Kitabı oku: «Vingt ans après», sayfa 58
XCIII. Conférences
Mazarin fit jouer le verrou d'une double porte, sur le seuil de laquelle se trouva Athos tout prêt à recevoir son illustre visiteur, selon l'avis que Comminges lui avait donné.
En apercevant Mazarin il s'inclina.
– Votre Éminence, dit-il, pouvait se dispenser de se faire accompagner; l'honneur que je reçois est trop grand pour que je l'oublie.
– Aussi, mon cher comte, dit d'Artagnan, Son Éminence ne voulait- elle pas absolument de nous; c'est du Vallon et moi qui avons insisté, d'une façon inconvenante peut-être, tant nous avions grand désir de vous voir.
À cette voix, à son accent railleur, à ce geste si connu qui accompagnait cet accent et cette voix, Athos fit un bond de surprise.
– D'Artagnan! Porthos! s'écria-t-il.
– En personne, cher ami.
– En personne, répéta Porthos.
– Que veut dire ceci? demanda le comte.
– Ceci veut dire, répondit Mazarin, en essayant, comme il l'avait déjà fait, de sourire, et en se mordant les lèvres en souriant, cela veut dire que les rôles ont changé, et qu'au lieu que ces messieurs soient mes prisonniers, c'est moi qui suis le prisonnier de ces messieurs, si bien que vous me voyez forcé de recevoir ici la loi au lieu de la faire. Mais, messieurs, je vous en préviens, à moins que vous ne m'égorgiez, votre victoire sera de peu de durée; j'aurai mon tour, on viendra…
– Ah! Monseigneur, dit d'Artagnan, ne menacez point; c'est d'un mauvais exemple. Nous sommes si doux et si charmants avec Votre Éminence! Voyons, mettons de côté toute mauvaise humeur, écartons toute rancune, et causons gentiment.
– Je ne demande pas mieux, messieurs, dit Mazarin; mais au moment de discuter ma rançon, je ne veux pas que vous teniez votre position pour meilleure qu'elle n'est; en me prenant au piège, vous vous êtes pris avec moi. Comment sortirez-vous d'ici? Voyez les grilles, voyez les portes, voyez ou plutôt devinez les sentinelles qui veillent derrière ces portes et ces grilles, les soldats qui encombrent ces cours, et composons. Tenez, je vais vous montrer que je suis loyal.
– Bon! pensa d'Artagnan, tenons-nous bien, il va nous jouer un tour.
– Je vous offrais votre liberté, continua le ministre, je vous l'offre encore. En voulez-vous? Avant une heure vous serez découverts, arrêtés, forcés de me tuer, ce qui serait un crime horrible et tout à fait indigne de loyaux gentilshommes comme vous.
– Il a raison, pensa Athos.
Et comme toute raison qui passait dans cette âme qui n'avait que de nobles pensées, sa pensée se refléta dans ses yeux.
– Aussi, dit d'Artagnan pour corriger l'espoir que l'adhésion tacite d'Athos avait donné à Mazarin, ne nous porterons-nous à cette violence qu'à la dernière extrémité.
– Si au contraire, continua Mazarin, vous me laissez aller en acceptant votre liberté…
– Comment, interrompit d'Artagnan, voulez-vous que nous acceptions notre liberté, puisque vous pouvez nous la reprendre, vous le dites vous-même, cinq minutes après nous l'avoir donnée? Et, ajouta d'Artagnan, tel que je vous connais, Monseigneur, vous nous la reprendriez.
– Non, foi de cardinal… Vous ne me croyez pas?
– Monseigneur, je ne crois pas aux cardinaux qui ne sont pas prêtres.
– Eh bien! foi de ministre!
– Vous ne l'êtes plus, Monseigneur, vous êtes prisonnier.
– Alors, foi de Mazarin! Je le suis et le serai toujours, je l'espère.
