Kitabı oku: «La confession d'un enfant du siècle», sayfa 2

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Voilà ce que fit le christianisme; et maintenant, depuis tant d’années, qu’ont fait ceux qui l’ont détruit? Ils ont vu que le pauvre se laissait opprimer par le riche, le faible par le fort, par cette raison qu’ils se disaient: Le riche et le fort m’opprimeront sur la terre; mais quand ils voudront entrer au paradis, je serai à la porte et je les accuserai au tribunal de Dieu. Ainsi, hélas! ils prenaient patience.

Les antagonistes du Christ ont donc dit au pauvre: Tu prends patience jusqu’au jour de justice, il n’y a point de justice; tu attends la vie éternelle pour y réclamer ta vengeance, il n’y a point de vie éternelle; tu amasses dans un flacon tes larmes et celles de ta famille, les cris de tes enfants et les sanglots de ta femme, pour les porter au pied de Dieu à l’heure de ta mort; il n’y a point de Dieu.

Alors il est certain que le pauvre a séché ses larmes, qu’il a dit à sa femme de se taire, à ses enfants de venir avec lui, et qu’il s’est redressé sur la glèbe avec la force d’un taureau. Il a dit au riche: Toi qui m’opprimes, tu n’es qu’un homme; et au prêtre: Tu en as menti, toi qui m’as consolé. C’était justement là ce que voulaient les antagonistes du Christ. Peut-être croyaientils faire ainsi le bonheur des hommes, en envoyant le pauvre à la conquête de la liberté.

Mais si le pauvre, ayant bien compris une fois que les prêtres le trompent, que les riches le dérobent, que tous les hommes ont les mêmes droits, que tous les biens sont de ce monde, et que sa misère est impie; si le pauvre, croyant à lui et à ses deux bras pour toute croyance, s’est dit un beau jour: Guerre au riche! à moi aussi la jouissance ici-bas, puisque le ciel est vide! à moi et à tous, puisque tous sont égaux! ô raisonneurs sublimes qui l’avez mené là, que lui direz-vous s’il est vaincu?

Sans doute vous êtes des philanthropes, sans doute vous avez raison pour l’avenir, et le jour viendra où vous serez bénis; mais pas encore, en vérité, nous ne pouvons pas vous bénir. Lorsque autrefois l’oppresseur disait: A moi la terre! A moi le ciel, répondait l’opprimé. A présent, que répondra-t-il?

Toute la maladie du siècle présent vient de deux causes; le peuple qui a passé par 93 et par 1814 porte au cœur deux blessures. Tout ce qui était n’est plus; tout ce qui sera n’est pas encore. Ne cherchez pas ailleurs le secret de nos maux.

Voilà un homme dont la maison tombe en ruine; il l’a démolie pour en bâtir une autre. Les décombres gisent sur le champ, et il attend des pierres nouvelles pour son édifice nouveau. Au moment où le voilà prêt à tailler ses moellons et à faire son ciment, la pioche en mains, les bras retroussés, on vient lui dire que les pierres manquent et lui conseiller de reblanchir les vieilles pour en tirer parti. Que voulezvous qu’il fasse, lui qui ne veut point de ruines pour faire un nid à sa couvée? La carrière est pourtant profonde, les instruments trop faibles pour en tirer les pierres. Attendez, lui dit-on, on les tirera peu à peu; espérez, travaillez, avancez, reculez. Que ne lui dit-on pas? Et pendant ce temps-là cet homme, n’ayant plus sa vieille maison et pas encore sa maison nouvelle, ne sait comment se défendre de la pluie, ni comment préparer son repas du soir, ni où travailler, ni où reposer, ni où vivre, ni où mourir; et ses enfants sont nouveau-nés.

