Kitabı oku: «Vie de Jeanne d'Arc. Vol. 1 de 2», sayfa 25
Ainsi pensaient finement ces âmes champenoises.
Les bourgeois tirèrent quelques boulets de pierre sur les Français; la garnison escarmoucha quelque peu et rentra dans la ville1349.
Cependant l'armée du roi Charles criait famine1350. Le conseil qu'on avait reçu du seigneur archevêque d'Embrun de pourvoir aux vivres par les moyens de la prudence humaine était plus facile à donner qu'à suivre. Il y rivait dans le camp bien six à sept mille hommes qui de huit jours n'avaient mangé de pain. Les gens d'armes se nourrissaient, vaille que vaille, d'épis de blé pilés encore verts et de fèves nouvelles qu'ils trouvaient en abondance. On se rappela alors que, durant le carême de la Saint-Martin, frère Richard avait dit aux gens de Troyes: «Semez des fèves largement: Celui qui doit venir viendra bientôt.» Ce que le bon frère avait dit des semailles au sens spirituel fut pris au sens littéral; par un beau coq-à-l'âne, ce qui s'entendait de la venue du Messie fut appliqué à la venue du roi Charles. Frère Richard passa pour le prophète des Armagnacs et les gens d'armes crurent de bonne foi que ce prêcheur évangélique avait fait pousser les fèves qu'ils cueillaient et pourvu à leur nourriture par sa prud'homie, sagesse et pénétration dans les conseils du Dieu qui donna dans le désert la manne au peuple d'Israël1351.
Le roi, qui logeait à Brinion depuis le 4 juillet, arriva devant Troyes, après dîner, le vendredi 81352. Ce jour même il tint conseil avec les chefs de guerre et les princes du sang royal pour aviser si l'on resterait devant la ville jusqu'à ce qu'on obtînt, soit par promesses, soit par menaces, qu'elle se soumît, ou si l'on passerait outre, la laissant de côté comme Auxerre1353.
La discussion avait beaucoup duré quand la Pucelle survint et prophétisa:
– Gentil dauphin, dit-elle, ordonnez à vos gens d'assaillir la ville de Troyes et ne durez pas davantage en de trop longs conseils, car, en nom de Dieu, avant trois jours, je vous ferai entrer dans la ville, qui sera vôtre par amour ou par puissance et courage. Et en sera la fausse Bourgogne bien sotte1354.
Pourquoi, contre l'habitude, l'avait-on appelée au Conseil? Il s'agissait de tirer quelques coups de canon et de faire mine d'escalader les murs, de donner enfin un semblant d'assaut. On le devait bien aux habitants de Troyes, à ces bourgeois, à ces gens d'Église, qui ne pouvaient décemment céder qu'à la force; et il fallait effrayer le menu peuple qui restait Bourguignon de cœur. Probablement le seigneur de Trèves ou quelque autre jugeait que la petite sainte, en se montrant sous les remparts, inspirerait aux ouvriers tisseurs de Troyes une terreur religieuse.
On n'eut qu'à la laisser faire. Au sortir du Conseil, elle monta à cheval et, sa lance à la main, courut aux fossés, suivie d'une foule de chevaliers, d'écuyers et d'artisans1355. L'attaque fut préparée contre le mur du nord-ouest, entre la porte de la Madeleine et celle de Comporté1356. Jeanne, qui croyait fermement que par elle la ville serait prise, excita toute la nuit les gens à apporter des fagots et à mettre l'artillerie en place. Elle criait: «À l'assaut!» et faisait le geste de jeter des fascines dans les fossés1357.
Cette menace produisit l'effet attendu. Les gens de petit état, voyant déjà la ville prise et s'attendant à ce que les Français vinssent piller, massacrer, violer, selon l'usage, se réfugièrent dans les églises. Quant aux clercs et aux notables, ils n'en demandèrent pas davantage1358.
Charles de Valois ayant fait savoir qu'on pouvait aller à lui en toute sûreté, le seigneur évêque Jean Laiguisé, messire Guillaume Andouillette, maître de l'Hôtel-Dieu, le doyen du chapitre, les membres du clergé, les notables, se rendirent auprès du roi1359.