– Hum! fit d'Artagnan, j'ai entendu parler d'un Mazarin qui avait peu de religion pour ses serments, et j'ai peur que ce ne soit un des ancêtres de Votre Éminence.
– Monsieur d'Artagnan, dit Mazarin, vous avez beaucoup d'esprit, et je suis tout à fait fâché de m'être brouillé avec vous.
– Monseigneur, raccommodons-nous, je ne demande pas mieux.
– Eh bien! dit Mazarin, si je vous mets en sûreté d'une façon évidente, palpable?..
– Ah! c'est autre chose, dit Porthos.
– Voyons, dit Athos.
– Voyons, dit d'Artagnan.
– D'abord, acceptez-vous? demanda le cardinal.
– Expliquez-nous votre plan, Monseigneur, et nous verrons.
– Faites attention que vous êtes enfermés, pris.
– Vous savez bien, Monseigneur, dit d'Artagnan, qu'il nous reste toujours une dernière ressource.
– Laquelle?
– Celle de mourir ensemble.
Mazarin frissonna.
– Tenez, dit-il, au bout du corridor est une porte dont j'ai la clef; cette porte donne dans le parc. Partez avec cette clef. Vous êtes alertes, vous êtes vigoureux, vous êtes armés. À cent pas, en tournant à gauche, vous rencontrerez le mur du parc; vous le franchirez, et en trois bonds vous serez sur la route et libres. Maintenant je vous connais assez pour savoir que si l'on vous attaque, ce ne sera point un obstacle à votre fuite.
– Ah! pardieu! Monseigneur, dit d'Artagnan, à la bonne heure, voilà qui est parlé. Où est cette clef que vous voulez bien nous offrir?
– La voici.
– Ah! Monseigneur, dit d'Artagnan, vous nous conduirez bien vous- même jusqu'à cette porte.
– Très volontiers, dit le ministre, s'il vous faut cela pour vous tranquilliser.
Mazarin, qui n'espérait pas en être quitte à si bon marché, se dirigea tout radieux vers le corridor et ouvrit la porte.
Elle donnait bien sur le parc, et les trois fugitifs s'en aperçurent au vent de la nuit qui s'engouffra dans le corridor et leur fit voler la neige au visage.
– Diable! diable! dit d'Artagnan, il fait une nuit horrible, Monseigneur. Nous ne connaissons pas les localités, et jamais nous ne trouverons notre chemin. Puisque Votre Éminence a tant fait que de venir jusqu'ici, quelques pas encore, Monseigneur… conduisez- nous au mur.
– Soit, dit le cardinal.
Et coupant en ligne droite, il marcha d'un pas rapide vers le mur, au pied duquel tous quatre furent en un instant.
– Êtes-vous contents, messieurs? demanda Mazarin.
– Je crois bien! nous serions difficiles! Peste! quel honneur! trois pauvres gentilshommes escortés par un prince de Église! Ah! à propos, Monseigneur, vous disiez tout à l'heure que nous étions braves, alertes et armés?
– Oui.
– Vous vous trompez: il n'y a d'armés que M. du Vallon et moi; M. le comte ne l'est pas, et si nous étions rencontrés par quelque patrouille, il faut que nous puissions nous défendre.
– C'est trop juste.
– Mais où trouverons-nous une épée? demanda Porthos.
– Monseigneur, dit d'Artagnan, prêtera au comte la sienne qui lui est inutile.
– Bien volontiers, dit le cardinal; je prierai même M. le comte de vouloir bien la garder en souvenir de moi.
– J'espère que voilà qui est galant, comte! dit d'Artagnan.
– Aussi, répondit Athos, je promets à Monseigneur de ne jamais m'en séparer.
– Bien, dit d'Artagnan, échange de procédés, comme c'est touchant! N'en avez-vous point les larmes aux yeux, Porthos?
– Oui, dit Porthos; mais je ne sais si c'est cela ou si c'est le vent qui me fait pleurer. Je crois que c'est le vent.
– Maintenant montez, Athos, fit d'Artagnan, et faites vite.
