Kitabı oku: «Vie de Jeanne d'Arc. Vol. 1 de 2», sayfa 15
CHAPITRE IX
LA PUCELLE À TOURS
À Tours, la Pucelle logea en l'hôtel d'une dame qu'on nommait communément Lapau758. C'était Éléonore de Paul, une Angevine qui avait été demoiselle de la reine Marie d'Anjou. Ayant épousé Jean du Puy, seigneur de la Roche-Saint-Quentin, conseiller de la reine de Sicile, elle restait encore auprès de la reine de France759.
La ville de Tours appartenait alors à la reine de Sicile qui s'enrichissait à mesure que son gendre se ruinait. Elle l'aidait en argent et il lui donnait des terres. C'est ainsi qu'en 1424 elle reçut le duché de Touraine avec toutes ses dépendances, sauf la châtellenie de Chinon760. Les bourgeois et manants de Tours avaient bon désir de la paix. En attendant qu'elle vînt, ils tâchaient à grand'peine d'échapper aux pilleries des gens d'armes. Ni le roi Charles ni la reine Yolande n'étaient capables de les défendre et il leur fallait se défendre eux-mêmes761. Quand un de ces chefs de bandes, qui ravageaient la Touraine et l'Anjou, était signalé par les guetteurs de la ville, les bourgeois fermaient leurs portes et veillaient à ce que les couleuvrines fussent en place. On parlementait; le capitaine, au bord du fossé, exposait qu'il était au service du roi, qu'il allait combattre les Anglais, qu'il demandait à coucher dans la ville avec ses hommes; on l'invitait poliment, du haut de la muraille, à passer outre et, pour qu'il ne fût pas tenté de forcer l'entrée, on lui offrait une somme d'argent762. De peur d'être écorchés, les bourgeois se faisaient tondre. C'est ainsi que, peu de jours avant la venue de Jeanne, ils donnèrent à l'Écossais Kennedy, qui ravageait les environs, deux cents livres pour qu'il allât un peu plus loin. Quand ils s'étaient débarrassés de leurs défenseurs, leur plus grand souci était de se garder des Anglais. Le 29 février de cette même année 1429, ces bourgeois prêtèrent cent écus au capitaine La Hire qui, pour lors, faisait de son mieux dans Orléans. Et même à l'approche des Anglais, ils consentirent à recevoir quarante hommes de trait, de la compagnie du sire de Bueil, à la condition que Bueil logeât au Château avec vingt hommes et que les autres allassent dans les hôtelleries et ne prissent rien sans payer. Il en fut ainsi ou autrement, et le sire de Bueil s'en alla défendre Orléans763.
Dans l'hôtel de Jean du Puy, Jeanne reçut la visite d'un moine augustin, nommé Jean Pasquerel, qui revenait de la ville du Puy-en-Velay où il s'était rencontré avec Isabelle Romée et quelques-uns de ceux qui avaient mené Jeanne au roi764.
En cette ville, dans le sanctuaire d'Anis, on gardait une image de la mère de Dieu, rapportée d'Égypte par saint Louis et qui était ancienne et vénérable, car le prophète Jérémie l'avait taillée de ses mains dans du bois de sycomore, à la ressemblance de la vierge à naître qu'il avait vue en esprit765. Durant la semaine sainte, les pèlerins y affluaient de toutes les parties de la France et de l'Europe, seigneurs, clercs, gens d'armes, bourgeois et paysans, et beaucoup, par pénitence ou pauvreté, cheminaient à pied, le bourdon à la main et mendiaient leur pain aux portes. Des marchands de toutes sortes s'y rendaient et c'était tout ensemble un des plus fréquentés pèlerinages et une des plus riches foires du monde. Aux environs de la ville, les chemins ne suffisaient pas aux voyageurs qui envahissaient vignes, prés et jardins. En l'an 1407, le jour du pardon, deux cents personnes périrent étouffées766.
