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Kitabı oku: «Vingt ans après», sayfa 57

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XC. Le bras et l'esprit

Le souper fut silencieux, mais non pas triste; car de temps en temps un de ces fins sourires qui lui étaient habituels dans ses moments de bonne humeur illuminait le visage de d'Artagnan. Porthos ne perdait pas un de ces sourires, et à chacun d'eux il poussait quelque exclamation qui indiquait à son ami que, quoiqu'il ne la comprît pas, il n'abandonnait pas davantage la pensée qui bouillonnait dans son cerveau.

Au dessert, d'Artagnan se coucha sur sa chaise, croisa une jambe sur l'autre, et se dandina de l'air d'un homme parfaitement satisfait de lui-même.

Porthos appuya son menton sur ses deux mains, posa ses deux coudes sur la table et regarda d'Artagnan avec ce regard confiant qui donnait à ce colosse une si admirable expression de bonhomie.

– Eh bien? fit d'Artagnan au bout d'un instant.

– Eh bien? répéta Porthos.

– Vous disiez donc, cher ami?..

– Moi! je ne disais rien.

– Si fait, vous disiez que vous aviez envie de vous en aller d'ici.

– Ah! pour cela, oui, ce n'est point l'envie qui me manque.

– Et vous ajoutiez que, pour vous en aller d'ici, il ne s'agissait que de desceller une porte ou une muraille.

– C'est vrai, je disais cela, et même je le dis encore.

– Et moi je vous répondais, Porthos, que c'était un mauvais moyen, et que nous ne ferions point cent pas sans être repris et assommés, à moins que nous n'eussions des habits pour nous déguiser et des armes pour nous défendre.

– C'est vrai, il nous faudrait des habits et des armes.

– Eh bien! dit d'Artagnan en se levant, nous les avons, ami

Porthos, et même quelque chose de mieux.

– Bah! dit Porthos en regardant autour de lui.

– Ne cherchez pas, c'est inutile, tout cela viendra nous trouver au moment voulu. À quelle heure à peu près avons-nous vu se promener hier les deux gardes suisses?

– Une heure, je crois, après que la nuit fut tombée.

– S'ils sortent aujourd'hui comme hier, nous ne serons donc pas un quart d'heure à attendre le plaisir de les voir.

– Le fait est que nous serons un quart d'heure tout au plus.

– Vous avez toujours le bras assez bon, n'est-ce pas, Porthos?

Porthos déboutonna sa manche, releva sa chemise, et regarda avec complaisance ses bras nerveux, gros comme la cuisse d'un homme ordinaire.

– Mais oui, dit-il, assez bon.

– De sorte que vous feriez, sans trop vous gêner, un cerceau de cette pincette et un tire-bouchon de cette pelle?

– Certainement, dit Porthos.

– Voyons, dit d'Artagnan.

Le géant prit les deux objets désignés et opéra avec la plus grande facilité et sans aucun effort apparent les deux métamorphoses désirées par son compagnon.

– Voilà! dit-il.

– Magnifique! dit d'Artagnan, et véritablement vous êtes doué,

Porthos.

– J'ai entendu parler, dit Porthos, d'un certain Milon de Crotone qui faisait des choses fort extraordinaires, comme de serrer son front avec une corde et de la faire éclater, de tuer un boeuf d'un coup de poing et de l'emporter chez lui sur ses épaules, d'arrêter un cheval par les pieds de derrière, etc., etc. Je me suis fait raconter toutes ses prouesses, là-bas à Pierrefonds, et j'ai fait tout ce qu'il faisait, excepté de briser une corde en enflant mes tempes.

– C'est que votre force n'est pas dans votre tête, Porthos, dit d'Artagnan.

– Non, elle est dans mes bras et dans mes épaules, répondit naïvement Porthos.

– Eh bien! mon ami, approchons de la fenêtre et servez-vous de votre force pour desceller un barreau. Attendez que j'éteigne la lampe.

XCI. Le bras et l'esprit (Suite)

Porthos s'approcha de la fenêtre, prit un barreau à deux mains, s'y cramponna, l'attira vers lui et le fit plier comme un arc, si bien que les deux bouts sortirent de l'alvéole de pierre où depuis trente ans le ciment les tenait scellés.

