Kitabı oku: «Vie de Jeanne d'Arc. Vol. 1 de 2», sayfa 26
L'archevêque prit sur l'autel la couronne de prix modique fournie par le chapitre, et l'éleva à deux mains sur la tête du roi. Les douze pairs en cercle autour du prince y portèrent le bras pour la soutenir. Les trompettes éclatèrent, et le peuple cria: «Noël1417!»
Ainsi fut oint et couronné Charles de France, issu de la royale lignée du noble roi Priam de Troie la Grande.
Le mystère fut terminé à deux heures après midi1418. On rapporte qu'alors la Pucelle s'agenouilla et, embrassant le roi par les jambes, lui dit avec des larmes:
– Gentil roi, maintenant est fait le plaisir de Dieu, qui voulait que je levasse le siège d'Orléans et vous amenasse en cette cité de Reims recevoir votre saint sacre, en montrant que vous êtes vrai roi et celui auquel le royaume de France doit appartenir1419.
Le roi fit les présents d'usage. Il offrit au Chapitre un tapis de satin vert, ainsi que des ornements de velours rouge et de damas blanc. De plus, il posa sur l'autel un vase d'argent du prix de treize écus d'or. Le seigneur archevêque s'en empara malgré les réclamations des chanoines, mais il ne lui servit de rien de l'avoir pris, car il lui fallut le rendre1420.
Après la cérémonie, Charles ceignit la couronne, revêtit le manteau royal, bleu comme le ciel, fleuri de lis d'or, et traversa sur son coursier les rues de la ville de Reims. Le peuple en liesse criait: «Noël!» comme il avait crié à l'entrée de monseigneur le duc de Bourgogne.
Ce jour-là, le sire de Rais fut fait maréchal de France et le sire de la Trémouille comte; l'aîné des deux fils de madame de Laval, à qui la Pucelle avait offert le vin à Selles-en-Berri, fut fait comte aussi. Le capitaine La Hire reçut le comté de Longueville avec tout ce qu'il prendrait en Normandie1421.
Le roi Charles fut servi à dîner en l'hôtel épiscopal, dans l'ancienne salle du Tau, par le duc d'Alençon et le comte de Clermont1422. La table royale, selon la coutume, se prolongeait dans la rue et le festin débordait sur toute la ville. C'était un jour de franche lippée et de commune frairie. Dans les maisons, sous les portes, sur les bornes, on faisait ripaille, on se ruait en cuisine; il se dévorait bœufs par douzaines, moutons par centaines, poules et lapins par milliers. On se bourrait d'épices, et comme on avait grand'soif, on humait à plein pot les vins de Bourgogne et notamment le parfumé vin de Beaune. Le très vieux cerf de la cour archiépiscopale, qui était de bronze et creux, on le transportait, à chaque couronnement, dans la rue du Parvis; on le remplissait de vin, et le peuple y venait boire comme à la fontaine. Finalement les bourgeois et habitants de la cité du bienheureux Remi, riches et pauvres, empiffrés, saouls de viandes et de vin, ayant hurlé «Noël!» à plein gosier, tombaient endormis sur les fûts et les victuailles dont, le lendemain, les échevins moroses allaient disputer aigrement les restes aux gens du roi1423.
Jacques d'Arc était venu voir ce couronnement auquel sa fille avait tant ouvré. Il logeait à l'enseigne de l'Âne rayé, rue du Parvis, dans une hôtellerie tenue par Alix, veuve de Raulin Morieau. En même temps que sa fille, il revit son fils Pierre1424. Ce cousin que Jeanne appelait son oncle et qui l'avait accompagnée auprès de sire Robert à Vaucouleurs, Durand Lassois, était pareillement venu aux fêtes du sacre. Il parla au roi et lui conta tout ce qu'il savait de sa cousine1425. Jeanne trouva aussi à Reims un jeune compatriote, Husson Le Maistre, chaudronnier dans le village de Varville, à trois lieues de Domremy. Elle ne le connaissait pas, mais il avait bien entendu parler d'elle, et il était très familier avec Jacques et Pierre d'Arc1426.
