Kitabı oku: «Vie de Jeanne d'Arc. Vol. 1 de 2», sayfa 16
Nouvelles vinrent à la fin de mars que, menée à Poitiers, elle avait été interrogée par les docteurs et insignes maîtres, et leur avait répondu aussi affirmativement que sainte Catherine aux docteurs d'Alexandrie, et que, vu la bonté de ses paroles et la fermeté de ses promesses, le roi, mettant en elle sa confiance, l'avait fait armer pour qu'elle allât à Orléans où on la verrait bientôt montée sur un cheval blanc, portant au côté l'épée de sainte Catherine et tenant en sa main l'étendard qu'elle avait reçu du Roi des cieux820.
Ce qu'on rapportait de Jeanne paraissait aux gens d'Église merveilleux et non pas incroyable, puisqu'ils en trouvaient des exemples dans l'histoire sainte qui était pour eux toute l'histoire; ceux qui avaient des lettres puisaient dans leur savoir moins de raisons de nier que de douter ou de croire. Les simples concevaient de ces choses une admiration candide.
Quelques-uns parmi les capitaines et même dans le peuple disaient que c'était dérision. Mais ils risquaient de se faire maltraiter. Les habitants croyaient en la Pucelle comme en Notre-Seigneur; ils attendaient d'elle secours et délivrance; ils l'appelaient dans une sorte de folie mystique et de délire religieux. La fièvre du siège était devenue la fièvre de la Pucelle821.
Cependant la façon dont les gens du roi la mettaient en œuvre prouvait que, se conformant à l'avis des théologiens, ils entendaient ne se pas départir des moyens conseillés par la prudence humaine. Elle devait entrer dans la ville avec un convoi de vivres et de munitions préparé alors à Blois, par l'ordre du roi et par les soins de la reine de Sicile822. Un nouvel effort se faisait dans toutes les provinces fidèles pour secourir et délivrer la cité courageuse. Gien, Bourges, Blois, Châteaudun, Tours, envoyaient des hommes et des vivres; Angers, Poitiers, La Rochelle, Albi, Moulins, Montpellier, Clermont, du soufre, du salpêtre, de l'acier, des armes823. Et, si les Toulousains ne donnèrent rien, c'est que la ville, comme le déclarèrent ingénument les notables consultés par les capitouls, n'avait pas de quoi, non habebat de quibus824. Les conseillers du roi et notamment monseigneur Regnault de Chartres, chancelier du royaume, formaient une nouvelle armée. Ce qu'on n'avait pu faire avec les Auvergnats, on le tenterait avec les Angevins et les Manceaux. La reine de Sicile, duchesse de Touraine et d'Anjou, s'y prêtait bien volontiers. Orléans pris, elle risquait fort de perdre ses terres auxquelles elle était très attachée. Aussi ne marchandait-elle ni l'argent, ni les hommes, ni les vivres. Passé la mi-avril, un bourgeois d'Angers, nommé Jean Langlois, vint apporter des lettres avisant les procureurs que le blé donné par elle allait venir. Jean Langlois reçut de la ville un cadeau et les procureurs lui offrirent à dîner à l'Écu Saint-Georges. Ce blé faisait partie du grand convoi que devait accompagner la Pucelle825.
Vers la fin du mois, sur l'ordre de Monseigneur le Bâtard, les capitaines des garnisons françaises de la Beauce et du Gâtinais se rendirent dans la ville pour appuyer l'armée de Blois, dont la venue était annoncée. Le 28, messire Florent d'Illiers826, capitaine de Châteaudun, fit son entrée avec quatre cents combattants827.
Qu'allait-il advenir d'Orléans? Le siège, mal conduit, causait aux Anglais les plus cruels mécomptes. Leurs capitaines s'apercevaient de reste qu'ils ne réduiraient pas la ville au moyen de ces bastilles entre lesquelles tout passait, hommes, vivres, munitions, et avec une armée qui fondait dans la boue des taudis et que les maladies, les désertions réduisaient à trois mille, trois mille deux cents hommes au plus. Ils avaient perdu presque tous leurs chevaux. Loin de pouvoir continuer l'attaque, ils n'étaient plus en état de se défendre dans leurs malheureuses tours de bois, plus profitables, comme disait Le Jouvencel, aux assiégés qu'aux assiégeants828.
