Kitabı oku: «Vie de Jeanne d'Arc. Vol. 1 de 2», sayfa 21
Jeanne envoya de Loches, un petit anneau d'or a la dame de Laval qui sans doute lui avait demandé un objet qu'elle eût touché1099. Jeanne, dame de Laval, avait épousé, cinquante-quatre ans en çà, sire Bertrand Du Guesclin dont la mémoire était précieuse aux Français et qu'on nommait, dans la maison d'Orléans, le dixième preux. Madame Jeanne n'égalait point en renommée Tiphaine Raguenel, astrologienne et fée1100, première femme de sire Bertrand. C'était une dame avare et colérique. Chassée par les Anglais de sa terre de Laval, elle vivait retirée à Vitré avec sa fille Anne, qui s'était mise dans le cas de lui déplaire quand, treize ans auparavant, jeune veuve, elle avait épousé secrètement un petit cadet sans terres. Ce qu'ayant découvert, madame Jeanne enferma sa fille dans un cachot et reçut le cadet à coups d'arbalète. Après quoi les deux dames vécurent paisiblement ensemble1101.
De Loches la Pucelle se rendit à Selles en Berry, assez grosse ville sur la rive gauche du Cher, où les trois états du royaume s'étaient assemblés peu de temps auparavant1102 et où se faisait le rassemblement des troupes.
Le samedi 4 juin, elle reçut un héraut que les habitants d'Orléans lui envoyaient pour lui donner nouvelles des Anglais1103. Comme chef de guerre, ils ne connaissaient qu'elle.
Cependant, entourée de moines, elle menait, au milieu des gens d'armes, une vie bonne, singulière et monastique. Elle mangeait et buvait peu1104. Elle communiait une fois la semaine et se confessait fréquemment1105. En entendant la messe, au moment de l'élévation, à confesse et quand elle recevait le corps de Notre-Seigneur, elle pleurait à grande abondance de larmes. Chaque soir, à l'heure de vêpres, elle se retirait dans une église et faisait sonner les cloches pendant une demi-heure environ pour appeler les religieux mendiants qui suivaient l'armée. Puis elle se mettait en oraison, tandis que les bons frères chantaient une antienne en l'honneur de la Vierge Marie1106.
Bien qu'elle pratiquât, à son pouvoir, les austérités que commande une dévotion spéciale, elle se montrait magnifiquement vêtue, comme un seigneur, ayant en effet seigneurie de par Dieu. Elle portait habit de gentilhomme, c'est-à-dire petit chapeau, pourpoint et chausses ajustées, très nobles huques de drap d'or et de soie bien fourrées et souliers lacés en dehors du pied1107. En la voyant ainsi vêtue, les personnes les plus austères du parti dauphinois ne se scandalisaient point. Elles lisaient dans l'Écriture qu'Esther et Judith, inspirées du Seigneur, se chargèrent de parures, il est vrai dans l'ordre de leur sexe et afin d'induire Assuérus et Holopherne en concupiscence pour le salut d'Israël. Et elles estimaient que si Jeanne se couvrait d'ornements virils afin de paraître aux gens d'armes un ange venant donner la victoire au roi très chrétien, loin de céder aux vanités du monde, elle considérait uniquement, comme Esther et Judith, l'intérêt du peuple saint et la gloire de Dieu. Mais les clercs anglais et bourguignons, tournant l'édification en scandale, disaient que c'était une femme dissolue en ses habits et ses mœurs.