Athos, aidé de Porthos, qui l'enleva comme une plume, arriva sur le perron.
– Maintenant sautez, Athos.
Athos sauta et disparut de l'autre côté du mur.
– Êtes-vous à terre? demanda d'Artagnan.
– Oui.
– Sans accident?
– Parfaitement sain et sauf.
– Porthos, observez M. le cardinal tandis que je vais monter; non, je n'ai pas besoin de vous, je monterai bien tout seul. Observez M. le cardinal, voilà tout.
– J'observe, dit Porthos. Eh bien?..
– Vous avez raison, c'est plus difficile que je ne croyais, prêtez-moi votre dos, mais sans lâcher M. le cardinal.
– Je ne le lâche pas.
Porthos prêta son dos à d'Artagnan, qui en un instant, grâce à cet appui, fut à cheval sur le couronnement du mur.
Mazarin affectait de rire.
– Y êtes-vous? demanda Porthos.
– Oui, mon ami, et maintenant…
– Maintenant, quoi?
– Maintenant, passez-moi M. le cardinal, et au moindre cri qu'il poussera, étouffez-le.
Mazarin voulut s'écrier; mais Porthos l'étreignit de ses deux mains et l'éleva jusqu'à d'Artagnan, qui, à son tour, le saisit au collet et l'assit près de lui. Puis d'un ton menaçant:
– Monsieur, sautez à l'instant même en bas, près de M. de La
Fère, ou je vous tue, foi de gentilhomme!
– Monsou, monsou, s'écria Mazarin, vous manquez à la foi promise.
– Moi! Où vous ai-je promis quelque chose, Mon seigneur?
Mazarin poussa un gémissement.
– Vous êtes libre par moi, monsieur, dit-il, votre liberté c'était ma rançon.
– D'accord; mais la rançon de cet immense trésor enfoui dans la galerie et près duquel on descend en poussant un ressort caché dans la muraille, lequel fait tourner une caisse qui, en tournant, découvre un escalier, ne faut-il pas aussi en parler un peu, dites, Monseigneur?
– Jésous! dit Mazarin presque suffoqué et en joignant les mains,
Jésous mon Diou! Je suis un homme perdu.
Mais, sans s'arrêter à ses plaintes, d'Artagnan le prit par- dessous le bras et le fit glisser doucement aux mains d'Athos, qui était demeuré impassible au bas de la muraille.
Alors, se retournant vers Porthos:
– Prenez ma main, dit d'Artagnan; je me tiens au mur.
Porthos fit un effort qui ébranla la muraille, et à son tour il arriva au sommet.
– Je n'avais pas compris tout à fait, dit-il, mais je comprends maintenant; c'est très drôle.
– Trouvez-vous? dit d'Artagnan; tant mieux! Mais pour que ce soit drôle jusqu'au bout, ne perdons pas de temps.
Et il sauta au bas du mur.
Porthos en fit autant.
– Accompagnez M. le cardinal, messieurs, dit d'Artagnan, moi, je sonde le terrain.
Le Gascon tira son épée et marcha à l'avant-garde.
– Monseigneur, dit-il, par où faut-il tourner pour gagner la grande route? Réfléchissez bien avant de répondre; car si Votre Éminence se trompait, cela pourrait avoir de graves inconvénients, non seulement pour nous, mais encore pour elle.
– Longez le mur, monsieur, dit Mazarin, et vous ne risquez pas de vous perdre.
Les trois amis doublèrent le pas, mais au bout de quelques instants ils furent obligés de ralentir leur marche; quoiqu'il y mît toute la bonne volonté possible, le cardinal ne pouvait les suivre.
Tout à coup d'Artagnan se heurta à quelque chose de tiède qui fit un mouvement.
– Tiens! un cheval! dit-il; je viens de trouver un cheval, messieurs!
– Et moi aussi! dit Athos.
– Et moi aussi! dit Porthos, qui, fidèle à la consigne, tenait toujours le cardinal par le bras.
