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Kitabı oku: «Le vicomte de Bragelonne, Tome IV.», sayfa 20

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Chapitre CCXXXIII – M. de Beaufort

Le prince se retourna au moment où Raoul, pour le laisser seul avec Athos, fermait la porte et s'apprêtait à passer avec les officiers dans une salle voisine.

– C'est là ce jeune garçon que j'ai tant entendu vanter par M. le prince? demanda M. de Beaufort.

– C'est lui, oui, monseigneur.

– C'est un soldat! Il n'est pas de trop, gardez-le, comte.

– Restez, Raoul, puisque Monseigneur le permet, dit Athos.

– Le voilà grand et beau, sur ma foi! continua le duc. Me le donnerez vous, monsieur, si je vous le demande?

– Comment l'entendez-vous, monseigneur, dit Athos.

– Oui, je viens ici pour vous faire mes adieux.

– Vos adieux, monseigneur?

– Oui, en vérité. N'avez-vous aucune idée de ce que je vais devenir?

– Mais ce que vous avez toujours été, monseigneur, un vaillant prince et un excellent gentilhomme.

– Je vais devenir un prince d'Afrique, un gentilhomme bédouin. Le roi m'envoie pour faire des conquêtes chez les Arabes.

– Que dites-vous là, monseigneur?

– C'est étrange, n'est-ce pas? Moi, le Parisien par essence, moi qui ai régné sur les faubourgs et qu'on appelait le roi des Halles, je passe de la place Maubert aux minarets de Djidgelli; je me fais de frondeur aventurier!

– Oh! monseigneur, si vous ne me disiez pas cela…

– Ce ne serait pas croyable, n'est-il pas vrai? Croyez moi cependant, et disons-nous adieu. Voilà ce que c'est que de rentrer en faveur.

– En faveur?

– Oui. Vous souriez? Ah! Cher comte, savez-vous pourquoi j'aurais accepté? le savez-vous bien?

– Parce que Votre Altesse aime la gloire avant tout.

– Oh! non, ce n'est pas glorieux, voyez-vous, d'aller tirer le mousquet contre ces sauvages. La gloire, je ne la prends pas par là, moi, et il est plus probable que j'y trouverai autre chose… Mais j'ai voulu et je veux, entendez-vous bien, mon cher comte? que ma vie ait cette dernière facette après tous les bizarres miroitements que je me suis vu faire depuis cinquante ans. Car enfin, vous l'avouerez, c'est assez étrange d'être né fils de roi, d'avoir fait la guerre à des rois, d'avoir compté parmi les puissances dans le siège, d'avoir bien tenu son rang, de sentir son Henri IV, d'être grand amiral de France, et d'aller se faire tuer à Djidgelli, parmi tous ces Turcs, Sarrasins et Mauresques.

– Monseigneur, vous insistez étrangement sur ce sujet, dit Athos troublé. Comment supposez-vous qu'une si brillante destinée ira se perdre sous ce misérable éteignoir?

– Est-ce que vous croyez, homme juste et simple, que, si je vais en Afrique pour ce ridicule motif, je ne chercherai pas à en sortir sans ridicule? Est-ce que je ne ferai pas parler de moi? Est-ce que, pour faire parler de moi aujourd'hui quand il y a M. le prince, M. de Turenne et plusieurs autres, mes contemporains, moi, l'amiral de France, le fils de Henri IV, le roi de Paris, j'ai autre chose à faire que de me faire tuer? Cordieu! on en parlera, vous dis-je; je serais tué envers et contre tous. Si ce n'est pas là, ce sera ailleurs.

– Allons, monseigneur, répondit Athos, voilà de l'exagération, et vous n'en avez jamais montré qu'en bravoure.

– Peste! cher ami, c'est bravoure que s'en aller au scorbut, aux dysenteries, aux sauterelles, aux flèches empoisonnées, comme mon aïeul saint Louis. Savez-vous qu'ils ont encore des flèches empoisonnées, ces drôles-là? Et puis, vous me connaissez, j'y pense depuis longtemps et, vous le savez, quand je veux une chose, je la veux bien.

– Vous avez voulu sortir de Vincennes, monseigneur.

– Oh! vous m'y avez aidé, mon maître; et, à propos, je me tourne et retourne sans apercevoir mon vieil ami, M. Vaugrimaud. Comment va-t-il?