En certaines années, la conception de Notre-Seigneur se trouvant commémorée en même temps que sa mort, la promesse du plus grand des mystères coïncidait avec sa consommation. Alors le vendredi saint devenait plus saint encore; on l'appelait le grand vendredi, et ceux qui le passaient dans le sanctuaire d'Anis gagnaient une indulgence plénière. Ce jour-là, les pèlerins s'y pressaient encore plus nombreux que de coutume. Or, en l'an 1429, le vendredi saint tombait le 25 mars, jour de l'Annonciation767.
Les rencontres que frère Pasquerel fit au Puy, pendant la semaine sainte, ne doivent donc pas nous sembler trop extraordinaires. Qu'une femme des champs accomplît un voyage de plus de cent lieues, à pied, par un pays infesté de gens d'armes et autres larrons, sur de mauvaises routes, dans la saison des neiges et des brumes, pour gagner son pardon, c'est ce qui se voyait tous les jours; et la Romée n'en était pas à son premier pèlerinage, si l'on s'en rapporte au surnom qu'elle portait déjà depuis longtemps768. Ne sachant point quels étaient ceux des compagnons de la Pucelle que rencontra le bon Frère, nous sommes libres de croire que Bertrand de Poulengy se trouvait du nombre. Nous ne le connaissons guère, mais son langage révèle une personne dévote769.
Ces compagnons, s'étant mis sur un pied de familiarité avec Pasquerel, lui dirent: «Il vous faut nous accompagner auprès de Jeanne. Nous ne vous lâcherons pas que nous ne vous ayons conduit près d'elle.» Ils cheminèrent ensemble. Frère Pasquerel passa avec eux à Chinon, quand Jeanne n'y était plus; puis il alla à Tours où se trouvait son couvent.
Les augustins, qui prétendaient avoir reçu leur règle de saint Augustin lui-même, portaient alors l'habit gris des franciscains. C'est dans leur ordre, que l'année précédente, le roi avait choisi le chapelain de son jeune fils, le dauphin Louis. Frère Pasquerel tenait en son couvent l'emploi de lecteur770. Il était prêtre. Fort jeune, sans doute, et d'humeur errante, comme alors beaucoup de moines mendiants, il avait le goût des choses merveilleuses et une extrême crédulité.
Les compagnons dirent à Jeanne:
– Jeanne, nous vous avons amené ce bon père. Quand vous le connaîtrez bien vous l'aimerez bien.
Elle répondit:
– Le bon père me rend bien contente, j'ai déjà entendu parler de lui, et dès demain je veux me confesser à lui.
Le lendemain, le bon père l'ouït en confession et chanta la messe devant elle. Il devint son aumônier et ne la quitta plus771.
Au XVe siècle, Tours était une des villes les plus industrieuses du royaume. Les habitants excellaient en toutes sortes de métiers. Ils tissaient des draps de soie d'or et d'argent. Ils fabriquaient aussi des harnais de guerre; et, sans égaler les armuriers de Milan, de Nuremberg et d'Augsbourg, ils étaient habiles à forger et à écrouir l'acier772. Là, un maître-armurier, par ordre du roi, fit sur mesure une armure à la Pucelle773. L'habillement de fer battu qu'il fournit se composait, selon l'usage du temps, d'un heaume et d'une cuirasse en quatre pièces, avec épaulières, bras, coudières, avant-bras, gantelets, cuissots, genouillères, grèves et solerets774. L'ouvrier, sans doute, ne songea pas à accuser la forme féminine. Mais les armures d'alors, bombées à la poitrine, minces de taille avec les tassettes évasées sur les hanches, ont toutes l'air, dans leur grâce mièvre et leur sveltesse étrange, d'armures de femmes et semblent faites pour la reine Penthésilée ou pour Camille romaine. L'armure de la Pucelle était une armure blanche, toute simple, ainsi qu'on en peut juger par le prix médiocre de cent livres tournois qu'elle coûta. Les deux harnais de Jean de Metz et de son compagnon, fournis en même temps par le même armurier, valaient ensemble cent vingt-cinq livres tournois775. Peut-être un de ces habiles et renommés drapiers de Tours prit-il mesure sur la jeune fille d'une huque ou houppelande, sorte de casaque de drap de soie, d'or et d'argent, que les capitaines passaient par-dessus la cuirasse. Ouverte par devant, la huque, pour avoir bon air, devait être déchiquetée en lambrequins qui flottaient follement autour du cavalier. Jeanne aimait les belles huques et plus encore les beaux chevaux776.