Jacques d'Arc était un des notables de son village et peut-être le plus entendu aux affaires1427. Il ne s'était pas rendu à Reims à seule fin de voir sa fille chevaucher par les rues de la cité en habit d'homme; il venait demander au roi pour lui, pour ceux de son village, dépouillés par les gens de guerre, une exemption d'impôts. Cette demande, que la Pucelle transmit au roi, fut agréée. Le 31 du même mois, le roi ordonnait que les habitants de Greux et de Domremy fussent francs de toutes tailles, aides, subsides et subventions1428. Les Élus de la ville payèrent sur les deniers publics les dépenses de Jacques d'Arc, et, quand il fut sur son départ, ils lui donnèrent un cheval pour retourner chez lui1429.
Durant les cinq ou six jours qu'elle demeura à Reims, la Pucelle se montra au peuple. Les humbles, les simples venaient à elle; les bonnes femmes lui prenaient les mains et faisaient toucher leurs anneaux au sien1430. Elle portait au doigt un petit anneau que sa mère lui avait donné; il était de laiton, autrement appelé aurichalque1431. L'aurichalque était, comme on disait, l'or des pauvres. Cet anneau n'avait pas de pierre et portait au chaton les noms de Jhesus Maria, avec trois croix. Elle y tenait souventes fois les regards pieusement fixés parce qu'un jour elle l'avait fait toucher par madame sainte Catherine1432. Et que la sainte l'eût vraiment touché, ce n'était pas incroyable, puisqu'il était manifeste que peu de temps auparavant, en l'an 1413, sœur Colette, qui professait la chasteté virginale, avait reçu de l'apôtre vierge un riche anneau d'or, en signe d'alliance spirituelle avec le Roi des rois. Sœur Colette faisait toucher cet anneau aux religieux et aux religieuses de son ordre, et elle le confiait aux messagers qu'elle envoyait au loin, afin de les préserver des périls de la route1433. La Pucelle attribuait aussi à son anneau de grandes vertus; toutefois elle ne s'en servait point pour opérer des guérisons1434.
On attendait d'elle les menus services qu'il était d'usage de demander aux saintes gens et parfois aux sorciers. Avant la cérémonie du sacre, les nobles et les chevaliers avaient reçu des gants, selon la coutume. L'un d'eux perdit les siens; il demanda, ou d'autres demandèrent pour lui, qu'elle les lui fît retrouver. Elle ne dit point qu'elle le ferait; cependant la chose fut sue et diversement jugée1435.
Après le sacre du roi, si, mêlé au peuple dans la rue du Parvis, quelque clerc méditatif leva les yeux sur la haute face historiée de la cathédrale, déjà très vieille alors pour des hommes qui, connaissant mal les chroniques, mesuraient le temps sur la durée de la vie humaine, il vit sûrement, à gauche de l'arc aigu qui surmonte la rose, l'image colossale de Goliath dressé fièrement dans son armure à écailles, et cette même figure répétée à droite de l'arc, dans l'attitude d'un homme chancelant et qui tombe1436. Alors ce clerc dut se rappeler ce qui est écrit au premier livre des Rois:
«Les Philistins assemblèrent toutes leurs troupes pour combattre Israël. Or, il arriva qu'un homme, qui était bâtard, sortit du camp des Philistins. Il s'appelait Goliath; il était de Geth, et il avait six coudées et une palme de haut. Il était revêtu d'une cuirasse à écailles qui pesait cinq mille sicles d'airain. Et il vint disant: «J'ai jeté l'opprobre aux armées d'Israël. Donnez-moi un homme qui vienne combattre contre moi en un combat singulier.»
»Or, David enfant s'en était allé à Bethléem pour paître les troupeaux de son père. Mais David, s'étant levé dès la pointe du jour, laissa à un serviteur le soin de son troupeau. Il vint au lieu appelé Magala, où l'armée s'était avancée pour donner la bataille. Et voyant Goliath, il demanda: «Qui est ce Philistin incirconcis qui jette l'opprobre aux armées du Dieu vivant?»
