Kitabı oku: «Les Quarante-Cinq — Tome 1», sayfa 16
« Mon cher ami, j'ai bien réfléchi depuis notre séparation, il m'est, en vérité, impossible de laisser aller aux loups dévorants du monde la brebis que le Seigneur m'a confiée. J'entends parler, vous le comprenez bien, de notre petit Jacques Clément, qui tout à l'heure a été reçu par le roi, et s'est parfaitement acquitté de votre message.
Au lieu de Jacques, dont l'âge est encore tendre, et qui doit ses services au prieuré, je vous envoie un bon et digne frère de notre communauté; ses moeurs sont douces et son humeur innocente: je suis sûr que vous l'agréerez pour compagnon de route... »
— Oui, oui, pensa Chicot en jetant de côté un regard sur le moine:
compte là-dessus.
« Je joins à cette lettre ma bénédiction, que je regrette de ne vous avoir pas donnée de vive voix.
Adieu, cher ami. »
— Voilà une bien belle écriture! dit Chicot lorsqu'il eut fini sa lecture. Je gagerais que la lettre a été écrite par le trésorier: il a une main superbe.
— C'est, en effet, frère Borromée qui a écrit la lettre, répondit le Goliath.
— Eh bien, en ce cas, mon ami, reprit Chicot en souriant agréablement au grand moine, vous allez retourner au prieuré.
— Moi?
— Oui, et vous direz à Sa Révérence que j'ai changé d'avis, et que je désire voyager seul.
— Comment! vous ne m'emmènerez pas, monsieur? fit le moine avec un étonnement qui n'était point exempt de menace.
— Non, mon ami, non.
— Et pourquoi cela, s'il vous plaît?
— Parce que j'ai à faire des économies; les temps sont durs, et vous devez manger énormément.
Le géant montra ses trois défenses.
— Jacques mange tout autant que moi, dit-il.
— Oui, mais Jacques était un moine, fit Chicot.
— Et moi, que suis-je donc?
— Vous, mon ami, vous êtes un lansquenet ou un gendarme, ce qui, entre nous soit dit, pourrait scandaliser la Notre-Dame vers qui je suis député.
— Que parlez-vous donc de lansquenet et de gendarme? répondit le moine.
Je suis un jacobin, moi; est-ce que ma robe n'est pas reconnaissable?
— L'habit ne fait pas le moine, mon ami, répliqua Chicot; mais le couteau fait le soldat: dites cela au frère Borromée, s'il vous plaît.
Et Chicot tira sa révérence au géant qui reprit le chemin du prieuré, en grondant comme un chien qu'on chasse.
Quant à notre voyageur, il laissa disparaître celui qui devait être son compagnon, et lorsqu'il l'eut vu s'engouffrer dans la grande porte du couvent, il alla se cacher derrière une haie, s'y dépouilla de son pourpoint, et passa la fine chemise de mailles que nous connaissons sous sa chemise de toile.
Sa toilette achevée, il coupa à travers champs pour rejoindre le chemin de Charenton.
XXVI
LES GUISES
Le soir même du jour où Chicot partait pour la Navarre, nous retrouverons dans la grande chambre de l'hôtel de Guise où nous avons déjà, dans nos précédents récits, conduit plus d'une fois nos lecteurs; nous retrouverons, disons-nous, dans la grande chambre de l'hôtel de Guise, ce petit jeune homme à l'oeil vif, que nous avons vu entrer dans Paris en croupe sur le cheval de Carmainges, et qui n'était autre, nous le savons déjà, que la belle pénitente de dom Gorenflot.
Cette fois elle n'avait pris aucune précaution pour dissimuler sa personne ou son sexe. Madame de Montpensier, vêtue d'une robe élégante, le col évasé, les cheveux tout constellés d'étoiles de pierreries, comme c'était la mode à cette époque, attendait avec impatience, debout dans l'embrasure d'une fenêtre, quelqu'un qui tardait à venir.
L'ombre commençait à s'épaissir, la duchesse ne distinguait plus qu'à grand'peine la porte de l'hôtel, sur laquelle ses yeux étaient constamment attachés.