– Voilà ce qui s'appelle de la chance, Monseigneur, dit d'Artagnan, juste au moment où Votre Éminence se plaignait d'être obligée d'aller à pied…
Mais au moment où il prononçait ces mots, un canon de pistolet s'abaissa sur sa poitrine; il entendit ces mots prononcés gravement:
– Touchez pas!
– Grimaud! s'écria-t-il, Grimaud! que fais-tu là? Est-ce le ciel qui t'envoie?
– Non, monsieur, dit l'honnête domestique, c'est M. Aramis qui m'a dit de garder les chevaux.
– Aramis est donc ici?
– Oui, monsieur, depuis hier.
– Et que faites-vous?
– Nous guettons.
– Quoi! Aramis est ici? répéta Athos.
– À la petite porte du château. C'était là son poste.
– Vous êtes donc nombreux?
– Nous sommes soixante.
– Fais-le prévenir.
– À l'instant même, monsieur.
Et pensant que personne ne ferait mieux la commission que lui, Grimaud partit à toutes jambes, tandis que, venant d'être enfin réunis, les trois amis attendaient.
Il n'y avait dans tout le groupe que M. de Mazarin qui fût de fort mauvaise humeur.
XCIV. Où l'on commence à croire que Porthos sera enfin baron et d'Artagnan capitaine
Au bout de dix minutes Aramis arriva accompagné de Grimaud et de huit ou dix gentilshommes. Il était tout radieux, et se jeta au cou de ses amis.
– Vous êtes donc libres, frères! libres sans mon aide! je n'aurai donc rien pu faire pour vous malgré tous mes efforts!
– Ne vous désolez pas, cher ami. Ce qui est différé n'est pas perdu. Si vous n'avez pas pu faire, vous ferez.
– J'avais cependant bien pris mes mesures, dit Aramis. J'ai obtenu soixante hommes de M. le coadjuteur; vingt gardent les murs du parc, vingt la route de Rueil à Saint-Germain, vingt sont disséminés dans les bois. J'ai intercepté ainsi, et grâce à ces dispositions stratégiques, deux courriers de Mazarin à la reine.
Mazarin dressa les oreilles.
– Mais, dit d'Artagnan, vous les avez honnêtement, je l'espère, renvoyés à M. le cardinal?
– Ah! oui, dit Aramis, c'est bien avec lui que je me piquerais de semblable délicatesse! Dans l'une de ces dépêches, le cardinal déclare à la reine que les coffres sont vides et que Sa Majesté n'a plus d'argent; dans l'autre, il annonce qu'il va faire transporter ses prisonniers à Melun, Rueil ne lui paraissant pas une localité assez sûre. Vous comprenez, cher ami, que cette dernière lettre m'a donné bon espoir. Je me suis embusqué avec mes soixante hommes, j'ai cerné le château, j'ai fait préparer des chevaux de main que j'ai confiés à l'intelligent Grimaud, et j'ai attendu votre sortie; je n'y comptais guère que pour demain matin, et je n'espérais pas vous délivrer sans escarmouche. Vous êtes libres ce soir, libres sans combat, tant mieux! Comment avez-vous fait pour échapper à ce pleutre de Mazarin? vous devez avoir eu fort à vous en plaindre.
– Mais pas trop, dit d'Artagnan.
– Vraiment!
– Je dirai même plus, nous avons eu à nous louer de lui.
– Impossible!
– Si fait, en vérité; c'est grâce à lui que nous sommes libres.
– Grâce à lui?
– Oui, il nous a fait conduire dans l'orangerie par M. Bernouin, son valet de chambre, puis de là nous l'avons suivi jusque chez le comte de La Fère. Alors il nous a offert de nous rendre notre liberté, nous avons accepté, et il a poussé la complaisance jusqu'à nous montrer le chemin et nous conduire au mur du parc, que nous venions d'escalader avec le plus grand bonheur, quand nous avons rencontré Grimaud.
