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Kitabı oku: «Le vicomte de Bragelonne, Tome IV.», sayfa 26

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Chapitre CCXLIV – Conseils d'ami

Fouquet s'était couché, en homme qui tient à la vie et qui économise le plus possible ce mince tissu de l'existence, dont les chocs et les angles de ce monde usent si vite l'irréparable ténuité.

D'Artagnan parut sur le seuil de la chambre et fut salué par le surintendant d'un bonjour très affable.

– Bonjour, monseigneur, répondit le mousquetaire; comment vous trouvez-vous de ce voyage?

– Assez bien. Merci.

– Et de la fièvre?

– Assez mal. Je bois, comme vous voyez. À peine arrivé, j'ai frappé sur Nantes une contribution de tisane.

– Il faut dormir d'abord, monseigneur.

– Eh! corbleu! cher monsieur d'Artagnan, je dormirais bien volontiers…

– Qui vous en empêche?

– Mais vous, d'abord.

– Moi? Ah! Monseigneur!..

– Sans doute. Est-ce que, à Nantes comme à Paris, vous ne venez pas au nom du roi?

– Pour Dieu! monseigneur, répliqua le capitaine, laissez donc le roi en repos! Le jour où je viendrai de la part du roi pour ce que vous voulez me dire, je vous promets de ne pas vous faire languir. Vous me verrez mettre la main à l'épée, selon l'ordonnance, et vous m'entendrez dire du premier coup, de ma voix de cérémonie: «Monseigneur, au nom du roi, je vous arrête»

Fouquet tressaillit malgré lui, tant l'accent du Gascon spirituel avait été naturel et vigoureux. La représentation du fait était presque aussi effrayante que le fait lui-même.

– Vous me promettez cette franchise? dit le surintendant.

– Sur l'honneur! Mais nous n'en sommes pas là, croyez-moi.

– Qui vous fait penser cela, monsieur d'Artagnan? Moi, je crois tout le contraire.

– Je n'ai entendu parler de quoi que ce soit, répliqua d'Artagnan.

– Eh! eh! fit Fouquet.

– Mais non, vous êtes un agréable homme, malgré votre fièvre. Le roi ne peut, ne doit s'empêcher de vous aimer au fond du coeur.

Fouquet fit la grimace.

– Mais M. Colbert? dit-il. M. Colbert m'aime-t-il aussi autant que vous le dites?

– Je ne parle point de M. Colbert, reprit d'Artagnan. C'est un homme exceptionnel, celui-là! Il ne vous aime pas, c'est possible; mais mordioux! l'écureuil peut se garer de la couleuvre, pour peu qu'il le veuille.

– Savez-vous que vous me parlez en ami, répliqua Fouquet, et que, sur ma vie! je n'ai jamais trouvé un homme de votre esprit et de votre coeur?

– Cela vous plaît à dire, fit d'Artagnan. Vous attendez à aujourd'hui pour me faire un compliment pareil?

– Aveugles que nous sommes! murmura Fouquet.

– Voilà votre voix qui s'enroue, dit d'Artagnan. Buvez, monseigneur, buvez.

Et il lui offrit une tasse de tisane avec la plus cordiale amitié;

Fouquet la prit et le remercia par un bon sourire.

– Ces choses-là n'arrivent qu'à moi, dit le mousquetaire. J'ai passé dix ans sous votre barbe quand vous remuiez des tonnes d'or; vous faisiez quatre millions de pension par an, vous ne m'avez jamais remarqué; et voilà que vous vous apercevez que je suis au monde, précisément au moment…

– Où je vais tomber, interrompit Fouquet. C'est vrai cher monsieur d'Artagnan.

– Je ne dis pas cela.

– Vous le pensez, c'est tout. Eh bien! si je tombe, prenez ma parole pour vraie, je ne passerai pas un jour sans me dire, en me frappant la tête: «Fou! fou! stupide mortel! Tu avais M. d'Artagnan sous la main, et tu ne t'es pas servi de lui! et tu ne l'as pas enrichi!»

– Vous me comblez! dit le capitaine; je raffole de vous.

– Encore un homme qui ne pense pas comme M. Colbert, fit le surintendant.

– Que ce Colbert vous tient aux côtes! C'est pis que votre fièvre.

– Ah! j'ai mes raisons, dit Fouquet. Jugez-les.