Depuis sept ans déjà, saint Michel archange et les saintes Catherine et Marguerite, portant des couronnes riches et précieuses, venaient à elle et lui parlaient. C'était dans le son des cloches, à l'heure de complies et de matines, quelle entendait le mieux leurs paroles1108. Les cloches alors, grandes ou petites, métropolitaines, paroissiales ou conventuelles, bourdons, campanes, campanelles et moineaux, sonnées à la volée ou carillonnées en cadence, de leurs voix graves ou claires, parlaient à tout le monde et de toutes choses. Elles étaient le chant aérien du calendrier ecclésiastique et civil. Elles convoquaient les clercs et les fidèles aux offices, lamentaient les morts et louaient Dieu: elles annonçaient les foires et les travaux des champs; elles faisaient voler par le ciel les grandes nouvelles, et, dans ces temps de guerre, elles appelaient aux armes, sonnaient l'alarme. Amies du laboureur, elles dissipaient l'orage, écartaient la grêle; elles chassaient la peste. Les démons qui volent sans cesse dans l'air et guettent les hommes, elles les mettaient en fuite, et l'on attribuait à leur son béni la vertu d'apaiser les violents1109. Madame sainte Catherine, qui chaque jour visitait Jeanne, était la patronne des cloches et des sonneurs. Aussi beaucoup de cloches portaient son nom. Jeanne, dans le son de ses cloches, comme dans le bruit des feuilles, entendait ses Voix. Rarement elle les entendait sans voir une lumière du côté d'où elles venaient1110. Ces voix l'appelaient «Jeanne, fille de Dieu1111!» Souvent l'archange et les saintes lui apparaissaient. Pour leur bienvenue elle leur faisait la révérence en fléchissant le jarret et en s'inclinant; elle les accolait par les genoux, sachant qu'il y a plus de respect à accoler par le bas que par le haut. Elle sentait la bonne odeur et la douce chaleur de leurs corps glorieux1112.
Saint Michel archange ne venait pas seul. Des anges l'accompagnaient en grande multitude et si petits qu'ils dansaient comme des étincelles aux yeux éblouis de la jeune fille. Quand les saintes et l'archange s'éloignaient, elle pleurait du regret qu'ils ne l'eussent pas emportée avec eux1113. Ainsi Judith fut visitée par l'ange dans le camp d'Holopherne.
Tout comme le seigneur d'Harcourt, l'écuyer Jean d'Aulon demanda un jour, à Jeanne, ce qu'était son Conseil. Elle lui répondit qu'elle avait trois conseillers, dont l'un demeurait toujours avec elle. Un autre allait et venait souventes fois; le troisième était celui avec lequel les deux autres délibéraient.
Le sire d'Aulon, plus curieux que le roi, la pria et requit de lui vouloir une fois montrer ce Conseil.
Elle lui répondit:
– Vous n'êtes pas assez digne et vertueux pour le voir1114.
Le bon écuyer n'en demanda pas davantage. S'il avait lu la Bible, il aurait su que le serviteur d'Élisée ne voyait pas les anges que voyait le prophète (Rois, 1. IV).
Jeanne s'imaginait que son Conseil s'était, au contraire, manifesté au roi et à la Cour.
– Mon roi, dit-elle plus tard, mon roi et bien d'autres ont vu et entendu les Voix qui venaient à moi. Le comte de Clermont était alors près de lui avec deux ou trois autres1115.
Elle le croyait. Mais, en réalité, elle ne fit voir ses Voix à personne, pas même, quoi qu'on en ait dit, à ce Guy de Cailly qui la suivait depuis Chécy1116.
Jeanne s'entretenait dévotement avec le frère Pasquerel. Elle lui témoignait souvent le désir que l'Église après sa mort priât pour elle et pour tous les Français tués à la guerre.
– Si je venais à quitter ce monde, lui disait-elle, je voudrais bien que le roi fît faire des chapelles où l'on prierait Messire pour le salut des âmes de ceux qui sont morts à la guerre ou pour la défense du royaume1117.
Cela était dans les vœux de toute âme pieuse. Quel chrétien au monde n'aurait pas tenu pour bonne et salutaire la pratique des obits? Aussi, sur ce point de dévotion, la Pucelle se rencontrait avec le duc Charles d'Orléans, qui, dans une de ses complaintes, recommande de faire chanter et dire des messes pour les âmes de ceux qui souffrirent dure mort au service du royaume1118.
Elle dit un jour au bon frère:
– Il est dans mon fait de porter certain secours.
Et Pasquerel, qui pourtant avait étudié la Bible, s'écria tout surpris:
– On ne vit jamais rien de semblable à ce qui se voit en votre fait. On ne lit rien de tel en aucun livre.
Jeanne lui répondit plus hardiment encore qu'aux clercs de Poitiers:
– Messire a un livre dans lequel jamais n'a lu aucun clerc, tant soit-il parfait en cléricature1119.