– Ah! bien, dit Aramis, voici qui me raccommode avec lui, et je voudrais qu'il fût là pour lui dire que je ne le croyais pas capable d'une si belle action.
– Monseigneur, dit d'Artagnan incapable de se contenir plus longtemps, permettez que je vous présente M. le chevalier d'Herblay, qui désire offrir, comme vous avez pu l'entendre, ses félicitations respectueuses à Votre Éminence.
Et il se retira, démasquant Mazarin confus aux regards effarés d'Aramis.
– Oh! oh! fit celui-ci, le cardinal? Belle prise! Holà! holà! amis! les chevaux! les chevaux!
Quelques cavaliers accoururent.
– Pardieu! dit Aramis, j'aurai donc été utile à quelque chose. Monseigneur, daigne Votre Éminence recevoir tous mes hommages! Je parie que c'est ce saint Christophe de Porthos qui a encore fait ce coup-là? À propos, j'oubliais…
Et il donna tout bas un ordre à un cavalier.
– Je crois qu'il serait prudent de partir, dit d'Artagnan.
– Oui, mais j'attends quelqu'un… un ami d'Athos.
– Un ami? dit le comte.
– Et tenez, le voilà qui arrive au galop à travers les broussailles.
– Monsieur le comte! monsieur le comte! cria une jeune voix qui fit tressaillir Athos.
– Raoul! Raoul! s'écria le comte de La Fère.
Un instant le jeune homme oublia son respect habituel; il se jeta au cou de son père.
– Voyez, monsieur le cardinal, n'eût-ce pas été dommage de séparer des gens qui s'aiment comme nous nous aimons! Messieurs, continua Aramis en s'adressant aux cavaliers qui se réunissaient plus nombreux à chaque instant, messieurs, entourez Son Éminence pour lui faire honneur; elle veut bien nous accorder la faveur de sa compagnie; vous lui en serez reconnaissants, je l'espère. Porthos, ne perdez pas de vue Son Éminence.
Et Aramis se réunit à d'Artagnan et à Athos, qui délibéraient, et délibéra avec eux.
– Allons, dit d'Artagnan après cinq minutes de conférence, en route!
– Et où allons-nous? demanda Porthos.
– Chez vous, cher ami, à Pierrefonds; votre beau château est digne d'offrir son hospitalité seigneuriale à Son Éminence Et puis, très bien situé, ni trop près ni trop loin de Paris; on pourra de là établir des communications faciles avec la capitale. Venez, Monseigneur, vous serez là comme un prince, que vous êtes.
– Prince déchu, dit piteusement Mazarin.
– La guerre a ses chances, Monseigneur, répondit Athos, mais soyez assuré que nous n'en abuserons point.
– Non, mais nous en userons, dit d'Artagnan.
Tout le reste de la nuit, les ravisseurs coururent avec cette rapidité infatigable d'autrefois; Mazarin, sombre et pensif, se laissait entraîner au milieu de cette course de fantômes.
À l'aube, on avait fait douze lieues d'une seule traite; la moitié de l'escorte était harassée, quelques chevaux tombèrent.
– Les chevaux d'aujourd'hui ne valent pas ceux d'autrefois, dit
Porthos, tout dégénère.
– J'ai envoyé Grimaud à Dammartin, dit Aramis; il doit nous ramener cinq chevaux frais, un pour son Éminence, quatre pour nous. Le principal est que nous ne quittions pas Monseigneur; le reste de l'escorte nous rejoindra plus tard; une fois Saint-Denis passé, nous n'avons plus rien à craindre.
Grimaud ramena effectivement cinq chevaux; le Seigneur auquel il s'était adressé, étant un ami de Porthos, s'était empressé, non pas de les vendre, comme on le lui avait proposé, mais de les offrir. Dix minutes après, l'escorte s'arrêtait à Ermenonville; mais les quatre amis couraient avec une ardeur nouvelle, escortant M. de Mazarin.