Tout leur espoir, incertain et lointain, était dans l'armée de renfort que le Régent formait péniblement à Paris829. Cependant on trouvait le temps long dans la ville assiégée. Les gens de guerre qui la défendaient étaient braves, mais à bout d'inventions et ne sachant plus que tenter; les bourgeois faisaient bonne garde, mais ils tenaient mal à découvert; ils ne se doutaient pas de l'état désastreux où les assiégeants étaient réduits; la fièvre que leur donnaient l'inquiétude, les privations et le mauvais air les abattait. Ils voyaient déjà les Coués prenant la ville d'assaut, tuant, pillant, violant. À tout moment ils se croyaient trahis. Le calme et le sang-froid leur manquaient pour reconnaître les avantages de leur situation, qui étaient énormes: la ville gardait ses communications avec le dehors et pouvait se ravitailler et se renforcer indéfiniment. Au surplus, une armée de secours, en bonne avance sur celle des Anglais, allait bientôt venir, amenant force têtes de bétail, assez puissante en hommes et abondante en munitions pour enlever en quelques jours les forteresses anglaises.
Avec cette armée, le roi envoyait la Pucelle annoncée.
CHAPITRE XI
LA PUCELLE À BLOIS. – LA LETTRE AUX ANGLAIS. – LE DÉPART POUR ORLÉANS
La Pucelle, avec son escorte de routiers et de mendiants, arriva à Blois en même temps que Messire Regnault de Chartres, chancelier de France, et le sire de Gaucourt, gouverneur d'Orléans830. Elle était sur les terres du prince qu'elle avait grand souci de délivrer: le Blésois appartenait au duc Charles, prisonnier des Anglais. Les marchands amenaient dans la ville bœufs, vaches, moutons, brebis, pourceaux à foison, du grain, de la poudre et des armes831. L'amiral de Culant et le seigneur Ambroise de Loré étaient venus d'Orléans surveiller l'approvisionnement. La Reine de Sicile s'était rendue à Blois. Le Roi qui, à cette époque, ne la consultait guère, lui dépêcha pourtant le duc d'Alençon, avec mission de se concerter avec elle pour l'envoi des secours832. Le sire de Rais, de la maison de Laval et de la lignée des ducs de Bretagne, seigneur de vingt-quatre ans à peine, vint, libéral et magnifique, amenant, avec une belle compagnie d'Anjou et du Maine, les orgues de sa chapelle, les enfants de la maîtrise, les petits chanteurs de la psallette833. Le maréchal de Boussac, les capitaines La Hire et Poton arrivèrent d'Orléans834. Une armée de sept mille hommes fut réunie sous les murs de la ville835. Pour partir on n'attendait plus que l'argent nécessaire au paiement des vivres et à la solde des troupes. Les capitaines et gens d'armes ne servaient pas à crédit; quant aux marchands, s'ils risquaient de perdre leurs victuailles et la vie avec, c'était pour argent comptant836. Point de pécune point de bétail, et les chariots ne roulaient pas.
Au mois de mars, Jeanne avait dicté à l'un des maîtres de Poitiers une brève sommation à l'adresse des capitaines anglais837. Elle la développa en une lettre qu'elle montra à quelques-uns de son parti, et qu'elle envoya ensuite de Blois, par un héraut, au camp de Saint-Laurent-des-Orgerils. Cette lettre était adressée au roi Henri, au Régent et aux trois chefs qui depuis la mort de Salisbury conduisaient le siège, Scales, Suffolk et Talbot. En voici le texte838:
✝ JHESUS MARIA ✝
Roy d'Angleterre, et vous, duc de Bedford, qui vous dictes régent le royaume de France; vous Guillaume de la Poule, conte de Sulford; Jehan, sire de Talebot; et vous, Thomas, sire d'Escales, qui vous dictes lieutenans dudit duc de Bedfort, faictes raison au Roy du ciel839; rendez à la Pucelle qui est cy envoiée de par Dieu, le Roy du ciel, les clefs de toutes les bonnes villes840 que vous avez prises et violées841 en France. Elle est ci venue de par Dieu, pour réclamer le sanc royal842. Elle est toute preste de faire paix, se vous lui voulez faire raison, par ainsi que France vous mectrés jus, et paierez ce que vous l'avez tenu843. Et entre vous, archiers, compaignons de guerre, gentilz et autres844 qui estes devant la ville d'Orléans, alez vous ent en vostre païs, de par Dieu; et se ainsi ne le faictes, attendez les nouvelles845 de la Pucelle qui vous ira voir briefment à voz bien grans dommaiges. Roy d'Angleterre, se ainsi ne le faictes, je