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Kitabı oku: «L'île des pingouins», sayfa 6

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CHAPITRE XII. LE DRAGON D’ALCA (SUITE)

Orberose, ayant revêtu une robe de bure et ceint une corde grossière, se rendit au moustier et demanda à parler au bienheureux Maël. Et, parce qu’il était interdit aux femmes d’entrer dans l’enceinte du moustier, le vieillard s’avança hors des portes, tenant de sa dextre la crosse pastorale et s’appuyant de la main gauche sur l’épaule du frère Samuel, le plus jeune de ses disciples.

Il demanda:

– Femme, qui es-tu?

– Je suis la vierge Orberose.

À cette réponse, Maël leva vers le ciel ses bras tremblants.

– Dis-tu vrai, femme? C’est un fait certain qu’Orberose fut dévorée par le dragon. Et je vois Orberose, et je l’entends! Ne serait-ce point, ô ma fille, que dans les entrailles du monstre tu t’armas du signe de la croix et sortis intacte de sa gueule? C’est ce qui me semble le plus croyable.

– Tu ne te trompes pas, mon père, répondit Orberose. C’est précisément ce qui m’advint. Aussitôt sortie des entrailles de la bête, je me réfugiai dans un ermitage sur le rivage des Ombres. J’y vivais dans la solitude, me livrant à la prière et à la méditation et accomplissant des austérités inouïes, quand j’appris par révélation céleste que seule une pucelle pourrait surmonter le dragon, et que j’étais cette pucelle.

– Montre-moi un signe de ta mission, dit le vieillard.

– Le signe c’est moi-même, répondit Orberose.

– Je n’ignore pas le pouvoir de celles qui ont mis un sceau à leur chair, répliqua l’apôtre des Pingouins. Mais es-tu bien telle que tu dis?

– Tu le verras à l’effet, répondit Orberose.

Le moine Régimental s’étant approché:

– Ce sera, dit-il, la meilleure preuve. Le roi Salomon a dit: «Trois choses sont difficiles à connaître et une quatrième impossible, ce sont la trace du serpent sur la pierre, de l’oiseau dans l’air, du navire dans l’eau, de l’homme dans la femme. J’estime impertinentes ces matrones qui prétendent en remontrer en de telles matières au plus sage des rois. Mon père, si vous m’en croyez, vous ne les consulterez pas à l’endroit de la pieuse Orberose. Quand elles vous auront donné leur opinion, vous n’en serez pas plus avancé qu’auparavant. La virginité est non moins difficile à prouver qu’à garder. Pline nous enseigne, en son histoire, que les signes en sont imaginaires ou très incertains4. Telle qui porte sur elle les quatorze marques de la corruption est pure aux yeux des anges et telle au contraire qui, visitée par les matrones au doigt et à l’oeil, feuillet par feuillet, sera reconnue intacte, se sait redevable de ces bonnes apparences aux artifices d’une perversité savante. Quant à la pureté de la sainte fille que voici, j’en mettrais ma main au feu.

Il parlait ainsi parce qu’il était le Diable. Mais le vieillard Maël ne le savait pas. Il demanda à la pieuse Orberose:

– Ma fille, comment vous y prendrez-vous pour vaincre un animal aussi féroce que celui qui vous a dévorée?

La vierge répondit:

– Demain, au lever du soleil, ô Maël, tu convoqueras le peuple sur la colline, devant la lande désolée qui s’étend jusqu’au rivage des Ombres, et tu veilleras à ce qu’aucun homme pingouin ne se tienne à moins de cinq cents pas des rochers, car il serait aussitôt empoisonné par l’haleine du monstre. Et le dragon sortira des rochers et je lui passerai ma ceinture autour du col, et je le conduirai en laisse comme un chien docile.

– Ne te feras-tu pas accompagner d’un homme courageux et plein de piété, qui tuera le dragon? demanda Maël.

– Tu l’as dit, ô vieillard: je livrerai le monstre à Kraken qui l’égorgera de son épée étincelante. Car il faut que tu saches que le noble Kraken, qu’on croyait mort, reviendra parmi les Pingouins et qu’il tuera le dragon. Et du ventre de la bête sortiront les petits enfants qu’elle a dévorés.

– Ce que tu m’annonces, ô vierge, s’écria l’apôtre, me semble prodigieux et au-dessus de la puissance humaine.