Elle tenait sa mission de Dieu seul et lisait dans un livre fermé à tous les docteurs de l'Église. Sur l'avers de son étendard, que ses mendiants aspergeaient d'eau bénite, elle avait fait peindre une colombe portant dans son bec une banderole où se lisaient ces mots: «par le Roi du ciel1120.» C'étaient là des armoiries qu'elle tenait de son Conseil et dont l'emblème et la devise semblaient lui convenir, puisqu'elle se disait envoyée de Dieu et qu'elle avait donné à Orléans le signe promis à Poitiers. Pourtant le roi lui changea cet écu contre des armes représentant une couronne soutenue par une épée entre deux fleurs de Lis et disant clairement le secours que la pucelle de Dieu apportait au royaume de France. Elle quitta, dit-on, à regret ses armes reçues par révélation1121.
Elle prophétisait et comme il arrive à tous les prophètes, elle n'annonçait pas toujours ce qui devait arriver. Ce fut le sort du prophète Jonas lui-même. Et les docteurs expliquent comment les prophéties des véritables prophètes peuvent ne pas toutes être vraies.
Elle disait:
– Avant que le jour de la Saint-Jean-Baptiste de l'an 29 arrive, il ne doit pas y avoir un Anglais si fort et si vaillant soit-il, qui se laisse voir par la France, soit en campagne, soit en bataille1122.
La nativité de saint Jean-Baptiste se célèbre le 24 juin.
CHAPITRE XV
LA PRISE DE JARGEAU. – LE PONT DE MEUNG. – BEAUGENCY
Le lundi 6 juin, le roi logea à Saint-Aignan, près Selles-en-Berry1123. Parmi les gentilshommes de sa compagnie se trouvaient les deux fils de cette dame Anne de Laval qui, dans son veuvage, avait eu le tort d'aimer un cadet sans terres. André, le plus jeune, venait d'essuyer, à vingt ans, une disgrâce commune à presque tous les seigneurs d'alors, et que le second mari de sa grand'mère, sire Bertrand Du Guesclin, avait lui-même plusieurs fois éprouvée. Fait prisonnier, dans le château de Laval, par sire John Talbot, il s'était beaucoup endetté pour fournir les seize mille écus d'or de sa rançon1124.
Ayant grand besoin de gagner, les deux jeunes seigneurs offraient leurs services au roi qui les reçut fort bien, ne leur donna pas un écu, mais leur dit qu'il leur ferait voir la Pucelle; et comme il se rendait de Saint-Aignan à Selles avec eux, il manda la sainte1125, qui aussitôt, armée de toutes pièces sauf la tête, la lance à la main, chevaucha à la rencontre du roi. Elle fit bonne chère aux deux jeunes seigneurs et retourna avec eux à Selles. Elle reçut l'aîné, le seigneur Guy, dans la maison qu'elle habitait, devant l'église, et fit venir le vin. Ainsi en usaient les princes entre eux. On servait des tasses de vin et les convives y trempaient des tranches de pain, qu'on appelait des soupes1126. En offrant le vin, la Pucelle dit au seigneur Guy:
– Je vous en ferai bientôt boire à Paris.
Elle lui apprit que trois jours auparavant, elle avait envoyé à la dame Jeanne de Laval un anneau d'or:
– C'est bien petite chose, ajouta-t-elle avec grâce. Je lui aurais volontiers envoyé mieux, considéré sa recommandation1127.
Ce même jour, à l'heure de vêpres, elle partit de Selles pour Romorantin, avec une compagnie nombreuse de gens d'armes et de gens des communes, commandée par le maréchal de Boussac. Elle était entourée de moines mendiants et un de ses frères l'accompagnait. Armée de blanc, et coiffée d'un chaperon, on lui amena son cheval à la porte de sa maison. C'était un grand coursier noir qui ne voulait pas se laisser monter et se défendait très fort. Elle le fit mener à la croix qui s'élevait devant l'église au bord du chemin, et là, se mit en selle. De quoi le seigneur Guy fut assez émerveillé, voyant que le coursier ne se mouvait pas plus que s'il eût été lié. Elle tourna la tête de son cheval vers le porche et cria d'une voix qui sonnait clair comme une voix de femme:
– Vous, les prêtres et gens d'église, faites processions et prières à Dieu.
Puis, gagnant la route:
– Tirez avant, dit-elle, tirez avant!
