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Kitabı oku: «Le vicomte de Bragelonne, Tome IV.», sayfa 24

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Chapitre CCXL – Entre femmes

D'Artagnan n'avait pu se cacher à ses amis aussi bien qu'il l'eût désiré.

Le soldat stoïque, l'impassible homme d'armes, vaincu par la crainte et les pressentiments, avait donné quelques minutes à la faiblesse humaine.

Aussi, quand il eut fait taire son coeur et calmé le tressaillement de ses muscles, se tournant vers son laquais, silencieux serviteur toujours aux écoutes pour obéir plus vite:

– Rabaud, dit-il, tu sauras que je dois faire trente lieues par jour.

– Bien, mon capitaine, répondit Rabaud.

Et, à partir de ce moment, d'Artagnan, fait à l'allure du cheval, comme un véritable centaure, ne s'occupa plus de rien, c'est-à- dire qu'il s'occupa de tout.

Il se demanda pourquoi le roi le rappelait; pourquoi le Masque-de-

Fer avait jeté un plat d'argent aux pieds.

Quant au premier sujet, la réponse fut négative: il savait trop que, le roi l'appelant, c'était par nécessité; il savait encore que Louis XIV devait éprouver l'impérieux besoin d'un entretien particulier avec celui qu'un si grand secret, mettait au niveau des plus hautes puissances du royaume. Mais, quant à préciser le désir du roi, d'Artagnan ne s'en trouvait pas capable.

Le mousquetaire n'avait plus de doutes non plus sur la raison qui avait poussé l'infortuné Philippe à dévoiler son caractère et sa naissance. Philippe, enseveli à jamais sous son masque de fer, exilé dans un pays où les hommes semblaient servir les éléments; Philippe, privé même de la société de d'Artagnan, qui l'avait comblé d'honneurs et de délicatesses n'avait plus à voir que des spectres et des douleurs en ce monde, et le désespoir commençant à le mordre, il se répandait en plaintes, croyant que les révélations lui susciteraient un vengeur.

La façon dont le mousquetaire avait failli tuer ses deux meilleurs amis, la destinée qui avait si étrangement amené Athos en participation du secret d'État, les adieux de Raoul, l'obscurité de cet avenir qui allait aboutir à une triste mort; tout cela renvoyait incessamment d'Artagnan à de lamentables prévisions, que la rapidité de la marche ne dissipait pas comme jadis.

D'Artagnan passait de ces considérations au souvenir de Porthos et d'Aramis proscrits. Il les voyait fugitifs, traqués, ruinés l'un et l'autre, laborieux architectes d'une fortune qu'il leur faudrait perdre; et, comme le roi appelait son homme d'exécution en un moment de vengeance et de rancune, d'Artagnan tremblait de recevoir quelque commission dont son coeur eût saigné.

Parfois, montant les côtes, quand le cheval essoufflé enflait ses naseaux et développait ses flancs, le capitaine, plus libre de penser, songeait à ce prodigieux génie d'Aramis, génie d'astuce et d'intrigue, comme en avaient produit deux la Fronde et la guerre civile. Soldat, prêtre et diplomate, galant, avide et rusé, Aramis n'avait jamais pris les bonnes choses de la vie que comme marchepied pour s'élever aux mauvaises. Généreux esprit, sinon coeur d'élite, il n'avait jamais fait le mal que pour briller un peu plus. Vers la fin de sa carrière, au moment de saisir le but, il avait fait comme le patricien Fiesque, un faux pas sur une planche, et était tombé dans la mer.

Mais Porthos, ce bon et naïf Porthos! Voir Porthos affamé, voir Mousqueton sans dorures, emprisonné peut-être; voir Pierrefonds, Bracieux, rasés quant aux pierres, déshonorés quant aux futaies, c'étaient là autant de douleurs poignantes pour d'Artagnan, et, chaque fois qu'une de ces douleurs le frappait, il bondissait comme son cheval à la piqûre du taon sous les voûtes de feuillage.

Jamais l'homme d'esprit ne s'est ennuyé s'il a le corps occupé par la fatigue; jamais l'homme sain de corps n'a manqué de trouver la vie légère si quelque chose a captivé son esprit. D'Artagnan, toujours courant, toujours rêvant, descendit à Paris, frais et tendre de muscles, comme l'athlète qui s'est préparé pour le gymnase.