sui chief de guerre, et en quelque lieu que je actaindray voz gens en France, je les en ferai aler, vuellent ou non vuellent; et si ne vuellent obéir je les feray tous occire. Je sui cy envoiée de par Dieu, le Roy du ciel, corps pour corps, pour vous bouter hors de toute France. Et s'i vuellent obéir, je les prandray à mercy. Et n'aiez point en vostre oppinion, que vous ne tendrez846 point le royaume de France [de] Dieu, le Roy du ciel, filz sainte Marie847; ainz le tendra le roy Charles, vray héritier848; car Dieu, le Roy du ciel, le veult, et lui est révélé par la Pucelle; lequel849 entrera à Paris à bonne compagnie. Se vous ne voulez croire les nouvelles de par Dieu et la Pucelle, en quelque lieu que vous trouverons, nous ferrons850 dedens et y ferons ung si grant hahay851, que encore a-il mil ans852 que en France ne fu si grant, se vous ne faictes raison. Et croyez fermement que le Roy du ciel envoiera plus de force à la Pucelle, que vous ne lui sariez mener de tous assaulx, à elle et à ses bonnes gens d'armes; et aux horions853 verra-on qui ara854 meilleur droit de Dieu du ciel855. Vous, duc de Bedfort, la Pucelle vous prie et vous requiert que vous ne vous faictes mie destruire. Se vous lui faictes raison, encore pourrez venir en sa compaignie, l'où que les Franchois856 feront le plus bel fait que oncques fu fait pour la chrestienté. Et faictes response se vous voulez faire paix en la cité d'Orléans; et se ainsi ne le faictes, de vos bien grans dommages vous souviengne briefment. Escript ce mardi sepmaine saincte.
Telle est cette lettre d'un accent nouveau, qui proclame la royauté de Jésus-Christ et déclare la guerre sainte. Il est difficile de savoir si Jeanne la dicta de sa propre inspiration ou sur le conseil des clercs. On serait d'abord tenté d'attribuer à des religieux l'idée première d'une sommation qui est une application littérale des préceptes inscrits dans le Deutéronome:
«Quand vous vous approcherez d'une ville pour l'assiéger, d'abord vous lui offrirez la paix.
»Si elle l'accepte et qu'elle vous ouvre ses portes, tout le peuple qui s'y trouvera sera sauvé et vous sera assujetti moyennant le tribut.
»Si elle ne veut point recevoir les conditions de la paix et qu'elle commence à vous déclarer la guerre, vous l'assiégerez.
»Et lorsque le Seigneur, votre Dieu, vous l'aura livrée entre les mains, vous ferez passer tous les mâles au fil de l'épée,
»En réservant les femmes, les enfants, les bêtes et tout le reste de ce qui se trouvera dans la ville.»
(Deuter., XX, 10-14.)
Il est certain du moins que, à cet égard, la Pucelle exprime ses propres sentiments. Elle dira plus tard: «Je demandais la paix et, si on me la refusait, j'étais prête à combattre857.» Mais comme elle dicta cette lettre et ne put la lire, il y a lieu de rechercher si les clercs qui tinrent la plume n'y mirent pas du leur.
On peut soupçonner une main ecclésiastique en deux ou trois passages. Plus tard la Pucelle ne se rappelait pas avoir dicté «corps pour corps», ce qui n'a pas grande importance. Mais elle déclara qu'elle n'avait pas dit: «Je suis chef de guerre», et qu'elle avait dicté: «Rendez au Roi», et non pas: «Rendez à la Pucelle858». Sa mémoire, qui n'était pas toujours bonne, la trompait peut-être. Pourtant, elle paraissait bien sûre de ce qu'elle disait, et elle répéta par deux fois que «chef de guerre» et «rendez à la Pucelle» n'étaient pas dans sa lettre, et il est possible que ces termes fussent du fait des moines qui se tenaient près d'elle. Ces religieux errants se souciaient médiocrement d'une querelle de fiefs, et leur plus grand souci n'était pas que le roi Charles rentrât en possession de son héritage. Ils voulaient sans doute le bien du royaume de France; mais, assurément, ils voulaient d'un meilleur cœur le bien de la chrétienté, et nous verrons que si ces moines mendiants, frère Pasquerel et plus tard frère Richard, s'attachèrent à la Pucelle, ce fut dans l'espoir de l'employer au profit de l'Église. Aussi ne serait-il pas surprenant qu'ils eussent tout d'abord pris soin de la déclarer chef de guerre et même de l'investir d'un pouvoir spirituel supérieur au pouvoir temporel du roi, ce qui est impliqué dans cette phrase: «Rendez à la Pucelle… les clefs des bonnes villes.»