»Ces paroles de David ayant été entendues, elles furent rapportées à Saül. Et Saül l'ayant fait venir devant lui, David lui parla de cette manière: «Que personne ne s'épouvante de ce Philistin, car moi, ton serviteur, je suis prêt à aller le combattre.» Saül lui dit: «Tu ne saurais résister à ce Philistin ni combattre contre lui, parce que tu es un enfant, et que celui-ci est un homme nourri à la guerre depuis sa jeunesse.» David répondit: «J'irai contre lui et je ferai cesser l'opprobre d'Israël.» Saül dit donc à David: «Va! et que le Seigneur soit avec toi!»
»David prit son bâton, choisit dans le torrent cinq pierres très polies et, tenant à la main sa fronde, il marcha contre les Philistins.
»Et Goliath, lorsqu'il eut aperçu David, voyant que c'était un bel enfant aux cheveux roux, lui dit: «Suis-je un chien, pour que tu viennes à moi avec un bâton?» Mais David répondit au Philistin: «Tu viens à moi avec l'épée, la lance et le bouclier. Mais moi, je viens à toi au nom du Seigneur des armées, du Dieu des batailles d'Israël, auquel tu as insulté aujourd'hui. Le Seigneur te livrera entre mes mains. Et que toute cette assemblée d'hommes reconnaisse que ce n'est point par l'épée, ni par la lance que Dieu sauve! Cette guerre est sa guerre et il vous livrera dans nos mains.»
»Le Philistin s'avança donc et marcha contre David. Et David lança une pierre avec sa fronde et en frappa le Philistin au front. Et Goliath tomba le visage contre terre.»
Alors le clerc qui méditait ces paroles du Livre songeait que, toujours semblable à lui-même, le Seigneur qui sauva Israël et abattit Goliath par la fronde d'un berger enfant avait suscité la fille d'un laboureur pour la délivrance du très chrétien royaume et l'opprobre du Léopard1437.
La Pucelle avait fait écrire de Gien, vers le 27 juin, au duc de Bourgogne, pour l'inviter à se rendre au sacre du roi. N'ayant pas reçu de réponse, elle dicta, le jour même du sacre, une deuxième lettre au duc. Voici cette lettre:
✝ JHESUS MARIA
Haultet reboubté prince, duc de Bourgoingne, Jehanne la Pucelle vous requiert de par le Roy du ciel, mon droicturier et souverain seigneur, que le roy de France et vous, faciez bonne paix ferme, qui dure longuement. Pardonnez l'un à l'autre de bon cuer, entièrement, ainsi que doivent faire loyaulx chrestians; et s'il vous plaist à guerroier, si alez sur les Sarrazins. Prince de Bourgoingne, je vous prie, supplie et requiers tant humblement que requérir vous puis, que ne guerroiez plus ou saint royaume de France, et faictes retraire incontinent et briefment voz gens qui sont en aucunes places et forteresses dudit saint royaume; et de la part du gentil roy de France, il est prest de faire paix à vous, sauve son honneur, s'il ne tient en vous. Et vous faiz à savoir de par le Roy du ciel, mon droicturier et souverain seigneur, pour vostre bien et pour vostre honneur et sur voz vie, que vous n'y gaignerez point bataille à l'encontre des loyaulx François, et que tous ceulx qui guerroient oudit saint royaume de France, guerroient contre le roy Jhesus, roy du ciel et de tout le monde, mon droicturier et souverain seigneur. Et vous prie et requiers à jointes mains, que ne faictes nulle bataille ne ne guerroiez contre nous, vous, vos gens ou subgiez; et croiez seurement que, quelque nombre de gens que amenez contre nous, qu'ilz n'y gagneront mie, et sera grant pitié de la grant bataille et du sang qui y sera respendu de ceulx qui y vendront contre nous. Et a trois semaines que je vous avoye escript et envoié bonnes lettres par ung hérault, que feussiez au sacre du roy qui, aujourd'hui dimenche, xvije jour de ce présent mois de juillet, ce fait en la cité de Reims: dont je n'ay eu point de response, ne n'ouy oncques puis nouvelles dudit hérault. À Dieu vous commens et soit garde de vous, s'il lui plaist; et prie Dieu qu'il y mecte bonne pais. Escript audit lieu de Reims, ledit xvije jour de juillet.»