Le roi l'invita à prendre un cheval dans ses écuries. Si certain poète latin dit vrai, elle choisit une bête illustre assurément par son origine, mais très vieille. C'était un destrier que Pierre de Beauvau, gouverneur d'Anjou et du Maine, avait donné à l'un des deux frères du roi, morts tous deux, l'un depuis déjà treize ans, l'autre depuis douze777. Ce cheval, ou un autre, fut mené dans la maison Lapau, et le duc d'Alençon l'y alla voir. Le cheval dut recevoir aussi son habillement, un chanfrein pour protéger la tête et une de ces selles de bois à pommeau évasé dans lesquelles le cavalier se trouvait parfaitement emboîté778. De l'écu, il n'en put être question. Cette pièce ne se portait plus qu'aux fêtes depuis que les armures de mailles, qui se rompaient sous les coups, étaient remplacées par les armures de plates, que rien n'entamait. Quant à l'épée, la plus noble pièce du harnais et la plus claire image de la force unie à la loyauté, Jeanne ne consentit pas à la tenir de l'armurier royal; elle voulut la recevoir de sainte Catherine elle-même.
On sait qu'à sa venue en France, elle s'était arrêtée à Fierbois et qu'elle avait entendu trois messes dans la chapelle de sainte Catherine779. La vierge d'Alexandrie possédait en ce lieu de Fierbois beaucoup d'épées, sans compter celle que Charles Martel lui avait donnée, disait-on, et qu'il n'aurait pas été facile de retrouver. Bonne Tourangelle en Touraine, elle était du parti des Armagnacs et se montrait en toutes rencontres favorable aux hommes d'armes qui tenaient pour le dauphin Charles. Les capitaines et les routiers du parti français, sachant qu'elle leur voulait du bien, l'invoquaient préférablement à toute autre, quand ils se trouvaient en danger de mort ou prisonniers de leurs ennemis. Elle ne les sauvait pas tous, mais elle en secourait plusieurs qui venaient lui rendre grâces, et, en signe de reconnaissance, lui offrir leurs harnais de guerre; de sorte que la chapelle de madame sainte Catherine ressemblait à une salle d'armes780. Les murs en étaient tout hérissés de fer, et, comme les dons affluaient depuis plus de cinquante années, depuis le temps du roi Charles V, il est probable que les sacristains décrochaient les anciennes armes pour faire place aux nouvelles et entassaient dans quelque magasin la vieille ferraille en attendant une occasion favorable de la vendre781. Sainte Catherine ne pouvait refuser une épée à la jeune fille qu'elle aimait jusqu'à descendre du paradis tous les jours et à toute heure pour la voir et l'entretenir sur terre et qui, à son tour, lui avait fait une bonne et dévote visite en ce lieu de Fierbois. Car il faut savoir que sainte Catherine, accompagnée de sainte Marguerite, n'avait pas cessé de fréquenter près de Jeanne à Chinon et à Tours. Elle faisait partie de toutes ces assemblées secrètes que la Pucelle appelait parfois son Conseil et plus souvent ses Voix, sans doute parce que ses oreilles et son esprit en étaient encore plus frappés que ses yeux, malgré l'éclat des lumières dont elle était parfois éblouie et bien qu'elle distinguât des couronnes au front des saintes. Les Voix désignèrent une épée entre toutes celles qui se trouvaient dans la chapelle de Fierbois. Messire Richard Kyrthrizian et frère Gille Lecourt, tous deux prêtres, étaient alors gouverneurs de la chapelle. Tel est le titre qu'ils se donnaient en signant les relations des miracles de leur sainte. Jeanne, par lettre missive, leur fit demander l'épée dont elle avait eu révélation. On la trouvera, disait-elle en sa lettre, sous terre, pas fort avant et derrière l'autel. Ce fut du moins là toutes les indications qu'elle put donner plus tard; encore ne lui souvenait-il plus bien si c'était derrière l'autel ou devant. Sut-elle montrer aux gouverneurs de la chapelle quelques signes auxquels ils reconnussent l'épée? Elle ne s'expliqua jamais sur ce point et sa lettre est perdue782.