– Ce l’est, répliqua la vierge Orberose. Mais apprends, ô Maël, que j’ai eu révélation que, pour loyer de sa délivrance, le peuple pingouin devra payer au chevalier Kraken un tribut annuel de trois cents poulets, douze moutons, deux boeufs, trois cochons, mil huit cents imaux de blé et les légumes de saison; et qu’en outre, les enfants qui sortiront du ventre du dragon seront donnés et laissés audit Kraken pour le servir et lui obéir en toutes choses.

Si le peuple pingouin manquait à tenir ses engagements, un nouveau dragon aborderait dans l’île, plus terrible que le premier. J’ai dit.

CHAPITRE XIII. LE DRAGON D’ALCA (SUITE ET FIN)

Le peuple des Pingouins, convoqué par le vieillard Maël, passa la nuit sur le rivage des Ombres, à la limite que le saint homme avait tracée, afin qu’aucun entre les Pingouins ne fût empoisonné par le souffle du monstre.

Les voiles de la nuit couvraient encore la terre, lorsque, précédé d’un mugissement rauque, le dragon montra sur les rochers du rivage sa forme indistincte et portenteuse. Il rampait comme un serpent et son corps tortueux semblait long de quinze pieds. À sa vue, la foule recule d’épouvante. Mais bientôt tous les regards se tournent vers la vierge Orberose, qui, dans les premières lueurs de l’aube, s’avance vêtue de blanc sur la bruyère rose. D’un pas intrépide et modeste elle marche vers la bête qui, poussant des hurlements affreux, ouvre une gueule enflammée. Un immense cri de terreur et de pitié s’élève du milieu des Pingouins. Mais la vierge, déliant sa ceinture de lin, la passe au cou du dragon, qu’elle mène en laisse, comme un chien fidèle, aux acclamations des spectateurs.

Elle a déjà parcouru un long espace de la lande, lorsque apparaît Kraken armé d’une épée étincelante. Le peuple, qui le croyait mort, jette des cris de surprise et de joie. Le héros s’élance sur la bête, la retourne, et de son épée, lui ouvre le ventre dont sortent, en chemise, les cheveux bouclés et les mains jointes, le petit Elo et les cinq autres enfants que le monstre avait dévorés.

Aussitôt, ils se jettent aux genoux de la vierge Orberose qui les prend dans ses bras et leur dit à l’oreille:

– Vous irez par les villages et vous direz: «Nous sommes les pauvres petits enfants que le dragon a dévorés et nous sommes sortis en chemise de son ventre.» Les habitants vous donneront en abondance tout ce que vous pourrez souhaiter. Mais si vous parlez autrement, vous n’aurez que des nasardes et des fessées. Allez!

Plusieurs Pingouins, voyant le dragon éventré, se précipitaient pour le mettre en lambeaux, les uns par un sentiment de fureur et de vengeance, les autres afin de s’emparer de la pierre magique, nommée dracontite, engendrée dans sa tête; les mères des enfants ressuscités couraient embrasser leurs chers petits. Mais le saint homme Maël les retint, leur représentant qu’ils n’étaient pas assez saints, les uns et les autres, pour s’approcher du dragon sans mourir.

Et bientôt le petit Elo et les cinq autres enfants vinrent vers le peuple et dirent:

– Nous sommes les pauvres petits enfants que le dragon a dévorés et nous sommes sortis en chemise de son ventre.

Et tous ceux qui les entendaient disaient en les baisant:

– Enfants bénis, nous vous donnerons en abondance tout ce que vous pourrez souhaiter.

Et la foule du peuple se sépara, pleine d’allégresse, en chantant des hymnes et des cantiques.

Pour commémorer ce jour où la Providence délivra le peuple d’un cruel fléau, des processions furent instituées dans lesquelles on promenait le simulacre d’un dragon enchaîné.

Kraken leva le tribut et devint le plus riche et le plus puissant des Pingouins. En signe de sa victoire, afin d’inspirer une terreur salutaire, il portait sur sa tête une crête de dragon et il avait coutume de dire au peuple:

– Maintenant que le monstre est mort, c’est moi le dragon.

Orberose noua longtemps ses généreux bras au cou des bouviers et des pâtres qu’elle égalait aux dieux. Et quand elle ne fut plus belle, elle se consacra au Seigneur.

Objet de la vénération publique, elle fut admise, après sa mort, dans le canon des saints et devint la céleste patronne de la Pingouinie.

Kraken laissa un fils qui porta comme son père la crête du dragon et fut, pour cette raison, surnommé Draco. Il fonda la première dynastie royale des Pingouins.