Cette lettre même indique une des espérances, entre autres, qu'ils fondaient sur elle. Ils comptaient qu'après avoir accompli sa mission en France, elle prendrait la croix et irait à la conquête de Jérusalem, entraînant à sa suite toutes les armées de l'Europe chrétienne859. En ce moment même, un disciple de Bernardin de Sienne, un franciscain, nouvellement venu de Syrie860, frère Richard, qui devait bientôt se rencontrer avec la Pucelle, prêchait à Paris, annonçant la fin prochaine du monde et exhortant les fidèles à combattre l'Antéchrist861. Il faut se rappeler que les Turcs, qui avaient vaincu les chevaliers chrétiens à Nicopolis et à Sémendria, menaçaient Constantinople et terrifiaient l'Europe entière. Papes, empereurs, rois, sentaient la nécessité de tenter contre eux un grand effort.
On disait en Angleterre que le roi Henri V avait fait à madame Catherine de France, entre Saint-Denys et Saint-Georges, un garçon demi-anglais demi-français, qui irait jusqu'en Égypte tirer le Grand Turc par la barbe862. Ce victorieux Henri V, sur son lit de mort, entendait les clercs réciter les psaumes de la pénitence. Quand il ouït ce verset: Benigne fac Domine in bona voluntate tua ut aedificentur muri Jerusalem, il murmura d'une voix expirante: «J'ai toujours eu dessein d'aller en Syrie et de reprendre la ville sainte aux infidèles863.» Ce fut sa dernière parole. Les hommes sages conseillaient l'union des princes chrétiens contre le Croissant. En France, l'archevêque d'Embrun, qui avait siégé aux conseils du dauphin, maudissait l'insatiable cruauté de la nation anglaise et ces guerres entre chrétiens, dont se réjouissaient les ennemis de la croix de Jésus-Christ864.
Appeler les Anglais et les Français à prendre ensemble la croix, c'était proclamer qu'après quatre-vingt-onze ans de violences et de crimes le cycle des guerres profanes était fermé et que la chrétienté se retrouvait telle qu'aux jours où Philippe de Valois et Édouard Plantagenet promettaient au pape de s'unir contre les infidèles.
Mais quand la Pucelle conviait les Anglais à se joindre aux Français dans une entreprise sainte et guerrière, on pouvait prévoir l'accueil que recevrait des Godons cette convocation angélique. Et, lors du siège d'Orléans, les Français de leur côté, pour de bonnes raisons, ne songeaient pas à prendre la croix avec les Coués865.
Le style de cette lettre ne fut pas très goûté des connaisseurs. Le Bâtard d'Orléans en trouvait toutes les paroles bien simples et quelques années plus tard un bon légiste français la jugea écrite en gros et lourd langage et mal ordonné866. Nous ne pouvons prétendre en mieux juger que le légiste et que le Bâtard, qui avait des lettres; pourtant nous nous demandons si ce qui leur semblait mauvais dans ces façons de dire ce n'était pas qu'elles s'éloignaient du ton ordinaire des chancelleries. La lettre de Blois se ressent, il est vrai, de l'humilité où se tenait encore la prose française, quand elle n'était pas soulevée par un Alain Chartier, mais on n'y trouve pas de terme ni de tournure qui ne se rencontre dans les bons auteurs du temps. Le langage peut n'en pas être très bien ordonné, mais l'allure en est vive. Au reste rien n'y sent les bords de la Meuse; il n'y subsiste aucune trace du parler lorrain et champenois867. C'est français de clerc.