Et il lui raconta les détails de la course des gabares et l'hypocrite persécution de Colbert.

– N'est-ce pas le meilleur signe de ma ruine?

D'Artagnan devint sérieux.

– C'est juste, dit-il. Oui, cela sent mauvais, comme disait

M. de Tréville.

Et il attacha sur Fouquet son regard intelligent et significatif.

– N'est-ce pas, capitaine, que je suis bien désigné? N'est-ce pas que le roi m'amène bien à Nantes pour m'isoler de Paris, où j'ai tant de créatures, et pour s'emparer de Belle-Île?

– Où est M. d'Herblay, ajouta d'Artagnan.

Fouquet leva la tête.

– Quant à moi, monseigneur, poursuivit d'Artagnan, je puis vous assurer que le roi ne m'a rien dit contre vous.

– Vraiment?

– Le roi m'a commandé de partir pour Nantes, c'est vrai; de n'en rien dire à M. de Gesvres.

– Mon ami.

– À M. de Gesvres, oui, monseigneur, continua le mousquetaire, dont les yeux ne cessaient de parler un langage opposé au langage des lèvres. Le roi m'a commandé encore de prendre une brigade des mousquetaires, ce qui est superflu en apparence, puisque le pays est calme.

– Une brigade? dit Fouquet en se levant sur un coude.

– Quatre-vingt-seize cavaliers, oui, monseigneur, le même nombre qu'on avait pris pour arrêter MM. de Chalais, de Cinq-Mars et Montmorency.

Fouquet dressa l'oreille à ces mots, prononcés sans valeur apparente.

– Et puis? dit-il.

– Et puis d'autres ordres insignifiants, tels que ceux-ci:

«Garder le château; garder chaque logis; ne laisser aucun garde de

M. de Gesvres prendre faction.» De M. de Gesvres, votre ami.

– Et pour moi, s'écria Fouquet, quels ordres?

– Pour vous, monseigneur, pas le plus petit mot.

– Monsieur d'Artagnan, il s'agit de me sauver l'honneur et la vie, peut être! Vous ne me tromperiez pas?

– Moi!.. et dans quel but? Est-ce que vous êtes menacé? Seulement, il y a bien, touchant les carrosses et les bateaux, un ordre…

– Un ordre?

– Oui; mais qui ne saurait vous concerner. Simple mesure de police.

– Laquelle, capitaine? laquelle?

– C'est d'empêcher tous chevaux ou bateaux de sortir de Nantes sans un sauf-conduit signé du roi.

– Grand-Dieu! mais…

D'Artagnan se mit à rire.

– Cela n'aura d'exécution qu'après l'arrivée du roi à Nantes; ainsi, vous voyez bien, monseigneur, que l'ordre ne vous concerne en rien.

Fouquet devint rêveur, et d'Artagnan feignit de ne pas remarquer sa préoccupation.

– Pour que je vous confie la teneur des ordres qu'on m'a donnés, il faut que je vous aime et que je tienne à vous prouver qu'aucun n'est dirigé contre vous.

– Sans doute, dit Fouquet distrait.

– Récapitulons, dit le capitaine avec son coup d'oeil chargé d'insistance: Garde spéciale et sévère du château dans lequel vous aurez votre logis n'est-ce pas? Connaissez-vous ce château?.. Ah! monseigneur, une vraie prison! Absence totale de M. de Gesvres, qui a l'honneur d'être de vos amis… Clôture des portes de la ville et de la rivière, sauf une passe, mais seulement quand le roi sera venu… Savez-vous bien, monsieur Fouquet, que si, au lieu de parler à un homme comme vous, qui êtes un des premiers du royaume, je parlais à une conscience troublée, inquiète, je me compromettrais à jamais? La belle occasion pour quelqu'un qui voudrait prendre le large! Pas de police, pas de gardes, pas d'ordres; l'eau libre, la route franche, M. d'Artagnan obligé de prêter ses chevaux si on les lui demandait! Tout cela doit vous rassurer, monsieur Fouquet; car le roi ne m'eût pas laissé ainsi indépendant, s'il eût eu de mauvais desseins. En vérité, monsieur Fouquet, demandez-moi tout ce qui pourra vous être agréable: je suis à votre disposition; et seulement, si vous y consentez, vous me rendrez un service; celui de souhaiter le bonjour à Aramis et à Porthos, au cas où vous embarqueriez pour Belle-Île, ainsi que vous avez le droit de le faire, sans désemparer, tout de suite, en robe de chambre, comme vous voilà.