Elle tenait à la main une petite hache. Son page portait son étendard roulé1128.
On se réunit à Orléans. Le jeudi 9 au soir, Jeanne passa le pont qu'elle avait passé le 8 mai. Le samedi 11, l'armée partit pour Jargeau. Elle se composait des lances amenées par le duc d'Alençon, le comte de Vendôme, le Bâtard, le maréchal de Boussac, le capitaine La Hire, messire Florent d'Illiers, messire Jamet du Tillay, messire Thudal de Kermoisan de Bretagne, ainsi que des contingents fournis par les communes, en tout peut-être huit mille combattants, dont plusieurs portant guisarmes, haches, arbalètes et maillets de plomb1129. Le commandement en fut donné au jeune duc d'Alençon qui n'était pas bien sensé1130. Mais il se tenait à cheval, et c'était alors la seule science indispensable à un chef de guerre. Les habitants d'Orléans faisaient encore les frais de l'expédition. Ils donnèrent trois mille livres pour payer les gens d'armes, sept muids de blé pour les nourrir. Et, sur leur demande, le roi leur imposa une nouvelle taille de trois mille livres1131. Ils envoyèrent des ouvriers de tous corps de métiers, maçons, charpentiers, maréchaux, à leurs gages. Ils prêtèrent leur artillerie. Des couleuvrines, des canons, la Bergère et la grosse bombarde traînée à quatre chevaux, partirent sous la conduite des canonniers Megret et Jean Boillève1132. Ils fournirent des munitions et des engins, traits, échelles, pioches, pelles, pics, le tout poinçonné, car ils étaient gens d'ordre. Et c'est à la Pucelle qu'ils envoyèrent tout le matériel de siège. Ils ne connaissaient en cette affaire ni le duc d'Alençon, ni même le frère de leur seigneur, le noble Bâtard. Ils ne connaissaient que Jeanne, et c'est à Jeanne qu'ils dépêchèrent, sous la ville assiégée, deux des leurs, Jean Leclerc et François Joachim1133. Après les citoyens d'Orléans, ce fut le sire de Rais qui contribua le plus aux dépenses du siège de Jargeau1134. Ce malheureux seigneur dépensait sans compter, et de riches bourgeois gagnaient gros à lui prêter sur gages. Il devait bientôt se vouer au diable pour rétablir ses affaires.
La ville de Jargeau, qu'on allait reprendre à grandes forces, s'était rendue aux Anglais sans nulle résistance, le 5 octobre de la précédente année1135. Le pont conduisant de la ville sur la rive de Beauce était muni de deux châtelets1136. La ville elle-même, entourée de murs et de tours, n'était pas très forte, mais les Anglais l'avaient mise en état de défense. Avertis que les gens du roi de France la venaient assiéger, le comte de Suffolk et ses deux frères s'y jetèrent avec cinq cents chevaliers, écuyers et autres gens d'armes, et deux cents archers d'élite1137. Le duc d'Alençon prit les devants et chevaucha à la tête de six cents lances. La Pucelle se tenait en sa compagnie. La première nuit ils couchèrent dans les bois1138. Le lendemain, à la pointe du jour, monseigneur le Bâtard, messire Florent d'Illiers et plusieurs autres capitaines les rejoignirent. Ils avaient grande hâte d'atteindre Jargeau. Soudain on apprend que sir John Falstolf, venant de Paris avec deux mille combattants, amène des vivres et de l'artillerie à Jargeau, et qu'il approche1139.
C'était cette même armée qui avait tant inquiété Jeanne, le 4 mai, parce que ses saintes ne lui avaient pas dit où était Falstolf. Les capitaines tinrent conseil. Plusieurs jugeaient qu'il fallait renoncer au siège et aller à la rencontre de Falstolf. Quelques-uns décampèrent sans attendre davantage. Jeanne exhorta les gens d'armes à continuer leur marche sur Jargeau. Elle ne savait pas mieux que les autres où était pour lors cette armée de sir John Falstolf; ses raisons n'étaient point de ce monde.
– Ne craignez quelque multitude que ce soit, dit-elle, et ne faites point difficulté de donner l'assaut aux Anglais, car Messire conduit cet ouvrage.
