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Illustrator Natalie Fridberg-Sokolova

© Anatole Velitchko, 2021

© Natalie Fridberg-Sokolova, illustrations, 2021

ISBN 978-5-0055-5990-6

Created with Ridero smart publishing system

À Inga et Kirill, premiers lecteurs de ce livre

Avant-propos I

Ce livre contient des poèmes écrits durant l’automne 2019. En fait, à ce moment-là j’ai voulu écrire de la poésie d’une manière différente. Les poèmes que j’avais écrits jusque-là, inspirés d’Homère ou de Cavafy, ne suscitaient aucune émotion chez mes lecteurs. Je publiais ces poèmes sur mon blog ou les envoyais à mes amis. Les amis répondaient poliment qu’ils avaient besoin de relire le texte pour le comprendre.

Alors j’ai décidé de prendre une direction opposée. J’ai commencé à lire de la poésie américaine contemporaine. Cette poésie est très attachée aux objets qui nous entourent, à la terre, aux gens, à la vie quotidienne, à la famille, aux souvenirs, à l’enfance. En revanche, on n’y citera pas plus que cela Pindare ou Sophocle. J’ai trouvé cette approche inspirante.

Sitôt dit, sitôt fait. J’ai acheté le tutoriel « Comment écrire de la poésie  » du poète Sandford Lyne1. Un des exercices consistait à prendre quatre mots aléatoires, puis à écrire un poème à partir de ces quatre mots.

Une condition était que les quatre mots soient présents dans le poème sous n’importe quelle forme et dans n’importe quelle acception. Une autre condition était : ni rime, ni mètre. L’auteur du tutoriel préconisait d’écrire en vers libres avec une composition de lignes et de strophes variée.

Tous les jours pendant deux mois et demi, j’ai fait l’exercice de quatre mots. Il en est sorti environ soixante-dix poèmes.

Un beau jour, à l’été 2020, lors de la pandémie, nous chattions de tout et de rien avec mon fils Kirill. Entre autres, il me demanda si j’avais écrit récemment quelque chose de nouveau.

« Non, je réponds, mais puisque tu me le demandes, je me souviens que j’ai écrit soixante-dix poèmes en vers libres l’automne dernier. »

« Soixante-dix poèmes ?! Et tu ne m’en as rien dit ?! s’étonne-t-il.

– J’avais réellement oublié, dis-je. Mais si tu veux, je pourrais te les envoyer, d’autant plus qu’il y a pas mal de poèmes qui parlent de toi. »

Mon fils a lu les poèmes et ils ont produit sur lui une forte impression. C’est comme si j’avais vécu ta vie, m’a-t-il dit le lendemain.

J’en parle à Inga. Elle réagit : « Mais pourrais-tu me donner aussi tes poèmes? – Bien sûr. »

Deux heures plus tard elle me déclare: « Kirill a raison. C’est un roman de la vie, c’est un livre tout prêt. »

J’ai été étonné par l’effet produit par ces lectures, mais je ne pouvais douter de la sincérité des paroles de ma femme et de mon fils.

Voici le livre tout prêt.

11 avril 2021, Fontenay-sous-Bois

Avant-propos II

Le domaine de recherche de mon père était la reconnaissance automatique de la parole. La coopération scientifique internationale était bien en marche et il arrivait souvent que des chercheurs de l’étranger viennent à la cité académique de Novossibirsk pour un colloque ou un stage. Ainsi, mon père travaillait avec des Allemands, des Suédois, des Japonais – mais avant tout avec des Français. Pour ne pas être limité au seul usage de l’anglais dans ses échanges, papa se mit à apprendre la langue de Descartes.

Il se procura des enregistrements du célèbre cours de Gaston Mauger et commença à répéter des phrases après les voix masculines et féminines aux modulations soignées de jadis : « Est-ce un crayon? – Non, ce n’est pas un crayon. C’est une serviette. » Ou encore: « Voici le visage de Pierre Vincent. Il n’est ni beau ni laid. Pierre a une grande bouche, des oreilles larges, un front haut, un nez pointu. – A-t-il aussi une langue ? – Mais oui ! Elle est dans sa bouche. » Voire: « Maman ! Notre chat partira-t-il à Paris avec nous ? – Hélène ! Tu es trop bavarde. »

J’avais onze ans et je rôdais autour brûlant de curiosité. Mon père ne tarda pas à m’inviter à le rejoindre sur son canapé marron à côté de l’imposant magnétophone à bobines « Dnipro ». Il fallut reprendre le cours dès le début, et nous répétâmes l’un après l’autre : « C’est un livre. C’est un calendrier. C’est une horloge. Ce stylo est-il noir ? – Non, il est bleu. »

Lorsque, plusieurs années après, je venais dans mon premier pays francophone – ce fut la Belgique – mes interlocuteurs parurent amusés. Il s’avéra que je parlais ce français des années cinquante que j’avais appris d’abord dans Mauger, puis dans Jean-Paul Sartre. Je connaissais le mot rectangulaire, mais pas le mot voiture : je disais auto.