Ou je me trompe étrangement, ou nous ressemblons à cet homme. Ô peuples des siècles futures! lorsque, par une chaude journée d’été, vous serez courbés sur vos charrues dans les vertes campagnes de la patrie; lorsque vous verrez, sous un soleil pur et sans tache, la terre, votre mère féconde, sourire dans sa robe matinale au travailleur, son enfant bien-aimé; lorsque, essuyant sur vos fronts tranquilles le saint baptême de la sueur, vous promènerez vos regards sur votre horizon immense, où il n’y aura pas un épi plus haut que l’autre dans la moisson humaine, mais seulement des bleuets et des marguerites au milieu des blés jaunissants; ô hommes libres! quand alors vous remercierez Dieu d’être nés pour cette récolte, pensez à nous qui n’y serons plus; dites-vous que nous avons acheté bien cher le repos dont vous jouirez; plaignez-nous plus que tous vos pères; car nous avons beacoup des maux qui les rendaient dignes de plainte, et nous avons perdu ce qui les consolait.

Chapitre III

J’ai à raconter à quelle occasion je fus pris d’abord de la maladie du siècle.

J’étais à table, à un grand souper, après une mascarade. Autour de moi mes amis richement costumés, de tous côtés des jeunes gens et des femmes, tous étincelants de beauté et de joie; à droite et à gauche des mets exquis, des flacons, des lustres, des fleurs; au-dessus de ma tête un orchestre bruyant, et en face de moi ma maîtresse, créature superbe que j’idolâtrais.

J’avais alors dix-neuf ans; je n’avais éprouvé aucun malheur ni aucune maladie; j’étais d’un caractère à la fois hautain et ouvert, avec toutes les espérances et un cœur débordant. Les vapeurs du vin fermentaient dans mes veines; c’était un de ces moments d’ivresse où tout ce qu’on voit, tout ce qu’on entend vous parle de la bien aimée. La nature entière paraît alors comme une pierre précieuse à mille facettes, sur laquelle est gravé le nom mystérieux. On embrasserait volontiers tous ceux qu’on voit sourire, et on se sent le frère de tout ce qui existe. Ma maîtresse m’avait donné rendez-vous pour la nuit, et je portais lentement mon verre à mes lèvres en la regardant.

Comme je me retournais pour prendre une assiette, ma fourchette tomba. Je me baissai pour la ramasser, et, ne la trouvant pas d’abord, je soulevai la nappe pour voir où elle avait roulé. J’aperçus alors sous la table le pied de ma maîtresse qui était posé sur celui d’un jeune homme assis à côté d’elle; leurs jambes étaient croisées et entrelacées, et ils les resserraient doucement de temps en temps.

Je me relevai parfaitement calme, demandai une autre fourchette et continuai à souper. Ma maîtresse et son voisin étaient, de leur côté, très tranquilles aussi, se parlant à peine et ne se regardant pas. Le jeune homme avait les coudes sur la table et plaisantait avec une autre femme qui lui montrait son collier et ses bracelets. Ma maîtresse était immobile, les yeux fixes et noyés de langueur. Je les observai tous deux tant que dura le repas, et je ne vis ni dans leurs gestes, ni sur leurs visages rien qui pût les trahir. A la fin, lorsqu’on fut au dessert, je fis glisser ma serviette à terre, et, m’étant baissé de nouveau, je les retrouvai dans la même position, étroitement liés l’un à l’autre.

J’avais promis à ma maîtresse de la ramener ce soir-là chez elle. Elle était veuve, et par conséquent fort libre, au moyen d’un vieux parent qui l’accompagnait et lui servait de chaperon. Comme je traversais le péristyle, elle m’appela. «Allons, Octave, me dit-elle, partons, me voilà.» Je me mis à rire et sortis sans répondre. Au bout de quelques pas, je m’assis sur une borne. Je ne sais à quoi je pensais; j’étais comme abruti et devenu idiot par l’infidélité de cette femme dont je n’avais jamais été jaloux, et sur laquelle je n’avais jamais conçu un soupçon. Ce que je venais de voir ne me laissant aucun doute, je ne me rappelle rien de ce qui s’opéra en moi durant le temps que je restai sur cette borne, sinon que, regardant machinalement le ciel et voyant une étoile filer, je saluai cette apparence fugitive, où les poètes voient un monde détruit, et lui ôtai gravement mon chapeau.

