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Kitabı oku: «Le vicomte de Bragelonne, Tome III.», sayfa 30

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– Eh bien! dit Aramis, si vous ne vous appeliez Fouquet, et si votre ennemi ne s'appelait Colbert; si vous n'aviez en face que ce lâche voleur que voici, je vous dirais: Niez… une pareille preuve détruit toute parole; mais ces gens-là croiraient que vous avez peur; ils vous craindraient moins; tenez, monseigneur.

Il lui présenta la plume.

– Signez, dit-il.

Fouquet serra la main d'Aramis; mais, au lieu de l'acte qu'on lui présentait, il prit la minute.

– Non, pas ce papier, dit vivement Aramis, mais celui-ci, l'autre est trop précieux pour que vous ne le gardiez point.

– Oh! non pas, répliqua Fouquet, je signerai sur l'écriture même de M. Colbert, et j'écris: «Approuvé l'écriture.»

Il signa.

– Tenez, monsieur Vanel, dit-il ensuite.

Vanel saisit le papier, donna son argent et voulut s'enfuir.

– Un moment! dit Aramis. Êtes-vous bien sûr qu'il y a le compte de l'argent? Cela se compte, monsieur Vanel, surtout quand c'est de l'argent que M. Colbert donne aux femmes. Ah! c'est qu'il n'est pas généreux comme M. Fouquet, ce digne M. Colbert.

Et Aramis, épelant chaque mot, chaque lettre du bon à toucher, distilla toute sa colère et tout son mépris goutte à goutte sur le misérable, qui souffrit un demi-quart d'heure ce supplice; puis on le renvoya, non pas même de la voix, mais d'un geste, comme on renvoie un manant, comme on chasse un laquais.

Une fois que Vanel fut parti, le ministre et le prélat, les yeux fixés l'un sur l'autre, gardèrent un instant le silence.

– Eh bien! fit Aramis rompant le silence le premier, à quoi comparez-vous un homme qui, devant combattre un ennemi cuirassé, armé, enragé, se met nu, jette ses armes et envoie des baisers gracieux à l'adversaire? La bonne foi, monsieur Fouquet, c'est une arme dont les scélérats usent souvent contre les gens de bien, et elle leur réussit. Les gens de bien devraient donc user aussi de mauvaise foi contre les coquins. Vous verriez comme ils seraient forts sans cesser d'être honnêtes.

– On appellerait leurs actes des actes de coquins, répliqua

Fouquet.

– Pas du tout; on appellerait cela de la coquetterie, de la probité. Enfin, puisque vous avez terminé avec ce Vanel, puisque vous vous êtes privé du bonheur de le terrasser en lui reniant votre parole, puisque vous avez donné contre vous la seule arme qui puisse nous perdre…

– Oh! mon ami, dit Fouquet avec tristesse, vous voilà comme le précepteur philosophe dont nous parlait l'autre jour La Fontaine… Il voit que l'enfant se noie et lui fait un discours en trois points.

Aramis sourit.

– Philosophe, oui; précepteur, oui; enfant qui se noie, oui; mais enfant qu'on sauvera, vous allez le voir. Et d'abord, parlons affaires.

Fouquet le regarda d'un air étonné.

– Est-ce que vous ne m'avez pas naguère confié certain projet d'une fête à Vaux?

– Oh! dit Fouquet, c'était dans le bon temps!

– Une fête à laquelle, je crois, le roi s'était invité de lui- même?

– Non, mon cher prélat; une fête à laquelle M. Colbert avait conseillé au roi de s'inviter.

– Ah! oui, comme étant une fête trop coûteuse pour que vous ne vous y ruinassiez point.

– C'est cela. Dans le bon temps, comme je vous disais tout à l'heure, j'avais cet orgueil de montrer à mes ennemis la fécondité de mes ressources; je tenais à l'honneur de les frapper d'épouvante en créant des millions là où ils n'avaient vu que des banqueroutes possibles. Mais, aujourd'hui, je compte avec l'État, avec le roi, avec moi-même; aujourd'hui, je vais devenir l'homme de la lésine; je saurai prouver au monde que j'agis sur des deniers comme sur des sacs de pistoles, et, à partir de demain, mes équipages vendus, mes maisons en gage, ma dépense suspendue…

– À partir de demain, interrompit Aramis tranquillement, vous allez, mon cher ami, vous occuper sans relâche de cette belle fête de Vaux, qui doit être citée un jour parmi les héroïques magnificences de votre beau temps.