Sur ces mots, et avec une profonde révérence, le mousquetaire, dont les regards n'avaient rien perdu de leur intelligente bienveillance, sortit de l'appartement et disparut.

Il n'était pas aux degrés du vestibule, que Fouquet, hors de lui, se pendit à la sonnette et cria:

– Mes chevaux! ma gabare!

Personne ne répondit.

Le surintendant s'habilla lui-même de tout ce qu'il trouva sous sa main.

– Gourville!.. Gourville!.. cria-t-il tout en glissant sa montre dans sa poche.

Et la sonnette joua encore, tandis que Fouquet répétait:

– Gourville!.. Gourville!..

Gourville parut, haletant, pâle.

– Partons! partons! cria le surintendant dès qu'il le vit.

– Il est trop tard! fit l'ami du pauvre Fouquet.

– Trop tard! pourquoi?

– Écoutez!

On entendit des trompettes et un bruit de tambour devant le château.

– Quoi donc, Gourville?

– Le roi qui arrive, monseigneur.

– Le roi?

– Le roi, qui a brûlé étapes sur étapes; le roi, qui a crevé des chevaux et qui avance de huit heures sur votre calcul.

– Nous sommes perdus! murmura Fouquet. Brave d'Artagnan, va! tu m'as parlé trop tard!

Le roi arrivait, en effet, dans la ville; on entendit bientôt le canon du rempart et celui d'un vaisseau qui répondait du bas de la rivière.

Fouquet fronça le sourcil, appela ses valets de chambre et se fit habiller en cérémonie.

De sa fenêtre, derrière les rideaux, il voyait l'empressement du peuple et le mouvement d'une grande troupe qui avait suivi le prince sans que l'on pût deviner comment.

Le roi fut conduit au château en grande pompe, et Fouquet le vit mettre pied à terre sous la herse et parler bas à l'oreille de d'Artagnan, qui tenait l'étrier.

D'Artagnan, le roi étant passé sous la voûte, se dirigea vers la maison de Fouquet, mais si lentement, si lentement, en s'arrêtant tant de fois pour parler à ses mousquetaires, échelonnés en haie, que l'on eût dit qu'il comptait les secondes ou les pas avant d'accomplir son message.

Fouquet ouvrit la fenêtre pour lui parler dans la cour.

– Ah! s'écria d'Artagnan en l'apercevant, vous êtes encore chez vous, monseigneur.

Et ce encore suffit pour prouver à M. Fouquet combien d'enseignements et de conseils utiles renfermait la première visite du mousquetaire.

Le surintendant se contenta de soupirer.

– Mon Dieu, oui, monsieur, répondit-il; l'arrivée du roi m'a interrompu dans les projets que j'avais.

– Ah! vous savez que le roi vient d'arriver?

– Je l'ai vu, oui, monsieur; et, cette fois, vous venez de sa part?..

– Savoir de vos nouvelles, monseigneur, et, si votre santé n'est pas trop mauvaise, vous prier de vouloir bien vous rendre au château.

– De ce pas, monsieur d'Artagnan, de ce pas.

– Ah! dame! fit le capitaine, à présent que le roi est là, il n'y a plus de promenade pour personne, plus de libre arbitre; la consigne gouverne à présent, vous comme moi, moi comme vous.

Fouquet soupira une dernière fois, monta en carrosse, tant sa faiblesse était grande, et se rendit au château, escorté par d'Artagnan, dont la politesse n'était pas moins effrayante cette fois qu'elle n'avait été naguère consolante et gaie.

Chapitre CCXLV – Comment le roi Louis XIV joua son petit rôle

Comme Fouquet descendait de carrosse pour entrer dans le château de Nantes, un homme du peuple s'approcha de lui avec tous les signes du plus grand respect et lui remit une lettre.

D'Artagnan voulut empêcher cet homme d'entretenir Fouquet, et l'éloigna, mais le message avait été remis au surintendant. Fouquet décacheta la lettre et la lut; en ce moment, un vague effroi que d'Artagnan pénétra facilement se peignit sur les traits du premier ministre.