Jean Laiguisé prit la parole. Il venait faire la révérence au roi et avait à cœur d'excuser ceux de la ville.
– Il ne tient pas à eux, dit-il, que le roi n'y entre à son bon plaisir. Le bailli et les gens de la garnison, qui sont bien de trois à quatre cents, gardent les portes et s'opposent à ce qu'on les ouvre. Qu'il plaise au roi d'avoir patience jusqu'à ce que j'aie parlé à ceux de la ville. J'espère qu'aussitôt que je leur aurai parlé, ils donneront l'entrée et feront obéissance en sorte que le roi sera content d'eux1360.
Le roi, répondant à l'évêque, lui exposa les raisons de son voyage et les droits qu'il avait sur la ville de Troyes.
– Je pardonnerai sans réserve, ajouta-t-il, tout ce qui fut fait au temps passé. Je tiendrai les habitants de Troyes en paix et franchise, à l'exemple du roi saint Louis1361.
Jean Laiguisé demanda que les gens d'église qui avaient régales ou collations du feu roi Charles VI les gardassent et que ceux qui les avaient du roi Henri d'Angleterre prissent lettres du roi Charles et qu'ils gardassent leurs bénéfices, au cas même où le roi en eût fait collation à d'autres.
Le roi y consentit, et le seigneur évêque crut voir un nouveau Cyrus.
Il rapporta ce colloque au Conseil de la ville qui délibéra et conclut de rendre obéissance au roi, attendu son bon droit et moyennant qu'il ferait absolution générale de tous les cas, ne laisserait point de garnison et abolirait les aides, excepté la gabelle1362.
Sur quoi, le Conseil fit connaître, par lettres, cette résolution aux habitants de Reims en les exhortant à en prendre une semblable.
«Ainsi, dirent-ils, nous aurons même seigneur; vous préserverez vos corps et vos biens, comme nous avons fait. Car autrement nous étions perdus. Nous ne regrettons point notre soumission. Il nous déplaît seulement d'avoir tant tardé. Vous serez joyeux de faire de même, d'autant que le roi Charles est le prince de la plus grande discrétion, entendement et vaillance qui de longtemps soit sorti de la noble maison de France1363.»
Frère Richard s'en fut trouver la Pucelle. Sitôt qu'il l'aperçut, et de fort loin, il s'agenouilla devant elle. Quand elle le vit, elle s'agenouilla pareillement devant lui, et ils se firent grande révérence. Rentré dans la ville, le bon frère prêcha abondamment le peuple et l'exhorta à se mettre en l'obéissance du roi Charles.
– Dieu, dit-il, avise à son succès. Il lui a donné pour l'accompagner et conduire à son sacre une sainte Pucelle qui, comme je le crois fermement, a autant de puissance à pénétrer les secrets de Dieu, qu'aucun saint du Paradis, excepté saint Jean l'Évangéliste1364.
C'était le moins que le bon frère laissât au-dessus de la Pucelle le premier des saints, l'apôtre qui avait reposé sa tête sur la poitrine de Jésus, le prophète qui devait revenir sur la terre, à la consommation des siècles, avant peu.
– Si elle voulait, disait encore frère Richard, elle pourrait faire entrer tous les gens d'armes du roi par-dessus les murs, et comme il lui plairait. Elle peut beaucoup d'autres choses encore.
Ceux de la ville avaient grande foi et confiance en ce bon père qui parlait bien. Ce qu'il disait de la Pucelle leur parut admirable et les tourna à l'obéissance d'un roi si bien accompagné. Ils crièrent tous d'une voix1365:
– Vive le roi Charles de France!
Il fallait maintenant traiter avec le bailli, qui n'était pas intraitable, puisqu'il avait souffert cette allée et venue de la ville au camp et du camp à la ville, et trouver un moyen honnête de se débarrasser de la garnison. À cet effet, précédée du seigneur évêque, la commune alla très nombreuse vers le bailli et les capitaines et les somma de mettre la ville en sûreté1366. Ce dont ils étaient bien incapables, car de délivrer une ville qui ne voulait pas être délivrée et de chasser trente mille Français, ils ne le pouvaient vraiment faire.