Enfin le pas d'un cheval se fit entendre, et dix minutes après la voix de l'huissier annonçait mystérieusement chez la duchesse M. de Mayenne.
Madame de Montpensier se leva et courut au devant de son frère avec une telle précipitation, qu'elle oublia de marcher sur la pointe du pied droit, comme c'était son habitude lorsqu'elle tenait à ne pas boiter.
— Seul, mon frère? dit-elle, vous êtes seul?
— Oui, ma soeur, dit le duc en s'asseyant après avoir baisé la main de la duchesse.
— Mais, Henri, où donc est Henri? Savez-vous bien que tout le monde l'attend ici?
— Henri, ma soeur, n'a que faire encore à Paris, tandis qu'au contraire il a encore fort à faire dans les villes de Flandre et de Picardie. Notre travail est lent et souterrain; nous avons de l'ouvrage là-bas: pourquoi quitterions-nous cet ouvrage pour venir à Paris, où tout est fait?
— Oui, mais où tout se défera si vous ne vous hâtez.
— Bah!
— Bah! tant que vous voudrez, mon frère. Je vous dis, moi, que les bourgeois ne se contentent plus de toutes ces raisons, qu'ils veulent voir leur duc Henri, que voilà leur soif, leur délire.
— Ils le verront au bon moment. Mayneville ne leur a-t-il donc point expliqué tout cela?
— Sans contredit; niais vous le savez, sa voix ne vaut pas les vôtres.
— Au plus pressé, ma soeur. Et Salcède?
— Mort.
— Sans parler?
— Sans souffler une parole.
— Bien. Et l'armement?
— Achevé.
— Paris?
— Divisé en seize quartiers.
— Et chaque quartier a le chef que nous avons désigné?
— Oui.
— Vivons donc en repos. Pâque-Dieu! c'est ce que je viens dire à nos bons bourgeois.
— Ils ne vous écouteront pas.
— Bah!
— Je vous dis qu'ils sont endiablés.
— Ma soeur, vous avez un peu trop l'habitude de juger la précipitation d'autrui d'après vos propres impatiences.
— M'en ferez-vous un reproche sérieux?
— A Dieu ne plaise! mais ce que dit mon frère Henri doit être exécuté.
Or, mon frère Henri veut qu'on ne se hâte aucunement.
— Que faire alors? demanda la duchesse avec impatience.
— Quelque chose presse-t-il, ma soeur?
— Tout, si l'on veut.
— Par quoi commencer, à votre avis?
— Par prendre le roi.
— C'est votre idée fixe; je ne dis pas qu'elle soit mauvaise, si l'on pouvait la mettre à exécution; mais projeter et faire sont deux: rappelez- vous combien de fois nous avons échoué déjà.
— Les temps sont changés; le roi n'a plus personne pour le défendre.
— Non, excepté les Suisses, les Écossais, les gardes françaises.
— Mon frère, quand vous voudrez, moi, moi qui vous parle, je vous le montrerai sur une grande route, escorté de deux laquais seulement.
— On m'a dit cela cent fois, et je ne l'ai pas vu une seule.
— Vous le verrez donc si vous restez seulement à Paris trois jours.
— Encore un projet!
— Un plan, voulez-vous dire.
— Veuillez me le communiquer, en ce cas.
— Oh! c'est une idée de femme, et par conséquent elle vous fera rire.
— A Dieu ne plaise que je blesse votre amour-propre d'auteur! Voyons le plan.
— Vous vous moquez de moi, Mayenne.
— Non, je vous écoute.
— Eh bien! en quatre mots, voici...
En ce moment l'huissier souleva la tapisserie.
— Plaît-il à Leurs Altesses de recevoir M. de Mayneville? demanda-t-il.
— Mon complice? dit la duchesse, qu'il entre.
M. de Mayneville entra en effet, et vint baiser la main du duc de Mayenne.
— Un seul mot, monseigneur, dit-il; j'arrive du Louvre.
— Eh bien! s'écrièrent à la fois Mayenne et la duchesse.