M. Fouquet mit le papier dans le portefeuille qu'il avait sous son bras, et continua son chemin vers les appartements du roi.

D'Artagnan, par les petites fenêtres pratiquées à chaque étage du donjon, vit, en montant derrière Fouquet, l'homme au billet regarder autour de lui sur la place et faire des signes à plusieurs personnes qui disparurent dans les rues adjacentes, après avoir elles-mêmes répété ces signes faits par le personnage que nous avons indiqué.

On fit attendre Fouquet un moment sur cette terrasse dont nous avons parlé, terrasse qui aboutissait au petit corridor après lequel on avait établi le cabinet du roi.

D'Artagnan alors passa devant le surintendant, que, jusque-là, il avait accompagné respectueusement, et entra dans le cabinet royal.

– Eh bien? lui demanda Louis XIV, qui, en l'apercevant, jeta sur la table couverte de papiers une grande toile verte.

– L'ordre est exécuté, Sire.

– Et Fouquet?

– M. le surintendant me suit, répliqua d'Artagnan.

– Dans dix minutes, on l'introduira près de moi, dit le roi en congédiant d'Artagnan d'un geste.

Celui-ci sortit, et, à peine arrivé dans le corridor à l'extrémité duquel Fouquet l'attendait, fut rappelé par la clochette du roi.

– Il n'a pas paru étonné? demanda le roi.

– Qui, Sire?

– Fouquet, répéta le roi sans dire monsieur, particularité qui confirma le capitaine des mousquetaires dans ses soupçons.

– Non, Sire, répliqua-t-il.

– Bien.

Et, pour la seconde fois, Louis renvoya d'Artagnan.

Fouquet n'avait pas quitté la terrasse où il avait été laissé par son guide; il relisait son billet ainsi conçu:

«Quelque chose se trame contre vous. Peut-être n'osera-t-on au château; ce serait à votre retour chez vous. Le logis est déjà cerné par les mousquetaires. N'y entrez pas; un cheval blanc vous attend derrière l'esplanade.»

M. Fouquet avait reconnu l'écriture et le zèle de Gourville. Ne voulant point que, s'il lui arrivait malheur ce papier pût compromettre un fidèle ami, le surintendant s'occupait à déchirer ce billet en des milliers de morceaux éparpillés au vent hors du balustre de la terrasse.

D'Artagnan le surprit, regardant voltiger les dernières miettes dans l'espace.

– Monsieur, dit-il, le roi vous attend.

Fouquet marcha d'un pas délibéré dans le petit corridor où travaillaient MM. de Brienne et Rose, tandis que le duc de Saint- Aignan, assis sur une petite chaise, aussi dans le corridor, semblait attendre des ordres et bâillait d'une impatience fiévreuse, son épée entre les jambes.

Il sembla étrange à Fouquet que MM. de Brienne, Rose et de Saint- Aignan, d'ordinaire si attentifs, si obséquieux, se dérangeassent à peine lorsque lui, le surintendant, passa. Mais comment eût-il trouvé autre chose chez des courtisans, celui que le roi n'appelait plus que Fouquet?

Il releva la tête, et, bien décidé à tout braver en face, entra chez le roi après qu'une clochette qu'on connaît déjà l'eut annoncé à Sa Majesté.

Le roi, sans se lever, lui fit un signe de tête, et, avec intérêt:

– Eh! comment allez-vous, monsieur Fouquet? dit-il.

– Je suis dans mon accès de fièvre, répliqua le surintendant mais tout au service du roi.

– Bien; les États s'assemblent demain: avez-vous un discours prêt?

Fouquet regarda le roi avec étonnement.

– Je n'en ai pas, Sire, dit-il; mais j'en improviserai un. Je sais assez à fond les affaires pour ne pas demeurer embarrassé. Je n'ai qu'une question à faire: Votre Majesté me le permettra-t- elle?

– Faites.

– Pourquoi Sa Majesté n'a-t-elle pas fait l'honneur à son premier ministre de l'avertir à Paris?

– Vous étiez malade; je ne veux pas vous fatiguer.

– Jamais un travail, jamais une explication ne me fatigue, Sire, et, puisque le moment est venu pour moi de demander une explication à mon roi…

– Oh! monsieur Fouquet! et sur quoi une explication?