Tandis qu'Isabelle de Vouthon s'en était allée en pèlerinage au Puy, ses deux plus jeunes enfants, Jean et Pierre, avaient pris aussi le chemin de la France, pour rejoindre leur sœur, dans l'idée de faire fortune auprès d'elle et du roi. De même frère Nicolas de Vouthon, cousin germain de Jeanne, religieux profès en l'abbaye de Cheminon, se rendit auprès de la jeune dévote868. Pour attirer ainsi toute cette parenté, avant même d'avoir donné signe de son pouvoir, il fallait que Jeanne eût des cautions aux bords de la Meuse et que de vénérables personnes ecclésiastiques et de bons seigneurs lorrains répondissent de son crédit en France. Ces garants de sa mission, elle les trouvait sans aucun doute dans ceux qui l'avaient endoctrinée et accréditée par prophétie; et peut-être frère Nicolas de Vouthon lui-même était-il du nombre.
Tenant dans l'armée état de sainte fille, elle avait en sa compagnie un chapelain, frère Jean Pasquerel869; deux pages, Louis de Coutes et Raymond870; ses deux frères, Pierre et Jean; deux hérauts, Ambleville et Guyenne871; deux écuyers, Jean de Metz et Bertrand de Poulengy. Jean de Metz pourvoyait à la dépense aux frais de la couronne872. Elle avait aussi quelques valets à son service. Un écuyer, nommé Jean d'Aulon, que le roi lui donna pour intendant, vint la rejoindre à Blois873. C'était le plus pauvre écuyer du royaume874. Il appartenait entièrement au sire de La Trémouille qui le secourait d'argent, mais avait bon renom d'honneur et de sagesse875. Jeanne attribuait les défaites des Français à ce qu'ils chevauchaient avec des femmes de mauvaise vie et blasphémaient le saint nom de Dieu. Et loin de lui être particulière, cette opinion régnait parmi les personnes de savoir et de dévotion, qui rapportaient notamment le désastre de Nicopolis à ce que, en chemin, les chrétiens avaient fait des cruautés, mené des ribaudes et joué à des jeux dissolus876.
À plusieurs reprises, de 1420 à 1425, le dauphin avait défendu de maugréer, de renier, de blasphémer le nom de Dieu, de la Vierge Marie, des saints et des saintes, sous peine d'une amende à laquelle s'ajoutaient, en certains cas, des châtiments corporels. Les lettres qui portaient cette défense alléguaient que les blasphèmes attiraient des guerres, des pestes et des famines, et que les blasphémateurs étaient responsables en partie des maux qui affligeaient le royaume877. Aussi la Pucelle allait-elle parmi les gens d'armes, les exhortant à chasser les femmes qui suivaient l'armée et à ne plus prononcer en vain le nom du Seigneur. Elle leur recommandait de confesser leurs péchés et de mettre leur âme en état de grâce, affirmant que Dieu les aiderait et que si leur âme était en bon état, ils obtiendraient la victoire878.
Jeanne porta son étendard à l'église Saint-Sauveur et le donna à bénir aux prêtres879. La petite confrérie, formée à Tours, se grossit à Blois des gens d'Église et des religieux qui, échappés en foule des abbayes voisines à l'approche des Anglais, souffraient le froid et la faim. Il en était d'ordinaire ainsi. Constamment des nuées de moines s'abattaient sur les armées. Beaucoup d'églises et la plupart des abbayes gisaient détruites. Celles des mendiants, situées hors des villes, avaient toutes péri, dépouillées et incendiées par les Anglais ou renversées par les habitants des villes, avec tous les faubourgs sous la menace d'un siège. Les religieux sans asile ne trouvaient point d'accueil dans les cités avares de leur bien; il leur fallait tenir la campagne avec les gens d'armes et suivre l'armée. La règle en souffrait et la piété n'y gagnait rien. Ces clercs affamés et vagabonds ne menaient pas toujours, parmi les soudoyers, les ribaudes et les convoyeurs, une vie édifiante. Ceux qui accompagnèrent la Pucelle ne valaient sans doute ni mieux ni pis que les autres, et comme ils avaient grand'faim ils songeaient premièrement à manger880. À l'égard de la sainte fille mêlée à cette troupe vagabonde, les gens d'armes pouvaient éprouver tous les sentiments, hors celui de la surprise, tant ils étaient habitués à voir religieuses et religieux cheminer en leur compagnie. Il est vrai que de celle-ci on annonçait des merveilles. Plusieurs y ajoutaient foi, d'autres se moquaient et disaient tout haut: «Voilà un vaillant champion pour récupérer le royaume de France881.»
La Pucelle fit faire une bannière sous laquelle les religieux pussent se rassembler et appeler les gens d'armes à la prière. Cette bannière était blanche; il y avait dessus Jésus en croix entre Notre-Dame et saint Jean882.