– Vous êtes fou, chevalier d'Herblay.

– Moi? Vous ne le pensez pas.

– Comment! Mais savez-vous ce que peut coûter une fête, la plus simple du monde, à Vaux? Quatre à cinq millions.

– Je ne vous parle pas de la plus simple du monde, mon cher surintendant.

– Mais, puisque la fête est donnée au roi, répondit Fouquet, qui se méprenait sur la pensée d'Aramis, elle ne peut être simple.

– Justement, elle doit être de la plus grande magnificence.

– Alors, je dépenserai dix à douze millions.

– Vous en dépenserez vingt s'il le faut, dit Aramis sans émotion.

– Où les prendrais-je? s'écria Fouquet.

– Cela me regarde, monsieur le surintendant, et ne concevez pas un instant d'inquiétude. L'argent sera plus vite à votre disposition que vous n'aurez arrêté le projet de votre fête.

– Chevalier! chevalier! dit Fouquet saisi de vertige, où m'entraînez vous?

– De l'autre côté du gouffre où vous alliez tomber, répliqua l'évêque de Vannes. Accrochez-vous à mon manteau; n'ayez pas peur.

– Que ne m'aviez-vous dit cela plus tôt, Aramis! Un jour s'est présenté où, avec un million, vous m'auriez sauvé.

– Tandis que, aujourd'hui… Tandis que, aujourd'hui, j'en donnerais vingt, dit le prélat. Eh bien! soit!.. Mais la raison est simple, mon ami: le jour dont vous parlez, je n'avais pas à ma disposition le million nécessaire. Aujourd'hui j'aurai facilement les vingt millions qu'il me faut.

– Dieu vous entende et me sauve!

Aramis se reprit à sourire étrangement comme d'habitude.

– Dieu m'entend toujours, moi, dit-il; cela dépend peut-être de ce que je le prie très haut.

– Je m'abandonne à vous sans réserve, murmura Fouquet.

– Oh! je ne l'entends pas ainsi. C'est moi qui suis à vous sans réserve. Aussi, vous qui êtes l'esprit le plus fin, le plus délicat et le plus ingénieux, vous ordonnerez toute la fête jusqu'au moindre détail. Seulement…

– Seulement? dit Fouquet en homme habitué à sentir le prix des parenthèses.

– Eh bien! vous laissant toute l'invention du détail, je me réserve la surveillance de l'exécution.

– Comment cela?

– Je veux dire que vous ferez de moi, pour ce jour-là, un majordome, un intendant supérieur, une sorte de factotum, qui participera du capitaine des gardes et de l'économe; je ferai marcher les gens, et j'aurai les clefs des portes; vous donnerez vos ordres, c'est vrai, mais c'est à moi que vous les donnerez; ils passeront par ma bouche pour arriver à leur destination, vous comprenez?

– Non, je ne comprends pas.

– Mais vous acceptez?

– Pardieu! oui, mon ami.

– C'est tout ce qu'il nous faut. Merci donc et faites votre liste d'invitations.

– Et qui inviterai-je?

– Tout le monde!

Chapitre CLXXXIX – Où il semble à l'auteur qu'il est temps d'en revenir au vicomte de Bragelonne

Nos lecteurs ont vu dans cette histoire se dérouler parallèlement les aventures de la génération nouvelle et celles de la génération passée.

Aux uns le reflet de la gloire d'autrefois, l'expérience des choses douloureuses de ce monde. À ceux-là aussi la paix qui envahit le coeur, et permet au sang de s'endormir autour des cicatrices qui furent de cruelles blessures.

Aux autres les combats d'amour-propre et d'amour, les chagrins amers et les joies ineffables: la vie au lieu de la mémoire.

Si quelque variété a surgi aux yeux du lecteur dans les épisodes de ce récit, la cause en est aux fécondes nuances qui jaillissent de cette double palette, où deux tableaux vont se côtoyant, se mêlant et harmoniant leur ton sévère et leur ton joyeux.

Le repos des émotions de l'un s'y trouve au sein des émotions de l'autre. Après avoir raisonné avec les vieillards, on aime à délirer avec les jeunes gens.

Aussi, quand les fils de cette histoire n'attacheraient pas puissamment le chapitre que nous écrivons à celui que vous venons d'écrire, n'en prendrions-nous pas plus de souci que Ruysdaël n'en prenait pour peindre un ciel d'automne après avoir achevé un printemps.