– Eh bien! mon ami, dit d'Artagnan, voilà ce que n'aurait jamais pu faire le cardinal, tout homme de génie qu'il est.

– Faut-il en arracher d'autres? demanda Porthos.

– Non pas, celui-ci nous suffira; un homme peut passer maintenant.

Porthos essaya et sortit son torse tout entier.

– Oui, dit-il.

– En effet, c'est une assez jolie ouverture. Maintenant passez votre bras.

– Par où?

– Par cette ouverture.

– Pourquoi faire?

– Vous le saurez tout à l'heure. Passez toujours.

Porthos obéit, docile comme un soldat, et passa son bras à travers les barreaux.

– À merveille! dit d'Artagnan.

– Il paraît que cela marche?

– Sur des roulettes, cher ami.

– Bon. Maintenant que faut-il que je fasse?

– Rien.

– C'est donc fini?

– Pas encore.

– Je voudrais cependant bien comprendre, dit Porthos.

– Écoutez, mon cher ami, et en deux mots vous serez au fait. La porte du poste s'ouvre, comme vous voyez.

– Oui, je vois.

– On va envoyer dans notre cour, que traverse M. de Mazarin pour se rendre à l'orangerie, les deux gardes qui l'accompagnent.

– Les voilà qui sortent.

– Pourvu qu'ils referment la porte du poste. Bon! ils la referment.

– Après?

– Silence! ils pourraient nous entendre.

– Je ne saurai rien, alors.

– Si fait, car à mesure que vous exécuterez vous comprendrez.

– Cependant, j'aurais préféré…

– Vous aurez le plaisir de la surprise.

– Tiens, c'est vrai, dit Porthos.

– Chut!

Porthos demeura muet et immobile.

En effet, les deux soldats s'avançaient du côté de la fenêtre en se frottant les mains, car on était, comme nous l'avons dit, au mois de février, et il faisait froid.

En ce moment la porte du corps de garde s'ouvrait et l'on rappela un des soldats. Le soldat quitta son camarade et rentra dans le corps de garde.

– Cela va donc toujours? dit Porthos.

– Mieux que jamais, répondit d'Artagnan. Maintenant, écoutez. Je vais appeler ce soldat et causer avec lui, comme j'ai fait hier avec un de ses camarades, vous rappelez-vous?

– Oui; seulement je n'ai pas entendu un mot de ce qu'il disait.

– Le fait est qu'il avait un accent un peu prononcé. Mais ne perdez pas un mot de ce que je vais vous dire; tout est dans l'exécution, Porthos.

– Bon, l'exécution, c'est mon fort.

– Je le sais pardieu bien; aussi je compte sur vous.

– Dites.

– Je vais donc appeler le soldat et causer avec lui.

– Vous l'avez déjà dit.

– Je me tournerai à gauche, de sorte qu'il sera placé, lui, à votre droite au moment où il montera sur le banc.

– Mais s'il n'y monte pas!

– Il y montera, soyez tranquille. Au moment où il montera sur le banc, vous allongerez votre bras formidable et le saisirez au cou. Puis, l'enlevant comme Tobie enleva le poisson par les ouïes, vous l'introduirez dans notre chambre, en ayant soin de serrer assez fort pour l'empêcher de crier.

– Oui, dit Porthos; mais si je l'étrangle?

– D'abord ce ne sera qu'un Suisse de moins; mais vous ne l'étranglerez pas, je l'espère. Vous le déposerez tout doucement ici et nous le bâillonnerons, et l'attacherons, peu importe où, quelque part enfin. Cela nous fera d'abord un habit d'uniforme et une épée.

– Merveilleux! dit Porthos en regardant d'Artagnan avec la plus profonde admiration.

– Hein! fit le Gascon.

– Oui, reprit Porthos en se ravisant; mais un habit d'uniforme et une épée, ce n'est pas assez pour deux.

– Eh bien! est-ce qu'il n'a pas son camarade?

– C'est juste, dit Porthos.

– Donc, quand je tousserai, allongez le bras, il sera temps.