Ce qui est certain, c'est qu'elle croyait avoir vu cette épée par révélation, et non pas autrement. Un armurier tourangeau, qu'elle ne connaissait point (elle affirma depuis ne l'avoir jamais vu), fut chargé de porter la lettre à Fierbois. Les gouverneurs de la chapelle lui remirent une épée marquée de cinq croix, ou de cinq petites épées sur la lame, assez près de la garde. En quel endroit de la chapelle l'avaient-ils trouvée? On ne sait. Un contemporain dit que ce fut dans un coffre, avec de vieilles ferrailles. Si elle avait été cachée et enfouie, ce n'était pas très anciennement; car il suffit de la frotter un peu pour en ôter la rouille. Les prêtres eurent à cœur de l'offrir très honorablement à la Pucelle783. Ils l'enfermèrent dans un fourreau de velours vermeil, semé de fleurs de lis, avant de la remettre à l'armurier, qui la venait prendre. Jeanne, en la recevant, la reconnut pour celle qu'elle avait vue par révélation divine et que les Voix lui avaient promise. Et elle le dit très haut à tout ce petit monde de moines et de soldats qui vivaient près d'elle. Cela sembla bien admirable et signe de victoire784. Des prêtres de la ville donnèrent, pour protéger l'épée de sainte Catherine, un second fourreau, celui-là de drap noir. Jeanne en fit faire un troisième de cuir très fort785.
L'histoire de cette épée se répandit au loin, grossie de fables étranges. C'était, disait-on, l'épée, longtemps endormie sous terre, du grand Charles Martel. Plusieurs pensaient que ce fût l'épée d'Alexandre et des preux du temps jadis. Tous la tenaient bonne et fortunée. Bientôt les Anglais et les Bourguignons, instruits de la chose, eurent idée que cette Pucelle avait consulté les démons pour voir ce qui était caché dans la terre, ou soupçonnèrent qu'elle avait elle-même malicieusement enfoui l'épée à l'endroit par elle désigné, afin de séduire les princes, le clergé et le peuple. Ils se demandaient avec inquiétude si ces cinq croix n'étaient pas des signes diaboliques786. Ainsi commençaient à se former les illusions contraires selon lesquelles Jeanne parut sainte ou sorcière.
Le roi ne lui avait confié aucun commandement. Se conformant à l'avis des docteurs, il ne l'empêchait pas d'aller à Orléans avec ses gens d'armes, et même il l'y faisait mener honorablement, afin qu'elle y montrât le signe qu'elle avait promis. Il lui donnait des gens pour la conduire, et non pour qu'elle les conduisît. Comment les eût-elle conduits, puisqu'elle ne savait point le chemin? Cependant elle fit faire un étendard selon le mandement de mesdames sainte Catherine et sainte Marguerite qui lui avaient dit: «Prends l'étendard de par le Roi du ciel!» Il était d'une grosse toile blanche, dite boucassin ou bougran, et bordé de franges de soie. Ayant reçu avis de ses Voix, Jeanne y fit mettre, par un peintre de la ville, ce qu'elle appelait «le Monde»787, c'est-à-dire Notre-Seigneur, assis sur son trône, bénissant de sa dextre levée et tenant dans sa main senestre la boule du monde. À sa droite était un ange, et un ange à sa gauche, peints tous deux en la manière qu'on les voyait dans les églises, et présentant au Seigneur des fleurs de lis. Les noms Jhesus-Maria étaient écrits dessus ou à côté, et le champ était semé de fleurs de lis d'or788. Elle se fit peindre aussi des armoiries. C'était, dans un écu d'azur, une colombe d'argent, tenant en son bec une banderole où on lisait: «De par le Roi du ciel789.» Elle mit cet écu sur l'avers de l'étendard dont Notre-Seigneur occupait la face. Un serviteur du duc d'Alençon, Perceval de Cagny, dit qu'elle fit faire aussi un étendard plus petit que l'autre, un pennon, sur lequel était l'image de Notre-Dame recevant le salut de l'Ange. Le Peintre de Tours, que Jeanne avait employé, venait d'Écosse et se nommait Hamish Power. Il fournit l'étoffe et fit les peintures des deux panonceaux, du grand et du petit; il reçut pour cela du trésorier des guerres vingt-cinq livres tournois790. Hamish Power avait une fille nommée Héliote, qui était près de se marier et dont Jeanne se souvint plus tard avec bonté791.