Nous engageons le lecteur à en faire autant et à reprendre Raoul de Bragelonne à l'endroit où notre dernière esquisse l'avait laissé.

Ivre, épouvanté, désolé, ou plutôt sans raison, sans volonté, sans parti pris, il s'enfuit après la scène dont il avait vu la fin chez La Vallière. Le roi, Montalais, Louise, cette chambre, cette exclusion étrange, cette douleur de Louise, cet effroi de Montalais, ce courroux du roi, tout lui présageait un malheur. Mais lequel?

Arrivé de Londres parce qu'on lui annonçait un danger, il trouvait du premier coup l'apparence de ce danger. N'était-ce point assez pour un amant? oui, certes; mais ce n'était point assez pour un noble coeur, fier de s'exposer sur une droiture égale à la sienne.

Cependant Raoul ne chercha pas les explications là où vont tout de suite les chercher les amants jaloux ou moins timides. Il n'alla point dire à sa maîtresse: «Louise, est-ce que vous ne m'aimez plus? Louise, est-ce que vous en aimez un autre?» Homme plein de courage, plein d'amitié comme il était plein d'amour, religieux observateur de sa parole, et croyant à la parole d'autrui, Raoul se dit: «De Guiche m'a écrit pour me prévenir; de Guiche sait quelque chose; je vais aller demander à de Guiche ce qu'il sait, et lui dire ce que j'ai vu.»

Le trajet n'était pas long. De Guiche, rapporté de Fontainebleau à Paris depuis deux jours, commençait à se remettre de sa blessure et faisait quelques pas dans sa chambre.

Il poussa un cri de joie en voyant Raoul entrer avec sa furie d'amitié.

Raoul poussa un cri de douleur en voyant de Guiche si pâle, si amaigri, si triste. Deux mots et le geste que fit le blessé pour écarter le bras de Raoul suffirent à ce dernier pour lui apprendre la vérité.

– Ah! voilà! dit Raoul en s'asseyant à côté de son ami, on aime et l'on meurt.

– Non, non, l'on ne meurt pas, répliqua de Guiche en souriant, puisque je suis debout, puisque je vous presse dans mes bras.

– Ah! je m'entends.

– Et je vous entends aussi. Vous vous persuadez que je suis malheureux, Raoul.

– Hélas!

– Non. Je suis le plus heureux des hommes! Je souffre avec mon corps, mais non avec mon coeur, avec mon âme. Si vous saviez!.. Oh! je suis le plus heureux des hommes!

– Oh! tant mieux! répondit Raoul; tant mieux, pourvu que cela dure.

– C'est fini; j'en ai pour jusqu'à la mort, Raoul.

– Vous, je n'en doute pas; mais elle…

– Écoutez, ami, je l'aime… parce que… Mais vous ne m'écoutez pas.

– Pardon.

– Vous êtes préoccupé?

– Mais oui. Votre santé, d'abord…

– Ce n'est pas cela.

– Mon cher, vous auriez tort, je crois, de m'interroger, vous.

Et il accentua ce vous de manière à éclairer complètement son ami sur la nature du mal et la difficulté du remède.

– Vous me dites cela, Raoul, à cause de ce que je vous ai écrit.

– Mais oui… Voulez-vous que nous en causions quand vous aurez fini de me conter vos plaisirs et vos peines?

– Cher ami, à vous, bien à vous, tout de suite.

– Merci! J'ai hâte… je brûle… je suis venu de Londres ici en moitié moins de temps que les courriers d'État n'en mettent d'ordinaire. Eh bien! que vouliez-vous?

– Mais rien autre chose, mon ami, que de vous faire venir.

– Eh bien! me voici.

– C'est bien, alors.

– Il y a encore autre chose, j'imagine?

– Ma foi, non!

– De Guiche!

– D'honneur!

– Vous ne m'avez pas arraché violemment à des espérances, vous ne m'avez pas exposé à une disgrâce du roi par ce retour qui est une infraction à ses ordres, vous ne m'avez pas, enfin, attaché la jalousie au coeur, ce serpent, pour me dire: «C'est bien, dormez tranquille.»

– Je ne vous dis pas: «Dormez tranquille», Raoul; mais, comprenez-moi bien, je ne veux ni ne puis vous dire autre chose.

– Oh! mon ami, pour qui me prenez-vous?