Le duc d'Alençon retourna vers le roi pour lui faire savoir l'embarras où l'on était. Le roi envoya les sommes nécessaires; on pouvait enfin partir883. Deux routes, toutes deux libres au départ, l'une sur la rive droite, l'autre sur la rive gauche de la Loire, conduisaient à Orléans. En prenant la rive droite, on se trouvait, au bout de cinq à six lieues, au bord de la plaine de Beauce, occupée par les Anglais, qui avaient garnisons à Marchenoir, Beaugency, Meung, Montpipeau, Saint-Sigismond, Janville, et l'on risquait d'y rencontrer l'armée qui venait au secours des Anglais d'Orléans. Une telle rencontre faisait peur depuis le jour des Harengs. En prenant la rive gauche, on s'avançait par la Sologne, restée au pouvoir du roi Charles, et, pourvu qu'on s'écartât un peu du fleuve, on passait hors de vue des petites garnisons anglaises de Beaugency et de Meung. Il est vrai qu'il fallait ensuite traverser la Loire, mais, en remontant le fleuve à deux lieues au levant de la ville assiégée, on pouvait tenter sans trop d'inconvénient le passage entre Orléans et Jargeau. Après délibération, il fut décidé qu'on prendrait la rive gauche et qu'on irait par la Sologne. On arrêta aussi qu'on emporterait les vivres en deux fois, de peur d'un trop lent débarquement si près des bastilles ennemies884. Le mercredi 27 avril885, on partit. Les prêtres, bannière en tête, ouvrirent la marche en chantant le Veni creator Spiritus886. La Pucelle chevauchait avec eux, armée de blanc, et portant son étendard. Les hommes d'armes et les hommes de trait venaient ensuite, escortant six cents voitures de vivres et de munitions et quatre cents têtes de bétail887. La longue file des lances, des chariots et des troupeaux passa le pont de Blois, et se déroula dans la plaine infinie. Après avoir fait huit lieues sur une route ravinée, à l'heure du couvre-feu, quand, au soleil couchant, la Loire fut de cuivre entre ses joncs noirs, les prêtres chantèrent Gabriel angelus et l'armée fit halte888.
Cette nuit-là, on coucha dans les champs. Jeanne, qui n'avait pas voulu quitter son armure, se réveilla tout endolorie. Elle entendit la messe et reçut la communion des mains de son aumônier, avec plusieurs gens d'armes. Puis l'armée se remit en marche vers Orléans889.
Monstrelet 7000 hommes.
Eberhard Windecke 3000 hommes.
Morosini 12000 hommes.
1o Le texte introduit dans les pièces du procès de Rouen (P. I, p. 240);
2o Un texte probablement de la main d'un chevalier de Saint-Jean de Jérusalem; ce texte n'existe plus, mais on en a deux copies du XVIIIe siècle (P. V, p. 95);
3o Le texte inséré dans le Journal du siège (P. IV, p. 139);
4o Le texte qui se trouve dans la Chronique de la Pucelle (P. IV, p. 215);
5o Le texte qui fut inscrit dans le Registre Delphinal de Thomassin (P. IV, p. 306);
6o Le texte du Greffier de La Rochelle (Revue Historique, t. IV);
7o Le texte de la Chronique de Tournai (Recueil des Chroniques de Flandre, t. III, p. 407);
8o Le texte inséré dans le Mistère du Siège.
Mentionnons aussi une traduction en allemand, contemporaine (Eberhard Windecke).
Je donne ici le texte du Procès, lequel représente l'original. Les autres textes diffèrent trop de celui-ci et sont trop différents les uns des autres pour qu'il soit possible d'indiquer les variantes autrement qu'en donnant les huit textes en entier. Au reste, ces différences pour la plupart n'ont pas grande importance.
Dangier, je vous gecte mon gant, Vous appelant de traïson, Devant le Dieu d'amours puissant Qui me fera de vous raison.
(Poésies de Charles d'Orléans, publ. par A. Champollion-Figeac, 1842, in-8o, p. 17.)
Princes à ce mot me convint eveillier Pour un hahay que j'oy escrier Par nuit, en l'ost, assez près de Coulogne.
(Eustache Deschamps, dans La Curne.)
La dame d'Orlyens s'aparut sans delay Tout droit en parlement, et fist un grand hahay.
(Geste des ducs de Bourgogne, dans Godefroy.)