– M. Vaugrimaud est toujours le très respectueux serviteur de

Votre Altesse, dit en souriant Athos.

– J'ai là cent pistoles pour lui que j'apporte comme legs. Mon testament est fait, comte.

– Ah! monseigneur! monseigneur!

– Et vous comprenez que, si l'on voyait Grimaud sur mon testament…

Le duc se mit à rire; puis, s'adressant à Raoul qui, depuis le commencement de cette conversation, était tombé dans une rêverie profonde:

– Jeune homme, dit-il, je sais ici un certain vin de Vouvray, je crois…

Raoul sortit précipitamment pour faire servir le duc. Pendant ce temps, M. de Beaufort prenait la main d'Athos.

– Qu'en voulez-vous faire? demanda-t-il.

– Rien, quant à présent, monseigneur.

– Ah! oui, je sais; depuis la passion du roi pour… La Vallière.

– Oui, monseigneur.

– C'est donc vrai, tout cela?.. Je l'ai connue, moi, je crois, cette petite La Vallière. Elle n'est pas belle, il me semble…

– Non, monseigneur, dit Athos.

– Savez-vous qui elle me rappelle?

– Elle rappelle quelqu'un à Votre Altesse?

– Elle me rappelle une jeune fille assez agréable, dont la mère habitait les Halles.

– Ah! ah! fit Athos en souriant.

– Le bon temps! ajouta M. de Beaufort. Oui La Vallière me rappelle cette fille.

– Qui eut un fils, n'est-ce pas?

– Je crois que oui, répondit le duc avec une naïveté insouciante, avec un oubli complaisant, dont rien ne saurait traduire le ton et la valeur vocale. Or, voilà le pauvre Raoul, qui est bien votre fils, hein?..

– C'est mon fils, oui, monseigneur.

– Voilà que ce pauvre garçon est débouté par le roi, et l'on boude?

– Mieux que cela, monseigneur, on s'abstient.

– Vous allez laisser croupir ce garçon-là? C'est un tort. Voyons, donnez le-moi.

– Je veux le garder, monseigneur. Je n'ai plus que lui au monde, et, tant qu'il voudra rester…

– Bien, bien, répondit le duc. Cependant, je vous l'eusse bientôt raccommodé. Je vous assure qu'il est d'une pâte dont on fait les maréchaux de France, et j'en ai vu sortir plus d'un d'une étoffe semblable.

– C'est possible, monseigneur, mais c'est le roi qui fait les maréchaux de France, et jamais Raoul n'acceptera rien du roi.

Raoul brisa cet entretien par son retour. Il précédait Grimaud, dont les mains, encore sûres, portaient le plateau chargé d'un verre et d'une bouteille du vin favori de M. le duc.

En voyant son vieux protégé, le duc poussa une exclamation de plaisir.

– Grimaud! Bonsoir, Grimaud, dit-il; comment va?

Le serviteur s'inclina profondément, aussi heureux que son noble interlocuteur.

– Deux amis! dit le duc en secouant d'une façon vigoureuse l'épaule de l'honnête Grimaud.

Autre salut plus profond et encore plus joyeux de Grimaud.

– Que vois-je là, comte? Un seul verre!

– Je ne bois avec Votre Altesse que si Votre Altesse m'invite, dit Athos avec une noble humilité.

– Cordieu! vous avez raison de n'avoir fait apporter qu'un verre, nous y boirons tous deux comme deux frères d'armes. À vous, d'abord, comte.

– Faites-moi la grâce tout entière, dit Athos en repoussant doucement le verre.

– Vous êtes un charmant ami, répliqua le duc de Beaufort, qui but et passa le gobelet d'or à son compagnon. Mais ce n'est pas tout, continua-t-il: j'ai encore soif et je veux faire honneur à ce beau garçon qui est là debout. Je porte bonheur, vicomte, dit-il à Raoul; souhaitez quelque chose en buvant dans mon verre, et la peste m'étouffe, si ce que vous souhaitez n'arrive pas.

Il tendit le gobelet à Raoul, qui y mouilla précipitamment ses lèvres, et dit avec la même promptitude:

– J'ai souhaité quelque chose, monseigneur.

Ses yeux brillaient d'un feu sombre, le sang avait monté à ses joues; il effraya Athos, rien que par son sourire.