Et elle dit encore:
– Si je n'étais certaine que Messire conduit cet ouvrage, j'aimerais mieux garder les brebis que de m'exposer à de si grands dangers.
Elle se faisait écouter du duc d'Alençon mieux qu'elle n'avait fait d'aucun des chefs de l'armée d'Orléans1140. On rappela ceux qui étaient partis et l'on poursuivit la marche sur Jargeau1141.
Les faubourgs de la ville étaient ouverts. Mais les gens du roi de France, quand ils s'en approchèrent, trouvèrent les Anglais qui, rangés en avant des masures, les contraignirent à reculer. Ce que voyant, la Pucelle prit son étendard et se jeta sur les ennemis en recommandant aux hommes d'armes d'avoir bon courage. Les gens du roi de France purent loger cette nuit-là dans les faubourg1142. Ils ne firent pour ainsi dire aucune garde et, de l'aveu du duc d'Alençon, ils étaient en grand danger, si les Anglais étaient sortis1143. La Pucelle avait raison plus qu'elle ne croyait. Tout dans son armée allait à la grâce de Dieu.
Dès le lendemain matin les assiégeants firent avancer les machines et les bombardes. Les canons d'Orléans tirèrent sur la ville qui fut très endommagée. En trois coups la Bergère fit choir la plus grosse tour de l'enceinte1144.
Les gens des communes arrivèrent devant Jargeau le samedi 11. Aussitôt sans demander conseil, ils coururent aux fossés et donnèrent l'assaut. Ils y allèrent de trop bon cœur, s'y prirent mal, ne furent pas aidés par les gens d'armes et revinrent en mauvais état1145.
Dans la nuit du samedi, la Pucelle, qui avait coutume de sommer l'ennemi avant de le combattre, s'approcha du fossé et cria aux Anglais:
– Rendez la place au Roi du ciel et au roi Charles, et vous en allez. Autrement il vous mescherra1146.
Les Anglais ne tinrent nul compte de cette sommation. Pourtant ils avaient grande envie d'entrer en accommodement. Le comte de Suffolk alla trouver monseigneur le Bâtard et lui dit de ne point donner l'assaut, et que la ville lui serait rendue. Les Anglais demandaient un délai de quinze jours, après quoi ils s'engageaient à se retirer sur l'heure, eux et leurs chevaux, à la condition, sans doute, de n'être pas secourus à cette date1147. Ces capitulations conditionnelles étaient fréquentes dans les deux partis. Le sire de Baudricourt en avait signé une semblable à Vaucouleurs quand Jeanne y vint1148. Dans ce cas, c'eût été une duperie de consentir à la demande du noble comte au moment où sir John Falstolf arrivait avec des vivres et des canons1149. Que le Bâtard donnât dans le panneau, on l'a dit; mais ce n'est pas croyable. Il était bien trop avisé pour cela. Toutefois, le lendemain dimanche, douzième du mois, le duc d'Alençon et les seigneurs, tenant conseil sur ce qu'il y avait à faire pour prendre la ville, apprirent que le capitaine La Hire conférait avec le comte de Suffolk. Ils en furent très mécontents1150. Le capitaine La Hire, qui ne pouvait traiter en son propre nom, puisqu'il n'était pas chef de l'armée, avait sans doute les pouvoirs de monseigneur le Bâtard. Celui-ci commandait pour le duc, prisonnier des Anglais, tandis que le duc d'Alençon commandait pour le roi, et l'on conçoit qu'il y eût conflit.
La Pucelle, toujours disposée à recevoir les ennemis à merci et toujours prête à combattre, disait:
– Qu'ils s'en aillent de Jargeau en leurs petites cottes, la vie sauve, s'ils veulent! Sinon ils seront pris d'assaut1151.
Le duc d'Alençon, sans seulement s'enquérir des clauses de la capitulation, fit rappeler le capitaine La Hire.
Il vint et aussitôt on apporta les échelles. Les hérauts sonnèrent la trompette et crièrent: «À l'assaut!»
La Pucelle déploya son étendard et, toute armée, la tête recouverte d'un de ces casques légers qu'on nommait chapelines1152, elle descendit dans le fossé avec les gens du roi et les gens des communes, sous les traits des arbalètes et les pierres des canons; elle se tenait au coté du duc d'Alençon, lui disant:
– En avant! gentil duc, à l'assaut!