Le roi ne l'attendait pas si tôt et venait de partir pour chasser du côté de Meudon. D'Artagnan, au lieu de courir après le roi comme il eût fait au temps jadis, se débotta, se mit au bain et attendit que Sa Majesté fût revenue bien poudreuse et bien lasse. Il occupa les cinq heures d'intervalle à prendre, comme on dit, l'air de la maison, et à se cuirasser contre toutes les mauvaises chances.

Il apprit que le roi, depuis quinze jours, était sombre; que la reine mère était malade et fort accablée; que Monsieur, frère du roi, tournait à la dévotion; que Madame avait des vapeurs, et que M. de Guiche était parti pour une de ses terres.

Il apprit que M. Colbert était rayonnant que M. Fouquet consultait tous les jours un nouveau médecin, qui ne le guérissait point, et que sa principale maladie n'était pas de celles que les médecins guérissent, sinon les médecins politiques.

Le roi, dit-on à d'Artagnan, faisait à M. Fouquet la plus tendre mine, et ne le quittait plus d'une semelle; mais le surintendant, touché au coeur comme ces beaux arbres qu'un ver a piqués, dépérissait malgré le sourire royal, ce soleil des arbres de cour.

D'Artagnan apprit que Mlle de La Vallière était devenue indispensable au roi; que le prince, durant ses chasses, s'il ne l'emmenait point, lui écrivait plusieurs fois, non plus des vers, mais, ce qui était bien pis, de la prose, et par pages.

Aussi voyait-on le premier roi du monde, comme disait la pléiade poétique d'alors, descendre de cheval d'une ardeur sans seconde, et, sur la forme de son chapeau, crayonner des phrases en phébus, que M. de Saint-Aignan, aide de camp à perpétuité, portait à La Vallière, au risque de crever ses chevaux.

Pendant ce temps les daims et les faisans prenaient leurs ébats, chassés si mollement, que, disait-on, l'art de la vénerie courait risque de dégénérer à la Cour de France.

D'Artagnan alors pensa aux recommandations du pauvre Raoul, à cette lettre de désespoir destinée à une femme qui passait sa vie à espérer, et, comme d'Artagnan aimait à philosopher, il résolut de profiter de l'absence du roi pour entretenir un moment Mlle de La Vallière.

C'était chose aisée: Louise, pendant la chasse royale, se promenait avec quelques dames dans une galerie du Palais-Royal, où précisément le capitaine des mousquetaires avait quelques gardes à inspecter.

D'Artagnan ne doutait pas que, s'il pouvait entamer la conversation sur Raoul, Louise ne lui donnât quelque sujet d'écrire une bonne lettre au pauvre exilé; or, l'espoir, ou du moins la consolation pour Raoul, en une disposition du coeur comme celle où nous l'avons vu, c'était le soleil, c'était la vie de deux hommes qui étaient bien chers à notre capitaine.

Il s'achemina donc vers l'endroit où il savait trouver Mlle de La

Vallière.

D'Artagnan trouva La Vallière fort entourée. Dans son apparente solitude, la favorite du roi recevait, comme une reine, plus que la reine peut-être, un hommage dont Madame avait été si fière, alors que tous les regards du roi étaient pour elle et commandaient tous les regards des courtisans.

D'Artagnan, qui n'était pas un muguet, ne recevait pourtant que caresses et gentillesses des dames; il était poli comme un brave, et sa réputation terrible lui avait concilié autant d'amitié chez les hommes que d'admiration chez les femmes.

Aussi, en le voyant entrer, les filles d'honneur lui adressèrent- elles la parole. Elles débutèrent par des questions.

Où avait-il été? Qu'était-il devenu? Pourquoi ne l'avait-on pas vu faire, avec son beau cheval, toutes ces belles voltes qui émerveillaient les curieux au balcon du roi?

Il répliqua qu'il arrivait du pays des oranges.

Ces demoiselles se mirent à rire. On était au temps où tout le monde voyageait, et où, pourtant, un voyage de cent lieues était un problème résolu souvent par la mort.

– Du pays des oranges? s'écria Mlle de Tonnay-Charente; de l'Espagne?