— On se doute de votre arrivée.
— Comment cela?
— Je causais avec le chef du poste de Saint-Germain-l'Auxerrois, deux Gascons passèrent.
— Les connaissez-vous?
— Non; ils étaient tout flambants neufs. Cap de bious! dit l'un, vous avez là un pourpoint qui est magnifique, mais qui, dans l'occasion, ne vous rendrait pas les mêmes services que votre cuirasse d'hier.
— Bah! bah! si solide que soit l'épée de M. de Mayenne, dit l'autre, gageons qu'elle n'entamera pas plus ce satin qu'elle n'eût entamé la cuirasse.
Et là-dessus le Gascon se répandit en bravades qui indiquaient que l'on vous savait proche.
— Et à qui appartiennent ces Gascons?
— Je n'en sais rien.
— Et ils se sont retirés?
— Oh! pas ainsi, ils criaient haut; le nom de Votre Altesse fut entendu: quelques passants s'arrêtèrent et demandèrent si effectivement vous arriviez. Ils allaient répondre à la question, quand tout à coup un homme s'approcha du Gascon et lui toucha l'épaule: ou je me trompe bien, monseigneur, ou cet homme, c'était Loignac.
— Après? demanda la duchesse.
— A quelques mots dits tout bas, le Gascon ne répondit que par un geste de soumission, et suivit son interrupteur.
— De sorte que?
— De sorte que je n'ai pas pu en savoir davantage; mais, en attendant, défiez-vous.
— Vous ne les avez pas suivis?
— Si fait, mais de loin; je craignais d'être reconnu comme gentilhomme de Votre Altesse. Ils se sont dirigés du côté du Louvre, et ont disparu derrière l'hôtel des Meubles. Mais après eux, toute une traînée de voix répétait: Mayenne! Mayenne!
— J'ai un moyen tout simple de répondre, dit le duc.
— Lequel? demanda sa soeur.
— C'est d'aller saluer le roi ce soir.
— Saluer le roi?
— Sans doute, je viens à Paris; je lui donne des nouvelles de ses bonnes villes de Picardie, il n'y a rien à dire.
— Le moyen est bon, dit Mayneville.
— Il est imprudent, dit la duchesse.
— Il est indispensable, ma soeur, si en effet on se doute de mon arrivée à Paris. C'était d'ailleurs l'opinion de notre frère Henri, que je descendisse tout botté devant le Louvre, pour présenter au roi les hommages de toute la famille. Une fois ce devoir accompli, je suis libre, et je puis recevoir qui bon me semble.
— Les membres du comité, par exemple; ils vous attendent.
— Je les recevrai à l'hôtel Saint-Denis, à mon retour du Louvre, dit Mayenne. Donc, Mayneville, qu'on me rende mon cheval tel qu'il est, sans le bouchonner. Vous viendrez avec moi au Louvre. Vous, ma soeur, attendez- nous, s'il vous plaît.
— Ici, mon frère?
— Non, à l'hôtel Saint-Denis, où j'ai laissé mes équipages et où l'on me croit couché. Nous y serons dans deux heures.
XXVII
AU LOUVRE
Ce jour-là aussi, jour de grandes aventures, le roi sortit de son cabinet et fit appeler M. d'Épernon.
Il pouvait être midi.
Le duc s'empressa d'obéir et de passer chez le roi.
Il trouva Sa Majesté debout dans une première chambre, considérant avec attention un moine jacobin qui rougissait et baissait les yeux sous le regard perçant du roi.
Le roi prit d'Épernon à part. — Regarde donc, duc, dit-il en lui montrant le jeune homme, la drôle de figure de moine que voilà.
— De quoi s'étonne Votre Majesté? dit d'Épernon; je trouve la figure fort ordinaire, moi.
— Vraiment?
Et le roi se prit à rêver.
— Comment t'appelles-tu? lui dit-il.
— Frère Jacques, sire.
— Tu n'as pas d'autre nom?
— Mon nom de famille, Clément.
— Frère Jacques Clément? répéta le roi.