Malgré quelques progrès faits depuis, il va de soi que j’ai eu besoin de faire relire ma traduction en français de ce recueil de poèmes. À cet effet, j’ai envoyé le manuscrit à mes connaissances françaises et belges qui m’ont fait un retour précieux et pertinent. Je tiens à remercier chaleureusement Renato Bazzarini, Jacques Delcourt, Guillaume Dubach, Véronique Mischke et Paul Schwander pour leur relecture attentive et bienveillante.

Par ailleurs, il m’a paru utile d’ajouter, pour l’édition française, quelques notes de bas de page concernant des personnages ou réalités d’une époque et d’une contrée lointaines.

Il existe une heureuse tradition en Belgique et en France, celle de collaboration entre poète et artiste. Cette création commune acquiert une signification toute particulière lorsque l’artiste est elle-même un des personnages du recueil de poèmes. Les illustrations de Natalie Fridberg (Sokolova) ont été remaniées avec soin pour cette édition. La jonction de ces dessins et aquarelles avec la poésie devient, comme disait Séféris, une invisible rencontre des courants chauds sous la glace des mers.

Anatole Velitchko
9 octobre 2021, Fontenay-sous-Bois

Quatre mots seulement

Corneille

mère pièce rideau grand-père

 
Ma mère m’amenait parfois chez mon grand-père.
L’appartement où il vivait avec ma grand-mère
Était angulaire : une fenêtre donnait sur la cour
Et l’autre, sur les berges de la rivière,
Ou, plus précisément, de la mer artificielle
En amont du barrage hydroélectrique.
 
 
Les rideaux de l’appartement
Éveillaient ma curiosité.
Ils étaient complètement passés de mode
Même en ces temps-là :
Tricotés de fil blanc,
Avec des bordures à franges.
 
 
Mon grand-père était austère,
Mais parfois il me gâtait
En me donnant quelques pièces de monnaie
Pour une crème glacée et un soda.
 
 
Les valeurs des pièces
En ces jours étaient curieuses :
Un, deux, trois,
Cinq, dix, quinze,
Vingt et cinquante kopecks.
Cette suite était couronnée
Par la plus grosse pièce
Qu’on appelait « rouble de fer ».
 
 
Le soir, ma grand-mère me couchait
Sur un matelas dur à même le sol.
 
 
« Prends l’habitude, tu seras soldat ! me disait-elle. »
 
 
J’avais du mal à m’endormir
Dans ces conditions
Et longtemps je suivais des yeux
Les lumières des autos
Qui tournaient devant le barrage
Avec un bruit propre à cette époque-là
Et les images difformes des rideaux tricotés
Qui couraient le long des murs et du plafond.
 
19 septembre 2019

plis feuilles froid campagne

 
En Sibérie la fin de l’automne tombe en octobre.
Il neige souvent le jour de mon anniversaire.
Ce n’est pas encore de la neige permanente,
Elle fondra.
Mais aujourd’hui les plis des feuilles mortes
Sont remplis de cristaux blancs.
 
 
Je marche sur les feuilles.
Elles craquent sous mes bottes en caoutchouc,
Et je réfléchis distraitement
Qui de mes camarades de classe
Viendra me rendre visite ce soir,
Et puis je pense
Comme il doit faire bon par ce temps
D’être à la campagne.
 
 
Je n’ai jamais vécu dans un vrai village.
Je me l’imagine
D’après les poèmes de Sergueï Essenine2
Ou les nouvelles de Vassili Choukchine3.
Mais j’aimerais tellement qu’il y ait un village
Avec ses huttes, ses clôtures,
Avec l’or des bouleaux et des trembles
Sur les berges d’une rivière ou d’un étang
Un jour neigeux d’octobre.
Ce serait ma fête secrète.
 
20 septembre 2019

crépuscule cœur froid argent

 
Ce fut un crépuscule d’hiver.
Mon cœur bondissait de joie :
Natacha, la fille dont j’étais amoureux,
S’était inscrite aux cours de tennis.
Les cours se passaient le soir
Et elle m’avait autorisé à la raccompagner
Jusqu’à l’entrée de son immeuble.
 
 
Je vins en avance et je l’attendis dans le froid.
Lors de cette attente, je ne voyais rien autour de moi,
Fixant la porte du gymnase.
 
 
Mais quand enfin elle sortit,
Tout devint d’un coup argenté :
Et les monceaux de neige
Et les réverbères
Et la légère vapeur de son souffle
Et le motif brodé de ses mitaines en laine
Avec lesquelles elle protégeait le visage
De telle façon qu’on ne pouvait voir
Que ses yeux
Avec des cils noirs bordés d’argent.
 