Sur l'adresse: «Au duc de Bourgoigne1438.»
Sainte Catherine de Sienne, à Reims, n'aurait pas écrit autrement. La Pucelle, bien qu'elle n'aimât pas les Bourguignons, sentait à sa manière et fortement combien la paix avec le duc de Bourgogne était désirable. C'est à mains jointes qu'elle le prie de ne plus faire la guerre en France. «S'il vous plaît de guerroyer, lui dit-elle, allez sur les Sarrasins.» Elle avait déjà conseillé aux Anglais de s'unir aux Français pour faire la croisade. La destruction des infidèles était alors le rêve des âmes douces et pacifiques, et beaucoup de bonnes personnes comptaient que le fils riche et puissant du vaincu de Nicopolis ferait payer cher aux Turcs leur antique victoire1439.
Par sa lettre, la Pucelle annonce, de la part du roi du ciel, au duc Philippe que, s'il combat contre le roi, il perdra la bataille. Ses voix lui avaient prédit la victoire de la France sur la Bourgogne; elles ne lui avaient pas révélé qu'au moment même où elle dictait sa lettre, les ambassadeurs du duc Philippe se trouvaient à Reims; c'était pourtant la vérité1440.
Le duc Philippe, estimant que le roi Charles, maître de la Champagne, était un prince à ménager, lui envoya, à Reims, David de Brimeu, bailli d'Artois, à la tête d'une ambassade, pour le saluer et lui faire des ouvertures de paix1441. Les Bourguignons reçurent du chancelier et du Conseil un accueil empressé. On espérait que la paix serait conclue avant leur départ. Les seigneurs angevins le mandèrent aux reines Yolande et Marie1442. Ce n'était pas connaître le magnifique renard de Dijon. Les Français n'étaient pas encore assez forts, les Anglais assez faibles. Il fut convenu qu'une ambassade serait envoyée en août au duc de Bourgogne dans la ville d'Arras. Après quatre jours de conférences, une trêve de quinze jours fut signée et l'ambassade quitta Reims1443. Dans le même moment, le duc renouvelait solennellement à Paris sa plainte contre Charles de Valois, assassin de son père, et s'engageait à amener une armée au secours des Anglais1444.
Laissant à Reims, comme capitaine, Antoine de Hellande, neveu de l'archevêque duc1445, le roi de France sortit de la ville le 20 juillet et se rendit à Saint-Marcoul-de-Corbeny où les rois avaient coutume de toucher les écrouelles au lendemain de leur sacre1446.
Monseigneur saint Marcoul guérissait les scrofules1447. Il était de race royale, mais sa puissance, révélée longtemps après mort, lui venait surtout de son nom, et l'on pensait que saint Marcoul était désigné pour guérir les affligés qui portaient des marques au cou, ainsi que saint Clair pour rendre la vue aux aveugles et saint Fort pour donner la vigueur aux enfants. Le roi de France partageait avec lui le pouvoir de guérir les scrofules et comme il le tenait de l'huile apportée du ciel par une colombe, on estimait que cette vertu agissait davantage au moment du sacre, d'autant plus qu'il risquait de la perdre par paillardise, désobéissance à l'église chrétienne ou autres dérèglements: c'est ce qui était arrivé au roi Philippe Ier1448. Les rois d'Angleterre touchaient aussi les écrouelles; le roi Édouard III notamment opéra sur des scrofuleux couverts de plaies des cures admirables. Pour ces raisons, le mal des scrofules était dit mal Saint-Marcoul ou mal royal. Les vierges, ainsi que les rois, avaient le pouvoir de guérir le mal royal. Mais il fallait que la vierge, ayant jeûné, se mît nue et prononçât ces mots: Negat Apollo pestem passe recrudescere, quam nuda virgo restringat1449. Il était à craindre qu'il n'y eût là quelque sorcellerie, comme à charmer les blessures, tandis que le pouvoir de saint Marcoul et du roi de France venait de Dieu. On sent la différence1450.