— Votre Majesté ne trouve-t-elle pas aussi quelque chose d'étrange dans le nom? dit en riant le duc.
Le roi ne répondit point.
— Tu as très bien fait la commission, dit-il au moine sans cesser de le regarder.
— Quelle commission, sire? demanda le duc avec cette hardiesse qu'on lui reprochait, et que lui donnait une familiarité de tous les jours.
— Rien, dit Henri, un petit secret entre moi et quelqu'un que tu ne connais pas, ou plutôt que tu ne connais plus.
— En vérité, sire, dit d'Épernon, vous regardez étrangement cet enfant, et vous l'embarrassez.
— C'est vrai, oui. Je ne sais pourquoi mes regards ne peuvent pas se défendre de lui; il me semble que je l'ai déjà vu ou que je le verrai. Il m'est apparu dans un rêve, je crois. Allons, voilà que je déraisonne. Va- t'en, petit moine, tu as fini ta mission. On enverra la lettre demandée à celui qui la demande; sois tranquille. D'Épernon?
— Sire?
— Qu'on lui donne dix écus.
— Merci, dit le moine.
— On dirait que tu as dit merci du bout des dents! reprit d'Épernon qui ne comprenait point qu'un moine parût mépriser dix écus.
— Je dis merci du bout des dents, reprit le petit Jacques, parce que j'aimerais bien mieux un de ces beaux couteaux d'Espagne qui sont là appendus au mur.
— Comment, tu n'aimes pas mieux l'argent pour aller courir les farceurs de la foire Saint-Laurent, ou les clapiers de la rue Sainte-Marguerite? demanda d'Épernon.
— J'ai fait voeu de pauvreté et de chasteté, répliqua Jacques.
— Donne-lui donc une de ces lames d'Espagne, et qu'il s'en aille, Lavalette, dit le roi.
Le duc, en homme parcimonieux, choisit parmi les couteaux celui qui lui paraissait le moins riche et le donna au petit moine.
C'était un couteau catalan, à la lame large, effilée, solidement emmanchée dans un morceau de belle corne ciselée.
Jacques le prit, tout joyeux de posséder une si belle arme, et se retira.
Jacques parti, le duc essaya de nouveau de questionner le roi.
— Duc, interrompit le roi, as-tu, parmi tes quarante-cinq, deux ou trois hommes qui sachent monter à cheval?
— Douze au moins, sire, et tous seront cavaliers dans un mois.
— Choisis-en deux de ta main, et qu'ils viennent me parler à l'instant même.
Le duc salua, sortit, et appela Loignac dans l'antichambre.
Loignac parut au bout de quelques secondes.
— Loignac, dit le duc, envoyez-moi à l'instant même deux cavaliers solides; c'est pour accomplir une mission directe de Sa Majesté.
Loignac traversa rapidement la galerie, arriva près du bâtiment, que nous nommerons désormais le logis des Quarante-Cinq.
Là, il ouvrit la porte et appela d'une voix de maître:
— Monsieur de Carmainges! Monsieur de Biran!
— M. de Biran est sorti, dit le factionnaire.
— Comment! sorti sans permission?
— Il étudie le quartier que monseigneur le duc d'Épernon lui a recommandé ce matin.
— Fort bien! Appelez M. de Sainte-Maline, alors.
Les deux noms retentirent sous les voûtes, et les deux élus apparurent aussitôt.
— Messieurs, dit Loignac, suivez-moi chez M. le duc d'Épernon.
Et il les conduisit au duc, lequel, congédiant Loignac, les conduisit à son tour au roi.
Sur un geste de Sa Majesté, le duc se retira et les deux jeunes gens restèrent.
C'était la première fois qu'ils se trouvaient devant le roi. Henri avait un aspect fort imposant.
L'émotion se trahissait chez eux de façon différente.
Sainte-Maline avait l'oeil brillant, le jarret tendu, la moustache hérissée.
Carmainges, pâle, mais tout aussi résolu, bien que moins fier, n'osait, arrêter son regard sur Henri.
— Vous êtes de mes quarante-cinq, messieurs? dit le roi.
