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Kitabı oku: «Les mystères d'Udolphe», sayfa 4

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Après avoir ainsi voyagé quelques lieues, ils commencèrent à descendre en Roussillon, et la scène qui s'ouvrit déployait une beauté moins âpre. Les voyageurs ne voyaient pas sans regret les objets imposants qu'ils allaient abandonner. Quoique fatigué de ces vastes aspects, l'œil se reposait complaisamment sur la verdure des bois et des prairies; la rivière qui les arrosait, la chaumière qu'ombrageaient les hêtres, les groupes joyeux des jeunes pâtres, les bouquets de fleurs qui paraient les coteaux, formaient ensemble un spectacle enchanteur.

En descendant, ils reconnurent un des grands passages des Pyrénées en Espagne: les fortifications, les tours, les murailles, recevaient alors les rayons du soleil couchant; les bois qui les entouraient n'avaient plus qu'un reflet jaunâtre, tandis que les pointes des rochers étaient encore couleur de rose.

Saint-Aubert regardait attentivement sans découvrir la petite ville qu'on lui avait indiquée; Valancourt ne pouvait l'éclairer sur la distance, parce que jamais il n'avait pénétré si loin; ils voyaient pourtant une route, et ils devaient la croire directe, puisque depuis Beaujeu ils n'avaient pu s'égarer d'aucun côté.

Le soleil était à l'horizon, et Saint-Aubert pressa son muletier; il se trouvait d'une extrême faiblesse, et à la suite d'une journée si fatigante, il désirait vivement un moment de repos. Son inquiétude ne se calma point en observant un grand train d'hommes, de chevaux et de mulets chargés, qui défilaient dans les détours de la montagne opposée; et comme les bois dérobaient souvent leur marche, on ne pouvait en apprécier le nombre. Quelque chose de brillant, comme des armes, resplendissait aux derniers rayons du soleil, et l'habit militaire se distinguait sur les premiers et sur quelques individus dispersés parmi la troupe. Dès qu'ils furent dans la vallée, une autre bande de soldats sortit des bois; les craintes de Saint-Aubert augmentèrent: il ne doutait pas que ce ne fussent autant de contrebandiers saisis dans les Pyrénées, et enlevés par des régiments avec leurs marchandises.

Les voyageurs s'étaient si longtemps oubliés dans les montagnes, qu'ils furent totalement trompés dans leur calcul, et ne purent gagner Montigni avant le coucher du soleil. Ils traversèrent la vallée, et remarquèrent sur un pont grossier qui réunissait deux escarpements, un groupe de jeunes enfants qui lançaient des pierres dans le torrent; les cailloux, en tombant faisaient jaillir des colonnes d'eau, et rendaient un bruit sourd que prolongeaient au loin les échos des montagnes. Sous le pont on découvrait toute la vallée en perspective, une cataracte au milieu des rocs, et une cabane sur une pointe abritée par de vieux sapins. Il semblait que cette habitation dût être voisine d'une petite ville. Saint-Aubert fit arrêter: il appela les enfants, et leur demanda si Montigni était bien loin; mais la distance, le bruit des eaux, ne lui permit pas de se faire entendre, et la hauteur à pic des montagnes qui soutenaient le pont, était trop considérable et trop perpendiculaire, pour que tout autre qu'un montagnard exercé, pût gravir jusqu'au sommet. Saint-Aubert ne s'arrêta donc qu'un instant; on continua la route à la faveur du crépuscule, et cette route même était tellement brisée, qu'il parut plus sage de quitter la voiture. La lune commençait à poindre, mais sa lumière était trop faible; ils marchaient au hasard au milieu des dangers. A ce moment la cloche d'un couvent se fit entendre: l'obscurité complète interceptait la vue du bâtiment, mais le son paraissait venir des bois qui couvraient la montagne à droite. Valancourt proposa d'aller à la recherche. Si nous ne trouvons pas un asile dans ce couvent, disait-il, du moins obtiendrons-nous des renseignements sur la distance ou la position de Montigni. Il se mit à courir sans attendre la réponse de Saint-Aubert; mais Saint-Aubert le rappela. Je suis, lui dit-il, horriblement fatigué, j'ai besoin du plus prompt repos, allons tous au couvent, votre air vigoureux déjouerait nos desseins; mais lorsque l'on verra mon épuisement et la lassitude d'Emilie, on ne pourra nous refuser un asile.