– Comment?

– Si vous savez, pourquoi me cachez-vous? Si vous ne savez pas, pourquoi m'avertissez-vous?

– C'est vrai, j'ai eu tort. Oh! je me repens bien, voyez-vous, Raoul. Ce n'est rien que d'écrire à un ami: «Venez!» Mais avoir cet ami en face, le sentir frissonner, haleter sous l'attente d'une parole qu'on n'ose lui dire…

– Osez! J'ai du coeur, si vous n'en avez pas! s'écria Raoul au désespoir.

– Voilà que vous êtes injuste et que vous oubliez avoir affaire à un pauvre blessé… la moitié de votre coeur… Là! calmez-vous! Je vous ai dit: «Venez.» Vous êtes venu; n'en demandez pas davantage à ce malheureux de Guiche.

– Vous m'avez dit de venir, espérant que je verrais, n'est-ce pas?

– Mais…

– Pas d'hésitation! J'ai vu.

– Ah!.. fit de Guiche.

– Ou du moins, j'ai cru…

– Vous voyez bien, vous doutez. Mais, si vous doutez, mon pauvre ami que me reste-t-il à faire?

– J'ai vu La Vallière troublée… Montalais effarée… Le roi…

– Le roi?

– Oui… Vous détournez la tête… Le danger est là, le mal est là, n'est-ce pas? c'est le roi?

– Je ne dis rien.

– Oh! vous en dites mille et mille fois plus! Des faits, par grâce, par pitié, des faits! Mon ami, mon seul ami, parlez! J'ai le coeur percé, saignant; je meurs de désespoir!..

– S'il en est ainsi, cher Raoul, répliqua de Guiche, vous me mettez à l'aise, et je vais vous parler, sûr que je ne dirai que des choses consolantes en comparaison du désespoir que je vous vois.

– J'écoute! j'écoute!..

– Eh bien! fit le comte de Guiche, je puis vous dire ce que vous apprendriez de la bouche du premier venu.

– Du premier venu! on en parle? s'écria Raoul.

– Avant de dire: «On en parle», mon ami, sachez d'abord de quoi l'on peut parler. Il ne s'agit, je vous jure, de rien qui ne soit au fond très innocent; peut-être une promenade…

– Ah! une promenade avec le roi?

– Mais oui, avec le roi; il me semble que le roi s'est promené déjà bien souvent avec des dames, sans que pour cela…

– Vous ne m'eussiez pas écrit, répéterai-je, si cette promenade était bien naturelle.

– Je sais que, pendant cet orage, il faisait meilleur pour le roi de se mettre à l'abri que de rester debout tête nue devant La Vallière; mais…

– Mais?..

– Le roi est si poli!

– Oh! de Guiche, de Guiche, vous me faites mourir!

– Taisons-nous donc.

– Non, continuez. Cette promenade a été suivie d'autres?

– Non, c'est-à-dire, oui; il y a eu l'aventure du chêne. Est-ce cela? Je n'en sais rien.

Raoul se leva. De Guiche essaya de l'imiter malgré sa faiblesse.

– Voyez-vous, dit-il, je n'ajouterai pas un mot; j'en ai trop dit ou trop peu. D'autres vous renseigneront s'ils veulent ou s'ils peuvent: mon office était de vous avertir, je l'ai fait. Surveillez à présent vos affaires vous-même.

– Questionner? Hélas! vous n'êtes pas mon ami, vous qui me parlez ainsi, dit le jeune homme désolé. Le premier que je questionnerai sera un méchant ou un sot; méchant, il me mentira pour me tourmenter; sot, il fera pis encore. Ah! de Guiche! de Guiche! avant deux heures j'aurai trouvé dix mensonges et dix duels. Sauvez-moi! le meilleur n'est-il pas de savoir son mal?

– Mais je ne sais rien, vous dis-je! J'étais blessé, fiévreux: j'avais perdu l'esprit, je n'ai de cela qu'une teinture effacée. Mais, pardieu! nous cherchons loin quand nous avons notre homme sous la main. Est-ce que vous n'avez pas d'Artagnan pour ami?

– Oh! c'est vrai, c'est vrai!

– Allez donc à lui. Il fera la lumière, et ne cherchera pas à blesser vos yeux.

Un laquais entra.

– Qu'y a-t-il? demanda de Guiche.

– On attend M. le comte dans le cabinet des Porcelaines.