À midi on entrait dans l'avenue du château de Porthos.
– Ah! fit Mousqueton, qui était placé près de d'Artagnan et qui n'avait pas soufflé un seul mot pendant toute la route; ah! vous me croirez si vous voulez, monsieur, mais voilà la première fois que je respire depuis mon départ de Pierrefonds.
Et il mit son cheval au galop pour annoncer aux autres serviteurs l'arrivée de M. du Vallon et de ses amis.
– Nous sommes quatre, dit d'Artagnan à ses amis; nous nous relayons pour garder Monseigneur, et chacun de nous veillera trois heures. Athos va visiter le château, qu'il s'agit de rendre imprenable en cas de siège, Porthos veillera aux approvisionnements, et Aramis aux entrées des garnisons; c'est-à- dire qu'Athos sera ingénieur en chef, Porthos munitionnaire général, et Aramis gouverneur de la place.
En attendant, on installa Mazarin dans le plus bel appartement du château.
– Messieurs, dit-il quand cette installation fut faite, vous ne comptez pas, je présume, me garder ici longtemps incognito?
– Non, Monseigneur, répondit d'Artagnan, et, tout au contraire, comptons-nous publier bien vite que nous vous tenons.
– Alors on vous assiégera.
– Nous y comptons bien.
– Et que ferez-vous?
– Nous nous défendrons. Si feu M. le cardinal de Richelieu vivait encore, il vous raconterait une certaine histoire d'un bastion Saint-Gervais, où nous avons tenu à nous quatre, avec nos quatre laquais et douze morts, contre toute une armée.
– Ces prouesses-là se font une fois, monsieur, et ne se renouvellent pas.
– Aussi, aujourd'hui, n'aurons-nous pas besoin d'être si héroïques; demain l'armée parisienne sera prévenue, après-demain, elle sera ici. La bataille, au lieu de se livrer à Saint-Denis ou à Charenton, se livrera donc vers Compiègne ou Villers-Cotterêts.
– M. le Prince vous battra, comme il vous a toujours battus.
– C'est possible, Monseigneur; mais avant la bataille nous ferons filer Votre Éminence sur un autre château de notre ami du Vallon, et il en a trois comme celui-ci. Nous ne voulons pas exposer Votre Éminence aux hasards de la guerre.
– Allons, dit Mazarin, je vois qu'il faudra capituler.
– Avant le siège?
– Oui, les conditions seront peut-être meilleures.
– Ah! Monseigneur, pour ce qui est des conditions, vous verrez comme nous sommes raisonnables.
– Voyons, quelles sont-elles, vos conditions?
– Reposez-vous d'abord, Monseigneur, et nous, nous allons réfléchir.
– Je n'ai pas besoin de repos, messieurs, j'ai besoin de savoir si je suis entre des mains amies ou ennemies.
– Amies, Monseigneur. Amies!
– Eh bien, alors, dites-moi tout de suite ce que vous voulez, afin que je voie si un arrangement est possible entre nous. Parlez, monsieur le comte de La Fère.
– Monseigneur, dit Athos, je n'ai rien à demander pour moi et j'aurais trop à demander pour la France. Je me récuse donc et passe la parole à M. le chevalier d'Herblay.
Athos, s'inclinant, fit un pas en arrière et demeura debout, appuyé contre la cheminée, en simple spectateur de la conférence.
– Parlez donc, monsieur le chevalier d'Herblay, dit le cardinal. Que désirez-vous? Pas d'ambages, pas d'ambiguïtés. Soyez clair, court et précis.
– Moi, Monseigneur, je jouerai cartes sur table.
– Abattez donc votre jeu.
– J'ai dans ma poche, dit Aramis, le programme des conditions qu'est venue vous imposer avant-hier à Saint-Germain la députation dont je faisais partie. Respectons d'abord les droits anciens; les demandes qui seront portées au programme seront accordées.
Nous étions presque d'accord sur celles-là, dit Mazarin, passons donc aux conditions particulières.