Comme les habitants l'avaient prévu, le bailli se trouvait dans un grand embarras. Ce que voyant, les conseillers de la ville lui dirent:
– Si vous ne voulez tenir le traité que vous avez fait pour le bien public, nous mettrons les gens du roi dans la ville, que vous le veuillez ou non.
Le bailli et les capitaines se refusèrent à trahir les Anglais et les Bourguignons qu'ils servaient, mais ils consentirent à s'en aller. C'est tout ce qu'on leur demandait1367.
La ville ouvrit ses portes au roi Charles. Le dimanche 10 juillet de très bon matin, la Pucelle entra la première dans Troyes, avec les communes dont elle était aimée si chèrement. Frère Richard l'accompagnait. Elle mit les gens de trait le long des rues que devait suivre le cortège, afin que le roi de France traversât la ville entre une double haie de ces piétons qui l'avaient suivi et grandement aidé1368.
Tandis que Charles de Valois entrait par une porte la garnison bourguignonne sortait par une autre1369. Comme il avait été convenu, les gens du roi Henri et du duc Philippe emportaient leurs armes et leurs biens. Or, dans leurs biens, ils comprenaient les prisonniers du parti français, qu'ils avaient reçus à rançon. Ils n'avaient pas tout à fait tort, semble-t-il, selon les usages et coutumes de la guerre, mais c'était pitié de voir ces gens du roi Charles emmenés ainsi captifs à la venue de leur seigneur. La Pucelle en fut avertie et son bon cœur s'émut. Elle courut à la porte de la ville où déjà les gens de guerre étaient réunis avec armes et bagages. Elle y trouva les seigneurs de Rochefort et Philibert de Moslant, les interpella, leur cria de laisser les gens du dauphin. Les capitaines n'entendaient pas de cette oreille-là.
– C'est fraude et malice, lui dirent-ils, de venir ainsi contre le traité.
Cependant les prisonniers priaient à genoux la sainte de les garder.
– En nom Dieu, s'écria-t-elle, ils ne partiront pas1370.
Durant cette altercation, un écuyer bourguignon faisait à part lui sur la Pucelle des Armagnacs des réflexions qu'il révéla par la suite. «C'est par ma foi, songeait-il, la plus simple chose que je vis oncques. En son fait il n'y a ni rime ni raison, non plus qu'en le plus sot que je vis oncques. Je ne la compare pas à si vaillante femme comme madame d'Or, et les Bourguignons ne font que se moquer de ceux qui ont peur d'elle1371.»
Pour entendre la finesse de cette plaisanterie il faut savoir que madame d'Or, haute comme une botte, tenait l'emploi de sotte auprès de monseigneur Philippe1372.
La Pucelle ne put s'entendre, au sujet des prisonniers, avec les seigneurs de Rochefort et de Moslant. Ils avaient pour eux le droit de la guerre. Elle n'avait pour elle que les raisons de son bon cœur. Ce débat parut fort plaisant aux gens d'armes des deux obéissances. Quand il en fut instruit, le roi Charles sourit et dit que, pour appointer les parties, il payerait la rançon des prisonniers, qui fut fixée à un marc d'argent par tête. Les Bourguignons, en recevant cette somme, louèrent fort le roi de France de ses grandes manières1373.
Ce même jour de dimanche, environ neuf heures du matin, le roi Charles fit son entrée. Il avait revêtu ses habits de fête, éclatants de velours, d'or et de pierreries; le duc d'Alençon et la Pucelle, tenant sa bannière à la main, chevauchaient à ses côtés; il était suivi de toute sa chevalerie. Les habitants allumèrent des feux de joie et dansèrent des rondes; les petits enfants crièrent: «Noël!» frère Richard prêcha1374.