– Bien. Vous permettez, cher Raoul? Depuis que je marche, je suis si fier!

– Je vous offrirais mon bras, de Guiche, si je ne devinais que la personne est une femme.

– Je crois que oui, repartit de Guiche en souriant.

Et il quitta Raoul.

Celui-ci demeura immobile, absorbé, écrasé, comme le mineur sur qui une voûte vient de s'écrouler; il est blessé, son sang coule, sa pensée s'interrompt, il essaie de se remettre et de sauver sa vie avec sa raison. Quelques minutes suffirent à Raoul pour dissiper les éblouissements de ces deux révélations. Il avait déjà ressaisi le fil de ses idées quand, soudain, à travers la porte, il crut reconnaître la voix de Montalais dans le cabinet des Porcelaines.

– Elle! s'écria-t-il. Oui, c'est bien sa voix. Oh! voilà une femme qui pourrait me dire la vérité; mais, la questionnerai-je ici? Elle se cache même de moi; elle vient sans doute de la part de Madame… Je la verrai chez elle. Elle m'expliquera son effroi, sa fuite, la maladresse avec laquelle on m'a évincé; elle me dira tout cela… quand M. d'Artagnan, qui sait tout, m'aura raffermi le coeur. Madame… une coquette… Eh bien! oui, une coquette, mais qui aime à ses bons moments, une coquette qui, comme la mort ou la vie, a son caprice, mais qui fait dire à de Guiche qu'il est le plus heureux des hommes. Celui-là, du moins, est sur des roses. Allons!

Il s'enfuit hors de chez le comte, et, tout en se reprochant de n'avoir parlé que de lui-même à de Guiche, il arriva chez d'Artagnan.

Chapitre CXC – Bragelonne continue ses interrogations

Le capitaine était de service; il faisait sa huitaine, enseveli dans le fauteuil de cuir, l'éperon fiché dans le parquet, l'épée entre les jambes, et lisait force lettres en tortillant sa moustache.

D'Artagnan poussa un grognement de joie en apercevant le fils de son ami.

– Raoul, mon garçon, dit-il, par quel hasard est-ce que le roi t'a rappelé?

Ces mots sonnèrent mal à l'oreille du jeune homme, qui, s'asseyant, répliqua:

– Ma foi! je n'en sais rien. Ce que je sais, c'est que je suis revenu.

– Hum! fit d'Artagnan en repliant les lettres avec un regard plein d'intention dirigé vers son interlocuteur. Que dis-tu là, garçon? Que le roi ne t'a pas rappelé, et que te voilà revenu? Je ne comprends pas bien cela.

Raoul était déjà pâle, il roulait déjà son chapeau d'un air contraint.

– Quelle diable de mine fais-tu, et quelle conversation mortuaire! fit le capitaine. Est-ce que c'est en Angleterre qu'on prend ces façons-là? Mordioux! j'y ai été, moi, en Angleterre, et j'en suis revenu gai comme un pinson. Parleras-tu?

– J'ai trop à dire.

– Ah! ah! Comment va ton père?

– Cher ami, pardonnez-moi; j'allais vous le demander.

D'Artagnan redoubla l'acuité de ce regard auquel nul secret ne résistait.

– Tu as du chagrin? dit-il.

– Pardieu! vous le savez bien, monsieur d'Artagnan.

– Moi?

– Sans doute. Oh! ne faites pas l'étonné.

– Je ne fais pas l'étonné, mon ami.

– Cher capitaine, je sais fort bien qu'au jeu de la finesse comme au jeu de la force, je serai battu par vous. En ce moment, voyez- vous, je suis un sot, et je suis un ciron. Je n'ai ni cerveau ni bras, ne me méprisez pas, aidez-moi. En deux mots, je suis le plus misérable des êtres vivants.

– Oh! oh! pourquoi cela? demanda d'Artagnan en débouclant son ceinturon et en adoucissant son sourire.

– Parce que Mlle de La Vallière me trompe.

D'Artagnan ne changea pas de physionomie.

– Elle te trompe! elle te trompe! voilà de grands mots. Qui te les a dits?

– Tout le monde.

– Ah! si tout le monde l'a dit, il faut qu'il y ait quelque chose de vrai. Moi, je crois au feu quand je vois la fumée. Cela est ridicule, mais cela est.

– Ainsi, vous croyez? s'écria vivement Bragelonne.

– Ah! si tu me prends à partie…

– Sans doute.