– Eh! eh! fit le mousquetaire.

– De Malte? dit Montalais.

– Ma foi! vous approchez, mesdemoiselles.

– C'est d'une île? demanda La Vallière.

– Mademoiselle, dit d'Artagnan, je ne veux pas vous faire chercher: c'est du pays où M. de Beaufort s'embarque à l'heure qu'il est pour passer en Alger.

– Avez-vous vu l'armée? demandèrent plusieurs belliqueuses.

– Comme je vous vois, répliqua d'Artagnan.

– Et la flotte?

– J'ai tout vu.

– Avons-nous des amis par-là? fit Mlle de Tonnay-Charente froidement, mais de manière à attirer l'attention sur ce mot, d'une portée calculée.

– Mais, répliqua d'Artagnan, nous avons M. de La Guillotière,

M. de Mouchy, M. de Bragelonne.

La Vallière pâlit.

– M. de Bragelonne? s'écria la perfide Athénaïs. Eh quoi! il est parti en guerre… lui?

Montalais lui marcha sur le pied, mais vainement.

– Savez-vous mon idée? continua-t-elle sans pitié en s'adressant à d'Artagnan.

– Non, mademoiselle, et je voudrais bien la savoir.

– Mon idée, c'est que tous les hommes qui vont faire cette guerre sont des désespérés que l'amour a traités mal, et qui vont chercher des Noires moins cruelles que ne l'étaient les Blanches.

Quelques dames se mirent à rire; La Vallière perdait son maintien;

Montalais toussait à réveiller un mort.

– Mademoiselle, interrompit d'Artagnan, vous faites erreur quand vous parlez des femmes noires de Djidgelli; les femmes, là-bas, ne sont pas noires; il est vrai qu'elles ne sont pas blanches: elles sont jaunes.

– Jaunes!

– Eh! n'en dites pas de mal; je n'ai jamais vu de plus belle couleur à marier avec des yeux noirs et une bouche de corail.

– Tant mieux pour M. de Bragelonne! fit Mlle de Tonnay-Charente avec insistance, il se dédommagera, le pauvre garçon.

Il se fit un profond silence sur ces paroles.

D'Artagnan eut le temps de réfléchir que les femmes, ces douces colombes, se traitent entre elles beaucoup plus cruellement que les tigres et les ours.

Ce n'était pas assez pour Athénaïs d'avoir fait pâlir La Vallière; elle voulut la faire rougir.

Reprenant la conversation sans mesure:

– Savez-vous, Louise, dit-elle, que vous voilà un gros péché sur la conscience!

– Quel péché, mademoiselle? balbutia l'infortunée en cherchant un appui autour d'elle sans le trouver.

– Eh! mais, poursuivit Athénaïs, ce garçon vous était fiancé. Il vous aimait. Vous l'avez repoussé.

– C'est un droit qu'on a quand on est honnête femme, reprit Montalais d'un air précieux. Lorsqu'on sait ne devoir pas faire le bonheur d'un homme, mieux vaut le repousser.

Louise ne put pas comprendre si elle devait un blâme ou un remerciement à celle qui la défendait ainsi.

– Repousser! repousser! c'est fort bon, dit Athénaïs, mais là n'est pas le péché que Mlle de La Vallière aurait à se reprocher. Le vrai péché, c'est d'envoyer ce pauvre Bragelonne à la guerre; à la guerre, où l'on trouve la mort.

Louise passa une main sur son front glacé.

– Et s'il meurt, continua l'impitoyable, vous l'aurez tué: voilà le péché.

Louise, à demi morte elle-même, vint en chancelant prendre le bras du capitaine des mousquetaires, dont le visage trahissait une émotion inaccoutumée.

– Vous aviez à me parler, monsieur d'Artagnan, dit-elle d'une voix altérée par la colère et la douleur. Qu'aviez-vous à me dire?

D'Artagnan fit plusieurs pas dans la galerie, tenant Louise sous son bras; puis, lorsqu'ils furent assez loin des autres:

– Ce que j'avais à vous dire, mademoiselle, répliqua-t-il, Mlle de Tonnay Charente vient de vous l'exprimer brutalement, mais en entier.