La Pucelle fit ses dévotions dans les églises. En une de ces églises elle tint un enfant sur les fonts du baptême. On lui demandait souvent, comme à une princesse ou à une sainte femme, d'être marraine d'enfants qu'elle ne connaissait pas et qu'elle ne devait jamais revoir. Elle donnait de préférence aux garçons le nom de Charles, pour l'honneur de son roi, et aux filles son nom de Jeanne. Elle nommait parfois aussi ses filleuls comme les mères voulaient1375.
Le lendemain, 11 juillet, l'armée, qui était restée aux champs sous le commandement de messire Ambroise de Loré, traversa la ville. L'entrée des gens d'armes était un fléau aussi redouté des bourgeois que la peste noire1376. Le roi Charles, qui traitait les habitants de Troyes avec d'extrêmes ménagements, prit soin de contenir le fléau. Par son commandement, les hérauts crièrent que nul ne fût si hardi, sous peine de la hart, d'entrer dans les maisons et de rien prendre contre le gré et la volonté de ceux de la ville1377.
CHAPITRE XVIII
LA CAPITULATION DE CHÂLONS ET DE REIMS. – LE SACRE
Au sortir de Troyes, l'armée royale s'engagea dans la Champagne pouilleuse, traversa l'Aube vers Arcis et prit son logis dans Lettrée, à cinq lieues de Châlons. De Lettrée, le roi envoya son héraut Montjoie à ceux de Châlons pour leur demander de le recevoir et de lui rendre pleine obéissance1378.
Les villes de Champagne se tenaient comme les doigts de la main. Quand le dauphin était encore à Brinion-l'Archevêque, les habitants de Châlons en avaient été instruits par leurs amis de Troyes. Ceux-ci les avaient même avertis que frère Richard, le prêcheur, leur avait porté une lettre de Jeanne la Pucelle. Sur quoi ceux de Châlons écrivirent aux habitants de Reims:
«Nous avons été fort ébahis du frère Richard. Nous pensions que ce fût un très bon prud'homme. Mais il est devenu sorcier. Nous vous mandons que les habitants de Troyes font forte guerre aux gens du dauphin. Nous avons intention de résister de toute notre puissance à ces ennemis1379.»
Ils ne pensaient pas un mot de ce qu'ils écrivaient et ils savaient que ceux de Reims n'en croyaient rien. Mais il importait de montrer une grande loyauté au duc de Bourgogne avant de recevoir un autre maître.
L'évêque comte de Châlons vint à Lettrée au-devant du roi, et lui remit les clés de la ville. C'était Jean de Montbéliard-Sarrebrück, des sires de Commercy1380.
Le 14 juillet, le roi entra avec son armée dans la ville de Châlons1381. La Pucelle y trouva quatre ou cinq paysans de son village, qui venaient la voir, entre autres Jean Morel, un de ses parrains. Laboureur de son état, âgé de quarante-trois ans environ, il s'était enfui avec la famille d'Arc à Neufchâteau, au passage des gens de guerre. Jeanne lui donna une robe rouge, qu'elle avait portée1382. Elle vit aussi à Châlons un autre laboureur plus jeune que Morel d'une dizaine d'années, Gérardin d'Épinal, qu'elle appelait son compère, comme elle appelait Isabellette, femme de Gérardin, sa commère, pour la raison qu'elle avait tenu sur les fonts leur fils Nicolas et qu'une marraine est une mère en esprit. Au village, Jeanne se défiait de Gérardin, qui était Bourguignon; à Châlons, elle lui montra plus de confiance et, l'entretenant des progrès de l'armée, lui dit qu'elle ne craignait rien hors la trahison1383. Elle avait déjà de sombres pressentiments; sans doute elle sentait que désormais la candeur de son âme et la simplicité de sa pensée étaient trop rudement combattues par la malice des hommes et les forces confuses des choses; déjà monseigneur saint Michel, madame sainte Catherine et madame sainte Marguerite ne lui parlaient plus avec autant de clarté que devant, faute de pénétrer dans les chancelleries de France et de Bourgogne, qui n'étaient pas choses du ciel.