– Je ne me mêle pas de ces affaires-là, moi; tu le sais bien.

– Comment, pour un ami? pour un fils?

– Justement. Si tu étais un étranger, je te dirais… je ne te dirais rien du tout… Comment va Porthos, le sais-tu?

– Monsieur, s'écria Raoul, en serrant la main de d'Artagnan, au nom de cette amitié que vous avez vouée à mon père!

– Ah! diable! tu es bien malade… de curiosité.

– Ce n'est pas de curiosité, c'est d'amour.

– Bon! autre grand mot. Si tu étais réellement amoureux, mon cher

Raoul, ce serait différent.

– Que voulez-vous dire?

– Je te dis que, si tu étais pris d'un amour tellement sérieux, que je pusse croire m'adresser toujours à ton coeur… Mais c'est impossible.

– Je vous dis que j'aime éperdument Louise.

D'Artagnan lut avec ses yeux au fond du coeur de Raoul.

– Impossible, te dis-je… Tu es comme tous les jeunes gens; tu n'es pas amoureux, tu es fou.

– Eh bien! quand il n'y aurait que cela?

– Jamais homme sage n'a fait dévier une cervelle d'un crâne qui tourne. J'y ai perdu mon latin cent fois en ma vie. Tu m'écouterais, que tu ne m'entendrais pas; tu m'entendrais, que tu ne me comprendrais pas; tu me comprendrais, que tu ne m'obéirais pas.

– Oh! essayez, essayez!

– Je dis plus: si j'étais assez malheureux pour savoir quelque chose et assez bête pour t'en faire part… Tu es mon ami, dis-tu?

– Oh! oui.

– Eh bien! je me brouillerais avec toi. Tu ne me pardonnerais jamais d'avoir détruit ton illusion, comme on dit en amour.

– Monsieur d'Artagnan, vous savez tout; vous me laissez dans l'embarras, dans le désespoir, dans la mort! c'est affreux!

– Là! là!

– Je ne crie jamais, vous le savez. Mais, comme mon père et Dieu ne me pardonneraient jamais de m'être cassé la tête d'un coup de pistolet, eh bien! je vais aller me faire conter ce que vous me refusez par le premier venu; je lui donnerai un démenti…

– Et tu le tueras? la belle affaire! Tant mieux! Qu'est-ce que cela me fait à moi? Tue, mon garçon, tue, si cela peut te faire plaisir. C'est comme pour les gens qui ont mal aux dents; ils me disent: «Oh! que je souffre! Je mordrais dans du fer.» Je leur dis: «Mordez, mes amis, mordez! la dent y restera.»

– Je ne tuerai pas, monsieur, dit Raoul d'un air sombre.

– Oui, oh! oui, vous prenez de ces airs-là, vous autres, aujourd'hui. Vous vous ferez tuer, n'est-ce pas? Ah! que c'est joli! et comme je te regretterai, par exemple! Comme je dirai toute la journée: «C'était un fier niais, que le petit Bragelonne! une double brute! J'avais passé ma vie à lui faire tenir proprement une épée, et ce drôle est allé se faire embrocher comme un oiseau.: Allez, Raoul, allez vous faire tuer, mon ami. Je ne sais pas qui vous a appris la logique; mais, Dieu me damne! comme disent les Anglais, celui-là, monsieur a volé l'argent de votre père.

Raoul, silencieux, enfonça sa tête dans ses mains et murmura:

– On n'a pas d'amis, non!

– Ah bah! dit d'Artagnan.

– On n'a que des railleurs ou des indifférents.

– Sornettes! Je ne suis pas un railleur, tout Gascon que je suis. Et indifférent! Si je l'étais, il y a un quart d'heure déjà que je vous aurais envoyé à tous les diables; car vous rendriez triste un homme fou de joie, et mort un homme triste. Comment, jeune homme, vous voulez que j'aille vous dégoûter de votre amoureuse, et vous apprendre à exécrer les femmes, qui sont l'honneur et la félicité de la vie humaine?

– Monsieur, dites, dites, et je vous bénirai!

– Eh! mon cher, croyez-vous, par hasard, que je me suis fourré dans la cervelle toutes les affaires du menuisier et du peintre, de l'escalier et du portrait, et cent mille autres contes à dormir debout?

– Un menuisier! qu'est-ce que signifie ce menuisier?

– Ma foi! je ne sais pas; on m'a dit qu'il y avait un menuisier qui avait percé un parquet.