– Bon!

Les deux amis prirent chacun le poste indiqué. Placé comme il était, Porthos se trouvait entièrement caché dans l'angle de la fenêtre.

– Bonsoir, camarade, dit d'Artagnan de sa voix la plus charmante et de son diapason le plus modéré.

– Ponsoir, monsir, répondit le soldat.

– Il ne fait pas trop chaud à se promener, dit d'Artagnan.

– Brrrrrrroun, fit le soldat.

– Et je crois qu'un verre de vin ne vous serait pas désagréable?

– Un ferre de fin, il serait le bienfenu.

– Le poisson mord! le poisson mord! murmura d'Artagnan à Porthos.

– Je comprends, dit Porthos.

– J'en ai là une bouteille, dit d'Artagnan.

– Une pouteille!

– Oui.

– Une pouteille bleine?

– Tout entière, et elle est à vous si vous voulez la boire à ma santé.

– Ehé! moi fouloir pien, dit le soldat en s'approchant.

– Allons, venez la prendre, mon ami, dit le Gascon.

– Pien folontiers. Ché grois qu'il y a un panc.

– Oh! mon Dieu, on dirait qu'il a été placé exprès là.

Montez dessus… Là, bien, c'est cela, mon ami.

Et d'Artagnan toussa.

Au même moment, le bras de Porthos s'abattit; son poignet d'acier mordit, rapide comme l'éclair et ferme comme une tenaille, le cou du soldat, l'enleva en l'étouffant, l'attira à lui par l'ouverture au risque de l'écorcher en passant, et le déposa sur le parquet, où d'Artagnan, en lui laissant tout juste le temps de reprendre sa respiration, le bâillonna avec son écharpe, et, aussitôt bâillonné, se mit à le déshabiller avec la promptitude et la dextérité d'un homme qui a appris son métier sur le champ de bataille.

Puis le soldat garrotté et bâillonné fut porté dans l'âtre, dont nos amis avaient préalablement éteint la flamme.

– Voici toujours une épée et un habit, dit Porthos.

– Je les prends, dit d'Artagnan. Si vous voulez un autre habit et une autre épée, il faut recommencer le tour. Attention! Je vois justement l'autre soldat qui sort du corps de garde et qui vient de ce côté.

– Je crois, dit Porthos, qu'il serait imprudent de recommencer pareille manoeuvre. On ne réussit pas deux fois, à ce qu'on assure, par le même moyen. Si je le manquais, tout serait perdu. Je vais descendre, le saisir au moment où il ne se défiera pas, et je vous l'offrirai tout bâillonné.

– C'est mieux, répondit le Gascon.

– Tenez-vous prêt, dit Porthos en se laissant glisser par l'ouverture.

La chose s'effectua comme Porthos l'avait promis. Le géant se cacha sur son chemin, et, lorsque le soldat passa devant lui, il le saisit au cou, le bâillonna, le poussa pareil à une momie à travers les barreaux élargis de la fenêtre et rentra derrière lui.

On déshabilla le second prisonnier comme on avait déshabillé l'autre. On le coucha sur le lit, on l'assujettit avec des sangles; et comme le lit était de chêne massif et que les sangles étaient doublées, on fut non moins tranquille sur celui-là que sur le premier.

– Là, dit d'Artagnan, voici qui va à merveille. Maintenant, essayez-moi l'habit de ce gaillard-là, Porthos, je doute qu'il vous aille; mais s'il vous est par trop étroit, ne vous inquiétez point, le baudrier vous suffira, et surtout le chapeau à plumes rouges.

Il se trouva par hasard que le second était un Suisse gigantesque, de sorte qu'à l'exception de quelques points qui craquèrent dans les coutures tout alla le mieux du monde.

Pendant quelque temps on n'entendit que le froissement du drap,

Porthos et d'Artagnan s'habillant à la hâte.

– C'est fait, dirent-ils en même temps. Quant à vous, compagnons, ajoutèrent-ils en se retournant vers les deux soldats, il ne vous arrivera rien si vous êtes bien gentils; mais si vous bougez, vous êtes morts.