Ceux de Châlons, à l'exemple de leurs amis de Troyes, écrivirent aux habitants de Reims qu'ils avaient reçu le roi de France et qu'ils leur conseillaient de faire de même. En cette lettre, ils disaient qu'ils avaient trouvé le roi Charles doux, gracieux, pitoyable et miséricordieux; et, dans le fait, ce roi prenait en douceur ses villes de Champagne. Ceux de Châlons ajoutaient qu'il était de haut entendement, beau de sa personne et de beau maintien1384. C'était beaucoup dire.
Les habitants de Reims se comportaient avec prudence. À la venue du roi de France, en même temps qu'ils lui envoyaient des messagers pour l'avertir que les portes de la ville lui seraient ouvertes, ils donnaient avis à leur seigneur le duc Philippe, ainsi qu'aux chefs anglais et bourguignons, des progrès de l'armée royale, selon ce qu'ils en pouvaient savoir, et ils leur mandaient de fermer le passage aux ennemis1385. Mais ils n'étaient pas pressés d'obtenir des secours pour la défense de leur ville, comptant que, s'ils n'en recevaient pas, ils se rendraient au roi Charles sans encourir aucun blâme des Bourguignons, et qu'ainsi ils n'auraient rien à craindre de l'un et l'autre parti. Pour l'heure, ils gardaient deux loyautés, ce qui n'était pas trop d'une en ces conjonctures difficiles et périlleuses. Quand on voit comme ces villes de Champagne pratiquaient ingénieusement l'art de changer de maître, il est bon de savoir que de cet art dépendait le salut de leurs corps et de leurs biens.
Dès le 1er juillet, le capitaine Philibert de Moslant leur écrivit de Nogent-sur-Seine, où il se trouvait avec sa compagnie bourguignonne, que, s'ils avaient besoin de lui, il les viendrait secourir en bon chrétien1386. Ils firent mine de ne pas entendre. Après tout, le seigneur Philibert n'était pas leur capitaine. Ce qu'il en pensait faire n'était, comme il le disait, que par charité chrétienne. Les notables de Reims, qui ne voulaient pas être sauvés, avaient à se garder surtout de leur naturel sauveur, le sire de Chastillon, grand queux de France, capitaine de la ville1387. Et il fallait qu'ils lui demandassent secours de façon qu'ils n'obtinssent pas ce qu'ils demandaient, de peur d'être comme les Israélites de qui il est écrit: Et tribuit eis petitionem eorum.
Alors que l'armée royale était encore sous Troyes, un héraut se présenta devant la ville de Reims, portant une lettre donnée par le roi, à Brinion-l'Archevêque, le lundi 4 juillet. Cette lettre fut remise au Conseil. «Vous pouvez bien avoir reçu nouvelle, disait le roi Charles aux habitants de Reims, de la bonne fortune et victoire qu'il a plu à Dieu nous donner sur les Anglais, nos anciens ennemis, devant la ville d'Orléans et, depuis lors, à Jargeau, Beaugency et Meung-sur-Loire, en chacun desquels lieux nos ennemis ont reçu très grand dommage; tous leurs chefs et des autres jusqu'au nombre de quatre mille y sont morts ou demeurés prisonniers. Ces choses étant advenues plus par grâce divine que par œuvre humaine, selon l'avis des princes de notre sang et lignage et des conseillers de notre Grand-Conseil, nous nous sommes acheminés pour aller en la ville de Reims recevoir notre sacre et couronnement. C'est pourquoi nous vous mandons que, sur la loyauté et obéissance que vous nous devez, vous vous disposiez à nous recevoir dans la manière accoutumée, et comme vous avez fait à l'égard de nos prédécesseurs1388.»
Et le roi Charles, usant envers le peuple de Reims de la même bénignité prudente qu'il avait montrée à ceux de Troyes, faisait pleine promesse de pardon et d'oubli.
«Que les choses passées, disait-il, et la crainte que j'en eusse encore mémoire ne vous arrêtent pas. Soyez assurés que, si vous vous conduisez envers moi comme vous devez, je vous traiterai en bons et loyaux sujets.»
Même il leur demandait d'envoyer des notables traiter avec lui: «Si, pour être mieux informés de nos intentions, quelques-uns de la ville de Reims voulaient venir vers nous avec le héraut que nous vous envoyons, nous en serions très content. Ils y pourront aller sûrement en tel nombre qu'il leur plaira1389.»