En disant ces mots il prit le bras d'Emilie, et recommandant à Michel de l'attendre, il suivit le son de la cloche et monta du côté des bois. Ses pas étaient chancelants; Valancourt lui offrit son bras, qu'il accepta. La lune alors éclairait leur sentier et leur permit bientôt d'apercevoir des tours qui s'élevaient au-dessus de la colline. La cloche continuait de les guider; ils entrèrent dans le bois, et la clarté tremblante de la lune devint plus incertaine par l'ombrage et le mouvement des feuilles. Cette obscurité, ce silence, lorsque la cloche ne sonnait pas, l'espèce d'horreur qu'inspirait un lieu si sauvage, tout remplit Emilie d'une frayeur que la voix et la conversation de Valancourt pouvaient seules diminuer. Après avoir monté quelque temps, Saint-Aubert se plaignit, et on s'arrêta sur un tertre de gazon où les arbres plus ouverts, laissaient jouir du clair de la lune. Saint-Aubert s'assit sur l'herbe entre Emilie et Valancourt. La cloche ne sonnait plus, et le calme profond n'était interrompu par aucun bruit, car le murmure sourd de quelques torrents éloignés semblait accompagner plutôt que troubler le silence.

Ils avaient alors sous les yeux la vallée qu'ils avaient quittée. La lumière argentine qui en découvrait les fonds, reflétait sur les rocs et les bois de la gauche, et contrastait avec les ténèbres dont les bois à la droite étaient comme enveloppés. Leurs sommets seulement étaient illuminés par places; le reste du vallon se perdait au sein d'un brouillard, dont le clair de lune même ne servait qu'à épaissir la teinte. Les voyageurs furent quelque temps à contempler ce bel effet.

De pareilles scènes, dit Valancourt, charment le cœur comme les accords d'une musique douce; quiconque a savouré une fois la mélancolie qu'elles inspirent, ne voudrait pas en changer l'impression contre celle des plus vifs plaisirs. Elles réveillent nos plus purs sentiments: elles disposent à la bienveillance, à la pitié, à l'amitié. «Ceux que j'aime, il m'a toujours paru les aimer mieux à cette heure-ci.» Sa voix trembla, et il fit une pause.

Saint-Aubert ne disait rien. Emilie vit tomber une larme sur la main qu'elle pressait dans les siennes.—Elle devina bien sa pensée; la sienne aussi s'était reportée aux touchants souvenirs de sa mère. Mais Saint-Aubert la ranimant: Oh! oui, dit-il en retenant un soupir, la mémoire de ceux que nous aimons, d'un temps écoulé pour toujours, c'est à ce moment qu'elle repose sur nos âmes! C'est comme une harmonie lointaine au milieu du silence des nuits, comme les teintes adoucies de ce paysage. Puis après un moment Saint-Aubert ajouta: J'ai toujours cru mes idées plus nettes à cette heure-ci qu'à toute autre, et le cœur qui n'en reconnaît pas l'influence, est certainement un cœur dénaturé. Il y a beaucoup de gens…

Valancourt soupira.

–S'en trouve-t-il donc beaucoup? dit Emilie.

–Dans quelques années peut-être, mon Emilie, dit Saint-Aubert, vous sourirez en vous rappelant cette question, si toutefois ce souvenir ne vous arrache pas des pleurs. Mais venez, je suis un peu mieux. Avançons.