– Vous croyez donc qu'il y en aura? dit en souriant Aramis.
– Je crois que vous n'aurez pas tous le même désintéressement que M. le comte de La Fère, dit Mazarin en se retournant vers Athos en le saluant.
– Ah? Monseigneur, vous avez raison, dit Aramis, et je suis heureux de voir que vous rendez enfin justice au comte. M. de La Fère est un esprit supérieur qui plane au-dessus des désirs vulgaires et des passions humaines; c'est une âme antique et fière. M. le comte est un homme à part. Vous avez raison, Monseigneur, nous ne le valons pas, et nous sommes les premiers à le confesser avec vous.
– Aramis, dit Athos, raillez-vous?
– Non, mon cher comte, non, je dis ce que nous pensons et ce que pensent tous ceux qui vous connaissent. Mais vous avez raison, ce n'est pas de vous qu'il s'agit, c'est de Monseigneur et de son indigne serviteur le chevalier d'Herblay.
– Eh bien! que désirez-vous, monsieur, outre les conditions générales sur lesquelles nous reviendrons?
– Je désire, Monseigneur, qu'on donne la Normandie à madame de Longueville, avec l'absolution pleine et entière, et cinq cent mille livres. Je désire que Sa Majesté le roi daigne être le parrain du fils dont elle vient d'accoucher; puis que Monseigneur, après avoir assisté au baptême, aille présenter ses hommages à notre saint-père le pape.
– C'est-à-dire que vous voulez que je me démette de mes fonctions de ministre, que je quitte la France, que je m'exile?
– Je veux que Monseigneur soit pape à la première vacance, me réservant alors de lui demander des indulgences plénières pour moi et mes amis.
Mazarin fit une grimace intraduisible.
– Et vous, monsieur? demanda-t-il à d'Artagnan.
– Moi, Monseigneur, dit le Gascon, je suis en tout point du même avis que M. le chevalier d'Herblay, excepté sur le dernier article, sur lequel je diffère entièrement de lui. Loin de vouloir que Monseigneur quitte la France, je veux qu'il demeure premier ministre, car Monseigneur est un grand politique. Je tâcherai même, autant qu'il dépendra de moi, qu'il ait le dé sur la Fronde tout entière; mais à la condition qu'il se souviendra quelque peu des fidèles serviteurs du roi, et qu'il donnera la première compagnie de mousquetaires à quelqu'un que je désignerai. Et vous, du Vallon?
– Oui, à votre tour, monsieur, dit Mazarin, parlez.
– Moi, dit Porthos, je voudrais que monsieur le cardinal, pour honorer ma maison qui lui a donné asile, voulût bien, en mémoire de cette aventure, ériger ma terre en baronnie, avec promesse de l'ordre pour un de mes amis à la première promotion que fera Sa Majesté.
– Vous savez, monsieur, que pour recevoir l'ordre il faut faire ses preuves.
– Cet ami les fera. D'ailleurs, s'il le fallait absolument,
Monseigneur lui dirait comment on évite cette formalité.
Mazarin se mordit les lèvres, le coup était direct, et il reprit assez sèchement:
– Tout cela se concilie fort mal, ce me semble, messieurs; car si je satisfais les uns, je mécontente nécessairement les autres. Si je reste à Paris, je ne puis aller à Rome, si je deviens pape, je ne puis rester ministre, et si je ne suis pas ministre, je ne puis pas faire M. d'Artagnan capitaine et M. du Vallon baron.
– C'est vrai, dit Aramis. Aussi, comme je fais minorité, je retire ma proposition en ce qui est du voyage de Rome et de la démission de Monseigneur.
– Je demeure donc ministre? dit Mazarin.
– Vous demeurez ministre, c'est entendu, Monseigneur, dit d'Artagnan; la France a besoin de vous.
– Et moi je me désiste de mes prétentions, reprit Aramis, Son Éminence restera premier ministre, et même favori de Sa Majesté, si elle veut m'accorder, à moi et à mes amis, ce que nous demandons pour la France et pour nous.