Le roi Charles fit ses dévotions, ses oraisons et ses offrandes à monseigneur saint Marcoul et toucha les écrouelles. Il reçut à Corbeny la soumission de la ville de Laon. Puis il s'en fut, le lendemain 22, à une petite ville forte de la vallée de l'Aisne, nommée Vailly, qui appartenait à l'archevêque duc de Reims. Il reçut à Vailly la soumission de la ville de Soissons1451. Comme le disait alors un prophète armagnac, «les clés des portes guerrières reconnaissaient les mains qui les avaient forgées1452».
CHAPITRE XIX
LA LÉGENDE DE LA PREMIÈRE HEURE
Il est toujours difficile de savoir comment à la guerre les choses se sont passées; dans ce temps-là c'était tout à fait impossible de se faire une idée un peu raisonnable des actions accomplies. Il y avait à Orléans, sans doute, quelques personnes assez avisées pour s'apercevoir que les engins abondants et subtils, rassemblés par les procureurs, avaient été d'un grand secours; mais les habitants admirent généralement que la délivrance s'était opérée par miracle, et ils en rapportèrent le mérite premièrement à leurs benoîts patrons, Monsieur saint Aignan et Monsieur saint Euverte, et après eux, à Jeanne la Pucelle de Dieu, ne concevant pas aux faits accomplis sous leurs yeux d'explication plus simple, plus facile, plus naturelle1453.
Guillaume Girault, ancien procureur de la ville et notaire au Châtelet, écrivit et signa de son nom une relation très brève de la délivrance, y consignant que, le mercredi, veille de l'Ascension, la bastille Saint-Loup fut prise comme par miracle à force d'armes, «présente et aidant Jeanne la Pucelle, envoyée de Dieu» et que, le samedi suivant, le siège que les Anglais avaient mis aux Tourelles du bout du pont fut levé «par le plus évident miracle qui ait apparu depuis la Passion». Et Guillaume Girault atteste que la Pucelle conduisait la besogne1454. Quand les témoins, les acteurs eux-mêmes ne se rendaient point un compte exact des événements, quelle idée pouvait-on s'en faire au loin?
Les nouvelles des victoires françaises volaient avec une étonnante rapidité1455. À la brièveté des relations authentiques l'éloquence des clercs facondeux et l'imagination populaire amplement suppléaient. La campagne de la Loire et le voyage du sacre ne furent guère connus d'abord que par des fables, et le peuple ne put les concevoir que comme des événements surnaturels.
Dans les lettres envoyées par la chancellerie royale aux villes du royaume et aux princes de la chrétienté, le nom de Jeanne la Pucelle était associé à tous les faits d'armes. Jeanne elle-même, par sa chancellerie monastique, faisait savoir à tous les grandes choses qu'elle croyait fermement avoir accomplies1456.
On pensait que tout s'était fait par elle, que le roi l'avait consultée en toutes choses quand, en réalité, les conseillers du roi et les capitaines ne lui demandaient guère son avis, l'écoutaient peu et la montraient à propos. On rapportait tout à elle seule. Sa personne, présente à des actions avérées et qui semblaient inouïes, fut emportée en un vaste cycle de fables surprenantes et disparut dans une forêt de contes héroïques1457.
Il y avait alors des âmes contrites qui, attribuant aux péchés du peuple tous les maux du royaume, cherchaient la salut commun dans l'humilité, le repentir et la pénitence1458. Elles attendaient la fin de l'iniquité et le règne de Dieu sur la terre. Jeanne procéda, du moins à ses débuts, de ces bonnes personnes. S'exprimant parfois en réformatrice mystique, elle disait que Jésus est roi du saint royaume de France, que le roi Charles est son lieutenant et n'a le royaume qu'en «commande». Elle prononçait des paroles qui donnaient à croire que sa mission était toute de charité, de paix et d'amour; celles-ci, par exemple: «J'ai été envoyée pour la consolation des pauvres et des indigents1459. «Ces doux pénitents, qui rêvaient un monde pur, fidèle et bénin, faisaient de Jeanne leur prophétesse et leur sainte. Ils lui prêtaient des propos édifiants qu'elle n'avait jamais tenus.