– Chez La Vallière?..

– Ah! je ne sais pas où.

– Chez le roi?

– Bon! Si c'était chez le roi, j'irais vous le dire, n'est-ce pas?

– Chez qui, alors?

– Voilà une heure que je me tue à vous répéter que je l'ignore.

– Mais le peintre, alors? ce portrait?..

– Il paraîtrait que le roi aurait fait faire le portrait d'une dame de la Cour.

– De La Vallière?

– Eh! tu n'as que ce nom-là dans la bouche. Qui te parle de La

Vallière?

– Mais, alors, si ce n'est pas d'elle, pourquoi voulez-vous que cela me touche?

– Je ne veux pas que cela te touche. Mais tu me questionnes, je te réponds. Tu veux savoir la chronique scandaleuse, je te la donne. Fais-en ton profit.

Raoul se frappa le front avec désespoir.

– C'est à en mourir! dit-il.

– Tu l'as déjà dit.

– Oui, vous avez raison.

Et il fit un pas pour s'éloigner.

– Où vas-tu? dit d'Artagnan.

– Je vais trouver quelqu'un qui me dira la vérité.

– Qui cela?

– Une femme.

– Mlle de La Vallière elle-même, n'est-ce pas? dit d'Artagnan avec un sourire. Ah! tu as là une fameuse idée; tu cherchais à être consolé, tu vas l'être tout de suite. Elle ne te dira pas de mal d'elle-même, va.

– Vous vous trompez, monsieur, répliqua Raoul; la femme à qui je m'adresserai me dira beaucoup de mal.

– Montalais, je parie?

– Oui, Montalais.

– Ah! son amie? Une femme qui, en cette qualité, exagérera fortement le bien ou le mal. Ne parlez pas à Montalais, mon bon Raoul.

– Ce n'est pas la raison qui vous pousse à m'éloigner de

Montalais.

– Eh bien! je l'avoue… Et, de fait, pourquoi jouerais-je avec toi comme le chat avec une pauvre souris? Tu me fais peine, vrai. Et si je désire que tu ne parles pas à la Montalais, en ce moment, c'est que tu vas livrer ton secret et qu'on en abusera. Attends, si tu peux.

– Je ne peux pas.

– Tant pis! Vois-tu, Raoul, si j'avais une idée… Mais je n'en ai pas.

– Promettez-moi, mon ami, de me plaindre, cela me suffira, et laissez-moi sortir d'affaire tout seul.

– Ah bien! oui! t'embourber, à la bonne heure! Place-toi ici, à cette table, et prends la plume.

– Pour quoi faire?

– Pour écrire à la Montalais et lui demander un rendez-vous.

– Ah! fit Raoul en se jetant sur la plume que lui tendait le capitaine.

Tout à coup la porte s'ouvrit, et un mousquetaire, s'approchant de d'Artagnan:

– Mon capitaine, dit-il, il y a là Mlle de Montalais qui voudrait vous parler.

– À moi? murmura d'Artagnan. Qu'elle entre, et je verrai bien si c'était à moi qu'elle voulait parler.

Le rusé capitaine avait flairé juste.

Montalais, en entrant, vit Raoul, et s'écria:

– Monsieur! Monsieur!.. Pardon, monsieur d'Artagnan.

– Je vous pardonne, mademoiselle, dit d'Artagnan; je sais qu'à mon âge ceux qui me cherchent bien ont besoin de moi.

– Je cherchais M. de Bragelonne, répondit Montalais.

– Comme cela se trouve! je vous cherchais aussi.

– Raoul, ne voulez-vous pas aller avec Mademoiselle!

– De tout mon coeur.

– Allez donc!

Et il poussa doucement Raoul hors du cabinet; puis, prenant la main de Montalais:

– Soyez bonne fille, dit-il tout bas; ménagez-le, et ménagez-la.

– Ah! dit-elle sur le même ton, ce n'est pas moi qui lui parlerai.

– Comment cela?

– C'est Madame qui le fait chercher.

– Ah! bon! s'écria d'Artagnan, c'est Madame! Avant une heure, le pauvre garçon sera guéri.

– Ou mort! fit Montalais avec compassion. Adieu, monsieur d'Artagnan!

Et elle courut rejoindre Raoul, qui l'attendait loin de la porte, bien intrigué, bien inquiet de ce dialogue qui ne promettait rien de bon.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
560 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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