– Et qu'avez-vous souhaité? reprit le duc en se laissant aller dans le fauteuil, tandis que d'une main il remettait la bouteille et une bourse à Grimaud.

– Monseigneur, voulez-vous me promettre de m'accorder ce que j'ai souhaité?

– Pardieu! puisque c'est dit.

– J'ai souhaité, monsieur le duc, d'aller avec vous à Djidgelli.

Athos pâlit et ne put réussir à cacher son trouble.

Le duc regarda son ami, comme pour l'aider à parer ce coup imprévu.

– C'est difficile, mon cher vicomte, bien difficile, ajouta-t-il un peu bas.

– Pardon, monseigneur, j'ai été indiscret, reprit Raoul d'une voix ferme; mais, comme vous m'aviez vous-même invité à souhaiter…

– À souhaiter de me quitter, dit Athos.

– Oh! monsieur… le pouvez-vous croire?

– Eh bien! mordieu! s'écria le duc, il a raison le petit vicomte; que fera-t il ici? Il pourrira de chagrin.

Raoul rougit; le prince, emporté, continua:

– La guerre, c'est une destruction; on y gagne tout, on n'y perd qu'une chose, la vie; alors, tant pis!

– C'est-à-dire la mémoire, fit vivement Raoul, c'est-à-dire tant mieux!

Il se repentit d'avoir parlé si vite, en voyant Athos se lever et ouvrir la fenêtre.

Ce geste cachait sans doute une émotion. Raoul se précipita vers le comte. Mais Athos avait déjà dévoré son regret, car il reparut aux lumières avec une physionomie sereine et impassible.

– Eh bien! fit le duc, voyons! part-il ou ne part-il pas? S'il part, comte, il sera mon aide de camp, mon fils.

– Monseigneur! s'écria Raoul en ployant le genou.

– Monseigneur, s'écria le comte en prenant la main du duc, Raoul fera ce qu'il voudra.

– Oh! non, monsieur, ce que vous voudrez, interrompit le jeune homme.

– Par la corbleu! fit le prince à son tour, ce n'est le comte ni le vicomte qui fera sa volonté, ce sera moi. Je l'emmène. La marine, c'est un avenir superbe, mon ami.

Raoul sourit encore si tristement, que, cette fois; Athos en eut le coeur navré, et lui répondit par un regard sévère.

Raoul comprenait tout; il reprit son calme et s'observa si bien, que plus un mot ne lui échappa.

Le duc se leva, voyant l'heure avancée, et dit très vite:

– Je suis pressé, moi; mais, si l'on me dit que j'ai perdu mon temps à causer avec un ami, je répondrai que j'ai fait une bonne recrue.

– Pardon, monsieur le duc, interrompit Raoul, ne dites pas cela au roi, car ce n'est pas le roi que je servirai.

– Eh! mon ami, qui donc serviras-tu? Ce n'est plus le temps où tu eusses pu dire: «Je suis à M. de Beaufort.» Non, aujourd'hui, nous sommes tous au roi, grands et petits. C'est pourquoi, si tu sers sur mes vaisseaux, pas d'équivoque mon cher vicomte, c'est bien le roi que tu serviras.

Athos attendait, avec une sorte de joie impatiente, la réponse qu'allait faire, à cette embarrassante question, Raoul, l'intraitable ennemi du roi, son rival. Le père espérait que l'obstacle renverserait le désir. Il remerciait presque M. de Beaufort, dont la légèreté ou la généreuse réflexion venait de remettre en doute le départ d'un fils, sa seule joie.

Mais Raoul, toujours ferme et tranquille:

– Monsieur le duc, répliqua-t-il, cette objection que vous me faites, je l'ai déjà résolue dans mon esprit. Je servirai sur vos vaisseaux, puisque vous me faites la grâce de m'emmener; mais j'y servirai un maître plus puissant que le roi, j'y servirai Dieu.

– Dieu! comment cela? firent à la fois Athos et le prince.

– Mon intention est de faire profession et de devenir chevalier de Malte, ajouta Bragelonne, qui laissa tomber une à une ces paroles, plus glacées que les gouttes descendues des arbres noirs après les tempêtes de l'hiver.

Sous ce dernier coup, Athos chancela et le prince fut ébranlé lui- même.

Grimaud poussa un sourd gémissement et laissa tomber la bouteille, qui se brisa sur le tapis sans que nul y fît attention.