Ils sortirent du bois, et virent enfin sur un plateau que formaient les roches, le couvent même qu'ils avaient tant cherché. Une haute muraille qui l'environnait les conduisit jusqu'à une porte antique; ils frappèrent aussitôt, et le pauvre moine qui leur ouvrit les conduisit dans une salle voisine, où il les pria d'attendre que le supérieur fût averti. Dans l'intervalle, plusieurs frères vinrent les regarder; le premier moine reparut, et les conduisit au supérieur. Il était dans une chaise à bras; un gros volume était devant lui, soutenu d'un large pupitre. Il reçut les voyageurs poliment, quoique sans se lever, leur fit peu de questions, et consentit à leur demande. Après un entretien fort court et les compliments du supérieur, on les mena dans la pièce où le souper devait être servi, et Valancourt, qu'un des frères voulut accompagner, fut retrouver Michel, la voiture et les mules. Ils avaient à peine descendu la moitié du chemin que la voix du muletier fit retentir tous les échos; il appelait Saint-Aubert, il appelait Valancourt. Convaincu, non sans peine, que ni lui ni son maître n'avaient plus rien à redouter, il se laissa conduire dans une cabane au bord des bois. Valancourt revint à la hâte partager le souper de ses amis, tel que les moines avaient pu le disposer. Saint-Aubert était trop souffrant pour manger. Emilie, inquiète pour son père, ne savait pas songer à elle, et Valancourt, muet et pensif, mais toujours occupé d'eux, ne paraissait penser qu'à soulager et fortifier Saint-Aubert.

Les voyageurs.


Ils se séparèrent de bonne heure et se retirèrent à leurs appartements. Emilie coucha dans un cabinet à côté de la chambre de son père: triste, pensive, occupée de l'état de langueur où elle voyait Saint-Aubert, elle se coucha sans espoir de dormir.

Deux heures après une cloche se fit entendre, et des pas précipités parcoururent les corridors. Peu faite aux usages des cloîtres, Emilie fut alarmée; ses craintes toujours vivantes pour son père, lui firent supposer qu'il était plus mal; elle se leva à la hâte pour voler à lui, mais s'étant arrêtée un moment à la porte pour laisser passer les religieux, elle eut le temps de se remettre, de rappeler ses idées, et de comprendre que la cloche avait sonné matines. Cette cloche ne sonnait plus, tout était paisible, elle n'alla pas plus loin; mais hors d'état de se rendormir, et invitée d'ailleurs par l'éclat d'une lune brillante, elle ouvrit sa fenêtre et considéra le pays.

La nuit était calme et belle, le firmament était sans nuage, et le zéphyr à peine agitait les arbres de la vallée. Elle était attentive, lorsque l'hymne nocturne des religieux s'éleva doucement de la chapelle. Cette chapelle était plus basse, et le chant sacré semblait monter au ciel à travers le silence des nuits. Les pensées se suivirent; de l'admiration des ouvrages, son âme se porta à l'adoration de leur auteur tout-puissant et bon. Pénétrée d'une dévotion pure et sans mélange d'aucun système, son âme s'élevait au-dessus de notre univers; ses yeux versaient des pleurs; elle adorait sa puissance dans ses œuvres, et sa bonté dans ses bienfaits.

Le chant des moines fit de nouveau place au silence; mais Emilie ne quitta sa fenêtre que lorsque la lune s'étant couchée, l'obscurité sembla l'inviter au sommeil.

CHAPITRE V

Saint-Aubert se trouva le lendemain assez bien rétabli pour continuer le voyage; il espérait arriver ce jour même en Roussillon, et il se mit en route dès le matin. Le théâtre que parcouraient alors les voyageurs était aussi sauvage, aussi pittoresque que les précédents; seulement de temps à autre, les scènes moins sévères déployaient une beauté plus riante.

Quand Saint-Aubert paraissait occupé des plantes, il contemplait avec transport Emilie et Valancourt qui se promenaient ensemble; l'un avec la contenance et l'émotion du plaisir, indiquait un grand trait dans la scène qui s'offrait à eux; l'autre écoutait et regardait avec une expression de sensibilité sérieuse qui indiquait l'élévation de son esprit. Ils avaient l'air de deux amants qui n'avaient jamais quitté leurs montagnes, que leur situation avait préservés de la contagion des frivolités, dont les idées, simples et grandes comme le paysage qu'ils parcouraient, ne concevaient le bonheur que dans la tendre union des cœurs purs. Saint-Aubert souriait et soupirait en même temps, en songeant au bonheur romanesque dont son imagination lui présentait le tableau; il soupirait encore en songeant combien la nature et la simplicité étaient donc étrangères au monde, puisque leurs doux plaisirs paraissaient un roman.