Elle poussa un petit cri, et, navrée par cette nouvelle blessure, prit sa course comme ces pauvres oiseaux frappés à mort, qui cherchent l'ombre du hallier pour mourir.

Elle disparut par une porte, au moment où le roi entrait par une autre.

Le premier regard du prince fut pour le siège vide de sa maîtresse; n'apercevant pas La Vallière, il fronça le sourcil; mais aussitôt il vit d'Artagnan qui le saluait.

– Ah! monsieur, dit-il, vous avez fait bonne diligence et je suis content de vous.

C'était l'expression superlative de la satisfaction royale. Bien des hommes devaient se faire tuer pour obtenir ce mot-là du roi.

Les filles d'honneur et les courtisans, qui avaient fait un cercle respectueux autour du roi à son entrée, s'écartèrent en le voyant chercher le secret avec son capitaine de mousquetaires.

Le roi prit les devants et emmena d'Artagnan hors de la salle, après avoir encore une fois cherché des yeux La Vallière, dont il ne comprenait point l'absence.

Une fois hors de la portée des oreilles curieuses:

– Eh bien! dit-il, monsieur d'Artagnan, le prisonnier?

– Dans sa prison, Sire.

– Qu'a-t-il dit en chemin?

– Rien, Sire.

– Qu'a-t-il fait?

– Il y a eu un moment où le pêcheur à bord duquel je passais à Sainte-Marguerite s'est révolté, et m'a voulu tuer. Le… le prisonnier m'a défendu au lieu d'essayer à s'enfuir.

Le roi pâlit.

– Assez, dit-il.

D'Artagnan s'inclina.

Louis se promena de long en large dans son cabinet.

– Vous étiez à Antibes, dit-il, quand M. de Beaufort y est venu?

– Non, Sire, je partais quand le duc est arrivé.

– Ah!

Nouveau silence.

– Qu'avez-vous vu là-bas?

– Beaucoup de gens, répliqua d'Artagnan avec froideur.

Le roi vit que d'Artagnan ne voulait pas parler.

– Je vous ai fait venir, monsieur le capitaine, pour vous dire d'aller préparer mes logements à Nantes.

– À Nantes? s'écria d'Artagnan.

– En Bretagne.

– Oui, Sire, en Bretagne. Votre Majesté fait ce long voyage de

Nantes?

– Les États s'y assemblent, répondit le roi. J'ai deux demandes à leur faire: j'y veux être.

– Quand partirai-je? dit le capitaine.

– Ce soir… demain… demain au soir, car vous avez besoin de repos.

– Je suis reposé, Sire.

– À merveille… Alors, entre ce soir et demain, à votre gré.

D'Artagnan salua comme pour prendre congé; puis, voyant le roi très embarrassé:

– Le roi, dit-il, et il fit deux pas en avant, le roi emmène-t-il la Cour?

– Mais oui.

– Alors le roi aura besoin des mousquetaires, sans doute?

Et l'oeil pénétrant du capitaine fit baisser le regard du roi.

– Prenez-en une brigade, répliqua Louis.

– Voilà tout?.. Le roi n'a pas d'autres ordres à me donner?

– Non… Ah!.. Si fait!..

– J'écoute.

– Au château de Nantes, qui est fort mal distribué, dit-on, vous prendrez l'habitude de mettre des mousquetaires à la porte de chacun des principaux dignitaires que j'emmènerai.

– Des principaux?

– Oui.

– Comme, par exemple, à la porte de M. de Lyonne?

– Oui.

– De M. Le Tellier?

– Oui.

– De M. de Brienne?

– Oui.

– Et de M. le surintendant?

– Sans doute.

– Fort bien, Sire. Je serai parti demain.

– Oh! encore un mot, monsieur d'Artagnan. Vous rencontrerez à Nantes M. le duc de Gesvres, capitaine des gardes. Ayez soin que vos mousquetaires soient placés avant que ses gardes n'arrivent.

– Oui, Sire.

– Et si M. de Gesvres vous questionnait?

– Allons donc, Sire! est-ce que M. de Gesvres me questionnera?

Et cavalièrement, le mousquetaire tourna sur ses talons et disparut.

«À Nantes! se dit-il en descendant les degrés. Pourquoi n'a-t-il pas osé dire tout de suite à Belle-Île?»