M. de Beaufort regarda en face le jeune homme, et lut sur ses traits, bien qu'il eût les yeux baissés, le feu d'une résolution devant laquelle tout devait céder.

Quant à Athos, il connaissait cette âme tendre et inflexible; il ne comptait pas la faire dévier du fatal chemin qu'elle venait de se choisir. Il serra la main que lui tendait le duc.

– Comte, je pars dans deux jours pour Toulon, fit M. de Beaufort. Me viendrez-vous retrouver à Paris pour que je sache votre résolution?

– J'aurai l'honneur d'aller vous y remercier de toutes vos bontés, mon prince, répliqua le comte.

– Et amenez-moi toujours le vicomte, qu'il me suive ou ne me suive pas, ajouta le duc; il a ma parole, et je ne lui demande que la vôtre.

Ayant ainsi jeté un peu de baume sur la blessure de ce coeur paternel, le duc tira l'oreille au vieux Grimaud qui clignait des yeux plus qu'il n'est naturel, et il rejoignit son escorte dans le parterre.

Les chevaux, reposés et frais par cette belle nuit mirent l'espace entre le château et leur maître. Athos et Bragelonne se retrouvèrent seuls face à face.

Onze heures sonnaient.

Le père et le fils gardèrent l'un vis-à-vis de l'autre un silence que tout observateur intelligent eût deviné plein de cris et de sanglots.

Mais ces deux hommes étaient trempés de telle sorte, que toute émotion s'enfonçait, perdue à jamais, quand ils avaient résolu de la comprimer dans leur coeur.

Ils passèrent donc silencieux et presque haletants l'heure qui précède minuit. L'horloge, en sonnant, leur indiqua seule combien de minutes avait duré ce voyage douloureux fait par leurs âmes, dans l'immensité des souvenirs du passé et des craintes de l'avenir.

Athos se leva le premier en disant:

– Il est tard… À demain, Raoul!

Raoul se leva à son tour et vint embrasser son père.

Celui-ci le retint sur sa poitrine, et lui dit d'une voix altérée:

– Dans deux jours, vous m'aurez donc quitté, quitté à jamais,

Raoul?

– Monsieur, répliqua le jeune homme, j'avais fait un projet, celui de me percer le coeur avec mon épée, mais vous m'eussiez trouvé lâche; j'ai renoncé à ce projet, et puis il fallait nous quitter.

– Vous me quittez en partant, Raoul.

– Écoutez-moi encore, monsieur, je vous en supplie. Si je ne pars pas, je mourrai ici de douleur et d'amour. Je sais combien j'ai encore de temps à vivre ici. Renvoyez-moi vite, monsieur, ou vous me verrez lâchement expirer sous vos yeux, dans votre maison; c'est plus fort que ma volonté, c'est plus fort que mes forces; vous voyez bien que, depuis un mois, j'ai vécu trente ans, et que je suis au bout de ma vie.

– Alors, dit Athos froidement, vous partez avec l'intention d'aller vous faire tuer en Afrique? oh! dites-le… ne mentez pas.

Raoul pâlit et se tut pendant deux secondes, qui furent pour son père deux heures d'agonie, puis tout à coup:

– Monsieur, dit-il, j'ai promis de me donner à Dieu. En échange de ce sacrifice que je fais de ma jeunesse et de ma liberté, je ne lui demanderai qu'une chose: c'est de me conserver pour vous, parce que vous êtes le seul lien qui m'attache encore à ce monde. Dieu seul peut me donner la force pour ne pas oublier que je vous dois tout, et que rien ne me doit être avant vous.

Athos embrassa tendrement son fils et lui dit:

– Vous venez de me répondre une parole d'honnête homme; dans deux jours, nous serons chez M. de Beaufort, à Paris: et c'est vous qui ferez alors ce qu'il vous conviendra de faire. Vous êtes libre, Raoul. Adieu!

Et il gagna lentement sa chambre à coucher.

Raoul descendit dans le jardin, où il passa la nuit dans l'allée des tilleuls.

Chapitre CCXXXIV – Préparatifs de départ

Athos ne perdit plus le temps à combattre cette immuable résolution. Il mit tous ses soins à faire préparer, pendant les deux jours que le duc lui avait accordés, tout l'équipage de Raoul. Ce travail regardait le bon Grimaud, lequel s'y appliqua sur-le-champ, avec le coeur et l'intelligence qu'on lui connaît.