Le duc, qui n'avait pas le cœur aussi ferme qu'elle, trouvait qu'elle allait peut-être un peu vite en besogne. Il le lui laissa entendre.
Alors elle l'encouragea:
– Ne craignez point. L'heure est favorable quand il plaît à Dieu, et il est à propos d'ouvrer quand Dieu le veut. Ouvrez et Dieu ouvrera.
Et le voyant mal assuré en cet assaut, elle lui rappela la promesse qu'elle avait faite naguère à son sujet dans l'abbaye de Saint-Florent-lès-Saumur.
– Oh! gentil duc, avez-vous peur? Ne savez-vous pas que j'ai promis à votre femme de vous ramener sain et sauf1153?
Au vif de l'attaque, elle observa sur la muraille une de ces bombardes très longues et minces, qui se chargeaient par la culasse et qu'on appelait veuglaires. Voyant que ce veuglaire crachait des pierres à l'endroit même où elle se trouvait avec le beau cousin du roi, elle sentit le danger, mais ne le sentit point pour elle.
– Éloignez-vous, dit-elle vivement. Cette machine va vous tuer.
Le duc ne s'était pas écarté de trois toises, qu'un gentilhomme d'Anjou, le sire Du Lude, ayant pris la place quittée, fut tué par une pierre du veuglaire1154. Le duc d'Alençon admira cette prophétie. Sans doute la Pucelle était venue pour le sauver, et elle n'était pas venue pour sauver le sire Du Lude. Les anges du Seigneur viennent pour le salut des uns et la perte des autres. Comme les gens du roi de France touchaient au mur, le comte de Suffolk fit crier qu'il voulait parler au duc d'Alençon. Il ne fut pas écouté et l'assaut continua1155.
Il y avait quatre heures qu'on s'efforçait1156, quand Jeanne, son étendard à la main, monta sur une échelle appuyée à la douve. Une pierre lancée sur sa chapeline l'abattit avec ses panonceaux. On la croyait écrasée, mais elle se releva vivement et cria aux hommes d'armes:
– Amis, amis, sus, sus! Messire a condamné les Anglais. À cette heure, ils sont nôtres. Ayez bon cœur1157.
Le mur fut escaladé et les gens du roi de France se répandirent dans la ville. Les Anglais s'enfuirent vers la Beauce, et les Français se lancèrent à leur poursuite. Guillaume Regnault, écuyer d'Auvergne, atteignit sur le pont le comte de Suffolk et le prit.
– Êtes-vous gentilhomme? demanda Suffolk.
– Oui.
– Êtes-vous chevalier?
– Non.
Le comte de Suffolk le fit chevalier et se rendit à lui1158.
Bientôt le bruit courut que le comte de Suffolk s'était rendu à la Pucelle à genoux1159. On publia même qu'il avait demandé à se rendre à elle comme à la plus vaillante dame qui fût au monde1160. Mais il est croyable qu'il se serait rendu au dernier valet de l'armée plutôt qu'à une femme qu'il tenait pour endiablée sorcière.
John Pole, frère de Suffolk, fut pris aussi sur le pont. Un troisième frère du duc, Alexander Pole, fut tué au même endroit ou se noya dans la Loire1161. La garnison se rendit à merci. Il en fut cette fois comme d'ordinaire. On ne se faisait pas grand mal pendant la bataille; ensuite, les vainqueurs se rattrapaient. Cinq cents Anglais furent massacrés; seuls leurs gentilshommes furent reçus à rançon. Et les Français se prirent de querelle à leur sujet. Les seigneurs les gardaient tous pour eux; les gens des communes en réclamaient leur part, et, ne l'obtenant point, se mirent à tout assommer. Ce que les nobles purent sauver fut conduit par eau, de nuit, à Orléans. La ville fut entièrement saccagée; la vieille église, qui avait servi de magasin aux Godons, toute pillée1162.
Tant tués que blessés, les Français n'avaient pas perdu vingt hommes1163.
Sans désemparer la Pucelle, avec la chevalerie, retourna à Orléans. À l'occasion de la prise de Jargeau, les procureurs ordonnèrent une procession publique. Un beau sermon fut fait par frère Robert Baignart, Jacobin1164.