— J'ai cet honneur, sire, répliqua Sainte-Maline.
— Et vous, monsieur?
— J'ai cru que monsieur répondait pour nous deux, sire; voilà pourquoi ma réponse s'est fait attendre; mais quant à être au service de Votre Majesté, j'y suis autant que qui que ce soit au monde.
— Bien. Vous allez monter à cheval et prendre la route de Tours: la connaissez-vous?
— Je demanderai, dit Sainte-Maline.
— Je m'orienterai, dit Carmainges.
— Pour vous mieux guider, passez par Charenton, d'abord.
— Oui, sire.
— Vous pousserez jusqu'à ce que vous rencontriez un homme voyageant seul.
— Votre Majesté veut-elle nous donner son signalement? demanda Sainte-Maline.
— Une grande épée au côté ou au dos, de grands bras, de grandes jambes.
— Pouvons-nous savoir son nom, sire? demanda Ernauton de Carmainges, que l'exemple de son compagnon entraînait, malgré les habitudes de l'étiquette, à interroger le roi.
— Il s'appelle l'Ombre, dit Henri.
— Nous demanderons le nom de tous les voyageurs que nous rencontrerons, sire.
— Et nous fouillerons toutes les hôtelleries.
— Une fois l'homme rencontré et reconnu, vous lui remettrez cette lettre.
Les deux jeunes gens tendaient la main ensemble.
Le roi demeura un instant embarrassé.
— Comment vous appelle-t-on? demanda-t-il à l'un d'eux.
— Ernauton de Carmainges, répondit-il.
— Et vous?
— René de Sainte-Maline.
— Monsieur de Carmainges, vous porterez la lettre, et monsieur de Sainte-Maline la remettra.
Ernauton prit le précieux dépôt qu'il s'apprêta à serrer dans son pourpoint.
Sainte-Maline arrêta son bras au moment où la lettre allait disparaître, et il en baisa respectueusement le scel.
Puis il remit la lettre à Ernauton.
Cette flatterie fit sourire Henri III.
— Allons, allons, messieurs, dit-il, je vois que je serai bien servi.
— Est-ce tout, sire? demanda Ernauton.
— Oui, messieurs; seulement une dernière recommandation.
Les jeunes gens s'inclinèrent et attendirent.
— Cette lettre, messieurs, dit Henri, est plus précieuse que la vie d'un homme. Sur votre tête, ne la perdez pas, remettez-la secrètement à l'Ombre, qui vous en donnera un reçu que vous me rapporterez, et surtout voyagez en gens qui voyagent pour leurs propres affaires. Allez.
Les deux jeunes gens sortirent du cabinet royal, Ernauton comblé de joie; Sainte-Maline gonflée de jalousie; l'un avec la flamme dans les yeux, l'autre avec un avide regard qui brûlait le pourpoint de son compagnon.
Monsieur d'Épernon les attendait: il voulut questionner.
— M. le duc, répondit Ernauton, le roi ne nous a point autorisés à parler.
Ils allèrent à l'instant même aux écuries, où le piqueur du roi leur délivra deux chevaux de route, vigoureux et bien équipés.
M. d'Épernon les eût suivis certainement pour en savoir davantage, s'il n'eût été prévenu, au moment où Carmainges et Sainte-Maline le quittaient, qu'un homme voulait lui parler à l'instant même et à tout prix.
— Quel homme? demanda le duc avec impatience.
— Le lieutenant de la prévôté de l'Île-de-France.
— Eh! parfandious! s'écria-t-il, suis-je échevin, prévôt ou chevalier du guet?
— Non, monseigneur, mais vous êtes ami du roi, répondit une humble voix à sa gauche. Je vous en supplie, à ce titre écoutez-moi donc!
Le duc se retourna.
Près de lui, chapeau bas et oreilles basses, était un pauvre solliciteur qui passait à chaque seconde par une des nuances de l'arc-en-ciel.
— Qui êtes-vous? demanda brutalement le duc.
— Nicolas Poulain, pour vous servir, monseigneur.
— Et vous voulez me parler?
— Je demande cette grâce.