Athos donna ordre à ce digne serviteur de prendre la route de Paris quand les équipages seraient prêts, et, pour ne pas s'exposer à faire attendre le duc ou, tout au moins, à mettre Raoul en retard si le duc s'apercevait de son absence, il prit, dès le lendemain de la visite de M. de Beaufort, le chemin de Paris avec son fils.

Ce fut pour le pauvre jeune homme une émotion bien facile à comprendre que celle d'un retour à Paris, au milieu de tous les gens qui l'avaient connu et qui l'avaient aimé.

Chaque visage rappelait, à celui qui avait tant souffert une souffrance, à celui qui avait tant aimé, une circonstance de son amour. Raoul, en se rapprochant de Paris, se sentait mourir. Une fois à Paris, il n'exista réellement plus. Lorsqu'il arriva chez M. de Guiche, on lui expliqua que M. de Guiche était chez Monsieur.

Raoul prit le chemin du Luxembourg, et, une fois arrivé, sans s'être douté qu'il allait dans un endroit où La Vallière avait vécu, il entendit tant de musique et respira tant de parfums, il entendit tant de rires joyeux et vit tant d'ombres dansantes, que, sans une charitable femme qui l'aperçut morne et pâle sous une portière, il fût demeuré là quelques moments, puis serait parti sans jamais revenir.

Mais comme nous l'avons dit, aux premières antichambres il avait arrêté ses pas uniquement pour ne point se mêler à toutes ces existences heureuses qu'il sentait s'agiter dans les salles voisines.

Et, comme un valet de Monsieur, le reconnaissant, lui avait demandé s'il comptait voir Monsieur ou Madame, Raoul lui avait à peine répondu et était tombé sur un banc près de la portière de velours, regardant une horloge qui venait de s'arrêter depuis une heure.

Le valet avait passé; un autre était arrivé alors plus instruit encore, et avait interrogé Raoul pour savoir s'il voulait qu'on prévînt M. de Guiche.

Ce nom n'avait pas éveillé l'attention du pauvre Raoul.

Le valet, insistant, s'était mis à raconter que de Guiche venait d'inventer un jeu de loterie nouveau, et qu'il l'apprenait à ces dames.

Raoul, ouvrant de grands yeux comme le distrait de Théophraste, n'avait plus répondu; mais sa tristesse en avait augmenté de deux nuances.

La tête renversée, les jambes molles, la bouche entrouverte pour laisser passer les soupirs, Raoul restait ainsi oublié dans cette antichambre, quand tout à coup une robe passa en frôlant les portes d'un salon latéral qui débouchait sur cette galerie.

Une femme jeune, jolie et rieuse, gourmandant un officier de service, arrivait par là et s'exprimait avec vivacité.

L'officier répondait par des phrases calmes mais fermes; c'était plutôt un débat d'amants qu'une contestation de gens de cour, qui finit par un baiser sur les doigts de la dame.

Soudain, en apercevant Raoul, la dame se tut, et, repoussant l'officier:

– Sauvez-vous, Malicorne, dit-elle; je ne croyais pas qu'il y eût quelqu'un ici. Je vous maudis si l'on nous a entendus ou vus!

Malicorne s'enfuit en effet; la jeune dame s'avança derrière

Raoul, et, allongeant sa moue enjouée:

– Monsieur est galant homme, dit-elle, et, sans doute…

Elle s'interrompit pour proférer un cri.

– Raoul! dit-elle en rougissant.

– Mademoiselle de Montalais! fit Raoul plus pâle que la mort.

Il se leva en trébuchant et voulut prendre sa course sur la mosaïque glissante; mais elle comprit cette douleur sauvage et cruelle, elle sentit que, dans la fuite de Raoul, il y avait une accusation ou, tout au moins, un soupçon sur elle. Femme toujours vigilante, elle ne crut pas devoir laisser passer l'occasion d'une justification; mais Raoul, arrêté par elle au milieu de cette galerie, ne semblait pas vouloir se rendre sans combat.

Il le prit sur un ton tellement froid et embarrassé que, si l'un ou l'autre eût été surpris ainsi, toute la Cour n'eût plus eu de doutes sur la démarche de Mlle de Montalais.