L'étendard était signe de ralliement. Longtemps les rois, les empereurs, les chefs de guerre seuls l'avaient pu lever. Le suzerain le faisait porter devant lui; les vassaux venaient sous les bannières de leurs seigneurs. Mais, en 1429, les bannières n'étaient plus en usage que dans les confréries, les corporations ou les paroisses, et ne marchaient que devant des troupes pacifiques. À la guerre, il n'en était plus question. Le moindre capitaine, le plus pauvre chevalier, avait son étendard. Devant Orléans, quand cinquante gens d'armes français couraient sus à une poignée de pillards anglais, des étendards volaient sur eux par les champs comme un essaim de papillons. On disait encore, en manière de proverbe, faire étendard pour dire s'enorgueillir792. En fait, un routier levait l'étendard sans blâme en menant seulement à la guerre une vingtaine de gens d'armes et de gens de trait à moitié nus. Jeanne en pouvait bien faire autant. Et si même elle tenait, comme il est croyable, son étendard pour signe de commandement souverain et si, l'ayant reçu du Roi du ciel, elle entendait le lever au-dessus de tous les autres, en restait-il un seul dans le royaume pour lui disputer ce rang? Qu'étaient-elles devenues, ces bannières féodales portées pendant quatre-vingts ans au premier rang des désastres, semées dans les champs de Crécy, ramassées sous les haies et les buissons par les coustillers de Galles et de Cornouailles, perdues dans les vignes de Maupertuis, foulées aux pieds des archers anglais dans la terre molle où s'enfonçaient les morts d'Azincourt, ramassées à pleines mains, sous les murs de Verneuil, par les maraudeurs de Bedford? C'est parce que toutes ces bannières étaient misérablement tombées, c'est parce qu'à Rouvray un prince du sang royal venait de traîner honteusement dans sa fuite les étendards des seigneurs, que se levait maintenant l'étendard de la paysanne.
CHAPITRE X
LE SIÈGE D'ORLÉANS DU 7 MARS AU 28 AVRIL 1429
Depuis la déconfiture terrible et ridicule des gens du Roi dans la journée des Harengs, les bourgeois avaient perdu toute confiance en leurs défenseurs. Leur esprit agité, soupçonneux et crédule était hanté de tous les fantômes de la peur et de la colère. Brusquement, sans raison, ils se croyaient trahis. Un jour, on apprend qu'un trou, assez grand pour qu'un homme y pût passer, a été percé dans le mur de la ville à l'endroit où ce mur longe les dépendances de l'Aumône793. Le peuple en foule y court, voit le trou et un pan de rempart refait à neuf, avec deux «canonnières», ne comprend pas, se croit vendu, livré, s'effraie, s'exaspère, hurle et cherche le religieux de l'infirmerie pour le mettre en pièces794. Peu de jours après, le jeudi saint, un bruit sinistre se répand: des traîtres vont remettre la ville aux mains des Anglais. Tout le monde court aux armes; soldats, bourgeois, manants, font la garde sur les boulevards, sur les murs, dans les rues. Le lendemain, le surlendemain le soupçon, l'effroi règnent encore795.