Je rentrai chez moi tranquillement, n’éprouvant rien, ne sentant rien, et comme privé de réflexion. Je commençai à me déshabiller, et me mis au lit; mais à peine eus-je posé la tête sur le chevet, que les esprits de la vengeance me saisirent avec une telle force, comme si tous les muscles de mon corps fussent devenus de bois. Je descendis de mon lit en criant, les bras étendus, ne pouvant marcher que sur les talons, tant les nerfs de mes orteils étaient crispés. Je passai ainsi près d’une heure, complètement fou et raide comme un squelette. Ce fut le premier accès de colère que j’éprouvai.

L’homme que j’avais surpris auprès de ma maîtresse était un de mes amis les plus intimes. J’allai chez lui le lendemain, accompagné d’un jeune avocat nommé Desgenais; nous prîmes des pistolets, un autre témoin, et fûmes au bois de Vincennes. Pendant toute la route, j’évitai de parler à mon adversaire et même de l’approcher; je résistai ainsi à l’envie que j’avais de le frapper ou de l’insulter, ces sortes de violence étant toujours hideuses et inutiles, du moment que la loi permet le combat en règle. Mais je ne pus me défendre d’avoir les yeux fixés sur lui. C’était un de mes camarades d’enfance, et il y avait eu entre nous un échange perpétuel de services depuis nombre d’années. Il connaissait parfaitement mon amour pour ma maîtresse et m’avait même plusieurs fois fait entendre clairement que ces sortes de liens étaient sacrés pour un ami, et qu’il serait incapable de chercher à me supplanter, quand même il aimerait la même femme que moi. Enfin, j’avais toute sorte de confiance en lui, et je n’avais peut-être jamais serré la main d’une créature humaine plus cordialement que la sienne.

Je regardais curieusement, avidement, cet homme que j’avais entendu parler de l’amitié comme un héros de l’antiquité et que je venais de voir caressant ma maîtresse. C’était la première fois de ma vie que je voyais un monstre; je le toisais d’un œil hagard pour observer comment il était fait. Lui que j’avais connu à l’âge de dix ans, avec qui j’avais vécu jour par jour dans la plus parfaite et la plus étroite amitié, il me semblait que je ne l’avais jamais vu. Je me servirai ici d’une comparaison.

Il y a une pièce espagnole, connue de tout le monde, dans laquelle une statue de pierre vient souper chez un débauché, envoyée par la justice céleste. Le débauché fait bonne contenance et s’efforce de paraître indifférent; mais la statue lui demande de lui donner la main, et dès qu’il la lui a donnée, l’homme se sent pris d’un froid mort et tombe en convulsions.

Or, toutes les fois que, durant ma vie, il m’est arrivé d’avoir cru pendant longtemps avec confiance, soit à un ami, soit à une maîtresse, et de découvrir tout d’un coup que j’étais trompé, je ne puis rendre l’effet que cette découverte a produit sur moi qu’en le comparant à la poignée de main de la statue. C’est véritablement l’impression du marbre, comme si la réalité, dans toute sa mortelle froideur, me glaçait d’un baiser; c’est le toucher de l’homme de pierre. Hélas! l’affreux convive a frappé plus d’une fois à ma porte; plus d’une fois nous avons soupé ensemble.

Cependant, les arrangements faits, nous nous mîmes en ligne mon adversaire et moi, avançant lentement l’un sur l’autre. Il tira le premier et me fracassa le bras droit. Je pris aussitôt mon pistolet de l’autre main; mais je ne pus le soulever, la force me manquant, et je tombai sur un genou.

Alors je vis mon ennemi s’avancer précipitamment, d’un air inquiet et le visage très pâle. Mes témoins accoururent en même temps, voyant que j’étais blessé; mais il les écarta et me prit la main de mon bras malade. Il avait les dents serrées et ne pouvait parler: je vis son angoisse. Il souffrait du plus affreux mal que l’homme puisse éprouver. «Va-t’en, lui criai-je, va-t’en t’essuyer aux draps de ***!» Il suffoquait et moi aussi.