Le monde, disait-il en suivant sa pensée, le monde ridiculise une passion qu'il connaît à peine; ses mouvements, ses intérêts distrayent l'esprit, dépravent les goûts, corrompent le cœur; et l'amour ne peut exister dans un cœur quand il n'a plus la douce dignité de l'innocence. La vertu et le goût sont presque la même chose; la vertu, c'est le goût mis en action, et les plus délicates affections de deux cœurs forment ensemble le véritable amour. Comment pourrait-on chercher l'amour au sein des grandes villes? la frivolité, l'intérêt, la dissipation, la fausseté y remplacent continuellement la simplicité, la tendresse et la franchise.

Il était près de midi, quand les voyageurs arrivèrent à un chemin si dangereux qu'il leur fallut descendre de la voiture; la route était bordée de bois, et, plutôt que de la suivre, ils se détournèrent pour chercher l'ombre. Une fraîcheur humide était répandue dans l'air; la brillante verdure du gazon, l'heureux mélange des fleurs, des baumes, des thyms, des lavandes qui l'enrichissaient, la hauteur des pins, des hêtres, des châtaigniers qui protégeaient leur existence, tout concourait à faire de ce lieu une retraite vraiment délicieuse. Quelquefois le feuillage, plus serré, interdisait la vue du paysage; ailleurs, quelques échappées mystérieuses indiquaient à l'imagination des tableaux plus charmants qu'elle n'en avait encore observés, et les voyageurs se livraient volontiers à ces jouissances presque idéales.

Les pauses et le silence qui avaient déjà interrompu les entretiens de Valancourt et d'Emilie furent ce jour-là bien plus fréquents. Valancourt, de la plus expressive vivacité, tombait dans un accès de langueur, et la mélancolie se peignait sans dessein jusque dans son sourire. Emilie ne pouvait plus s'y méprendre: son propre cœur partageait le même sentiment.

Quand Saint-Aubert fut rafraîchi, ils continuèrent de marcher dans le bois, croyant toujours côtoyer la route; mais ils s'aperçurent enfin qu'ils l'avaient tout à fait perdue. Ils avaient suivi la pente où la beauté des sites les retenait, et la route s'élevait entièrement sur l'escarpement au-dessus d'eux. Valancourt appela Michel, mais l'écho seul répondit à ses cris, et ses efforts furent également vains pour retrouver la route. Dans cet état, ils aperçurent la cabane d'un berger placée entre des arbres, et encore à quelque distance. Valancourt y courut pour demander quelque indication; en arrivant, il ne vit que deux enfants qui jouaient sur le gazon. Il regarda jusqu'au fond de la maison, et ne vit personne. L'aîné de ces enfants lui dit que son père était aux champs, que sa mère était dans la vallée et ne tarderait pas à revenir. Valancourt songeait à ce qu'il fallait faire, quand la voix de Michel résonna tout à coup sur les roches au-dessus et fit retentir leurs échos. Valancourt répondit aussitôt et s'efforça de l'aller joindre; après un travail pénible entre les branches et les rochers, il parvint enfin jusqu'à lui, et ce ne fut pas sans peine qu'il en obtint un peu de silence. La route était fort loin du lieu où se reposaient Saint-Aubert et Emilie. Il était difficile de ramener la voiture; il eût été trop fatigant pour Saint-Aubert de gravir tout le bois comme lui-même l'avait fait, et Valancourt était fort en peine de trouver un chemin plus praticable.

Pendant ce temps, Saint-Aubert et Emilie s'étaient rapprochés de la chaumière et se reposaient sur un banc champêtre appuyé entre deux pins et couronné de leur feuillage; ils avaient observé Valancourt et attendaient qu'il les rejoignît.