Au reçu de cette lettre, le Conseil fut convoqué, mais il se trouva que les échevins ne furent point en nombre pour délibérer; ce qui les tira d'un grand embarras. Ensuite de quoi ils firent assembler la commune par quartiers, et ils obtinrent des bourgeois ainsi consultés cette déclaration cauteleuse: «Nous entendons vivre et mourir avec le Conseil et les notables. Nous nous comporterons selon leur avis, en bonne union et paix, sans murmurer ni faire de réponse, si ce n'est par l'avis et ordonnance du capitaine de Reims et de son lieutenant1390.»
Le sire de Chastillon, capitaine de la ville, était alors à Château-Thierry avec ses lieutenants, Jean Cauchon et Thomas de Bazoches, tous deux écuyers. Les habitants de Reims jugèrent utile de mettre sous ses yeux la lettre du roi Charles; leur bailli, Guillaume Hodierne, se rendit auprès du soigneur capitaine et la lui montra. Le bailli répondit parfaitement au sentiment des habitants de Reims: il demanda au sire de Chastillon de venir, mais il le lui demanda de manière que le sire de Chastillon ne vînt pas. C'était le point essentiel; car, à ne le pas appeler, on se mettait en trahison ouverte, et, s'il venait, on risquait de subir un siège plein de calamités et de dangers.
À ces fins, le bailli déclara que les habitants de Reims, désireux de communiquer avec leur capitaine, le recevraient accompagné de cinquante chevaux seulement; en quoi ils montraient leur bon vouloir; ayant le droit de ne point recevoir garnison dans leur ville, ils consentaient à y laisser entrer cinquante lances, ce qui allait bien à deux cents combattants. Le sire de Chastillon, comme les habitants l'avaient prévu, jugea qu'en l'occurrence ce n'était pas assez pour sa sûreté et il mit, comme conditions à sa venue, que la ville fût emparée et munie, qu'il y entrât avec trois ou quatre cents combattants, qu'il en eût la garde ainsi que du château, avec cinq ou six notables pris, autant dire, comme otages. À ces conditions il était, disait-il, prêt à vivre et à mourir pour eux1391.
Il s'achemina avec sa compagnie jusque auprès de la ville et là fit savoir aux habitants qu'il était venu les aider. Il leur manda que dans cinq ou six semaines sans faute, une belle et grande armée anglaise, débarquée à Boulogne, marcherait à leur secours1392.
À la vérité les Anglais levaient des troupes autant qu'ils pouvaient et faisaient flèche de tout bois. Ils armaient, disait-on, jusqu'aux prêtres. Le Régent employait à sa guerre les croisés débarqués en France, que le cardinal de Winchester conduisait contre les Hussites1393. Et, comme bien on pense, le conseil du roi Henri ne négligeait pas d'avertir les habitants de Reims des armements qu'il ordonnait. Le 3 juillet, il les avisait que des troupes étaient en passage de mer, et le 10, Colard de Mailly, bailli de Vermandois, leur faisait savoir que ces troupes étaient déjà passées. Mais ces nouvelles ne donnaient pas grande confiance aux Champenois dans la force des Anglais et lorsque le sire de Chastillon leur promit, à quarante jours, une grande et belle armée d'outre-mer, le roi Charles chevauchait à quelques lieues de leur ville avec trente mille combattants. Le sire de Chastillon s'aperçut qu'il était joué, ce dont il avait eu déjà quelque soupçon. Les habitants de Reims refusèrent de le recevoir. Il ne lui restait plus qu'à tourner bride et à rejoindre les Anglais1394.
Le 12 juillet, ils reçurent de monseigneur Regnault de Chartres, archevêque duc de Reims, une lettre les priant de se disposer à la venue du roi1395.