On me mit dans un fiacre, où je trouvai un médecin. La blessure ne se trouva pas dangereuse, la balle n’ayant point touché les os; mais j’étais dans un tel état d’excitation qu’il fut impossible de me panser sur-le-champ. Au moment où le fiacre partait, je vis à la portière une main tremblante; c’était mon adversaire qui revenait encore. Je secouai la tête pour toute réponse; j’étais dans une telle rage, que j’aurais vainement fait un effort pour lui pardonner, tout en sentant bien que son repentir était sincère.

Arrivé chez moi, le sang qui coulait abondamment de mon bras me soulagea beaucoup; car la faiblesse me délivra de ma colère, qui me faisait plus de mal que ma blessure. Je me couchai avec délices, et je crois que je n’ai jamais rien bu de plus agréable que le premier verre d’eau qu’on me donna.

M’étant mis au lit, la fièvre me prit. Ce fut alors que le fantôme de ma belle et adorée maîtresse étant venu se pencher sur moi, je commençai à verser des larmes. Ce que je ne pouvais concevoir, ce n’était pas qu’elle eût cessé de m’aimer, mais c’était qu’elle m’eût trompé. Je ne comprenais pas par quelle raison une femme qui n’est forcée ni par le devoir, ni par l’intérêt, peut mentir à un homme lorsqu’elle en aime un autre.

Je demandais vingt fois par jour à Desgenais comment cela était possible. «Si j’étais son mari, disais-je, ou si je la payais, je concevrais qu’elle me trompât; mais pourquoi, si elle ne m’aimait plus, ne pas me le dire? pourquoi me tromper?» Je ne concevais pas qu’on pût mentir en amour; j’étais un enfant alors, et j’avoue qu’à présent je ne le comprends pas encore. Toutes les fois que je suis devenu amoureux d’une femme, je le lui ai dit, et toutes les fois que j’ai cessé d’aimer une femme, je le lui ai dit de même, avec la même sincérité, ayant toujours pensé que, sur ces sortes de choses, nous ne pouvons rien par notre volonté et qu’il n’y a de crime qu’au mensonge.

Desgenais, à tout ce que je disais, me répondait: C’est une misérable; promettezmoi de ne plus la voir. Je le lui jurai solennellement. Il me conseilla en outre de ne lui point écrire, même pour lui faire des reproches, et, si elle m’écrivait, de ne pas répondre. Je lui promis tout cela, presque étonné qu’il me le demandât, et indigné de ce qu’il pouvait supposer le contraire.

Cependant la première chose que je fis, dès que je pus me lever et sortir de la chambre, fut de courir chez ma maîtresse. Je la trouvai seule, assise sur une chaise dans un coin de sa chambre, le visage abattu et dans le plus grand désordre. Je l’accablai des plus violents reproches; j’étais ivre de désespoir. Je criais à faire retentir toute la maison, et en même temps les larmes me coupaient parfois la parole si violemment, que je tombais sur le lit pour leur donner un libre cours.

Ah! infidèle, ah! malheureuse, lui disais-je en pleurant, tu sais que j’en mourrai; cela te fait-il plaisir? que t’ai-je fait?

Elle se jeta à mon cou, me dit qu’elle avait été séduite, entraînée; que mon rival l’avait enivrée dans ce fatal souper, mais qu’elle n’avait jamais été à lui; qu’elle s’était abandonnée à un moment d’oubli, qu’elle avait commis une faute, mais non pas un crime; enfin, qu’elle voyait bien tout le mal qu’elle m’avait fait, mais que si je ne la reprenais, elle en mourrait aussi. Tout ce que le repentir sincère a de larmes, tout ce que la douleur a d’éloquence, elle l’épuisa pour me consoler; pâle et égarée, sa robe entrouverte, ses cheveux épars sur ses épaules, à genoux au milieu de la chambre, jamais je ne l’avais vue si belle, et je frémissais d’horreur pendant que, tous mes sens se soulevaient à ce spectacle.