Comme il touchait à la grande porte, un commis de M. de Brienne courut après lui.

– Monsieur d'Artagnan! dit-il, pardon…

– Qu'y a-t-il, monsieur Ariste?

– C'est un bon que le roi m'a chargé de vous remettre.

– Sur votre caisse? demanda le mousquetaire.

– Non, monsieur, sur la caisse de M. Fouquet.

D'Artagnan, surpris, lut le bon, qui était de la main du roi, et pour deux cents pistoles.

«Quoi! pensa-t-il après avoir remercié gracieusement le commis de

M. Brienne, c'est par M. Fouquet qu'on fera payer ce voyage-là!

Mordioux! voilà du pur Louis XI. Pourquoi n'avoir pas fait ce bon sur la caisse de M. Colbert? Il eût payé avec tant de joie!»

Et d'Artagnan, fidèle à son principe de ne laisser jamais refroidir un bon à vue, s'en alla chez M. Fouquet pour toucher ses deux cents pistoles.

Chapitre CCXLI – La cène

Le surintendant avait sans doute reçu avis du prochain départ pour

Nantes, car il donnait un dîner d'adieu à ses amis.

Du bas de la maison jusqu'en haut, l'empressement des valets portant des plats, et l'activité des registres, témoignaient d'un bouleversement prochain dans la caisse et dans la cuisine.

D'Artagnan, son bon à la main, se présenta dans les bureaux, où cette réponse lui fut faite qu'il était trop tard pour toucher, que la caisse était fermée.

Il répondit par ce seul mot:

– Service du roi.

Le commis, un peu troublé, tant la mine du capitaine était grave, répliqua que c'était une raison respectable, mais que les habitudes de la maison étaient respectables aussi; qu'en conséquence, il priait le porteur de repasser le lendemain.

D'Artagnan demanda qu'on lui fît voir M. Fouquet.

Le commis riposta que M. le surintendant ne se mêlait point de ces sortes de détails, et, brusquement, il ferma sa dernière porte au nez de d'Artagnan.

Celui-ci avait prévu le coup, et mis sa botte entre la porte et le chambranle, de sorte que la serrure ne joua point, et que le commis se rencontra encore nez à nez avec son interlocuteur. Aussi changea-t-il de thème pour dire à d'Artagnan, avec une politesse effrayée:

– Si Monsieur veut parler à M. le surintendant, qu'il aille aux antichambres; ici sont les bureaux, où Monseigneur ne vient jamais.

– À la bonne heure! dites donc cela! répliqua d'Artagnan.

– De l'autre côté de la cour, fit le commis, enchanté d'être libre.

D'Artagnan traversa la cour, et tomba au milieu des valets.

– Monseigneur ne reçoit pas à cette heure, lui fut-il répondu par un drôle qui portait sur un plat de vermeil trois faisans et douze cailles.

– Dites-lui, fit le capitaine en arrêtant le valet par le bout de son plat, que je suis M. d'Artagnan, capitaine-lieutenant des mousquetaires de Sa Majesté.

Le valet poussa un cri de surprise et disparut.

D'Artagnan l'avait suivi à pas lents. Il arriva juste à temps pour trouver dans l'antichambre M. Pélisson, qui, un peu pâle, venait de la salle à manger et accourait aux renseignements.

D'Artagnan sourit.

– Ce n'est rien de fâcheux, monsieur Pélisson, rien qu'un petit bon à toucher.

– Ah! fit en respirant l'ami de Fouquet.

Et il prit le capitaine par la main, l'attira derrière lui, et le fit entrer dans la salle, où bon nombre d'amis intimes entouraient le surintendant, placé au centre et enseveli dans un fauteuil à coussins.

Là se trouvaient réunis tous les épicuriens, qui, naguère, à Vaux, faisaient les honneurs de la maison, de l'esprit et de l'argent de M. Fouquet.

Amis joyeux, tendres pour la plupart, ils n'avaient pas fui leur protecteur à l'approche de l'orage, et, malgré les menaces du ciel, malgré le tremblement de terre, ils se tenaient là, souriants, prévenants, dévoués à l'infortune comme ils l'avaient été à la prospérité.