Les habitants d'Orléans firent présent au duc d'Alençon de six tonneaux de vin; à la Pucelle de quatre; au comte de Vendôme de deux1165.
En considération des bons et agréables services que la sainte fille avait rendus, les conseillers du duc Charles, prisonnier des Anglais, lui donnèrent une huque verte et une robe de drap cramoisi de Flandre ou fine Bruxelles vermeille. Jean Luillier, qui fournit l'étoffe, demanda: pour deux aunes de fine Bruxelles, à quatre écus l'aune, huit écus; pour la doublure de la robe, deux écus; pour une aune de vert perdu deux écus, ce qui faisait douze écus d'or1166. Jean Luillier était un jeune marchand drapier qui aimait grandement la Pucelle et la regardait comme un ange de Dieu. Il avait bon cœur: mais la peur des Anglais lui donnait la berlue et il en voyait plus qu'il n'y en avait1167. Un de ses parents faisait partie du conseil élu en 1429. Il devait lui-même être nommé procureur un peu plus tard1168.
Jean Bourgeois, tailleur, demanda, tant pour la façon de la robe et de la huque que pour fourniture de satin blanc, sandal et autres étoffes, un écu d'or1169.
Précédemment la ville avait donné à la Pucelle pour faire les «orties» de ses robes une demi-aune de deux verts, valant trente-cinq sols parisis1170. Les orties étaient la devise du duc d'Orléans; le vert et le vermeil ou cramoisi, ses couleurs1171. Ce vert ne gardait pas sa claire nuance première; il allait s'assombrissant avec la fortune de la maison. On avait vu le vert gai, puis le vert brun, et enfin le vert perdu, qui tirait sur le noir et signifiait deuil et douleur1172. On donna à la Pucelle le vert perdu. Elle portait la livrée d'Orléans, ainsi que les officiers du duché et les miliciens de la ville, et de la sorte, on faisait d'elle un merveilleux héraut d'armes et comme un ange héraldique.
La huque de vert perdu et la robe brodée d'orties, elle dut les porter volontiers et de bon cœur pour l'amour du duc Charles à qui les Anglais avaient fait si grand déplaisir. Venue pour défendre l'héritage du prince prisonnier, elle disait que, de par Jésus, le bon duc d'Orléans était à sa charge, et comptait bien le délivrer. Son dessein était de sommer tout d'abord les Anglais de le rendre et, s'ils n'y consentaient point, de passer la mer et de l'aller chercher avec une armée en Angleterre. Au cas où ce moyen lui manquerait, elle en avait imaginé un autre, avec le congé de ses saintes. Elle aurait demandé à son roi qu'il la laissât faire des prisonniers, comptant en faire assez pour les échanger contre le duc Charles. Mesdames sainte Catherine et sainte Marguerite lui avaient promis que, de cette manière, elle le délivrerait dans un terme plus bref que celui de trois ans et plus long que le terme d'une année1173. Rêves pieux d'une enfant endormie au son des cloches villageoises! Trouvant juste de travailler et de souffrir pour ôter les princes de peine et d'ennui, elle disait, en bonne servante:
– Je sais bien que Dieu aime mieux mon roi et le duc d'Orléans que moi, en ce qui regarde l'aise du corps, et je le sais par révélation.
Et parlant du duc prisonnier, elle disait aussi:
– Mes Voix m'ont fait beaucoup de révélations sur lui; elles m'en ont fait sur le duc Charles plus que sur homme vivant, excepté mon roi1174.
Dans le fait, madame sainte Catherine et madame sainte Marguerite lui avaient seulement conté les malheurs tant connus du prince. Le fils de Valentine de Milan et la fille d'Isabelle Romée étaient séparés par un abîme plus large et plus profond que l'océan qui s'étendait entre eux. Ils vivaient aux deux bouts du monde des âmes; et toutes les saintes du paradis n'eussent pas réussi à les expliquer l'un à l'autre.