Je sortis brisé, n’y voyant plus et pouvant à peine me soutenir. Je ne voulais jamais la revoir; mais au bout d’un quart d’heure j’y retournai. Je ne sais quelle force désespérée m’y poussait; j’avais comme une sourde envie de la posséder encore une fois, de boire sur son corps magnifique toutes ces larmes amères et de nous tuer après tous les deux. Enfin, je l’abhorrais et je l’idolâtrais; je sentais que son amour était ma perte, mais que vivre sans elle était impossible. Je montai chez elle comme un éclair; je ne parlai à aucun domestique, j’entrai tout droit, connaissant la maison, et je poussai la porte de sa chambre.

Je la trouvai assise devant sa toilette, immobile et couverte de pierreries. Sa femme de chambre la coiffait; elle tenait à la main un morceau de crêpe rouge qu’elle passait légèrement sur ses joues. Je crus faire un rêve; il me paraissait impossible que ce fût là cette femme que je venais de voir, il y avait un quart d’heure, noyée de douleur et étendue sur le carreau. Je restai comme une statue. Elle, entendant sa porte s’ouvrir, tourna la tête en souriant. Est-ce vous? dit-elle. Elle allait au bal et attendait mon rival qui devait l’y conduire. Elle me reconnut, serra ses lèvres et fronça le sourcil.

Je fis un pas pour sortir; je regardais sa nuque, lisse et parfumée, où ses cheveux étaient noués et sur laquelle étincelait un peigne de diamant. Cette nuque, siège de la force vitale, était plus noire que l’enfer; deux tresses luisantes y étaient tordues, et de légers épis d’argent se balançaient au-dessus. Ses épaules et son cou, plus blancs que le lait, en faisaient ressortir le duvet rude et abondant.

Il y avait dans cette crinière retroussée je ne sais quoi d’impudemment beau qui semblait me railler du désordre où je l’avais vue un instant auparavant. J’avançai tout d’un coup et frappai cette nuque d’un revers de mon poing fermé. Ma maîtresse ne poussa pas un cri; elle tomba sur ses mains. Après quoi je sortis précipitamment.

Rentré chez moi, la fièvre me reprit avec une telle violence que je fus obligé de me remettre au lit. Ma blessure s’était rouverte et j’en souffrais beaucoup. Desgemais vint me voir; je lui racontai tout ce qui s’était passé. Il m’écouta dans un grand silence, puis se promena quelque temps par la chambre comme un homme irrésolu. Enfin il s’arrêta devant moi, et partit d’un éclat de rire.

Est-ce que c’est votre première maîtresse? me dit-il.

Non! lui dis-je, c’est la dernière.

Vers le milieu de la nuit, comme je dormais d’un sommeil agité, il me sembla dans un rêve entendre un profond soupir. J’ouvris les yeux et vis ma maîtresse debout près de mon lit, les bras croisés, pareille à un spectre. Je ne pus retenir uncri d’épouvante, croyant à une apparition sortie de mon cerveau malade. Je me lançai hors du lit et m’enfuis à l’autre bout de la chambre; mais elle vint à moi.

C’est moi, dit-elle; et, me prenant à bras-le-corps, elle m’entraîna.

Que me veux-tu? criai-je; lâche-moi! je suis capable de te tuer tout à l’heure.

Eh bien! tue-moi, dit-elle. Je t’ai trahi, je t’ai menti, je suis infâme et misérable; mais je t’aime, et ne puis me passer de toi.

Je la regardai; qu’elle était belle! Tout son corps frémissait; ses yeux, perdus d’amour, répandaient des torrents de volupté; sa gorge était nue, ses lèvres brûlaient.

Je la soulevai dans mes bras. Soit, lui dis-je; mais, devant Dieu qui nous voit, par l’âme de mon père, je te jure que je te tue tout à l’heure et moi aussi. Je pris un couteau de table qui était sur ma cheminée et le posai sous l’oreiller.

Allons, Octave, me dit-elle en souriant et en m’embrassant, ne fais pas de folie. Viens, mon enfant; toutes ces horreurs te font mal; tu as la fièvre. Donne-moi ce couteau.