À la gauche du surintendant, Mme de Bellière; à sa droite, Mme Fouquet: comme si, bravant la loi du monde et faisant taire toute raison des convenances vulgaires, les deux anges protecteurs de cet homme se réunissaient pour lui prêter, à un moment de crise, l'appui de leurs bras entrelacés.

Mme de Bellière était pâle, tremblante et pleine de respectueuses intentions pour Mme la surintendante, qui, une main sur la main de son mari, regardait anxieusement la porte par laquelle Pélisson allait amener d'Artagnan.

Le capitaine entra plein de courtoisie d'abord, et d'admiration ensuite, quand, de son regard infaillible, il eut deviné en même temps qu'embrassé la signification de toutes les physionomies.

Fouquet, se soulevant sur son fauteuil:

– Pardonnez-moi, dit-il, monsieur d'Artagnan, si je n'ai pas été vous recevoir comme venant au nom du roi.

Et il accentua ces derniers mots avec une sorte de fermeté triste qui pénétra d'effroi le coeur de ses amis.

– Monseigneur, répliqua d'Artagnan, je ne viens pas chez vous au nom du roi, si ce n'est pour réclamer le paiement d'un bon de deux cents pistoles.

Tous les fronts se déridèrent; celui de Fouquet resta seul obscurci.

– Ah! dit-il, monsieur, vous partez aussi pour Nantes, peut-être?

– Je ne sais pas où je pars, monseigneur.

– Mais, dit Mme Fouquet rassérénée, vous ne partez pas si vite, monsieur le capitaine, que vous ne nous fassiez l'honneur de vous asseoir avec nous.

– Madame, ce serait un bien grand honneur pour moi; mais je suis tellement pressé, que, vous le voyez, j'ai dû me permettre d'interrompre votre repas pour faire payer ma cédule.

– À laquelle il sera fait réponse par de l'or, dit Fouquet en faisant un signe à son intendant, qui aussitôt partit avec le bon que lui tendait d'Artagnan.

– Oh! fit celui-ci, je n'étais pas inquiet du paiement: la maison est bonne.

Un douloureux sourire se dessina sur les traits pâlis de Fouquet.

– Vous souffrez? demanda Mme de Bellière.

– Votre accès? demanda Mme Fouquet.

– Rien, merci! répliqua le surintendant.

– Votre accès? fit à son tour d'Artagnan. Est-ce que vous êtes malade, monseigneur?

– J'ai une fièvre tierce qui m'a pris après la fête de Vaux.

– Quelque fraîcheur dans les grottes, la nuit?

– Non, non; une émotion, voilà tout.

– Le trop de coeur que vous avez mis à recevoir le roi, dit La Fontaine tranquillement, sans se douter qu'il lançait un sacrilège.

– On ne saurait mettre trop de coeur à recevoir le roi, dit doucement Fouquet à son poète.

– Monsieur a voulu dire le trop d'ardeur, interrompit d'Artagnan avec une franchise parfaite et beaucoup d'aménité. Le fait est, monseigneur, que jamais l'hospitalité ne fut pratiquée comme à Vaux.

Mme Fouquet laissa son visage exprimer clairement que, si Fouquet s'était bien conduit envers le roi, le roi ne rendait pas la pareille au ministre.

Mais d'Artagnan savait le terrible secret. Il le savait seul avec Fouquet; ces deux hommes n'avaient pas, l'un le courage de plaindre l'autre, l'autre le droit d'accuser.

Le capitaine, à qui l'on apporta les deux cents pistoles, allait prendre congé, quand Fouquet, se levant, prit un verre et en fit donner un à d'Artagnan.

– Monsieur, dit-il, à la santé du roi, quoi qu'il arrive!

– Et à votre santé, monseigneur, quoi qu'il arrive! dit d'Artagnan en buvant.

Il salua, sur ces paroles de mauvais augure, toute la compagnie, qui se leva dès qu'il eut fait son salut, et on entendit ses éperons et ses bottes jusque dans les profondeurs de l'escalier.

– J'ai cru un moment que c'était à moi et non à mon argent qu'il en voulait, dit Fouquet en essayant de rire.

– À vous! s'écrièrent ses amis, et pourquoi, mon Dieu?