LIVRE III. LE MOYEN AGE ET LA RENAISSANCE

CHAPITRE PREMIER. BRIAN LE PIEUX ET LA REINE GLAMORGANE

Les rois d’Alca issus de Draco, fils de Kraken, portaient sur la tête une crête effroyable de dragon, insigne sacré dont la seule vue inspirait aux peuples la vénération, la terreur et l’amour. Ils étaient perpétuellement en lutte soit avec leurs vassaux et leurs sujets, soit avec les princes des îles et des continents voisins.

Les plus anciens de ces rois ont laissé seulement un nom. Encore ne savons-nous ni le prononcer ni l’écrire. Le premier Draconide dont on connaisse l’histoire est Brian le Pieux, estimé pour sa ruse et son courage aux guerres et dans les chasses.

Il était chrétien, aimait les lettres et favorisait les hommes voués à la vie monastique. Dans la salle de son palais où, sous les solives enfumées, pendaient les têtes, les ramures et les cornes des bêtes sauvages, il donnait des festins auxquels étaient conviés tous les joueurs de harpe d’Alca et des îles voisines, et il y chantait lui-même les louanges des héros. Équitable et magnanime, mais enflammé d’un ardent amour de la gloire, il ne pouvait s’empêcher de mettre à mort ceux qui avaient mieux chanté que lui.

Les moines d’Yvern ayant été chassés par les païens qui ravageaient la Bretagne, le roi Brian les appela dans son royaume et fit construire pour eux, près de son palais, un moustier de bois. Chaque jour, il se rendait avec la reine Glamorgane, son épouse, dans la chapelle du moustier, assistait aux cérémonies religieuses et chantait des hymnes.

Or, parmi ces moines, se trouvait un religieux, nommé Oddoul, qui, dans la fleur de sa jeunesse, s’ornait de science et de vertus. Le Diable en conçut un grand dépit et essaya plusieurs fois de l’induire en tentation. Il prit diverses formes et lui montra tour à tour un cheval de guerre, une jeune vierge, une coupe d’hydromel; puis il lui fit sonner deux dés dans un cornet et lui dit:

– Veux-tu jouer avec moi les royaumes de ce monde contre un des cheveux de ta tête?

Mais l’homme du Seigneur, armé du signe de la croix, repoussa l’ennemi. S’apercevant qu’il ne le pourrait séduire, le Diable imagina pour le perdre un habile artifice. Par une nuit d’été, il s’approcha de la reine endormie sur sa couche, lui représenta l’image du jeune religieux qu’elle voyait tous les jours dans le moustier de bois, et il mit un charme sur cette image. Aussitôt l’amour entra comme un poison subtil dans les veines de Glamorgane. Et l’envie d’en faire à son plaisir avec Oddoul la consumait. Elle trouvait sans cesse des prétextes pour l’attirer près d’elle. Plusieurs fois elle lui demanda d’instruire ses enfants dans la lecture et le chant.

– Je vous les confie, lui dit-elle. Et je suivrai les leçons que vous leur donnerez, afin de m’instruire moi-même. Avec les fils vous enseignerez la mère.

Mais le jeune religieux s’excusait, tantôt sur ce qu’il n’était pas un maître assez savant, tantôt sur ce que son état lui interdisait le commerce des femmes. Ce refus irrita les désirs de Glamorgane. Un jour qu’elle languissait sur sa couche, son mal étant devenu intolérable, elle fit appeler Oddoul dans sa chambre. Il vint par obéissance, mais demeura les yeux baissés sur le seuil de la porte. De ce qu’il ne la regardait point elle ressentait de l’impatience et de la douleur.

– Vois, lui dit-elle, je n’ai plus de force, une ombre est sur mes yeux. Mon corps est brûlant et glacé.

Et comme il se taisait et ne faisait pas un mouvement, elle l’appela d’une voix suppliante:

– Viens près de moi, viens!

Et, de ses bras tendus qu’allongeait le désir, elle tenta de le saisir et de l’attirer à elle.

Mais il s’enfuit en lui reprochant son impudicité.

Alors, outrée de colère, et craignant qu’Oddoul ne publiât la honte où elle était tombée, elle imagina de le perdre lui-même pour n’être point perdue par lui.