Je vis qu’elle voulait le prendre. Ecoutez-moi, lui dis-je alors; je ne sais qui vous êtes et quelle comédie vous jouez, mais, quant à moi, je ne la joue pas. Je vous ai aimée autant qu’un homme peut aimer sur terre, et, pour mon malheur et ma mort, sachez que je vous aime encore éperdument. Vous venez me dire que vous m’aimez aussi, je le veux bien; mais par tout ce qu’il y a de sacré au monde, si je suis votre amant ce soir, un autre ne le sera pas demain. Devant Dieu, devant Dieu, répétai-je, je ne vous reprendrai pas pour maîtresse, car je vous hais autant que je vous aime. Devant Dieu, si vous voulez de moi, je vous tue demain matin. En parlant ainsi, je me renversai dans un complet délire.

Elle jeta son manteau sur ses épaules et sortit en courant.

Lorsque Desgenais sut cette histoire, il me dit: Pourquoi n’avez-vous pas voulu d’elle? vous êtes bien dégoûté; c’est une jolie femme.

Plaisantez-vous? lui dis-je. Croyez-vous qu’une pareille femme puisse être ma maîtresse? croyez-vous que je consente jamais à partager avec un autre? songezvous qu’elle-même avoue qu’un autre la possède, et voulez-vous que j’oublie que je l’aime, afin de la posséder aussi? Si ce sont là vos amours, vous me faites pitié.

Desgenais me répondit qu’il n’aimait que les filles, et qu’il n’y regardait pas de si près. Mon cher Octave, ajouta-t-il, vous êtes bien jeune; vous voudriez avoir bien des choses, et de belles choses, mais qui n’existent pas.

Vous croyez à une singulière sorte d’amour; peut-être en êtes-vous capable; je le crois, mais ne le souhaite pas pour vous. Vous aurez d’autres maîtresses, mon ami, et vous regretterez un jour à venir ce qui vous est arrivé cette nuit.

Quand cette femme est venue vous trouver, il est certain qu’elle vous aimait; elle ne vous aime peut-être pas à l’heure qu’il est, elle est peut-être dans les bras d’un autre; mais elle vous aimait cette nuit-là, dans cette chambre; et que vous importe le reste? Vous aviez là une belle nuit; et vous la regretterez, soyez-en sûr, car elle ne reviendra plus.

Une femme pardonne tout, excepté qu’on ne veuille pas d’elle. Il fallait que son amour pour vous fût terrible, pour qu’elle vînt vous trouver, se sachant et s’avouant coupable, se doutant peut-être qu’elle serait refusée. Croyez-moi, vous regretterez une nuit pareille, car c’est moi qui vous dis que vous n’en aurez guère.

Il y avait dans tout ce que disait Desgenais un air de conviction si simple et si profond, une si désespérante tranquillité d’expérience, que je frissonnais en l’écoutant.

Pendant qu’il parlait, j’éprouvai une tentation violente d’aller encore chez ma maîtresse, ou de lui écrire pour la faire venir. J’étais incapable de me lever; cela me sauva de la honte de m’exposer de nouveau à la trouver ou attendant mon rival, ou enfermée avec lui. Mais j’avais toujours la facilité de lui écrire; je me demandais malgré moi, dans le cas où je lui écrirais, si elle viendrait.

Lorsque Desgenais fut parti, je sentis une agitation si affreuse, que je résolus d’y mettre un terme, de quelque manière que ce fût. Après une lutte terrible, l’horreur surmonta enfin l’amour. J’écrivis à ma maîtresse que je ne la reverrais jamais, et que je la priais de ne plus revenir, si elle ne voulait s’exposer à être refusée à ma porte. Je sonnai violemment, et ordonnai qu’on portât ma lettre le plus vite possible. A peine mon domestique eut-il fermé la porte, que je le rappelai. Il ne m’entendit pas; je n’osai le rappeler une seconde fois; et, mettant mes deux mains sur mon visage, je demeurai enseveli dans le plus profond désespoir.

Yaş sınırı:
16+
Litres'teki yayın tarihi:
26 haziran 2018
Yazıldığı tarih:
1836
Hacim:
320 s. 1 illüstrasyon
ISBN:
978-5-521-06037-5
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