– Occupez-vous de vous, messieurs, et laissez la France s'arranger avec moi comme elle l'entendra, dit Mazarin.
– Non pas! non pas! reprit Aramis, il faut un traité aux frondeurs, et Votre Éminence voudra bien le rédiger et le signer devant nous, en s'engageant par le même traité à obtenir la ratification de la reine.
– Je ne puis répondre que de moi, dit Mazarin, je ne puis répondre de la reine. Et si Sa Majesté refuse?
– Oh! dit d'Artagnan, Monseigneur sait bien que Sa Majesté n'a rien à lui refuser.
– Tenez, Monseigneur, dit Aramis, voici le traité proposé par la députation des frondeurs; plaise à Votre Éminence de le lire et de l'examiner.
– Je le connais, dit Mazarin.
– Alors, signez-le donc.
– Réfléchissez, messieurs, qu'une signature donnée dans les circonstances où nous sommes pourrait être considérée comme arrachée par la violence.
– Monseigneur sera là pour dire qu'elle a été donnée volontairement.
– Mais enfin, si je refuse?
– Alors, Monseigneur, dit d'Artagnan, Votre Éminence ne pourra s'en prendre qu'à elle des conséquences de son refus.
– Vous oseriez porter la main sur un cardinal?
– Vous l'avez bien portée, Monseigneur, sur des mousquetaires de
Sa Majesté!
– La reine me vengera, messieurs!
– Je n'en crois rien, quoique je ne pense pas que la bonne envie lui en manque; mais nous irons à Paris avec Votre Éminence, et les Parisiens sont gens à nous défendre…
– Comme on doit être inquiet en ce moment à Rueil et à Saint- Germain! dit Aramis; comme on doit se demander où est le cardinal, ce qu'est devenu le ministre, où est passé le favori! comme on doit chercher Monseigneur dans tous les coins et recoins! comme on doit faire des commentaires, et si la Fronde sait la disparition de Monseigneur, comme la Fronde doit triompher!
– C'est affreux, murmura Mazarin.
– Signez donc le traité, Monseigneur, dit Aramis.
– Mais si je le signe et que la reine refuse de le ratifier?
– Je me charge d'aller voir Sa Majesté, dit d'Artagnan, et d'obtenir sa signature.
– Prenez garde, dit Mazarin, de ne pas recevoir à Saint-Germain l'accueil que vous croyez avoir le droit d'attendre.
– Ah bah! dit d'Artagnan, je m'arrangerai de manière à être le bienvenu; je sais un moyen.
– Lequel?
– Je porterai à Sa Majesté la lettre par laquelle Monseigneur lui annonce le complet épuisement des finances.
– Ensuite? dit Mazarin pâlissant.
– Ensuite, quand je verrai Sa Majesté au comble de l'embarras, je la mènerai à Rueil, je la ferai entrer dans l'orangerie, et je lui indiquerai certain ressort qui fait mouvoir une caisse.
– Assez, monsieur, murmura le cardinal, assez! Où est le traité?
– Le voici, dit Aramis.
– Vous voyez que nous sommes généreux, dit d'Artagnan, car nous pouvions faire bien des choses avec un pareil secret.
– Donc, signez, dit Aramis en lui présentant la plume.
Mazarin se leva, se promena quelques instants, plutôt rêveur qu'abattu. Puis s'arrêtant tout à coup:
– Et quand j'aurai signé, messieurs, quelle sera ma garantie?
– Ma parole d'honneur, monsieur, dit Athos.
Mazarin tressaillit, se retourna vers le comte de La Fère, examina un instant ce visage noble et loyal, et prenant la plume:
– Cela me suffit, monsieur le comte, dit-il.
Et il signa.
– Et maintenant, monsieur d'Artagnan, ajouta-t-il, préparez-vous à partir pour Saint-Germain et à porter une lettre de moi à la reine.