Ce même jour, le Conseil de ville s'étant assemblé le greffier commença d'inscrire sur le registre des délibérations le procès-verbal de la séance:
«… Après ce qu'on a exposé à Monseigneur de Chastillon, comment il estoit capitaine, et les seigneurs et autre multitude de peuple qui1396…»
Il n'en écrivit pas davantage. Trouvant difficile de témoigner leur loyauté aux Anglais en préparant le sacre du roi Charles et contraire à la prudence de reconnaître un nouveau prince sans y être forcés, les citoyens renonçaient tout à coup à la parole qui est d'argent et se réfugiaient dans un silence d'or.
Le samedi 16, le roi Charles prit gîte à quatre lieues de la ville du sacre, au château de Sept-Saulx, construit plus de deux cents ans auparavant par les prédécesseurs guerriers de messire Regnault et dont le fier donjon commandait le passage de la Vesle1397. Il y reçut les bourgeois de Reims qui vinrent en grand nombre lui offrir pleine et entière obéissance1398. Puis il se remit en marche avec la Pucelle et toute son armée, et ayant franchi sa dernière étape sur la chaussée qui côtoyait la Vesle, il entra dans la grande cité champenoise au tomber du jour, par la porte méridionale nommée Dieulimire, qui, devant lui, abaissa ses ponts et leva ses deux herses1399.
La tradition voulait que le sacre fut célébré, de préférence, un dimanche, et cette règle se trouvait mentionnée dans un cérémonial qui avait servi, croyait-on, pour le sacre de Louis VIII et qui faisait autorité1400. Les habitants de Reims travaillèrent pendant la nuit, afin que tout fût prêt pour le lendemain1401. Leur amour subit du roi de France les aiguillonnait et surtout la peur qu'il demeurât quelques jours dans la ville avec son armée. Ils ressentaient à recevoir et à garder des gens d'armes dans leurs murs une crainte commune aux bourgeois de toutes les villes, qui, dans leur épouvante, ne distinguaient point les hommes de guerre armagnacs des hommes de guerre anglais et bourguignons1402. Aussi furent-ils diligents à préparer toutes choses, avec la ferme intention d'en payer le moins possible. Attendu que le sacre ne leur rapportait «ni profit ni honneur1403», les échevins, d'habitude, en rejetaient la charge sur l'archevêque, qui en tenait, disaient-ils, les émoluments comme pair de France1404.
Les ornements royaux déposés, après le sacre du feu roi, dans le trésor de Saint-Denys, étaient aux mains des Anglais. La couronne de Charlemagne, brillante de rubis, de saphirs et d'émeraudes, fleuronnée de quatre fleurs de Lis, que recevaient les rois de France à leur couronnement, les Anglais voulaient la mettre sur la tête de leur roi Henri; ils se préparaient à ceindre le roi enfant de l'épée de Charlemagne, l'illustre Joyeuse, qui dormait dans son fourreau de velours violet, sous la garde de l'abbé bourguignon de Saint-Denys. Aux Anglais aussi le sceptre que surmontait un Charlemagne d'or en habit d'empereur, la verge de justice terminée par une main en corne de licorne, l'agrafe dorée du manteau de saint Louis et les éperons d'or, et le Pontifical contenant, dans sa reliure de vermeil émaillée, les cérémonies du sacre1405. On dut se contenter d'une couronne conservée dans le trésor de la cathédrale1406. Quant aux autres insignes de la royauté de Clovis, de saint Charlemagne et de saint Louis, on les représenterait comme on pourrait et il n'était pas mauvais après tout que ce sacre gagné dans une chevauchée se sentît des travaux et des misères qu'il avait coûtés et que la cérémonie participât en quelque chose de la pauvreté héroïque des hommes d'armes et des gens des communes, qui y avaient conduit le dauphin.
Les rois étaient sacrés par l'huile, car l'huile signifie renommée, gloire et sapience. Le matin, les seigneurs de Rais, de Boussac, de Graville et de Culant furent députés par le roi pour aller quérir la Sainte Ampoule1407.