– Sur les intentions de Sa Majesté à mon égard.

Le roi rougit.

– J'ai été calomnié, repartit vivement Fouquet, et je dois provoquer la justice du roi à des enquêtes.

– Vous me dites cela bien inutilement, monsieur Fouquet; je sais ce que je sais.

– Sa Majesté ne peut savoir les choses que si on les lui a dites, et je ne lui ai rien dit, moi, tandis que d'autres ont parlé maintes et maintes fois à…

– Que voulez-vous dire? fit le roi, impatient de clore cette conversation embarrassante.

– Je vais droit au fait, Sire, et j'accuse un homme de me nuire auprès de Votre Majesté.

– Personne ne vous nuit, monsieur Fouquet.

– Cette réponse, Sire, me prouve que j'avais raison.

– Monsieur Fouquet, je n'aime pas qu'on accuse.

– Quand on est accusé!

– Nous avons déjà trop parlé de cette affaire.

– Votre Majesté ne veut pas que je me justifie?

– Je vous répète que je ne vous accuse pas.

Fouquet fit un pas en arrière en faisant un demi-salut.

«Il est certain, pensa-t-il, qu'il a pris un parti. Celui qui ne peut reculer a seul une pareille obstination. Ne pas voir le danger dans ce moment, ce serait être aveugle; ne pas l'éviter, ce serait être stupide.»

Il reprit tout haut:

– Votre Majesté m'a demandé pour un travail?

– Non, monsieur Fouquet, pour un conseil que j'ai à vous donner.

– J'attends respectueusement, Sire.

– Reposez-vous, monsieur Fouquet; ne prodiguez plus vos forces: la session des États sera courte, et, quand mes secrétaires l'auront close, je ne veux plus que l'on parle affaires de quinze jours en France.

– Le roi n'a rien à me dire au sujet de cette assemblée des

États?

– Non, monsieur Fouquet.

– À moi, surintendant des finances?

– Reposez-vous, je vous prie; voilà tout ce que j'ai à vous dire.

Fouquet se mordit les lèvres et baissa la tête. Il couvait évidemment quelque pensée inquiète.

Cette inquiétude gagna le roi.

– Est-ce que vous êtes fâché d'avoir à vous reposer, monsieur

Fouquet? dit-il.

– Oui, Sire, je ne suis pas habitué au repos.

– Mais vous êtes malade; il faut vous soigner.

– Votre Majesté me parlait d'un discours à prononcer demain?

Le roi ne répondit pas; cette question brusque venait de l'embarrasser.

Fouquet sentit le poids de cette hésitation. Il crut lire dans les yeux du jeune prince un danger qui précipiterait sa défiance.

«Si je parais avoir peur, pensa-t-il, je suis perdu.»

Le roi, de son côté, n'était inquiet que de cette défiance de

Fouquet.

– A-t-il éventé quelque chose? murmurait-il.

«Si son premier mot est dur, pensa encore Fouquet, s'il s'irrite ou feint de s'irriter pour prendre un prétexte, comment me tirerai-je de là? Adoucissons la pente. Gourville avait raison»

– Sire, dit-il tout à coup, puisque la bonté du roi veille à ma santé à ce point qu'elle me dispense de tout travail, est-ce que je ne serai pas libre du conseil pour demain? J'emploierais ce jour à garder le lit, et je demanderais au roi de me céder son médecin pour essayer un remède contre ces maudites fièvres.

– Soit fait comme vous désirez, monsieur Fouquet. Vous aurez le congé pour demain, vous aurez le médecin, vous aurez la santé.

– Merci, dit Fouquet en s'inclinant.

Puis, prenant son parti:

– Est-ce que je n'aurai pas, dit-il, le bonheur de mener le roi à

Belle-Île, chez moi?

Et il regardait Louis en face pour juger de l'effet d'une pareille proposition.

Le roi rougit encore.

– Vous savez, répliqua-t-il en essayant de sourire, que vous venez de dire: À Belle-Île, chez moi?

– C'est vrai, Sire.

– Eh bien! ne vous souvient-il plus, continua le roi du même ton enjoué, que vous me donnâtes Belle-Île?

– C'est encore vrai, Sire. Seulement, comme vous ne l'avez pas prise, vous en viendrez prendre possession.

– Je le veux bien.