L'aîné des deux enfants avait quitté son jeu pour regarder les voyageurs; mais le petit continuait ses gambades et tourmentait son frère pour qu'il revînt l'aider. Saint-Aubert examinait avec plaisir cette simplicité enfantine, quand tout à coup ce spectacle lui rappelant les enfants qu'il avait perdus à cet âge, et surtout leur mère bien-aimée, il retomba dans la rêverie. Emilie, qui s'en aperçut, commença un de ces airs touchants qu'il aimait de préférence et qu'elle savait chanter avec le plus de grâce et d'expression. Saint-Aubert lui sourit au travers de ses larmes; il prit sa main, la serra tendrement, et tâcha de bannir ses mélancoliques réflexions.

Elle chantait encore, lorsque Valancourt revint; il ne voulut pas l'interrompre et s'arrêta pour écouter. Quand elle eut fini, il approcha et raconta qu'il avait trouvé Michel et même un chemin pour gravir le rocher. Saint-Aubert à ces mots en mesura l'étonnante hauteur; il était déjà accablé, et la montée lui semblait formidable. Ce parti néanmoins lui paraissait préférable à une route longue et toute rompue; il se résolut de l'essayer, mais Emilie, toujours soigneuse, lui proposa de dîner d'abord pour rétablir un peu ses forces, et Valancourt retourna à la voiture pour y chercher des provisions.

A son retour, il proposa de se placer un peu plus haut, parce que la vue y serait plus étendue et plus belle. Ils allaient s'y rendre, quand ils virent une jeune femme s'approcher des enfants, les caresser, et pleurer amèrement sur eux.

Les voyageurs, intéressés à son malheur, s'arrêtèrent pour mieux l'observer. Elle prit dans ses bras le plus jeune des enfants, et découvrant des étrangers, elle sécha ses larmes à la hâte et se rapprocha de la chaumière. Saint-Aubert lui demanda ce qui pouvait tant l'affliger. Il apprit que son époux était un pauvre berger qui tous les ans passait l'été dans cette cabane pour y conduire un troupeau sur les montagnes. La nuit précédente, il avait tout perdu; une troupe de bohémiens, qui depuis quelque temps désolaient le voisinage, avait enlevé toutes les brebis de son maître. Jacques, ajoutait la femme, avait amassé un peu d'argent, et il en avait acheté quelques brebis pour nous, mais aujourd'hui, il faut bien qu'elles remplacent le troupeau qu'on a pris à son maître; et ce qu'il y a de pis, c'est que le maître, quand il saura cela, ne voudra plus nous confier ses moutons; c'est un homme dur; et alors que deviendront nos enfants?

L'attitude de cette femme, la simplicité de son récit et sa douleur sincère, portèrent Saint-Aubert à croire sa triste histoire. Valancourt, convaincu qu'elle était vraie, demanda sur-le-champ de quel prix était le troupeau; quand il le sut, il fut tout déconcerté. Saint-Aubert donna quelque argent à la femme; Emilie contribua de sa petite bourse, et ils marchèrent à l'endroit convenu. Valancourt restait derrière; il parlait à la femme du berger, dont les larmes coulaient alors et de reconnaissance et de surprise; il lui demandait combien il lui manquait encore d'argent pour rétablir le troupeau dérobé. Il trouva que cette somme était à peu près la totalité de ce qu'il portait avec lui. Il était incertain et affligé; cette somme, se disait-il, suffirait au bonheur de cette pauvre famille; il est en mon pouvoir de la donner, de les rendre complétement heureux; mais comment ferai-je, moi? comment regagnerai-je ma demeure, avec le peu qui me restera? Il hésita quelques moments; il trouvait une volupté singulière à sauver une famille de sa ruine. Il sentait la difficulté de poursuivre sa route avec le peu d'argent qu'il garderait.