Les soldats se tinrent cois. Ils avaient compris au poignet de Porthos que la chose était des plus sérieuses et qu'il n'était pas le moins du monde question de plaisanter.

– Maintenant, dit d'Artagnan, vous ne seriez pas fâché de comprendre, n'est-ce pas Porthos?

– Mais oui, pas mal.

– Eh bien, nous descendons dans la cour.

– Oui.

– Nous prenons la place de ces deux gaillards-là.

– Bien.

– Nous nous promenons de long en large.

– Et ce sera bien vu, attendu qu'il ne fait pas chaud.

– Dans un instant le valet de chambre appelle comme hier et avant-hier le service.

– Nous répondons?

– Non, nous ne répondons pas, au contraire.

– Comme vous voudrez. Je ne tiens pas à répondre.

– Nous ne répondons donc pas; nous enfonçons seulement notre chapeau sur notre tête et nous escortons Son Éminence

– Où cela?

– Où elle va, chez Athos. Croyez-vous qu'il sera fâché de nous voir?

– Oh! s'écria Porthos, oh! je comprends!

– Attendez pour vous écrier, Porthos; car, sur ma parole, vous n'êtes pas au bout, dit le Gascon tout goguenard.

– Que va-t-il donc arriver? dit Porthos.

– Suivez-moi, répondit d'Artagnan. Qui vivra verra.

Et passant par l'ouverture, il se laissa légèrement glisser dans la cour. Porthos le suivit par le même chemin, quoique avec plus de peine et moins de diligence.

On entendait frissonner de peur les deux soldats liés dans la chambre.

À peine d'Artagnan et Porthos eurent-ils touché terre, qu'une porte s'ouvrit et que la voix du valet de chambre cria:

– Le service!

En même temps le poste s'ouvrit à son tour et une voix cria:

– La Bruyère et du Barthois, partez!

– Il paraît que je m'appelle La Bruyère, dit d'Artagnan.

– Et moi du Barthois, dit Porthos.

– Où êtes-vous? demanda le valet de chambre, dont les yeux éblouis par la lumière ne pouvaient sans doute distinguer nos deux héros dans l'obscurité.

– Nous voici, dit d'Artagnan.

Puis, se tournant vers Porthos:

– Que dites-vous de cela, monsieur du Vallon?

– Ma foi, pourvu que cela dure, je dis que c'est joli!

Les deux soldats improvisés marchèrent gravement derrière le valet de chambre; il leur ouvrit une porte du vestibule, puis une autre qui semblait être celle d'un salon d'attente, et leur montrant deux tabourets:

– La consigne est bien simple, leur dit-il, ne laissez entrer qu'une personne ici, une seule, entendez-vous bien? pas davantage; à cette personne obéissez en tout. Quant au retour, il n'y a pas à vous tromper, vous attendrez que je vous relève.

D'Artagnan était fort connu de ce valet de chambre, qui n'était autre que Bernouin, qui, depuis six ou huit mois, l'avait introduit une dizaine de fois près du cardinal. Il se contenta donc, au lieu de répondre, de grommeler le_ ia_ le moins gascon et le plus allemand possible.

Quant à Porthos, d'Artagnan avait exigé et obtenu de lui la promesse qu'en aucun cas il ne parlerait. S'il était poussé à bout, il lui était permis de proférer pour toute réponse le tarteifle proverbial et solennel.

Bernouin s'éloigna en fermant la porte.

– Oh! oh! dit Porthos en entendant la clef de la serrure, il paraît qu'ici c'est de mode d'enfermer les gens. Nous n'avons fait, ce me semble, que de troquer de prison: seulement, au lieu d'être prisonniers là-bas, nous le sommes dans l'orangerie. Je ne sais pas si nous y avons gagné.

– Porthos, mon ami, dit tout bas d'Artagnan, ne doutez pas de la

Providence, et laissez-moi méditer et réfléchir.

– Méditez et réfléchissez donc, dit Porthos de mauvaise humeur en voyant que les choses tournaient ainsi au lieu de tourner autrement.