Au commencement de mars, les assiégeants virent venir les vassaux de Normandie, que le Régent avait convoqués; mais ils ne fournissaient que six cent vingt-neuf lances et ne devaient le service que pour vingt-six jours. Sous la conduite de Scales, Pole et Talbot, les Anglais poursuivaient de leur mieux et selon leurs moyens les travaux d'investissement796. Le 10 mars, ils occupèrent, à une lieue à l'est de la ville, la côte escarpée de Saint-Loup qui ne leur fut pas disputée et commencèrent d'y élever une bastille qui dominait le fleuve en amont et les deux routes de Gien et de Pithiviers à leur rencontre, vers la porte de Bourgogne797. Le 20 mars, leur bastille de Londres, sur la route du Mans, était achevée. Du 9 au 15 avril, deux nouvelles bastilles s'élevèrent du côté du couchant, Rouen à neuf cents pieds à l'est de Londres, Paris à neuf cents pieds de Rouen. Vers le 20, ils fortifièrent Saint-Jean-le-Blanc au val de Loire et firent un guet pour garder le passage798. C'était peu au regard de ce qu'il leur restait à faire et ils manquaient de bras. Ils n'avaient pas trois mille hommes autour de la ville. Ils surprenaient les paysans qui, voyant venir le temps de labourer la vigne, allaient aux champs sans autre souci que la terre, et quand ils les avaient pris, ils les faisaient travailler799. De l'avis des hommes de guerre les plus avisés, ces bastilles ne valaient rien. Il n'y avait pas moyen d'y garder des chevaux; on ne pouvait les construire assez rapprochées pour se secourir les unes les autres; l'assiégeant risquant d'y être assiégé. Enfin les Anglais qui employaient ces fâcheuses machines n'y éprouvaient à l'usage que mécomptes et disgrâces. C'est ce dont s'aperçut un des défenseurs de la ville, le sire de Bueil quand il eut pris de l'expérience800. Et dans le fait, il y avait si peu de difficultés à traverser les lignes ennemies, que des marchands en risquaient la chance et conduisaient du bétail aux assiégés. Il entre dans la ville: le 7 mars, six chevaux chargés de harengs; le 15, six chevaux chargés de poudre; le 29, du bétail et des vivres; le 2 avril, neuf bœufs gras et des chevaux; le 5, cent un pourceaux et six bœufs gras; le 9, dix-sept pourceaux, des chevaux, des cochons de lait et du blé; le 13, des espèces pour solder la garnison; le 16, des bestiaux et des vivres; le 23, de la poudre et des vivres. Et plus d'une fois on prit à la barbe des Anglais les victuailles et munitions qui leur étaient destinées, tonneaux de vin, gibier, chevaux, arcs, trousses, voire vingt-six têtes de gros bétail801.
Le siège coûtait très cher aux Anglais, quarante mille livres tournois par mois802. L'argent manquait; il fallut recourir aux plus fâcheux expédients. Le roi Henri venait d'ordonner, par lettres du 3 mars, que tous les officiers de Normandie lui fissent prêt d'un quartier de leurs gages803. Les gens d'armes, dans leurs taudis de planches et de terre, après avoir souffert du froid, commençaient à souffrir de la faim. La Beauce, l'Île-de-France, la Normandie, ruinées et ravagées, ne leur envoyaient pas beaucoup de bœufs et de moutons. Ils mangeaient mal et buvaient plus mal. Le vin de 1427 était rare; le vin nouveau si petit et si faible, qu'il sentait plus le verjus que le vin804. Or, un vieil Anglais a dit des soldats de sa nation: «Ils soupirent après leur soupe et leurs grasses tranches de bœuf: il faut qu'ils soient nourris comme des mulets et qu'ils portent leur provende pendue à leur cou, sinon ils vous ont un air piteux comme des souris noyées805.»