Il était dans cette perplexité, quand le berger lui-même parut. Ses enfants furent à sa rencontre; il en prit un entre ses bras, et l'autre, s'attachant à sa ceinture, il s'avança avec lenteur. Son air abattu, désolé, décida Valancourt; il jeta tout l'argent qu'il avait, sauf quelques pistoles, et courut après Saint-Aubert, qui, soutenu d'Emilie, s'acheminait vers la hauteur. Valancourt ne s'était jamais senti l'esprit si léger; son cœur tressaillait de joie, et tous les objets autour de lui semblaient plus beaux et plus intéressants. Saint-Aubert observa ses transports.—Qu'avez-vous, lui dit-il, qui vous enchante ainsi?—Oh! la belle journée, s'écriait Valancourt, comme le soleil brille, comme l'air est pur, quel site enchanteur!—Il est charmant, dit Saint-Aubert, dont l'heureuse expérience expliquait aisément l'émotion de Valancourt; quel dommage que tant de riches qui pourraient se procurer à volonté un soleil brillant laissent flétrir leurs jours dans les brouillards de l'égoïsme! Pour vous, mon jeune ami, puisse toujours le soleil vous paraître aussi beau qu'aujourd'hui; puissiez-vous, dans votre active bienveillance, réunir toujours la bonté et la sagesse.

Valancourt, honoré d'un tel compliment, ne put répondre que par un sourire, et ce fut celui de la reconnaissance.

Ils continuèrent de traverser le bois entre les fertiles gorges des montagnes. A peine arrivés dans l'endroit où ils voulaient se rendre, tous à la fois firent une exclamation; derrière eux, le roc perpendiculaire s'élevait à une hauteur prodigieuse et se séparait alors en deux flèches pareillement élevées. Leurs teintes grises contrastaient avec l'émail des fleurs qui s'épanouissaient entre leurs fentes; les ravins sur lesquels l'œil glissait rapidement pour se porter à la vallée, étaient eux-mêmes parsemés d'arbrisseaux; plus bas encore, un tapis vert indiquait des forêts de châtaigniers au milieu desquels on apercevait la chaumière du pauvre pâtre. De tous côtés les Pyrénées découvraient leurs sommets majestueux; les uns chargés d'immenses blocs de marbre, changeaient de nuance et d'aspect en même temps que le soleil; d'autres, encore plus élevés, ne montraient que leurs pointes couvertes de neige et leurs bases colossales, uniformément tapissées, se couvraient jusqu'au vallon de pins, de mélèses et de chênes verts. Ce vallon, quoique étroit, était celui qui conduisait au Roussillon; la fraîcheur de ses pâturages, la richesse de sa culture, contrastaient étonnamment avec la grandeur des masses dont il était environné. Entre les chaînes prolongées, on découvrait le bas Roussillon, et l'éloignement excessif confondant toutes les nuances, semblait unir la côte aux vagues blanches de la Méditerranée. Un promontoire surmonté d'un phare indiquait seul la séparation et le rivage; les oiseaux de mer voltigeaient autour. Plus loin, pourtant, on discernait quelques voiles blanches; le soleil en augmentait l'éclat, et leur distance du phare en faisait juger la vitesse; mais il y en avait de si éloignées, qu'elles servaient seulement à séparer le ciel de la mer.

De l'autre côté de la vallée, précisément en face des voyageurs, était un passage dans les rochers, qui conduisait à la Gascogne. Ici, nul vestige de culture; les rocs de granit s'élevaient spontanément de leurs bases et perçaient les cieux de leurs pointes stériles: ici, ni forêts, ni chasseurs, ni cabanes; quelquefois pourtant, un mélèse gigantesque jetait son ombre immense sur un précipice sans fond, et quelquefois une croix sur un rocher apprenait au voyageur l'affreux destin de quelque imprudent. Le lieu semblait destiné à devenir un refuge de bandits; Emilie à tout moment s'attendait à les voir débusquer; bientôt après, un objet non moins terrible la frappa. Un gibet, placé à l'entrée du passage et précisément au-dessus d'une des croix, expliquait assez clairement quelque événement vraiment tragique. Elle évita d'en parler à Saint-Aubert, mais cette vue la rendit inquiète; elle eût voulu presser le repas pour arriver avec certitude avant le coucher du soleil. Mais Saint-Aubert avait besoin de rafraîchissements, et, s'asseyant sur le gazon, les voyageurs entamèrent la corbeille.