– Nous avons marché quatre-vingts pas, murmura d'Artagnan, nous avons monté six marches, c'est donc ici, comme l'a dit tout à l'heure mon illustre ami du Vallon, cet autre pavillon parallèle au nôtre et qu'on désigne sous le nom de pavillon de l'orangerie. Le comte de La Fère ne doit pas être loin; seulement les portes sont fermées.

– Voilà une belle difficulté! dit Porthos, et avec un coup d'épaule…

– Pour Dieu! Porthos, mon ami, dit d'Artagnan, ménagez vos tours de force, ou ils n'auront plus, dans l'occasion, toute la valeur qu'ils méritent; n'avez-vous pas entendu qu'il va venir ici quelqu'un?

– Si fait.

– Eh bien! ce quelqu'un nous ouvrira les portes.

– Mais, mon cher, dit Porthos, si ce quelqu'un nous reconnaît, si ce quelqu'un en nous reconnaissant se met à crier, nous sommes perdus; car enfin vous n'avez pas le dessein, j'imagine, de me faire assommer ou étrangler cet homme Église Ces manières-là sont bonnes envers les Anglais et les Allemands.

– Oh! Dieu m'en préserve et vous aussi! dit d'Artagnan. Le jeune roi nous en aurait peut-être quelque reconnaissance; mais la reine ne nous le pardonnerait pas, et c'est elle qu'il faut ménager; puis d'ailleurs, du sang inutile! jamais! au grand jamais! J'ai mon plan. Laissez-moi donc faire et nous allons rire.

– Tant mieux, dit Porthos, j'en éprouve le besoin.

– Chut! dit d'Artagnan, voici le quelqu'un annoncé.

On entendit alors dans la salle précédente, c'est-à-dire dans le vestibule, le retentissement d'un pas léger. Les gonds de la porte crièrent et un homme parut en habit de cavalier, enveloppé d'un manteau brun, un large feutre rabattu sur ses yeux et une lanterne à la main.

Porthos s'effaça contre la muraille, mais il ne put tellement se rendre invisible que l'homme au manteau ne l'aperçût; il lui présenta sa lanterne et lui dit:

– Allumez la lampe du plafond.

Puis s'adressant à d'Artagnan:

– Vous connaissez la consigne, dit-il.

– Ia, répliqua le Gascon, déterminé à se borner à cet échantillon de la langue allemande.

– Tedesco, fit le cavalier, va bene.

Et s'avançant vers la porte située en face de celle par laquelle il était entré, il l'ouvrit et disparut derrière elle en la refermant.

– Et maintenant, dit Porthos, que ferons-nous?

– Maintenant, nous nous servirons de votre épaule si cette porte est fermée, ami Porthos. Chaque chose en son temps, et tout vient à propos à qui sait attendre. Mais d'abord barricadons la première porte d'une façon convenable, ensuite nous suivrons le cavalier.

Les deux amis se mirent aussitôt à la besogne et embarrassèrent la porte de tous les meubles qui se trouvèrent dans la salle, embarras qui rendait le passage d'autant plus impraticable que la porte s'ouvrait en dedans.

– Là, dit d'Artagnan, nous voilà sûrs de ne pas être surpris par derrière. Allons, en avant.

XCII. Les oubliettes de M. de Mazarin

On arriva à la porte par laquelle avait disparu Mazarin; elle était fermée; d'Artagnan tenta inutilement de l'ouvrir.

– Voilà où il s'agit de placer votre coup d'épaule, dit d'Artagnan. Poussez, ami Porthos, mais doucement, sans bruit; n'enfoncez rien, disjoignez les battants, voilà tout.

Porthos appuya sa robuste épaule contre un des panneaux, qui plia, et d'Artagnan introduisit alors la pointe de son épée entre le pêne et la gâche de la serrure. Le pêne, taillé en biseau, céda, et la porte s'ouvrit.

– Quand je vous disais, ami Porthos, qu'on obtenait tout des femmes et des portes en les prenant par la douceur.

– Le fait est, dit Porthos, que vous êtes un grand moraliste.

– Entrons, dit d'Artagnan.

Ils entrèrent. Derrière un vitrage, à la lueur de la lanterne du cardinal, posée à terre au milieu de la galerie, on voyait les orangers et les grenadiers du château de Rueil alignés en longues files formant une grande allée et deux allées latérales plus petites.