D’une voix éplorée qui retentit dans tout le palais, elle appela à l’aide, comme si vraiment elle courait un grand danger. Ses servantes accourues virent le jeune moine qui fuyait et la reine qui ramenait sur elle les draps de sa couche; elles crièrent toutes ensemble au meurtre. Et lorsque, attiré par le bruit, le roi Brian entra dans la chambre, Glamorgane, lui montrant ses cheveux épars, ses yeux luisants de larmes et sa poitrine, que, dans la fureur de son amour, elle avait déchiré de ses ongles:

– Mon seigneur et mon époux, voyez, dit-elle, la trace des outrages que j’ai subis. Poussé d’un désir infâme, Oddoul s’est approché de moi et a tenté de me faire violence.

En entendant ces plaintes, en voyant ce sang, le roi, transporté de fureur, ordonna à ses gardes de s’emparer du jeune religieux et de le brûler vif devant le palais, sous les yeux de la reine.

Instruit de cette aventure, l’abbé d’Yvern alla trouver le roi et lui dit:

– Roi Brian, connaissez par cet exemple la différence d’une femme chrétienne et d’une femme païenne. Lucrèce romaine fut la plus vertueuse des princesses idolâtres; pourtant elle n’eut pas la force de se défendre contre les attaques d’un jeune efféminé, et, confuse de sa faiblesse, elle tomba dans le désespoir, tandis que Glamorgane a résisté victorieusement aux assauts d’un criminel plein de rage et possédé du plus redoutable des démons.

Cependant Oddoul, dans la prison du palais, attendait le moment d’être brûlé vif. Mais Dieu ne souffrit pas que l’innocent pérît. Il lui envoya un ange qui, ayant pris la forme d’une servante de la reine, nommée Gudrune, le tira de sa prison et le conduisit dans la chambre même qu’habitait cette femme dont il avait l’apparence.

Et l’ange dit au jeune Oddoul:

– Je t’aime parce que tu oses.

Et le jeune Oddoul, croyant entendre Gudrune elle-même, répondit, les yeux baissés:

– C’est par la grâce du Seigneur que j’ai résisté aux violences de la reine et bravé le courroux de cette femme puissante.

Et l’ange demanda:

– Comment? tu n’as pas fait ce dont la reine t’accuse?

– En vérité! non, je ne l’ai pas fait, répondit Oddoul, la main sur son coeur.

– Tu ne l’as pas fait?

– Non! je ne l’ai pas fait. La seule pensée d’une pareille action me remplit d’horreur.

– Alors, s’écria l’ange, qu’est-ce que tu fiches ici, espèce d’andouille?5

Et il ouvrit la porte pour favoriser la fuite du jeune religieux.

Oddoul se sentit violemment poussé dehors. À peine était-il descendu dans la rue qu’une main lui versa un pot de chambre sur la tête; et il songea:

– Tes desseins sont mystérieux, Seigneur, et tes voies impénétrables.

CHAPITRE II. DRACO LE GRAND— TRANSLATION DES RELIQUES DE SAINTE ORBEROSE

La postérité directe de Brian le Pieux s’éteignit vers l’an 900, en la personne de Collic au Court-Nez. Un cousin de ce prince, Bosco le Magnanime, lui succéda et prit soin, pour s’assurer le trône, d’assassiner tous ses parents. Il sortit de lui une longue lignée de rois puissants.

L’un d’eux, Draco le Grand, atteignit à une haute renommée d’homme de guerre. Il fut plus souvent battu que les autres. C’est à cette constance dans la défaite qu’on reconnaît les grands capitaines. En vingt ans, il incendia plus de cent mille hameaux, bourgs, faubourgs, villages, villes, cités et universités. Il portait la flamme indifféremment sur les terres ennemies et sur son propre domaine. Et il avait coutume de dire, pour expliquer sa conduite:

– Guerre sans incendie est comme tripes sans moutarde: c’est chose insipide.

Sa justice était rigoureuse. Quand les paysans qu’il faisait prisonniers ne pouvaient acquitter leur rançon, il les faisait pendre à un arbre, et si quelque malheureuse femme venait l’implorer en faveur de son mari insolvable, il la traînait par les cheveux à la queue de son cheval. Il vécut en soldat, sans mollesse. On se plaît à reconnaître que ses moeurs étaient pures. Non seulement il ne laissa pas déchoir son royaume de sa gloire héréditaire, mais encore il soutint vaillamment jusque dans ses revers l’honneur du peuple pingouin.

Draco le Grand fit transférer à Alca les reliques de sainte Orberose.