«Quand la Pucelle vint auprès du roi, disaient-ils, elle lui fit faire trois promesses: la première, de se démettre de son royaume, d'y renoncer et de le rendre à Dieu, de qui il le tenait; la deuxième, de pardonner à tous ceux des siens qui s'étaient tournés contre lui et l'avaient affligé; la troisième, qu'il s'humiliât assez, pour que tous ceux, pauvres et riches, amis et ennemis, qui viendraient à lui, il les reçût en grâce1460.»
Ou bien encore, ils la mettaient en action dans des apologues naïfs et charmants, comme celui-ci:
«Un jour, la Pucelle demanda au roi de lui faire un présent, et le roi y ayant consenti, elle réclama comme don le royaume de France. Le roi, surpris, ne révoqua point sa promesse. La Pucelle voulut qu'ayant reçu ce don, l'acte en fût solennellement dressé par les quatre notaires du roi et que lecture fût faite de cet acte. Tandis que le roi entendait cette lecture, elle le montra aux assistants et dit: «Voilà le plus pauvre chevalier du royaume.» Et, après un peu de temps, en présence des notaires, disposant du royaume de France, elle le remit à Dieu. Puis, agissant au nom de Dieu, elle en investit le roi Charles et ordonna que de cette transmission acte solennel fût dressé par écrit1461.»
Jeanne, avait annoncé, croyait-on, qu'à la Saint-Jean-Baptiste de l'an 1429, il ne demeurerait pas un Anglais en France1462. Ces hommes de bonne volonté s'attendaient à ce que les promesses de leur sainte fussent réalisées au jour fixé par elle. Ils annoncèrent qu'elle avait, le 23 juin, fait son entrée dans la ville de Rouen et que, le lendemain, jour de la Saint-Jean-Baptiste, les habitants de Paris avaient de bon cœur ouvert leurs portes au roi de France. Au mois de juillet on en faisait des récits dans Avignon1463. Les réformateurs, assez nombreux, ce semble, en France et dans la chrétienté, croyaient savoir que la Pucelle donnerait une constitution monastique aux Anglais et aux Français, dont elle ferait un seul peuple de béguins et de béguines, une même confrérie de pénitents et de pénitentes. Voici quelles étaient, selon eux, les intentions des deux partis et les principales clauses du traité:
«Le roi Charles de Valois pardonne à tous, et il ne lui souvient plus des injures reçues. Les Anglais et les Français, tournés à contrition et pénitence, s'appliquent à conclure une bonne et droite paix. La Pucelle leur en a imposé elle-même les conditions. Conformément à sa volonté, Anglais et Français, durant une ou deux années, porteront un habit gris, avec une petite croix cousue dessus; le vendredi de chaque semaine, ils ne prendront que du pain et de l'eau; ils vivront en bonne union avec leurs femmes et ne dormiront point avec d'autres. Ils promettent à Dieu de ne faire nulle guerre, si ce n'est pour la défense de leur patrimoine1464.»
Pendant la campagne du sacre, l'accord survenu entre les gens du roi et les habitants d'Auxerre demeurant ignoré, on rapportait, vers la fin de juillet, que, la ville prise d'assaut, quatre mille cinq cents bourgeois avaient été occis et mêmement quinze cents hommes d'armes tant chevaliers qu'écuyers des partis de Bourgogne et de Savoie. On nommait parmi les gentilshommes morts messire Humbert Maréchal, le seigneur de Varambon et un très fameux homme de guerre, le Viau de Bar. On racontait des histoires de trahisons et de massacres, des aventures horrifiques dans lesquelles la Pucelle était associée au valet de cœur déjà fameux. On disait qu'elle avait fait couper la tête à douze traîtres1465. C'était de vrais romans de chevalerie, dont voici un exemple:
Environ deux mille Anglais entouraient le camp du roi, guettant s'ils n'y pourraient causer quelque dommage. Alors, la Pucelle fit appeler le capitaine La Hire et lui dit:
– Tu as fait, en ton temps, de très nobles choses, mais au jour d'aujourd'hui, Dieu t'en a préparé à faire une plus notable que celles que jamais tu fis. Prends tes gens d'armes et va à tel bois, à deux lieues d'ici, tu y trouveras deux mille Anglais, tous la lance en main; tu les prendras tous et tu les tueras.