– C'était, d'ailleurs, l'intention de Votre Majesté autant que la mienne, et je ne saurais dire à Votre Majesté combien j'ai été heureux et fier en voyant toute la maison militaire du roi venir de Paris pour cette prise de possession.

Le roi balbutia qu'il n'avait pas amené ses mousquetaires pour cela seulement.

– Oh! je le pense bien, dit vivement Fouquet; Votre Majesté sait trop bien qu'il lui suffit de venir seule une badine à la main, pour faire tomber toutes les fortifications de Belle-Île.

– Peste! s'écria le roi, je ne veux pas qu'elles tombent, ces belles fortifications qui ont coûté si cher à élever. Non! qu'elles demeurent contre les Hollandais et les Anglais. Ce que je veux voir à Belle-Île, vous ne le devineriez pas, monsieur Fouquet: ce sont les belles paysannes, filles et femmes, des terres ou des grèves, qui dansent si bien et sont si séduisantes avec leurs jupes d'écarlate! on m'a fort vanté vos vassales, monsieur le surintendant. Tenez, faites-les-moi voir.

– Quand Votre Majesté voudra.

– Avez-vous quelque moyen de transport? Ce serait demain si vous vouliez.

Le surintendant sentit le coup, qui n'était pas adroit, et il répondit:

– Non, Sire: j'ignorais le désir de Votre Majesté, j'ignorais surtout sa hâte de voir Belle-Île, et je ne me suis précautionné en rien.

– Vous avez un bateau à vous, cependant?

– J'en ai cinq; mais ils sont tous, soit au Port, soit à Paimboeuf, et, pour les rejoindre ou les faire arriver, il faut au moins vingt-quatre heures. Ai-je besoin d'envoyer un courrier? faut-il que je le fasse?

– Attendez encore; laissez finir la fièvre; attendez à demain.

– C'est vrai… Qui sait si demain nous n'aurons pas mille autres idées? répliqua Fouquet, désormais hors de doute et fort pâle.

Le roi tressaillit et allongea la main vers sa clochette; mais

Fouquet le prévint.

– Sire, dit-il, j'ai la fièvre; je tremble de froid. Si je demeure un moment de plus, je suis capable de m'évanouir. Je demande à Votre Majesté la permission de m'aller cacher sous les couvertures.

– En effet, vous grelottez; c'est affligeant à voir. Allez, monsieur Fouquet, allez. J'enverrai savoir de vos nouvelles.

– Votre Majesté me comble. Dans une heure, je me trouverai beaucoup mieux.

– Je veux que quelqu'un vous reconduise, dit le roi.

– Comme il vous plaira; je prendrais volontiers le bras de quelqu'un.

– Monsieur d'Artagnan! cria le roi en sonnant de sa clochette.

– Oh! Sire, interrompit Fouquet en riant d'un air qui fit froid au prince, vous me donnez un capitaine de mousquetaires pour me conduire à mon logis? Honneur bien équivoque, Sire! Un simple valet de pied, je vous prie.

– Et pourquoi, monsieur Fouquet? M. d'Artagnan me reconduit bien, moi!

– Oui; mais, quand il vous reconduit, Sire, c'est pour vous obéir, tandis que moi…

– Eh bien?

– Moi, s'il me faut rentrer chez moi avec votre chef des mousquetaires, on dira que vous me faites arrêter.

– Arrêter? répéta le roi, qui pâlit plus que Fouquet lui-même, arrêter? oh!..

– Eh? que ne dit-on pas! poursuivit Fouquet toujours riant; et je gage qu'il se trouverait des gens assez méchants pour en rire?

Cette saillie déconcerta le monarque. Fouquet fut assez habile ou assez heureux pour que Louis XIV reculât devant l'apparence du fait qu'il méditait.

M. d'Artagnan, lorsqu'il parut, reçut l'ordre de désigner un mousquetaire pour accompagner le surintendant.

– Inutile, dit alors celui-ci: épée pour épée, j'aime autant

Gourville, qui m'attend en bas. Mais cela ne m'empêchera pas de jouir de la société de M. d'Artagnan. Je suis bien aise qu'il voie

Belle-Île, lui qui se connaît si bien en fortifications.

D'Artagnan s'inclina, ne comprenant plus rien à la scène.

Fouquet salua encore, et sortit affectant toute la lenteur d'un homme qui se promène.