C'était pourtant un bon prince que le duc Charles, un prince débonnaire, bienveillant et pitoyable. Plus qu'aucun autre il possédait le don de plaire: il charmait par sa grâce, encore que de pauvre mine et de faible complexion. Sa nature s'accordait si mal avec sa destinée, qu'on peut dire qu'il endurait sa vie et ne la vivait pas. Son père assassiné la nuit, rue Barbette, à Paris, par l'ordre du duc Jean; sa mère morte de douleur et de colère, parmi les cordelières, la chantepleure, les deux S de Soupirs et Souci, emblèmes et devises de son deuil, qui révélaient l'élégance d'un esprit ingénieux jusque dans le désespoir; les Armagnacs, les Bourguignons, les Cabochiens s'entre-égorgeant autour de lui, voilà ce qu'il avait vu presque enfant encore. Puis il avait été blessé et pris à la bataille d'Azincourt.
Et depuis quatorze ans, mené de châteaux en châteaux, d'un bout à l'autre de l'île brumeuse, enfermé dans des murs épais, étroitement gardé, recevant deux ou trois Français à longs intervalles et n'en pouvant entretenir aucun sans témoins, il se sentait vieux avant l'âge, flétri par le malheur. Il disait: «Fruit abattu vert encore, je fus mis à mûrir sur la paille de la prison. Je suis un fruit d'hiver». Captif, il souffrait sans espoir, sachant que le roi Henri V, en mourant, avait recommandé à son frère de ne le rendre à aucun prix1175.
Doux à autrui, doux à lui-même, il se réfugiait dans sa propre pensée, qui était aussi riante et claire que sa vie était triste et sombre. Au fond des durs châteaux de Windsor et de Bolingbroke, à la tour de Londres, aux côtés de ses geôliers, il vivait et respirait dans le monde ingénieux du Roman de la Rose. Vénus, Cupidon, Espoir, Bon-Accueil, Plaisance, Pitié, Danger, Tristesse, Soin, Mélancolie, Doux-Regard entouraient le pupitre, sur lequel, dans l'embrasure profonde d'une fenêtre, sans un rayon de soleil, il écrivait ses ballades fraîches et fines comme des enluminures. Ce qui vraiment existait pour lui c'était l'allégorie. Il errait dans la forêt de Longue-Attente; il s'embarquait dans la nef de Bonne-Nouvelle. Il était poète et chantait sa dame Beauté avec courtoisie. À lire ses vers, on eût dit qu'il n'était captif que du seigneur Amour1176.
Dans l'ignorance où on le laissait des affaires de son duché, si quelque soin l'occupait encore, c'était de recueillir les livres du roi Charles V, volés par le duc de Bedfort et vendus aux marchands de Londres, ou d'ordonner qu'on enlevât de Blois, à l'approche des Anglais, ses belles tapisseries, avec la librairie de son père, et de les faire porter à Saumur. Ce qu'il aimait le plus au monde, après Beauté, c'était les riches tentures et les manuscrits ornés de miniatures délicates1177. Ce qu'il regrettait, c'était le beau soleil de France, le beau mois de mai, les danses et les dames. Il était guéri de prouesse et de chevalerie.
On a voulu croire que, lorsque vint la Pucelle, il reçut des nouvelles de son duché; on a même supposé qu'un fidèle domestique lui fit tenir la chronique des événements heureux de mai et de juin 14281178. Mais rien n'est moins certain. Il est probable au contraire, que les Anglais ne laissèrent parvenir à lui aucun message et qu'il ignorait tout ce qui se passait dans les deux royaumes1179.
Et il n'était peut-être pas aussi curieux qu'on pourrait le croire des nouvelles de la guerre. Il n'espérait rien des gens d'armes, et ne comptait point sur ses beaux cousins de France pour le délivrer par faits d'armes et batailles. Il savait trop bien comment ils s'y prenaient. C'était de la paix qu'il attendait, pour son peuple et pour lui, la délivrance. Il pensait que, puisque les pères étaient morts, les fils pouvaient oublier et pardonner. Il gardait bon espoir en son cousin de Bourgogne et il n'avait pas tort, car enfin la fortune des Anglais en France dépendait du duc Philippe. Il était résigné, ou, du moins, il devait un peu plus tard se résigner à reconnaître la suzeraineté du roi d'Angleterre. Il faut moins considérer la faiblesse des hommes que la force des choses. Et le prisonnier ne croyait jamais trop faire pour obtenir la paix, «vrai trésor de joie»1180.