– Pas de cardinal, dit d'Artagnan, mais sa lampe seule; où diable est-il donc?

Et comme il explorait une des ailes latérales, après avoir fait signe à Porthos d'explorer l'autre, il vit tout à coup à sa gauche une caisse écartée de son rang, et, à la place de cette caisse un trou béant.

Dix hommes eussent eu de la peine à faire mouvoir cette caisse, mais, par un mécanisme quelconque, elle avait tourné avec la dalle qui la supportait.

D'Artagnan, comme nous l'avons dit, vit un trou à cette place, et, dans ce trou, les degrés de l'escalier tournant.

Il appela Porthos de la main et lui montra le trou et les degrés.

Les deux hommes se regardèrent avec une mine effarée.

– Si nous ne voulions que de l'or, dit tout bas d'Artagnan, nous aurions trouvé notre affaire et nous serions riches à tout jamais.

– Comment cela?

– Ne comprenez-vous pas, Porthos, qu'au bas de cet escalier est, selon toute probabilité, ce fameux trésor du cardinal, dont on parle tant, et que nous n'aurions qu'à descendre, vider une caisse, enfermer dedans le cardinal à double tour, nous en aller en emportant ce que nous pourrions traîner d'or, remettre à sa place cet oranger, et que personne au monde ne viendrait nous demander d'où nous vient notre fortune, pas même le cardinal?

– Ce serait un beau coup pour des manants, dit Porthos, mais indigne, ce me semble, de deux gentilshommes.

– C'est mon avis, dit d'Artagnan; aussi ai-je dit: «Si nous ne voulions que de l'or…» mais nous voulons autre chose.

Au même instant, et comme d'Artagnan penchait la tête vers le caveau pour écouter, un son métallique et sec comme celui d'un sac d'or qu'on remue vint frapper son oreille; il tressaillit. Aussitôt une porte se referma et les premiers reflets d'une lumière parurent dans l'escalier.

Mazarin avait laissé sa lampe dans l'orangerie pour faire croire qu'il se promenait. Mais il avait une bougie de cire pour explorer son mystérieux coffre-fort.

– Hé! dit-il en italien, tandis qu'il remontait les marches en examinant un sac de réaux à la panse arrondie; hé! voilà de quoi payer cinq conseillers au parlement et deux généraux de Paris. Moi aussi je suis un grand capitaine; seulement je fais la guerre à ma façon…

D'Artagnan et Porthos s'étaient tapis chacun dans une allée latérale, derrière une caisse, et attendaient.

Mazarin vint, à trois pas de d'Artagnan, pousser un ressort caché dans le mur. La dalle tourna, et l'oranger supporté par elle revint de lui-même prendre sa place.

Alors le cardinal éteignit sa bougie, qu'il remit dans sa poche; et, reprenant sa lampe:

– Allons voir M. de La Fère, dit-il.

– Bon, c'est notre chemin, pensa d'Artagnan, nous irons ensemble.

Tous trois se mirent en marche. M. de Mazarin suivant l'allée du milieu, et Porthos et d'Artagnan les allées parallèles. Ces deux derniers évitaient avec soin ces longues lignes lumineuses que traçait à chaque pas entre les caisses la lampe du cardinal.

Celui-ci arriva à une seconde porte vitrée sans s'être aperçu qu'il était suivi, le sable mou amortissant le bruit des pas de ses deux accompagnateurs.

Puis il tourna sur la gauche, prit un corridor auquel Porthos et d'Artagnan n'avaient pas encore fait attention; mais au moment d'en ouvrir la porte, il s'arrêta pensif.

– Ah! diavolo! dit-il, j'oubliais la recommandation de

Comminges. Il me faut prendre les soldats et les placer à cette porte, afin de ne pas me mettre à la merci de ce diable à quatre.

Allons.

Et, avec un mouvement d'impatience, il se retourna pour revenir sur ses pas.

– Ne vous donnez pas la peine, Monseigneur, dit d'Artagnan le pied en avant, le feutre à la main et la figure gracieuse, nous avons suivi Votre Éminence pas à pas, et nous voici.

