

– Coquin? répéta Vanel.

– C'est misérable que je voulais dire, ajouta Aramis revenu au sang-froid. Allons, tirez vite votre acte de vente, monsieur; vous devez l'avoir là dans quelque poche, tout préparé, comme l'assassin tient son pistolet ou son poignard caché sous son manteau.

Vanel grommela.

– Assez! cria Fouquet. Cet acte, voyons!

Vanel fouilla en tremblotant dans sa poche; il en retira son portefeuille, et du portefeuille s'échappa un papier, tandis que Vanel offrait l'autre à Fouquet.

Aramis fondit sur ce papier, dont il venait de reconnaître l'écriture.

– Pardon, c'est la minute de l'acte, dit Vanel.

– Je le vois bien, repartit Aramis avec un sourire plus cruel que n'eût été un coup de fouet, et, ce que j'admire c'est que cette minute est de la main de M. Colbert. Tenez, monseigneur, regardez.

Il passa la minute à Fouquet, lequel reconnut la vérité du fait. Surchargé de ratures, de mots ajoutés, les marges toutes noircies, cet acte, vivant témoignage de la trame de Colbert, venait de tout révéler à la victime.

– Eh bien? murmura Fouquet.

Vanel, atterré, semblait chercher un trou profond pour s'y engloutir.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
560 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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