Saint-Aubert fut ranimé par le repos et par l'air serein de cette esplanade. Valancourt était tellement ravi, tellement porté à la conversation, qu'il semblait avoir oublié tout le chemin qu'il restait à faire. Le repas fini, ils firent un long adieu à ce site merveilleux et recommencèrent à grimper. Saint-Aubert retrouva la voiture avec joie. Emilie y monta avec lui; mais voulant connaître avec plus de détails la délicieuse contrée dans laquelle ils allaient descendre, Valancourt découpla ses chiens et les suivit à pied; il s'égarait parfois sur des éminences qui lui promettaient un beau point de vue; le pas des mules lui permettait ces distractions. Si quelque endroit déployait une rare magnificence, il revenait à la voiture, et Saint-Aubert, trop fatigué pour en aller jouir lui-même, y envoyait Emilie et restait à l'attendre.

Il était tard quand ils descendirent les belles hauteurs qui bordent le Roussillon. Cette charmante province est enclavée dans leurs barrières majestueuses et n'est ouverte que du côté de la mer. L'aspect de la culture embellissait au fond le paysage, et la plaine se colorait des plus riches nuances, et telles que le luxe du climat et l'industrie des habitants pouvaient partout les faire éclore. Des bosquets d'orangers et de citronniers parfumaient l'air; leurs fruits déjà mûrs se balançaient dans le feuillage, et des coteaux en pente douce étalaient les plus beaux raisins. Plus loin, des bois, des pâturages, des villes, des hameaux, la mer, dont la surface brillante laissait flotter des voiles éparses, un couchant étincelant de pourpre; ce passage, au milieu des montagnes qui le bordaient, formait la parfaite union de l'aimable et du sublime: c'était la beauté dormant au sein de l'horreur.

Les voyageurs arrivés dans la plaine, avancèrent entre les haies de myrtes et de grenadiers en fleurs jusqu'à la petite ville d'Arles, où ils voulaient rester la nuit. Ils trouvèrent un asile simple, mais propre; ils eussent passé une soirée charmante, après les travaux et les jouissances du jour, si la séparation qui s'approchait n'eût répandu un nuage sur leurs cœurs. Saint-Aubert voulait partir le lendemain, côtoyer la Méditerranée, et arriver jusqu'en Languedoc. Valancourt, trop tôt guéri, désormais sans prétexte pour suivre ses nouveaux amis, devait s'en séparer en ce lieu même. Saint-Aubert qui l'aimait, lui proposa d'aller plus loin; mais il ne renouvela pas l'invitation, et Valancourt eut le courage de n'y pas céder, pour montrer qu'il en était digne. Ils devaient donc se quitter le lendemain: Saint-Aubert partant pour le Languedoc, et Valancourt reprenant, pour se rendre chez lui, la route des montagnes. Toute la soirée il fut muet, et plongé dans la rêverie: Saint-Aubert fut avec lui affectueux, mais pourtant grave; Emilie fut sérieuse, quoiqu'elle s'efforçât de paraître gaie; et après une des plus mélancoliques soirées qu'ils eussent jamais passée ensemble, ils se quittèrent pour la nuit.

CHAPITRE VI.

Le lendemain matin, Valancourt déjeuna avec Saint-Aubert et Emilie, mais aucun d'eux ne paraissait avoir dormi. Saint-Aubert portait l'empreinte de l'accablement et de la langueur; Emilie trouvait sa santé plus mauvaise, et ses inquiétudes s'augmentaient à chaque instant; elle observait tous ses regards avec une timide affection, et leur expression se retrouvait bientôt fidèlement répétée dans les siens.

Au commencement de leur liaison, Valancourt avait indiqué son nom et sa famille: Saint-Aubert connaissait l'un et l'autre; les biens de sa maison, qu'un frère aîné de Valancourt possédait alors, n'étaient qu'à vingt milles de la vallée, et Saint-Aubert avait rencontré ce frère dans quelques maisons de son voisinage. Ce préliminaire avait facilité son admission; son maintien, ses manières, son extérieur lui avaient gagné l'estime de Saint-Aubert, qui volontiers s'en fiait à son coup d'œil; mais il respectait les convenances, et toutes les qualités qu'il reconnaissait en lui n'eussent pas paru des motifs suffisants pour l'approcher autant de sa fille.