Une fois hors du château:

– Je suis sauvé! dit-il. Oh! oui, tu verras Belle-Île, roi déloyal, mais quand je n'y serai plus.

Et il disparut.

D'Artagnan était demeuré avec le roi.

– Capitaine, lui dit Sa Majesté, vous allez suivre M. Fouquet à cent pas.

– Oui, Sire.

– Il rentre chez lui. Vous irez chez lui.

– Oui, Sire.

– Vous l'arrêterez en mon nom, et vous l'enfermerez dans un carrosse.

– Dans un carrosse? Bien.

– De telle façon qu'il ne puisse, en route, ni converser avec quelqu'un, ni jeter des billets aux gens qu'il rencontrera.

– Oh! voilà qui est difficile, Sire.

– Non.

– Pardon, Sire; je ne puis étouffer M. Fouquet, et, s'il demande à respirer, je n'irai pas l'en empêcher en fermant glaces et mantelets. Il jettera par les portières tous les cris et les billets possibles.

– Le cas est prévu, monsieur d'Artagnan; un carrosse avec un treillis obviera aux deux inconvénients que vous signalez.

– Un carrosse à treillis de fer? s'écria d'Artagnan. Mais on ne fait pas un treillis de fer pour carrosse en une demi-heure, et Votre Majesté me recommande d'aller tout de suite chez M. Fouquet.

– Aussi le carrosse en question est-il tout fait.

– Ah! c'est différent, dit le capitaine. Si le carrosse est tout fait, très bien, on n'a qu'à le faire aller.

– Il est tout attelé.

– Ah!

– Et le cocher, avec les piqueurs, attend dans la cour basse du château.

D'Artagnan s'inclina.

– Il ne me reste, ajouta-t-il, qu'à demander au roi en quel endroit on conduira M. Fouquet.

– Au château d'Angers, d'abord.

– Très bien.

– Nous verrons ensuite.

– Oui, Sire.

– Monsieur d'Artagnan, un dernier mot: vous avez remarqué que, pour faire cette prise de Fouquet, je n'emploie pas mes gardes, ce dont M. de Gesvres sera furieux.

– Votre Majesté n'emploie pas ses gardes, dit le capitaine un peu humilié, parce qu'elle se défie de M. de Gesvres. Voilà!

– C'est vous dire, monsieur, que j'ai confiance en vous.

– Je le sais bien, Sire! et il est inutile de le faire valoir.

– C'est seulement pour arriver à ceci, monsieur, qu'à partir de ce moment, s'il arrivait que, par hasard, un hasard quelconque, M. Fouquet s'évadât… on a vu de ces hasards-là, monsieur…

– Oh! Sire, très souvent, mais pour les autres, pas pour moi.

– Pourquoi pas pour vous?

– Parce que moi, Sire, j'ai un instant voulu sauver M. Fouquet.

Le roi frémit.

– Parce que, continua le capitaine j'en avais le droit ayant deviné le plan de Votre Majesté sans qu'elle m'en eût parlé, et que je trouvais M. Fouquet intéressant. Or j'étais libre de lui témoigner mon intérêt, à cet homme.

– En vérité, monsieur, vous ne me rassurez point sur vos services!

– Si je l'eusse sauvé alors, j'étais parfaitement innocent: je dis plus, j'eusse bien fait, car M. Fouquet n'est pas un méchant homme. Mais il n'a pas voulu; sa destinée l'a entraîné; il a laissé fuir l'heure de la liberté. Tant pis! Maintenant, j'ai des ordres, j'obéirai à ces ordres, et M. Fouquet, vous pouvez le considérer comme un homme arrêté. Il est au château d'Angers, M. Fouquet.

– Oh! vous ne le tenez pas encore, capitaine!

– Cela me regarde; à chacun son métier, Sire; seulement, encore une fois, réfléchissez. Donnez-vous sérieusement l'ordre d'arrêter M. Fouquet, Sire?

– Oui, mille fois oui!

– Écrivez alors.

– Voici la lettre.

D'Artagnan la lut, salua le roi et sortit.

Du haut de la terrasse, il aperçut Gourville qui passait l'air joyeux, et se dirigeait vers la maison de M. Fouquet.

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12+
Litres'teki yayın tarihi:
27 eylül 2017
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