— Je n'ai pas le temps.
— Même pour entendre un secret, monseigneur?
— J'en écoute cent tous les jours, monsieur: le vôtre fera cent et un; ce serait un de trop.
— Même si celui-là intéressait la vie de Sa Majesté? dit Nicolas Poulain en se penchant à l'oreille de d'Épernon.
— Oh! oh! je vous écoute; venez dans mon cabinet.
Nicolas Poulain essuya son front ruisselant de sueur, et suivit le duc.
XXVIII
LA RÉVÉLATION
Monsieur d'Épernon, en traversant son antichambre, s'adressa à l'un des gentilshommes qui s'y tenaient à demeure.
— Comment vous nommez-vous, monsieur? demanda-t-il à un visage inconnu.
— Pertinax de Montcrabeau, monseigneur, répondit le gentilhomme.
— Eh bien, monsieur de Montcrabeau, placez-vous à ma porte, et que personne n'entre.
— Oui, monsieur le duc.
— Personne, vous entendez?
— Parfaitement.
Et M. Pertinax, qui était somptueusement vêtu et qui faisait le beau dans des bas oranges, avec un pourpoint de satin bleu, obéit à l'ordre de d'Épernon. Il s'adossa en conséquence au mur et prit position, les bras croisés, le long de la tapisserie.
Nicolas Poulain suivit le duc qui passa dans son cabinet. Il vit la porte s'ouvrir et se refermer, puis la portière retomber sur la porte, et il commença sérieusement à trembler.
— Voyons votre conspiration, monsieur? dit sèchement le duc; mais, pour Dieu, qu'elle soit bonne, car j'avais aujourd'hui une multitude de choses agréables à faire, et si je perds mon temps à vous écouter, gare à vous!
— Eh! monsieur le duc, dit Nicolas Poulain, il s'agit tout simplement du plus épouvantable des forfaits.
— Alors, voyons le forfait.
— Monsieur le duc...
— On veut me tuer, n'est-ce pas? interrompit d'Épernon en se raidissant comme un Spartiate; eh bien! soit, ma vie est à Dieu et au roi: qu'on la prenne.
— Il ne s'agit pas de vous, monseigneur.
— Ah! cela m'étonne.
— Il s'agit du roi. On veut l'enlever, monsieur le duc.
— Oh! encore cette vieille affaire d'enlèvement! dit dédaigneusement d'Épernon.
— Cette fois la chose est assez sérieuse, monsieur le duc, si j'en crois les apparences.
— Et quel jour veut-on enlever Sa Majesté?
— Monseigneur, la première fois que Sa Majesté ira à Vincennes dans sa litière.
— Comment l'enlèvera-t-on?
— En tuant ses deux piqueurs.
— Et qui fera le coup?
— Madame de Montpensier.
D'Épernon se mit à rire.
— Cette pauvre duchesse, dit-il, que de choses on lui attribue!
— Moins qu'elle n'en projette, monseigneur.
— Et elle s'occupe de cela à Soissons?
— Madame la duchesse est à Paris.
— A Paris!
— J'en puis répondre à monseigneur.
— Vous l'avez vue?
— Oui.
— C'est-à-dire que vous avez cru la voir.
— J'ai eu l'honneur de lui parler.
— L'honneur?
— Je me trompe, monsieur le duc; le malheur.
— Mais, mon cher lieutenant de la prévôté, ce n'est point la duchesse qui enlèvera le roi?
— Pardonnez-moi, monseigneur.
— Elle-même?
— En personne, avec ses affidés, bien entendu.
— Et où se placera-t-elle pour présider à cet enlèvement?
— A une fenêtre du prieuré des Jacobins, qui est, comme vous le savez, sur la route de Vincennes.
— Que diable me contez-vous là?
— La vérité, monseigneur. Toutes les mesures sont prises pour que la litière soit arrêtée au moment où elle atteindra la façade du couvent.
— Et qui a pris ces mesures?
— Hélas!
— Achevez donc, que diable!
— Moi, monseigneur.
D'Épernon fit un bond en arrière.