La Hire alla vers les Anglais et tous furent pris et tués, ainsi qu'avait dit la Pucelle1466.
Voilà les contes de Mélusine qu'on faisait d'elle, pour la joie des hommes simples et violents qui se complaisaient à l'idée d'une Pucelle coupe-têtes et tranche-montagne!
Le bruit courait qu'après le sac d'Auxerre, le duc de Bourgogne avait été vaincu et pris dans une grande bataille, que le Régent était mort, que les Armagnacs étaient entrés dans Paris1467. La capitulation de Troyes fut enveloppée de prodiges. À la venue des Français, les habitants virent, disait-on, du haut de leurs remparts une grande compagnie d'hommes d'armes, bien cinq à six mille, tenant chacun à la main un pennon blanc. Au départ des Français ils les revirent rangés à un trait d'arc derrière le roi Charles. Aussi merveilleux que les chevaliers à l'écharpe blanche que les Bretons avaient vus peu de temps auparavant chevaucher dans le ciel, ces chevaliers aux blancs pennons, quand le roi partit, s'évanouirent1468.
Tout ce qu'avaient cru, dans leur simplicité, les Orléanais subitement désassiégés, tout ce qu'avaient conté les mendiants des Armagnacs et les clercs du dauphin, fut avidement recueilli, accru, amplifié. Trois mois après sa venue à Chinon, Jeanne eut sa légende qui, vivace, fleurie et touffue, se répandit au dehors, en Italie, en Flandre, en Allemagne1469. Dans l'été de 1429, cette légende était entièrement trouvée. Toutes les parties éparses de ce qu'on peut appeler l'évangile de l'enfance existaient déjà.
Âgée de sept ans, Jeanne menait paître les troupeaux; les loups n'approchaient point de ses moutons; les oiseaux des bois, quand elle les appelait, venaient manger son pain dans son giron. Le pouvoir était en elle d'écarter les méchants. Personne sous le toit où elle reposait n'avait à craindre la fraude et la malice des hommes1470.
Les miracles qui accompagnent la naissance de Jeanne, quand c'est un poète latin qui les célèbre, revêtent la majesté romaine et prennent le caractère de prodiges antiques; et c'est un spectacle assez étrange que de voir, en 1429, un humaniste appeler les Muses ausoniennes sur le berceau de la fille de Zabillet Romée.
«Le tonnerre gronda, la mer frémit, la terre trembla, le ciel s'enflamma, le monde donna des signes de joie; une ardeur inconnue mêlée d'épouvante agita les peuples ravis. Ils chantent de doux poèmes et forment des danses rythmées en signe du salut destiné à la race française par cette naissance céleste1471.»
On fit plus. Dès la première heure on voulut que les merveilles qui avaient signalé la nativité de Jésus se fussent renouvelées lors de la venue de Jeanne au monde. On imagina qu'elle était née dans la nuit de Noël; les bergers du village, émus d'une joie indicible dont ils ignoraient la cause, couraient dans l'ombre pour découvrir la merveille inconnue. Les coqs, hérauts de cette allégresse nouvelle, font éclater à l'heure inaccoutumée des chants inouïs, et, battant des ailes, durant deux heures semblent vaticiner. Ainsi l'enfant eut dans sa crèche son adoration des bergers1472.