– Ah! monsieur, dit-elle avec dédain, c'est peu digne d'un gentilhomme, ce que vous faites. Mon coeur m'entraîne à vous parler; vous me compromettez par un accueil presque incivil; vous avez tort, monsieur, et vous confondez vos amis avec vos ennemis. Adieu!

Raoul s'était juré de ne jamais parler de Louise, de ne jamais regarder ceux qui auraient pu voir Louise; il passait dans un autre monde pour n'y jamais rencontrer rien que Louise eût vu, rien qu'elle eût touché. Mais après le premier choc de son orgueil, après avoir entrevu Montalais, cette compagne de Louise, Montalais, qui lui rappelait la petite tourelle de Blois et les joies de sa jeunesse, toute sa raison s'évanouit.

– Pardonnez-moi, mademoiselle; il n'entre pas, il ne peut pas entrer dans ma pensée d'être incivil.

– Vous voulez me parler? dit-elle avec le sourire d'autrefois. Eh bien! venez autre part; car ici, nous pourrions être surpris.

– Où? fit-il.

Elle regarda l'horloge avec indécision; puis, s'étant consultée:

– Chez moi, continua-t-elle; nous avons une heure à nous.

Et prenant sa course, plus légère qu'une fée, elle monta dans sa chambre, et Raoul la suivit.

Là, fermant la porte, et remettant aux mains de sa camériste la mante qu'elle avait tenue jusque-là sous son bras:

– Vous cherchez M. de Guiche? dit-elle à Raoul.

– Oui, mademoiselle.

– Je vais le prier de monter ici, tout à l'heure, quand je vous aurai parlé.

– Faites, mademoiselle.

– M'en voulez-vous?

Raoul la regarda un moment; puis, baissant les yeux:

– Oui, dit-il.

– Vous croyez que j'ai trempé dans ce complot de votre rupture?

– Rupture! dit-il avec amertume. Oh! mademoiselle il n'y a pas rupture là où jamais il n'y eut amour.

– Erreur, répliqua Montalais; Louise vous aimait.

Raoul tressaillit.

– Pas d'amour, je le sais; mais elle vous aimait, et vous eussiez dû l'épouser avant de partir pour Londres.

Raoul poussa un éclat de rire sinistre, qui donna le frisson à

Montalais.

– Vous me dites cela bien à votre aise, mademoiselle!.. Épouse- t-on celle que l'on veut? Vous oubliez donc que le roi gardait déjà pour lui sa maîtresse, dont nous parlons.

– Écoutez, reprit la jeune femme en serrant les mains froides de Raoul dans les siennes, vous avez eu tous les torts; un homme de votre âge ne doit pas laisser seule une femme du sien.

– Il n'y a plus de foi au monde, alors, dit Raoul.

– Non, vicomte, répliqua tranquillement Montalais. Cependant je dois vous dire que si, au lieu d'aimer froidement et philosophiquement Louise, vous l'eussiez éveillée à l'amour…

– Assez, je vous prie, mademoiselle, dit Raoul. Je sens que vous êtes toutes et tous d'un autre siècle que moi. Vous savez rire et vous raillez agréablement. Moi, j'aimais Mlle de…

Raoul ne put prononcer son nom.

– Je l'aimais; eh bien! je croyais en elle; aujourd'hui, j'en suis quitte pour ne plus l'aimer.

– Oh! vicomte! dit Montalais en lui montrant un miroir.

– Je sais ce que vous voulez dire, mademoiselle; je suis bien changé, n'est-ce pas? Eh bien! savez-vous pour quelle raison? C'est que mon visage à moi est le miroir de mon coeur: le dedans a changé comme le dehors.

– Vous êtes consolé? dit aigrement Montalais.

– Non, je ne me consolerai jamais.

– On ne vous comprendra point, monsieur de Bragelonne.

– Je m'en soucie peu. Je me comprends trop bien, moi.

– Vous n'avez même pas essayé de parler à Louise?

– Moi! s'écria le jeune homme avec des yeux étincelants, moi! En vérité, pourquoi ne me conseillez-vous pas de l'épouser? Peut-être le roi y consentirait-il aujourd'hui!

Et il se leva plein de colère.

– Je vois, dit Montalais, que vous n'êtes pas guéri, et que

Louise a un ennemi de plus.