C'était une fiole de cristal que le grand prieur de Saint-Remi tenait enfermée dans le tombeau de l'apôtre derrière le maître-autel de l'église abbatiale. Cette fiole contenait le saint chrême, dont le bienheureux Remi avait oint le roi Clovis, et elle était enchâssée dans un reliquaire en forme de colombe, parce qu'on avait vu la colombe du Paraclet apporter l'huile destinée au sacrement du premier roi chrétien. Il est vrai qu'on trouvait en de vieux livres qu'un ange était descendu du ciel avec l'ampoule miraculeuse1408; mais ces incertitudes ne troublaient point les esprits, et l'on ne doutait pas, dans le peuple chrétien, que le saint chrême n'eût des vertus merveilleuses. On savait, par exemple, qu'il ne diminuait point à l'usage, et que la fiole restait toujours pleine, en présage et gage de la pérennité du royaume de France. Selon les observations des témoins, lors du sacre du feu roi Charles, l'huile n'avait pas diminué après les onctions1409.
À neuf heures du matin, Charles de Valois entra dans l'église avec une suite nombreuse. Le roi d'armes de France appela par leurs noms, devant le maître-autel, les douze pairs du royaume. Des six pairs laïques, aucun ne répondit. À leur place se présentèrent le duc d'Alençon, les comtes de Clermont et de Vendôme, les sires de Laval, de la Trémouille et de Maillé.
Des six pairs ecclésiastiques, trois répondirent à l'appel du roi d'armes: l'archevêque duc de Reims, l'évêque comte de Châlons, l'évêque duc de Laon. Les évêques détaillants de Langres, de Chaumont et de Noyon furent suppléés. En l'absence d'Arthur de Bretagne, connétable de France, l'épée fut tenue par Charles, sire d'Albret1410.
Devant l'autel se tenait Charles de Valois, revêtu d'habits fendus sur la poitrine et les épaules. Il jura, premièrement, de conserver à l'Église paix et privilèges; deuxièmement, de préserver le peuple des exactions et de ne le pas trop charger; troisièmement, de gouverner avec justice et miséricorde1411.
Il fut armé chevalier par son cousin d'Alençon1412.
Puis l'archevêque lui fit les onctions avec l'huile mystique, dont le Saint-Esprit fortifie les prêtres, les rois, les prophètes et les martyrs et, nouveau Samuel, consacra le nouveau Saül, manifestant que toute puissance est de Dieu et que, à l'exemple de David, les rois sont les pontifes, les annonciateurs et les témoins du Seigneur. Cette effusion d'huile, dont étaient consacrés les rois, dans Israël, rendait brillants et forts les rois de la France très chrétienne depuis Charlemagne, depuis Clovis, car, s'il reçut de saint Remi non proprement le sacre, mais le baptême et la confirmation, Clovis fut consacré en même temps chrétien et roi par le bienheureux évêque, au moyen de l'huile sainte, envoyée par Dieu lui-même à ce prince et à ses successeurs1413.
Et Charles reçut les onctions présage de force et de victoire, car il est écrit au livre des Rois: «Samuel prit la fiole d'huile, la versa sur la tête de Saül et dit: Voici que le Seigneur t'a sacré prince sur son héritage, et tu délivreras son peuple des mains des ennemis qui l'environnent. Ecce unxit te Dominus super hereditatem suam in principem, et liberabis populum suum de manibus inimicorum ejus, qui in circuitu ejus sunt.» (Reg. I, X, 1, 6.)
Durant le mystère, comme on disait en ancien langage1414, la Pucelle demeurait au côté du roi. Elle tint un moment déployé son étendard blanc devant lequel le vieil étendard de Chandos avait reculé. Puis d'autres tinrent l'étendard à leur tour, son page Louis de Coutes, qui ne la quittait jamais, frère Richard le prêcheur, qui l'avait suivie à Châlons et à Reims1415. Dans un de ses rêves, elle avait donné naguère une couronne éblouissante à son roi; elle s'attendait à ce que cette couronne fût apportée dans l'église par des messagers célestes1416. Les saintes ne recevaient-elles pas communément des couronnes de la main des anges? Un ange offrit à sainte Cécile une couronne tressée de roses et de lis. Un ange donna à la vierge Catherine la couronne impérissable, que la sainte posa sur la tête de l'Impératrice de Rome. Mais la couronne étrangement riche et magnifique que Jeanne attendait ne vint point.