– Oh! fit le surintendant, ne nous abusons pas, mes chers frères en Épicure; je ne veux pas faire de comparaison entre le plus humble pêcheur de la terre et le Dieu que nous adorons, mais, voyez-vous, il donna un jour à ses amis un repas qu'on appelle la Cène, et qui n'était qu'un dîner d'adieu comme celui que nous faisons en ce moment.

Un cri, douloureuse dénégation, partit de tous les coins de la table.

– Fermez les portes, dit Fouquet.

Et les valets disparurent.

– Mes amis, continua Fouquet en baissant la voix, qu'étais-je autrefois? que suis-je aujourd'hui? Consultez-vous et répondez. Un homme comme moi baisse, par cela même qu'il ne s'élève plus; que dira-t-on, quand il s'abaisse réellement? Je n'ai plus d'argent, je n'ai plus de crédit, je n'ai plus que des ennemis puissants et des amis sans puissance.

– Vite! s'écria Pélisson en se levant, puisque vous vous expliquez avec cette franchise, c'est à nous d'être francs aussi. Oui, vous êtes perdu; oui, vous courez à votre ruine, arrêtez- vous. Et, tout d'abord, que nous reste-t-il en argent?

– Sept cent mille livres, dit l'intendant.

– Du pain, murmura Mme Fouquet.

– Des relais, dit Pélisson, des relais, et fuyez.

– Où cela?

– En Suisse, en Savoie, mais fuyez.

– Si Monseigneur fuit, dit Mme de Bellière, on dira qu'il était coupable et qu'il a eu peur.

– On dira plus, on dira que j'ai emporté vingt millions avec moi.

– Nous ferons des mémoires pour vous justifier, dit La Fontaine; fuyez.

– Je resterai dit Fouquet, et, d'ailleurs, tout ne me sert-il pas?

– Vous avez Belle-Île! cria l'abbé Fouquet.

– Et j'y vais naturellement, en allant à Nantes, répondit le surintendant; patience, donc, patience!

– Avant Nantes, que de chemin! dit Mme Fouquet.

– Oui, je le sais bien, répliqua Fouquet; mais qu'y faire? Le roi m'appelle aux États. Je sais bien que c'est pour me perdre; mais refuser de partir, c'est montrer de l'inquiétude.

– Eh bien! j'ai trouvé le moyen de tout concilier, s'écria

Pélisson. Vous allez partir pour Nantes.

Fouquet le regarda d'un air surpris.

– Mais avec des amis, mais dans votre carrosse jusqu'à Orléans, dans votre gabare jusqu'à Nantes; toujours prêt à vous défendre si l'on vous attaque, à échapper si l'on vous menace; en un mot, vous emporterez votre argent pour toute chance, et, tout en fuyant, vous n'aurez fait qu'obéir au roi; puis, touchant la mer quand vous voudrez, vous embarquerez pour Belle-Île, et, de Belle-Île, vous vous élancerez où vous voudrez, pareil à l'aigle qui sort et prend l'espace quand on l'a débusqué de son aire.

Un assentiment unanime accueillit les paroles de Pélisson.

– Oui, faites cela, dit Mme Fouquet à son mari.

– Faites cela, dit Mme de Bellière.

– Faites! faites! s'écrièrent tous les amis.

– Je le ferai, répliqua Fouquet.

– Dès ce soir.

– Dans une heure.

– Sur-le-champ.

– Avec sept cent mille livres, vous recommencerez une fortune, dit l'abbé Fouquet. Qui nous empêchera d'armer des corsaires à Belle-Île?

– Et, s'il le faut, nous irons découvrir un nouveau monde, ajouta

La Fontaine, ivre de projets et d'enthousiasme.

Un coup frappé à la porte interrompit ce concours de joie et d'espérance.

– Un courrier du roi! cria le maître des cérémonies. Alors il se fit un profond silence, comme si le message qu'apportait ce courrier n'était qu'une réponse à tous les projets enfantés l'instant d'avant.

Chacun attendit ce que ferait le maître, dont le front ruisselait de sueur, et qui, véritablement, souffrait de sa fièvre.

Fouquet passa dans son cabinet pour recevoir le message de Sa

Majesté.