21 septembre 2019

mains ciel lacet pleuvoir

 
Début de l’automne.
Les mains de ma fille de trois ans sont froides.
Le ciel est bleu, même s’il vient de pleuvoir avec force :
En Sibérie le temps change brusquement.
Je renoue le lacet de la petite bottine de ma fille.
Je n’ai encore aucune idée de ce que me réserve l’avenir.
 
22 septembre 2019

peinture vestibule libellule voix

 
J’étais sorti de l’hôpital psychiatrique
Au milieu de l’hiver sibérien
Avec ses gelées impitoyables.
J’avais vingt ans.
Mon histoire était un mélange
D’éléments divers : mon incapacité
À faire face aux problèmes de l’âge adulte,
Dépression et surmenage au travail.
S’y rajoutaient certaines circonstances politiques
De cette époque difficile.
 
 
Après m’avoir libéré, on m’enjoignit
De me présenter au dispensaire de la ville
Afin de recevoir
Une assistance médicale supplémentaire.
 
 
Le vestibule du dispensaire était décoré
D’une peinture murale : lac aux libellules.
La couleur du lac était verte, apaisante.
La tension nerveuse m’abandonna peu à peu.
 
 
La jeune femme médecin au cabinet
Feuilleta mon dossier médical
Et fronça ses sourcils noirs.
 
 
« Je ne comprends pas, dit-elle
D’une voix mélodique et grave,
Pourquoi vous ont-ils prescrit tout cela,
Ces médicaments puissants aux effets incertains ?
J’ai pourtant l’impression
Que vous êtes un jeune homme
Parfaitement normal. Vous souffrez juste
De surmenage et de stress.
Tout ce dont vous avez besoin
C’est d’une bonne psychothérapie.
Voici les coordonnées du thérapeute à l’université.
Allez le voir. »
 
 
Je remerciai la jeune femme
Et descendis dans le hall aux libellules.
Ce furent les premières paroles
D’humanité et de compassion
Qui m’eussent été adressées
Depuis si longtemps.
 
23 septembre 2019

insectes porte étang d’où

 
Au centre de loisirs
La porte du sauna donnait directement
Sur la jetée en planches de bois
D’où l’on pouvait sauter tout nu
Dans l’eau fraîche de l’étang.
 
 
Seuls les insectes pouvaient voir
La beauté d’un jeune corps.
Mais sommes-nous en mesure d’imaginer
Ce que voient les insectes
Et ce qu’est pour eux la beauté ?
 
 
Le sauna était de type finlandais :
Vapeur sèche et température qui pouvait atteindre
Jusqu’à cent quatre-vingts degrés.
Une vraie fournaise.
 
 
Avant d’y entrer
J’enlevai tous mes vêtements.
Une seule chose que je ne voulus pas ôter :
Ma croix de baptême en aluminium,
Suspendue à mon cou par un cordon.
 
 
Je m’assis sur le banc du sauna.
Le thermomètre indiquait cent quarante.
Quand je me levais pour courir me jeter dans l’étang,
La croix en métal se balança
Puis se colla du côté gauche de ma poitrine
Laissant une brûlure.
 
24 septembre 2019

brosse chuchoter visage vérité

 
Lors de mon premier mariage
Ma femme
(Nous étions tous les deux très jeunes)
Me chuchota un jour à l’oreille
Que je pourrais mettre
Moins de dentifrice sur ma brosse à dents.
 
 
Mon visage rougit.
Je ressentis un vif sentiment d’humiliation.
C’était la pure vérité
Que j’avais une propension à la prodigalité.
Mais le dentifrice ! la brosse !
Et en plus, c’était moi qui ramenais l’argent à la maison.
 
 
Évidemment, nous n’avons pas divorcé
Pour des choses aussi futiles.
Pour notre séparation nous avions des raisons
Bien plus graves et profondes.
 
26 septembre 2019

1Lyne, Sandford. Writing Poetry from the Inside Out: Finding Your Voice Through the Craft of Poetry. Sourcebooks, Inc., Naperville, Illinois, 2007
2Sergueï Essenine (1895 – 1925) – poète russe, chantre de la vie rurale. Sa poésie au lyrisme sublime et aux métaphores osées est largement connue et appréciée même en dehors des milieux littéraires ; elle fait partie des programmes scolaires en Russie. Son destin fut tragique : ayant sombré dans l’alcoolisme et sévèrement critiqué dans la presse, Sergueï Essenine se suicida à l’âge de trente ans.
3Vassili Choukchine (1929 – 1974) – écrivain, acteur et réalisateur de cinéma russe, originaire d’un petit village en Sibérie occidentale. Outre ses remarquables réalisations cinématographiques, il est connu comme l’auteur de nombreux récits et nouvelles décrivant la vie des paysans sibériens dans les années 1950 et 60, l’exode rural, l’adaptation difficile à l’existence dans une grande ville. Ses œuvres sont imprégnées d’une profonde humanité et présentent un large panneau de personnages et situations. Vassili Choukchine jouit d’un véritable culte en Russie, et plus particulièrement en Sibérie.
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