– Un ennemi de plus?

– Oui, les favorites sont mal chéries à la cour de France.

– Oh! tant qu'il lui reste son amant pour la défendre, n'est-ce pas assez? Elle l'a choisi de qualité telle, que les ennemis ne prévaudront pas contre lui.

Mais, s'arrêtant tout à coup:

– Et puis elle vous a pour amie, mademoiselle, ajouta-t-il avec une nuance d'ironie qui ne glissa point hors de la cuirasse.

– Moi? oh! non: je ne suis plus de celles que daigne regarder

Mlle de La Vallière; mais…

Ce _mais, _si gros de menaces et d'orages, ce mais qui fit battre le coeur de Raoul, tant il présageait de douleurs à celle que jadis il aimait tant, ce terrible _mais, _significatif chez une femme comme Montalais, fut interrompu par un bruit assez fort que les deux interlocuteurs entendirent dans l'alcôve, derrière la boiserie.

Montalais dressa l'oreille et Raoul se levait déjà, quand une femme entra, toute tranquille, par cette porte secrète, qu'elle referma derrière elle.

– Madame! s'écria Raoul en reconnaissant la belle-soeur du roi.

– Oh! malheureuse! murmura Montalais en se jetant, mais trop tard, devant la princesse. Je me suis trompée d'une heure.

Elle eut cependant le temps de prévenir Madame, qui marchait sur

Raoul.

– M. de Bragelonne, madame.

Et, sur ces mots, la princesse recula en poussant un cri à son tour.

– Votre Altesse Royale, dit Montalais avec volubilité est donc assez bonne pour penser à cette loterie, et…

La princesse commençait à perdre contenance.

Raoul pressa à la hâte sa sortie sans deviner tout encore, et il sentait cependant qu'il gênait.

Madame préparait un mot de transition pour se remettre, lorsqu'une armoire s'ouvrit en face de l'alcôve et que M. de Guiche sortit tout radieux aussi de cette armoire. Le plus pâle des quatre, il faut le dire, ce fut encore Raoul. Cependant, la princesse faillit s'évanouir et s'appuya sur le pied du lit.

Nul n'osa la soutenir. Cette scène occupa quelques minutes dans un terrible silence.

Raoul le rompit; il alla au comte, dont l'émotion inexprimable faisait trembler les genoux, et, lui prenant la main:

– Cher comte, dit-il, dites bien à Madame que je suis trop malheureux pour ne pas mériter mon pardon; dites-lui bien aussi que j'ai aimé dans ma vie, et que l'horreur de la trahison qu'on m'a faite me rend inexorable pour toute autre trahison qui se commettrait autour de moi. Voilà pourquoi, mademoiselle dit-il en souriant à Montalais, je ne divulguerai jamais le secret des visites de mon ami chez vous. Obtenez de Madame, Madame qui est si clémente et si généreuse, obtenez qu'elle vous les pardonne aussi, elle qui vous a surprise tout à l'heure. Vous êtes libres l'un et l'autre, aimez vous, soyez heureux!

La princesse eut un mouvement de désespoir qui ne se peut traduire; il lui répugnait, malgré l'exquise délicatesse dont venait de faire preuve Raoul, de se sentir à la merci d'une indiscrétion.

Il lui répugnait également d'accepter l'échappatoire offerte par cette délicate supercherie. Vive, nerveuse, elle se débattait contre la double morsure de ces deux chagrins.

Raoul la comprit et vint encore une fois à son aide. Fléchissant le genou devant elle:

– Madame, lui dit-il tout bas, dans deux jours, je serai loin de Paris, et, dans quinze jours, je serai loin de la France, et jamais plus on ne me reverra.

– Vous partez? pensa-t-elle joyeuse.

– Avec M. de Beaufort.

– En Afrique! s'écria de Guiche à son tour. Vous, Raoul? oh! mon ami, en Afrique où l'on meurt!

Et, oubliant tout, oubliant que son oubli même compromettait plus éloquemment la princesse que sa présence: Ingrat, dit-il, vous ne m'avez pas même consulté!

Et il l'embrassa.

Pendant ce temps, Montalais avait fait disparaître Madame, elle était disparue elle-même.

Raoul passa une main sur son front et dit en souriant:

– J'ai rêvé!