Il y avait, nous l'avons dit, un tel silence dans les chambres et dans tout le service, que l'on entendait la voix de Fouquet qui répondait:

– C'est bien, monsieur.

Cette voix était pourtant brisée par la fatigue, altérée par l'émotion.

Un instant après, Fouquet appela Gourville, qui traversa la galerie au milieu de l'attente universelle.

Enfin il reparut lui-même parmi ses convives, mais ce n'était plus le même visage, pâle et défait, qu'on lui avait vu au départ; de pâle, il s'était fait livide, et, de défait, décomposé. Spectre vivant, il s'avançait les bras étendus, la bouche desséchée, comme l'ombre qui vient de saluer des amis d'autrefois.

À cette vue chacun se leva, chacun s'écria, chacun courut à

Fouquet.

Celui-ci, regardant Pélisson, s'appuya sur la surintendante, et serra la main glacée de la marquise de Bellière.

– Eh bien! fit-il d'une voix qui n'avait plus rien d'humain.

– Qu'arrive-t-il, mon Dieu? lui dit-on.

Fouquet ouvrit sa main droite, qui était crispée, humide; on y vit un papier sur lequel Pélisson se jeta épouvanté.

Il y lut les lignes suivantes de la main du roi:

«Cher et aimé Monsieur Fouquet, donnez-nous, sur ce qui vous reste à nous, une somme de sept cent mille livres dont nous avons besoin ce jourd'hui pour notre départ.

«Et, comme nous savons que votre santé n'est pas bonne, nous prions Dieu qu'il vous remette en santé et vous ait en sa sainte et digne garde.

«Louis.

«La présente lettre est pour reçu.»

Un murmure d'effroi circula dans la salle.

– Eh bien! s'écria Pélisson à son tour, vous avez cette lettre?

– J'ai le reçu, oui.

– Que ferez-vous, alors?

– Rien, puisque j'ai le reçu.

– Mais…

– Si j'ai le reçu, Pélisson, c'est que j'ai payé, fit le surintendant avec une simplicité qui arracha le coeur aux assistants.

– Vous avez payé? s'écria Mme Fouquet au désespoir. Alors nous sommes perdus!

– Allons, allons, plus de mots inutiles, interrompit Pélisson.

Après l'argent, la vie. Monseigneur, à cheval, à cheval!

– Nous quitter! crièrent à la fois les deux femmes, ivres de douleur.

– Eh! monseigneur, en vous sauvant, vous nous sauvez tous. À cheval!

– Mais il ne peut se tenir! Voyez.

– Oh! si l'on réfléchit… dit l'intrépide Pélisson.

– Il a raison, murmura Fouquet.

– Monseigneur! monseigneur! cria Gourville en montant l'escalier par quatre degrés à la fois; Monseigneur!

– Eh bien! quoi?

– J'escortais, comme vous savez, le courrier du roi avec l'argent.

– Oui.

– Eh bien! arrivé au Palais-Royal, j'ai vu…

– Respire un peu, mon pauvre ami, tu suffoques.

– Qu'avez-vous vu? crièrent les amis impatients.

– J'ai vu les mousquetaires monter à cheval, dit Gourville.

– Voyez-vous! s'écria-t-on, voyez-vous! Y a-t-il un instant à perdre?

Mme Fouquet se précipita par les montées en demandant ses chevaux.

Mme de Bellière s'élança pour la prendre dans ses bras et lui dit:

– Madame, au nom de son salut, ne témoignez rien, ne manifestez aucune alarme.

Pélisson courut pour faire atteler les carrosses.

Et, pendant ce temps, Gourville recueillit dans son chapeau ce que les amis pleurants et effarés purent y jeter d'or et d'argent, dernière offrande, pieuse aumône faite au malheur par la pauvreté.

Le surintendant, entraîné par les uns, porté par les autres, fut enfermé dans son carrosse. Gourville monta sur le siège et prit les rênes; Pélisson contint Mme Fouquet évanouie.

Mme de Bellière eut plus de force; elle en fut bien payée: elle recueillit le dernier baiser de Fouquet.

Pélisson expliqua facilement ce départ précipité par un ordre du roi qui appelait les ministres à Nantes.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
27 eylül 2017
Hacim:
660 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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