Une disgrâce subite les affaiblit encore. Le capitaine Poton de Saintrailles et les deux procureurs Guyon du Fossé et Jean de Saint-Avy, qui étaient allés en ambassade auprès du duc de Bourgogne, furent de retour à Orléans le 17 avril. Le duc avait bien accueilli leur requête et consenti à prendre la ville sous sa garde. Mais le Régent, à qui l'offre avait été faite, n'entendait pas de cette oreille. Il répondit qu'il serait bien marri d'avoir battu les buissons et que d'autres eussent les oisillons806. L'offre était donc repoussée. Toutefois l'ambassade n'avait point été inutile et ce n'était pas rien que d'avoir amené un nouveau désaccord entre le duc et le Régent. Les ambassadeurs revenaient accompagnés d'un héraut de Bourgogne qui sonna de sa trompette dans le camp anglais et commanda, de par son maître, à tout combattant sujet du duc, de lever le siège. Bourguignons, Picards, Champenois, quelques centaines d'hommes d'armes et d'archers partirent incontinent807.
Le lendemain, à quatre heures du matin, les bourgeois, enhardis et croyant l'occasion bonne, attaquèrent le camp de Saint-Laurent-des-Orgerils. Ils tuèrent une partie du guet et pénétrèrent dans l'enceinte où ils trouvèrent des tasses d'argent, des robes de martre et beaucoup d'armes. Trop occupés à piller, ils ne se gardèrent pas et furent surpris par les ennemis accourus en grand nombre. Ils s'enfuirent poursuivis par les Anglais qui en tuèrent beaucoup. La ville fut pleine, ce jour-là, des lamentations des femmes qui pleuraient un père, un mari, un frère, des parents808.
Il y avait là quarante mille hommes emmurés809, entassés dans une enceinte qui n'en devait contenir qu'une quinzaine de mille, tout un peuple agité par la souffrance, assombri par des deuils domestiques, rongé d'inquiétude, et que d'incessants dangers, des alarmes perpétuelles rendaient fou. Bien que les guerres ne fussent pas alors aussi meurtrières qu'elles le devinrent par la suite, les Orléanais faisaient dans les sorties des pertes fréquentes et cruelles. Les boulets anglais qui, depuis la mi-mars, pénétraient plus avant dans la ville, n'étaient pas toujours inoffensifs. La veille de Pâques fleuries, une pierre de bombarde tua ou blessa cinq personnes, une autre sept810. Beaucoup d'habitants, comme le prévôt Alain Du Bey, mouraient de fatigue et du mauvais air811.
Chacun dans la chrétienté était alors instruit que les crimes des hommes amènent sur le monde les tremblements de terre, les guerres, la famine et la peste. Le beau duc Charles jugeait, comme tout bon chrétien, que la France avait été frappée de grands maux en punition de ses péchés, qui étaient: grand orgueil, gloutonnerie, paresse, convoitise, mépris de la justice et luxure, dont le royaume abondait; et il raisonna, dans une ballade, du mal et du remède812. Les Orléanais croyaient fermement que cette guerre leur était envoyée de Dieu pour punir les pécheurs, qui avaient abusé de sa patience. Ils connaissaient la cause de leur mal et le moyen d'en guérir. Ainsi que l'enseignaient les bons frères prêcheurs et comme le duc Charles le coucha par écrit dans sa ballade, le remède était: bien vivre, s'amender, faire chanter et dire des messes pour les âmes de ceux qui avaient souffert dure mort au service du royaume, oublier la vie pécheresse, requérir pardon de Notre-Dame et des saints813. Ce remède, les habitants d'Orléans l'avaient employé. Ils avaient fait dire des messes en l'église Sainte-Croix pour l'âme des seigneurs, capitaines et gens d'armes tués à leur service et notamment pour ceux qui avaient péri d'une mort pitoyable à la bataille des Harengs. Ils avaient offert des cierges à Notre-Dame et aux saints patrons de la ville et promené autour des murs la châsse de monsieur Saint Aignan814.
Chaque fois qu'ils se sentaient en grand péril, ils l'allaient quérir dans l'église Sainte-Croix, la portaient en belle procession par la ville et les remparts815; puis, l'ayant ramenée dans la cathédrale, ils écoutaient sous le parvis le sermon d'un bon religieux choisi par les procureurs816. Ils faisaient des prières publiques et tenaient le ferme propos de s'amender. C'est pourquoi ils pensaient qu'au paradis, monsieur saint Euverte et monsieur saint Aignan, touchés de leur piété, intercédaient pour eux auprès de Notre-Seigneur; et ils croyaient entendre la voix des deux pontifes. Saint Euverte disait:
– Père tout puissant, je vous prie et requiers de sauver la ville d'Orléans. Elle est mienne; j'en fus évêque, j'en suis patron. Ne la livrez point à ses ennemis.