Le corps de la bienheureuse avait été enseveli dans une grotte du rivage des Ombres, au fond d’une landes parfumée. Les premiers pélerins qui l’allèrent visiter furent les jeunes garçons et les jeunes filles des villages voisins. Ils s’y rendaient, de préférence, par couples, le soir, comme si les pieux désirs cherchaient naturellement, pour se satisfaire, l’ombre et la solitude. Il vouaient à la sainte un culte fervent et discret, dont ils semblaient jaloux de garder le mystère; ils n’aimaient point à publier trop haut les impressions qu’ils y éprouvaient; mais on les surprenait se murmurant les uns aux autres les mots d’amour, de délices et de ravissement, qu’ils mêlaient au saint nom d’Orberose; les uns soupiraient qu’on y oubliait le monde; d’autres disaient qu’on sortait de la grotte dans le calme et l’apaisement; les jeunes filles entre elles rappelaient les délices dont elles y avaient été pénétrées.

Telles furent les merveilles qu’accomplit la vierge d’Alca à l’aurore de sa glorieuse éternité: elles avaient la douceur et le vague de l’aube. Bientôt le mystère de la grotte, tel qu’un parfum subtil, se répandit dans la contrée; ce fut pour les âmes pures un sujet d’allégresse et d’édification, et les hommes corrompus essayèrent en vain d’écarter, par le mensonge et la calomnie, les fidèles des sources de grâce qui coulaient du tombeau de la sainte. L’Église pourvut à ce que ces grâces ne demeurassent point réservées à quelques enfants, mais se répandissent sur toute la chrétienté pingouine. Des religieux s’établirent dans la grotte, bâtirent un monastère, une chapelle, une hôtellerie, sur le rivage, et les pèlerins commencèrent à affluer.

Comme fortifiée par un plus long séjour dans le ciel, la bienheureuse Orberose accomplissait maintenant des miracles plus grands en faveur de ceux qui venaient déposer leur offrande sur sa tombe; elle faisait concevoir des espérances aux femmes jusque-là stériles, envoyait des songes aux vieillards jaloux pour les rassurer sur la fidélité de leurs jeunes épouses injustement soupçonnées, tenait éloignés de la contrée les pestes, les épizooties, les famines, les tempêtes et les dragons de Cappadoce.

Mais durant les troubles qui désolèrent le royaume au temps du roi Collic et de ses successeurs, le tombeau de sainte Orberose fut dépouillé de ses richesses, le monastère incendié, les religieux dispersés; le chemin, si longtemps foulé par tant de dévots pèlerins, disparut sous l’ajonc, la bruyère et le chardon bleu des sables. Depuis cent ans, la tombe miraculeuse n’était plus visitée que par les vipères, les belettes et les chauves-souris, quand la sainte apparut à un paysan du voisinage nommé Momordic.

– Je suis la vierge Orberose, lui dit-elle; je t’ai choisi pour rétablir mon sanctuaire. Avertis les habitants de ces contrées que, s’ils laissent ma mémoire abolie et mon tombeau sans honneurs ni richesses, un nouveau dragon viendra désoler la Pingouinie.

Des clercs très savants firent une enquête sur cette apparition qu’ils reconnurent véritable, non diabolique, mais toute céleste, et l’on remarqua plus tard qu’en France, dans des circonstances analogues, sainte Foy et sainte Catherine avaient agi de même et tenu un semblable langage.

Le moustier fut relevé et les pèlerins affluèrent de nouveau. La vierge Orberose opérait des miracles de plus en plus grands. Elle guérissait diverses maladies très pernicieuses, notamment le pied bot, l’hydropisie, la paralysie et le mal de saint Guy. Les religieux, gardiens du tombeau, jouissaient d’une enviable opulence quand la sainte, apparue au roi Draco le Grand, lui ordonna de la reconnaître pour la patronne céleste du royaume et de transférer ses restes précieux dans la cathédrale d’Alca.

En conséquence, les reliques bien odorantes de cette vierge furent portées en grande pompe à l’église métropolitaine et déposées au milieu du choeur, dans une châsse d’or et d’émail, ornée de pierres précieuses.

Le chapitre tint registre des miracles opérés par l’intervention de la bienheureuse Orberose.

Draco le Grand, qui n’avait jamais cessé de défendre et d’exalter la foi chrétienne, mourut dans les sentiments de la plus vive piété, laissant de grands biens à l’Eglise.

4.Nous avons cherché vainement cette phrase dans l’Histoire naturelle de Pline. (Édit.)
5.Le chroniqueur pingouin qui rapporte le fait emploie cette expression: Species inductilis. J’ai traduit littéralement.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
30 ağustos 2016
Hacim:
310 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain

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