— Vous? dit-il.
Poulain poussa un soupir.
— Vous en êtes, vous qui dénoncez? continua d'Épernon.
— Monseigneur, dit Poulain, un bon serviteur du roi doit tout risquer pour son service.
— En effet, mordieu! vous risquez la corde.
— Je préfère la mort à l'avilissement ou à la mort du roi; voilà pourquoi je suis venu.
— Ce sont de beaux sentiments, monsieur, et il vous faut de bien grandes raisons pour les avoir.
— J'ai pensé, monseigneur, que vous êtes l'ami du roi, que vous ne me trahiriez point, et que vous tourneriez au profit de tous la révélation que je viens faire.
Le duc regarda longtemps Poulain, et scruta profondément les linéaments de cette figure pâle.
— Il doit y avoir autre chose encore, dit-il; la duchesse, toute résolue qu'elle soit, n'oserait pas tenter seule une pareille entreprise.
— Elle attend son frère, répondit Nicolas Poulain.
— Le duc Henri! s'écria d'Épernon avec la terreur qu'on éprouverait à l'approche du lion.
— Non pas le duc Henri, monseigneur, le duc de Mayenne seulement.
— Ah! fit d'Épernon respirant; mais n'importe il faut aviser à tous ces beaux projets.
— Sans doute, monseigneur, fit Poulain, et c'est pour cela que je me suis hâté.
— Si vous avez dit vrai, monsieur le lieutenant, vous serez récompensé.
— Pourquoi mentirais-je, monseigneur? Quel est mon intérêt, moi qui mange le pain du roi? Lui dois-je, oui ou non, mes services? J'irai donc jusqu'au roi, je vous en préviens, si vous ne me croyez pas, et je mourrai, s'il le faut, pour prouver mon dire.
— Non, parfandious! vous n'irez pas au roi; entendez-vous, maître Nicolas? et c'est à moi seul que vous aurez affaire.
— Soit, monseigneur; je n'ai dit cela que parce que vous paraissiez hésiter.
— Non, je n'hésite pas; et d'abord ce sont mille écus que je vous dois.
— Monseigneur désire donc que ce soit à lui seul?
— Oui, j'ai de l'émulation, du zèle, et je retiens le secret pour moi.
Vous me le cédez, n'est-ce pas?
— Oui, monseigneur.
— Avec garantie que c'est un vrai secret?
— Oh! avec toute garantie.
— Mille écus vous vont donc, sans compter l'avenir?
— J'ai une famille, monseigneur.
— Eh bien! mais, mille écus, parfandious!
— Et si l'on savait en Lorraine que j'ai fait une pareille révélation, chaque parole que j'ai prononcée me coûterait une pinte de sang.
— Pauvre cher homme!
— Il faut donc qu'en cas de malheur ma famille puisse vivre.
— Eh bien?
— Eh bien! voilà pourquoi j'accepte les mille écus.
— Au diable l'explication! et que m'importe à moi pour quel motif vous les acceptez, du moment où vous ne les refusez pas? Les mille écus sont donc à vous.
— Merci, monseigneur.
Et voyant le duc s'approcher d'un coffre où il plongea la main, Poulain s'avança derrière lui.
Mais le duc se contenta de tirer du coffre un petit livre sur lequel il écrivit d'une gigantesque et effrayante écriture:
« Trois mille livres à M. Nicolas Poulain. »
De sorte que l'on ne pouvait savoir s'il avait donné ces trois mille livres, ou s'il les devait.
— C'est comme si vous les teniez, dit-il.
Poulain, qui avait avancé la main et la jambe, retira sa jambe et sa main, ce qui le fit saluer.
— Ainsi, c'est convenu? dit le duc.
— Qu'y a-t-il de convenu, monseigneur?
— Vous continuerez à m'instruire?
Poulain hésita: c'était un métier d'espion qu'on lui imposait.
— Eh bien! dit le duc, ce suprême dévoûment est-il déjà évanoui?
— Non, monseigneur.
— Je puis donc compter sur vous?
Poulain fit un effort.
— Vous pouvez y compter, dit-il.