Saint Aignan disait ensuite:
– Donnez la paix à ceux d'Orléans. Père, ô vous qui, par la bouche d'un enfant, m'avez nommé leur pasteur, faites qu'ils ne tombent pas aux mains des méchants.
Les Orléanais s'attendaient bien à ce que le Seigneur ne cédât pas tout de suite aux prières des deux confesseurs. Connaissant la sévérité de ses jugements, ils craignaient qu'il ne répondît:
– Le peuple de France est puni justement de ses péchés. Sa désobéissance à la sainte Église l'a perdu. Du petit au grand, c'est à qui, dans le royaume, se conduira le plus mal. Laboureurs, bourgeois, gens de pratique et prêtres s'y montrent avaricieux et durs; les princes, ducs et hauts seigneurs y sont orgueilleux, vains, maugréeurs, jureurs et félons. L'ordure de leur vie empuantit l'air. S'ils sont châtiés, c'est justice.
Il fallait s'attendre à ce que le Seigneur parlât ainsi, parce qu'il était en colère et parce qu'en effet les Orléanais avaient beaucoup péché. Mais voici que Notre-Dame, qui aime le roi des fleurs de Lis, prie pour lui et pour le duc d'Orléans le Fils qui cherche en toutes choses à lui complaire:
– Mon fils, je vous requiers tant que je puis de chasser les Anglais de la terre de France; ils n'y ont nul droit. S'ils prennent Orléans, ils prendront le reste à leur plaisance. Ô mon fils, doucement je vous prie de ne le point souffrir.
Et Notre-Seigneur, à la requête de sa sainte mère, pardonne aux Français et consent à les sauver817.
Ainsi les clartés qu'on avait alors sur le monde spirituel pénétraient les conseils tenus dans le paradis. Plusieurs, et non des moins savants, pensaient qu'après un de ces conseils, Notre-Seigneur avait envoyé son archange à la bergère. Et qu'il voulût sauver le royaume par le bras d'une femme, on le pouvait croire. N'est-ce pas dans la faiblesse qu'il faisait éclater sa puissance? N'avait-il pas permis à David enfant d'abattre le géant Goliath et livré à Judith la tête d'Holopherne? Dans Orléans même, n'avait-il pas mis sur les lèvres d'un nouveau-né le nom du pasteur qui devait délivrer la ville assiégée par Attila818?
Le seigneur de Villars et messire Jamet du Tillay, revenus de Chinon, rapportèrent qu'ils avaient vu de leurs yeux la Pucelle et contèrent les merveilles de sa venue. Ils dirent comment elle avait fait si grand chemin, traversé à gué de grosses rivières, passé par beaucoup de villes et de villages du parti des Anglais, puis cheminé sans dommage dans ces pays français où se faisaient d'innombrables maux et pilleries; comment, menée au Roi, elle lui avait dit, par bien belles paroles, en faisant la révérence: «Gentil dauphin, Dieu m'envoie pour vous aider et secourir. Donnez-moi gens, car, par grâce divine et force d'armes, je lèverai le siège d'Orléans et puis vous mènerai sacrer à Reims, ainsi que me l'a commandé Dieu, qui veut que les Anglais s'en retournent en leur pays et vous laissent votre royaume en paix, lequel vous doit demeurer. Ou s'ils ne le laissent, il leur en mécherra»; et comment enfin interrogée par plusieurs prélats, chevaliers, écuyers, docteurs en lois et en décrets, elle avait été trouvée d'honnête contenance et sage en ses paroles. Ils vantèrent sa piété, sa candeur, cette simplicité qui laissait voir Dieu en elle, et cette adresse à conduire un cheval et à manier les armes dont chacun s'émerveillait819.