Le déjeuner fut presque aussi silencieux qu'avait été le souper de la veille; mais leur rêverie fut interrompue par le bruit de la voiture qui devait emmener Saint-Aubert et Emilie: Valancourt se leva de sa chaise et courut à la fenêtre, il reconnut la voiture, et revint à son siége sans parler. Le moment de la séparation était venu: Saint-Aubert dit à Valancourt qu'il espérait le voir à la vallée, et qu'il n'y passerait sûrement pas sans les honorer d'une visite. Valancourt le remercia vivement, et l'assura qu'il n'y manquerait jamais. En disant ces mots, il regardait timidement Emilie, et elle s'efforçait de sourire au milieu de sa profonde tristesse. Ils passèrent quelques minutes dans un entretien fort animé; Saint-Aubert prit le chemin du carrosse, Emilie et Valancourt suivirent en silence. Valancourt restait à la portière après qu'ils furent montés; aucun ne semblait avoir assez de courage pour dire adieu. A la fin Saint-Aubert prononça le triste mot; Emilie le rendit à Valancourt, qui le répéta avec un sourire forcé, et la voiture se mit en marche.

Les voyageurs restèrent quelque temps sans rien dire. Saint-Aubert rompit le silence, en s'écriant. C'est un intéressant jeune homme. Il y a bien des années qu'une connaissance si courte ne m'a si tendrement attaché. Il me rappelle les jours de ma jeunesse, ce temps où tout me semblait admirable et nouveau. Saint-Aubert soupira et retomba dans la rêverie. Emilie se pencha à la portière, et revit Valancourt immobile à la porte et les suivant des yeux; il l'aperçut et salua de la main: elle rendit cet adieu, et le tournant de la route ne lui permit plus de le voir.

Je me souviens de ce que j'étais à cet âge, reprit Saint-Aubert: je pensais et sentais précisément comme lui; le monde alors s'ouvrait devant moi, et maintenant il se ferme.

–O cher papa! ne vous livrez pas à des pensées si sombres, dit Emilie d'une voix tremblante: vous avez, je l'espère, bien des années à vivre, pour votre bonheur et pour le mien.

–Ah! mon Emilie, s'écria Saint-Aubert; pour le tien! oui, j'espère bien qu'il en est ainsi. Il essuya une larme qui coulait le long de ses joues, et souriant de son attendrissement, il ajouta d'une voix tendre: Il y a quelque chose dans l'ardeur et l'ingénuité de ce jeune homme, qui doit surtout enchanter un vieillard, dont le poison du monde n'a point altéré les sentiments; oui, je découvre en lui je ne sais quoi d'insinuant, de vivifiant, comme la vue du printemps lorsque l'on est malade. L'esprit du malade prend quelque chose du renouvellement de la sève, et les yeux se raniment aux rayons du midi: Valancourt est pour moi cet heureux printemps.

Emilie, qui pressait tendrement la main de son père, n'avait jamais entendu de sa bouche un éloge qui l'eût autant ravie, pas même quand elle en avait été l'objet.

Ils voyageaient au milieu des vignobles, des bois et des prairies, enchantés à chaque pas de ce charmant paysage que bornaient les Pyrénées et l'immensité de l'Océan. Bientôt après midi ils atteignirent Collioure, situé sur la Méditerranée. Ils y dînèrent, et laissèrent passer la grande chaleur: ils reprirent les rivages enchanteurs qui s'étendent jusqu'au Languedoc. Emilie considérait avec enthousiasme le vaste empire des flots, dont les lumières et les ombres variaient si singulièrement la surface, et dont les bords, ornés de bois, portaient déjà les premières livrées de l'automne.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
03 ağustos 2018
Hacim:
624 s. 25 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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