— Et, moi seul, je sais tout cela?
— Vous seul; oui, monseigneur.
— Allez, mon ami, allez; parfandious! que M. de Mayenne se tienne bien.
Il prononça ces mots en soulevant la tapisserie pour donner passage à Poulain; puis lorsqu'il eut vu celui-ci traverser l'antichambre et disparaître, il repassa vivement chez le roi.
Le roi, fatigué d'avoir joué avec ses chiens, jouait au bilboquet.
D'Épernon prit un air affairé et soucieux, que le roi, préoccupé d'une si importante besogne, ne remarqua même point.
Cependant, comme le duc gardait un silence obstiné, le roi leva la tête et le regarda un instant.
— Eh bien! dit-il, qu'avons-nous encore, Lavalette? voyons, es-tu mort?
— Plût au ciel, sire! répondit d'Épernon, je ne verrais pas ce que je vois.
— Quoi? mon bilboquet?
— Sire, dans les grands périls, un sujet peut s'alarmer de la sécurité de son maître.
— Encore des périls? le diable noir t'emporte, duc!
Et, avec une dextérité remarquable, le roi enfila la boule d'ivoire par le petit bout de son bilboquet.
— Mais vous ignorez donc ce qui se passe? lui demanda le duc.
— Ma foi, peut-être, dit le roi.
— Vos plus cruels ennemis vous entourent en ce moment, sire!
— Bah! qui donc?
— La duchesse de Montpensier, d'abord.
— Ah! oui, c'est vrai; elle regardait hier rouer Salcède.
— Comme Votre Majesté dit cela!
— Qu'est-ce que cela me fait, à moi?
— Vous le saviez donc?
— Tu vois bien que je le savais, puisque je te le dis.
— Mais que M. de Mayenne arrivât, le saviez-vous aussi?
— Depuis hier soir.
— Eh quoi! ce secret!.. fit le duc avec une désagréable surprise.
— Est-ce qu'il y a des secrets pour le roi, mon cher? dit négligemment Henri.
— Mais qui a pu vous instruire?
— Ne sais-tu pas que, nous autres princes, nous avons des révélations?
— Ou une police.
— C'est la même chose.
— Ah! Votre Majesté a sa police et n'en dit rien, reprit d'Épernon piqué.
— Parbleu! qui donc m'aimera, si je ne m'aime?
— Vous me faites injure, sire!
— Si tu es zélé, mon cher Lavalette, ce qui est une grande qualité, tu es lent, ce qui est un grand défaut. Ta nouvelle eût été très bonne hier à quatre heures, mais aujourd'hui...
— Eh bien! sire, aujourd'hui?
— Elle arrive un peu tard, conviens-en.
— C'est encore trop tôt, sire, puisque je ne vous trouve pas disposé à m'entendre, dit d'Épernon.
— Moi, il y a une heure que je t'écoute.
— Quoi! vous êtes menacé, attaqué; l'on vous dresse des embûches, et vous ne vous remuez pas!
— Pourquoi faire, puisque tu m'as donné une garde, et qu'hier tu as prétendu que mon immortalité était assurée? Tu fronces les sourcils. Ah ça! mais tes quarante-cinq sont-ils retournés en Gascogne, ou ne valent- ils plus rien? En est-il de ces messieurs comme des mulets? le jour où on les essaie, c'est tout feu; les a-t-on achetés, ils reculent.
— C'est bien, Votre Majesté verra ce qu'ils sont.
— Je n'en serai point fâché; est-ce bientôt, duc, que je verrai cela?
— Plus tôt peut-être que vous ne le pensez, sire.
— Bon, tu vas me faire peur.
— Vous verrez, vous verrez, sire. A propos, quand allez-vous à la campagne?
— Au bois?
— Oui.
— Samedi.
— Dans trois jours alors?
— Dans trois jours.
— Il suffit, sire.
D'Épernon salua le roi et sortit.
Dans l'antichambre, il s'aperçut qu'il avait oublié de relever M. Pertinax de sa faction; mais M. Pertinax s'était relevé lui-même.