Puis, vivement à de Guiche, qui l'absorbait peu à peu:

– Ami, dit-il, je ne me cache pas de vous, qui êtes l'élu de mon coeur: je vais mourir là-bas, votre secret ne passera pas l'année.

– Oh! Raoul! un homme!

– Savez-vous ma pensée, de Guiche? La voici: c'est que je vivrai plus, étant couché sous la terre, que je ne vis depuis un mois. On est chrétien, mon ami, et, si une pareille souffrance continuait, je ne répondrais plus de mon âme.

De Guiche voulut faire ses objections.

– Plus un mot sur moi, dit Raoul, un conseil à vous cher ami; c'est d'une bien autre importance, ce que je vais vous dire.

– Comment cela?

– Sans doute, vous risquez bien plus que moi, vous, puisqu'on vous aime.

– Oh!..

– Ce m'est une joie si douce que de pouvoir vous parler ainsi! Eh bien! de Guiche, défiez-vous de Montalais.

– C'est une bonne amie.

– Elle était amie de… celle que vous savez… elle l'a perdue par l'orgueil.

– Vous vous trompez.

– Et aujourd'hui qu'elle l'a perdue, elle veut lui ravir la seule chose qui rende cette femme excusable à mes yeux.

– Laquelle?

– Son amour.

– Que voulez-vous dire?

– Je veux dire qu'il y a un complot formé contre celle qui est la maîtresse du roi, complot formé dans la maison même de Madame.

– Le pouvez-vous croire?

– J'en suis certain.

– Par Montalais?

– Prenez-la comme la moins dangereuse des ennemies que je redoute pour… l'autre!

– Expliquez-vous bien, mon ami, et, si je puis vous comprendre…

– En deux mots: Madame a été jalouse du roi.

– Je le sais…

– Oh! ne craignez rien, on vous aime, on vous aime, de Guiche; sentez-vous tout le prix de ces deux mots? Ils signifient que vous pouvez lever le front, que vous pouvez dormir tranquille, que vous pouvez remercier Dieu à chaque minute de votre vie! on vous aime, cela signifie que vous pouvez tout entendre, même le conseil d'un ami qui veut vous ménager votre bonheur. On vous aime, de Guiche, on vous aime! Vous ne passerez point ces nuits atroces, ces nuits sans fin que traversent, l'oeil aride et le coeur dévoré, d'autres gens destinés à mourir. Vous vivrez longtemps, si vous faites comme l'avare qui, brin à brin, miette à miette, caresse et entasse diamants et or. On vous aime! permettez-moi de vous dire ce qu'il faut faire pour qu'on vous aime toujours.

De Guiche regarda quelque temps ce malheureux jeune homme à moitié fou de désespoir, et il lui passa dans l'âme comme un remords de son bonheur.

Raoul se remettait de son exaltation fiévreuse pour prendre la voix et la physionomie d'un homme impassible.

– On fera souffrir, dit-il, celle dont je voudrais encore pouvoir dire le nom. Jurez-moi, non seulement que vous n'y aiderez en rien, mais encore que vous la défendrez quand il se pourra, comme je l'eusse fait moi-même.

– Je le jure! répliqua de Guiche.

– Et, dit Raoul, un jour que vous lui aurez rendu quelque grand service, un jour qu'elle vous remerciera, promettez-moi de lui dire ces paroles: «Je vous ai fait ce bien, madame, sur la recommandation de M. de Bragelonne, à qui vous avez fait tant de mal.»

– Je le jure! murmura de Guiche attendri.

– Voilà tout. Adieu! Je pars demain ou après pour Toulon. Si vous avez quelques heures, donnez-les-moi.

– Tout! tout! s'écria le jeune homme.

– Merci!

– Et qu'allez-vous faire de ce pas?

– Je m'en vais retrouver M. le comte chez Planchet, où nous espérons trouver M. d'Artagnan.

– M. d'Artagnan?

– Je veux l'embrasser avant mon départ. C'est un brave homme qui m'aimait. Adieu, cher ami; on vous attend sans doute, vous me retrouverez, quand il vous plaira, au logis du comte. Adieu!

Les deux jeunes gens s'embrassèrent. Ceux qui les eussent vus ainsi l'un et l'autre n'eussent pas manqué de dire en montrant Raoul: «C'est celui-là qui est l'homme heureux.»

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
27 eylül 2017
Hacim:
660 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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