– Oui, nous voici, dit Porthos.

Et il fit le même geste d'agréable salutation.

Mazarin porta ses yeux effarés de l'un à l'autre, les reconnut tous deux, et laissa échapper sa lanterne en poussant un gémissement d'épouvante.

D'Artagnan la ramassa; par bonheur elle ne s'était pas éteinte dans la chute.

– Oh! quelle imprudence, Monseigneur! dit d'Artagnan; il ne fait pas bon à aller ici sans lumière! Votre Éminence pourrait se cogner contre quelque caisse ou tomber dans quelque trou.

– Monsieur d'Artagnan! murmura Mazarin, qui ne pouvait revenir de son étonnement.

– Oui, Monseigneur, moi-même, et j'ai l'honneur de vous présenter M. du Vallon, cet excellent ami à moi, auquel Votre Éminence a eu la bonté de s'intéresser si vivement autrefois.

Et d'Artagnan dirigea la lumière de la lampe vers le visage joyeux de Porthos, qui commençait à comprendre et qui en était tout fier.

– Vous alliez chez M. de La Fère, continua d'Artagnan. Que nous ne vous gênions pas, Monseigneur. Veuillez nous montrer le chemin, et nous vous suivrons.

Mazarin reprenait peu à peu ses esprits.

– Y a-t-il longtemps que vous êtes dans l'orangerie, messieurs? demanda-t-il d'une voix tremblante en songeant à la visite qu'il venait de faire à son trésor.

Porthos ouvrit la bouche pour répondre, d'Artagnan lui fit un signe, et la bouche de Porthos, demeurée muette, se referma graduellement.

– Nous arrivons à l'instant même, Monseigneur, dit d'Artagnan.

Mazarin respira: il ne craignait plus pour son trésor; il ne craignait que pour lui-même. Une espèce de sourire passa sur ses lèvres.

– Allons, dit-il, vous m'avez pris au piège, messieurs, et je me déclare vaincu. Vous voulez me demander votre liberté, n'est-ce pas? Je vous la donne.

– Oh! Monseigneur, dit d'Artagnan, vous êtes bien bon; mais notre liberté, nous l'avons, et nous aimerions autant vous demander autre chose.

– Vous avez votre liberté? dit Mazarin tout effrayé.

– Sans doute, et c'est au contraire vous, Monseigneur, qui avez perdu la vôtre, et maintenant, que voulez-vous, Monseigneur, c'est la loi de la guerre, il s'agit de la racheter.

Mazarin se sentit frissonner jusqu'au fond du coeur. Son regard si perçant se fixa en vain sur la face moqueuse du Gascon et sur le visage impassible de Porthos. Tous deux étaient cachés dans l'ombre, et la sibylle de Cumes elle-même n'aurait pas su y lire.

– Racheter ma liberté! répéta Mazarin.

– Oui, Monseigneur.

– Et combien cela me coûtera-t-il, monsieur d'Artagnan?

– Dame, Monseigneur, je ne sais pas encore. Nous allons demander cela au comte de La Fère, si Votre Éminence veut bien le permettre. Que Votre Éminence daigne donc ouvrir la porte qui mène chez lui, et dans dix minutes elle sera fixée.

Mazarin tressaillit.

– Monseigneur, dit d'Artagnan, Votre Éminence voit combien nous y mettons de formes, mais cependant nous sommes obligés de la prévenir que nous n'avons pas de temps à perdre; ouvrez donc, Monseigneur, s'il vous plaît, et veuillez vous souvenir, une fois pour toutes, qu'au moindre mouvement que vous feriez pour fuir, au moindre en que vous pousseriez pour échapper, notre position étant tout exceptionnelle, il ne faudrait pas nous en vouloir si nous nous portions à quelque extrémité.

– Soyez tranquilles, messieurs, dit Mazarin, je ne tenterai rien, je vous en donne ma parole d'honneur.

D'Artagnan fit un signe à Porthos de redoubler de surveillance, puis, se retournant vers Mazarin:

– Maintenant, Monseigneur, entrons, s'il vous plaît.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
27 eylül 2017
Hacim:
1030 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
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