De sa venue en France on avait beaucoup à conter. On croyait savoir que, dans le château de Chinon, elle avait reconnu le roi qu'elle n'avait jamais vu auparavant, et qu'elle était allée droit à lui, bien qu'il se cachât sous des habits sans richesse, dans la foule des seigneurs1473. On disait qu'elle avait donné un signe au roi, qu'elle lui avait révélé un secret et qu'à la révélation de ce secret, connu de lui seul, il avait été inondé d'une joie céleste; et sur cette entrevue de Chinon, tandis que les assistants n'avaient guère à dire, plusieurs, qui ne s'y étaient pas trouvés, étaient inépuisables1474.
Le 7 mai, à quatre heures après midi, une colombe blanche se posa sur l'étendard de la Pucelle; et l'on vit, le même jour, pendant l'assaut, deux oiseaux blancs voltiger sur ses épaules1475. Les saintes étaient fréquentées des colombes. Un jour que sainte Catherine de Sienne se tenait agenouillée dans la maison du foulon, une colombe blanche comme la neige se posa sur la tête de l'enfant1476.
Un petit conte qui courait alors est intéressant en ce qu'on y voit l'idée qu'on se faisait des relations du roi et de la Pucelle et aussi comme exemple des déformations que peut subir, en passant de bouche en bouche, le récit d'un fait véritable. Voici l'historiette, telle qu'elle a été recueillie par un marchand allemand:
Un jour, en une certaine ville, la Pucelle, avisée que les Anglais étaient proches, prit les champs, et aussitôt, tous les gens d'armes qui se trouvaient dans la ville sautèrent à cheval pour la suivre. Pendant ce temps le roi, qui dînait à table, apprenant que chacun allait en compagnie de la Pucelle, fit fermer les portes de la cité.
On en avertit la Pucelle qui répondit sans se troubler:
– Avant qu'il soit heure de none, il sera au roi tel besoin de venir à moi, qu'il me suivra tout de suite, son manteau à peine jeté sur lui, et sans éperons.
Ainsi en advint-il. Car les gens d'armes enfermés dans la ville mandèrent au roi qu'il fît immédiatement ouvrir les portes, sinon qu'ils le détruiraient. Les portes furent ouvertes et tous les gens d'armes coururent vers la Pucelle, sans se soucier du roi, qui jeta son manteau sur lui et les suivit.
Ce jour-là un grand nombre d'Anglais furent détruits1477.
On reconnaît dans ce conte le souvenir très altéré des faits qui se passèrent le 6 mai, à Orléans. Les bourgeois couraient en foule à la porte Bourgogne, décidés à passer la Loire pour attaquer les Tourelles. Trouvant la porte fermée, ils se jetèrent furieux sur le sire de Gaucourt qui la gardait. Le vieux seigneur fit ouvrir la porte toute grande et leur dit: «Venez, je serai votre capitaine1478.» Dans le conte, les bourgeois sont devenus des gens d'armes, et ce n'est plus le sire de Gaucourt qui fait méchamment fermer la porte, c'est le roi; il n'a pas à s'en féliciter, et l'on est surpris de trouver dès la première heure cette idée toute formée dans l'esprit du peuple, que bien loin d'aider la Pucelle à chasser les Anglais, le roi lui suscitait des obstacles et était toujours le dernier à la suivre.
Entrevue dans ce chaos de récits plus confus que les nuées d'un ciel orageux, Jeanne apparaissait comme une merveille inouïe. Elle prophétisait et plusieurs de ses prophéties étaient déjà accomplies. Elle avait annoncé la délivrance d'Orléans, et Orléans était délivré. Elle avait annoncé qu'elle serait blessée, et elle avait reçu une flèche au-dessus de la mamelle gauche. Elle avait annoncé qu'elle mènerait le roi à Reims, et le roi avait été sacré dans cette ville. Elle avait fait d'autres prophéties encore touchant le royaume de France, comme de délivrer le duc d'Orléans, d'entrer dans Paris, de chasser tous les Anglais hors du saint royaume, et l'on en attendait l'accomplissement1479.
Elle prophétisait tous les jours, notamment au sujet de plusieurs hommes qui lui avaient manqué de respect et qui étaient morts de male mort1480.